C’est bien connu, les adolescents n’aiment pas écrire…et pourtant! Il ne s’agit plus de leur faire écrire ces satanées rédactions scolaires qu’ils ont prises en horreur. Leur écriture est plutôt numérique…il faut bien vivre avec son temps, non? Cela dit, les jeunes n’ont pas attendu les outils numériques pour faire de l’écrit une pratique intense, variée, authentique. Qui l’eut cru?
Christine Mongenot et Anne Cordier ont publié une étude fort intéressante sur “Les adolescents et leurs pratiques de l’écriture au XXIe siècle”. Il était grand temps de prendre en considération les activités d’écriture de la jeune génération. L’écriture chez les jeunes est pleine de vitalité. Et c’est tant mieux. La relève est assurée.
Il est bon de savoir que la possession très répandue des téléphones portables, la très forte activité des jeunes sur internet, n’a pas banni l’écriture de leurs pratiques diverses et variées. On a trop souvent tendance à coller tout un tas de maux sur les ados en général, mais ils recèlent bien plus de trésors qu’on ne pourrait le penser.
Les ados n’écriraient plus?
Les ados ne feraient que passer leur temps à consommer passivement des vidéos idiotes sur internet ou seraient collés devant leurs séries sur les diverses plateformes? En réalité, 59% des jeunes déclarent écrire tous les jours ou presque, 33% disent écrire occasionnellement. Seuls 8% avouent n’avoir aucune pratique de l’écriture. Au total, 92% des jeunes ont une activité déclarée de scripteur. Pas mal, non?
La pratique de l’écriture s’avère massive et variée, encore plus si on élargit le champ à des modalités que la norme scolaire rend invisibles, voire illégitimes : messages privés en ligne, mots d’amour et d’amitié, mails, SMS, publications sur les réseaux sociaux, liste de courses ou de choses à faire, mémos, articles de blog, transcriptions d’émotions, lettres, collectes d’informations, textes imaginaires (récit, nouvelle, poème, fanfiction), sketchs, brouillons pour publications en ligne, chansons, raps, poèmes, BD, mangas, scénarios de vidéos, articles de presse, reportages…
Crédit photo: futura-sciences.fr
Les jeunes du XXIème siècle exaucent majoritairement le souhait de Pline l’Ancien : ” Nulla dies sine linea » (pas un jour sans une ligne).” Les jeunes écrivant sur les réseaux sociaux écrivent plus que la moyenne sur tous les postes d’écriture : messages ou mots d’amour (+13 %), messages écrits à la main à des amis (+7 %), pensées sur tous supports (+7 %), émotions (+6 %), brouillons pour des publications sur les réseaux sociaux (+16 %), contenus sur un blog (+10 %) ou encore histoires et fanfictions (+6 %). », précisent les deux autrices du rapport cité plus haut dans l’introduction.
Les chiffres ne manqueront pas d’étonner les adultes qui méconnaissent la créativité des ados : 39% des jeunes écrivent occasionnellement ou régulièrement des paroles de chansons ou de rap, 43 % des histoires ou des fanfictions, près d’un jeune sur trois participe à l’écriture de traductions de mangas ! Les autrices du dossier notent d’ailleurs combien les jeunes tendent à occulter et déconsidérer leurs propres pratiques dès qu’elles sortent des normes scolaires : en matière d’écriture, l’Ecole fabrique aussi hélas de la mésestime de soi. Je suis bien placée pour le savoir et être capable de le constater!
Crédit photo: objectifplumes.be
La guerre des claviers et des stylos aura-t-elle lieu?
Les ados n’écriraient plus que sur des supports numériques ? En réalité, l’écriture manuscrite est pratiquée et estimée : plus lente et plus complexe, elle est considérée comme l’écriture des « grandes occasions » ! La complémentarité des supports est clairement perçue : « Les jeunes enquêtés ne se revendiquent pas comme des adeptes radicaux d’une modernité technologique, mais usent alternativement des différents formats à leur disposition, en distinguant assez clairement leurs intérêts respectifs. »
Il se construit alors la conscience des exigences propres à chaque pratique langagière en fonction du support, du destinataire ou de la forme : « Je me rends compte que quand j’écris des messages, j’ai tendance à faire des fautes. J’ai toujours eu un bon niveau en français, mais quand j’écris par SMS, je ne fais pas attention, j’essaie d’aller au plus vite, avec des abréviations, tout ce que je ne fais pas quand j’écris pour mes livres. » (Tia, 16 ans). La capacité à passer d’un français à l’autre ne serait-elle pas une nouvelle compétence à travailler ?
La technologie est perçue comme une aide par celles et ceux qui éprouvent des difficultés de lisibilité ou d’orthographe : « Le dispositif numérique apparait comme une véritable prothèse cognitive qui vient soutenir l’activité scripturale, particulièrement chez les élèves scolarisés en section professionnelle de l’échantillon qui, tous, affirment leur préférence pour l’écriture numérique. Les adolescents atteints de troubles dyslexiques et/ou dysorthographiques rejoignent cette conception de l’écriture numérique comme facilitatrice du geste et de la pratique d’écriture. »
Crédit photo: cahiers-pedagogiques.com
Les ados et l’écriture créative
Il apparait d’ailleurs que l’écriture créative génère exigence et travail, peut-être encore plus que la rédaction scolaire traditionnelle : « Pour l’écriture des poèmes, ça se passe en trois temps. Le premier, j’écris vraiment que des petits mots, des idées qui me passent par la tête. Ensuite, au brouillon toujours, j’essaie de les assembler, mais sans y mettre la forme, à ce moment, je ne fais pas vraiment attention à la syntaxe ou à la grammaire. Et par contre, quand je repasse sur mon téléphone, là je fais attention à mes fautes, à comment je vais écrire quoi, à quel endroit. Enfin, je m’applique à stabiliser le texte, qu’il me plaise, qu’il soit comme je le souhaite bien. » (Faustine, 16 ans).
Les ados et la publication
La publication elle-même n’est pas spontanée et impulsive comme on le croit. L’application Notes « fonctionne comme un espace privilégié du pré-écrit, du texte que l’on laisse en quelque sorte « reposer », avant de le publiciser, que l’on pense et refaçonne parce qu’il revêt une grande importance et doit être « réussi » ou encore, que l’on « mijote » avec soin dans l’attente d’un effet surprise à créer chez le destinataire. »
Sur les réseaux eux-mêmes, la publication est le fruit d’un patient travail de conception et d’intention : « Le récit par Lili, 15 ans, de la publication de ses stories illustre l’engagement réflexif qui est le sien, le temps consacré aussi à l’élaboration de la publication, laquelle passe par une phase de brouillon avant d’être mise à disposition des autres. C’est que Lili conçoit avec beaucoup de sérieux cette activité scripturale, consciente de s’inscrire dans un rite interactionnel amical ».
L’écriture vue comme un partage
L’écriture serait juste une activité solitaire ? En réalité, à rebours de la culture scolaire, celle de la copie ou du cahier, dans le monde réel, le plus souvent on écrit à, pour, avec ou devant autrui. « Parmi les adolescents qui écrivent en dehors du cadre scolaire (soit 89 % des enquêtés), seuls 38 % n’ont jamais partagé aucun écrit. La circulation de l’écrit est donc répandue, qu’elle se manifeste par un partage avec les proches (37 %) ou une publication sur un réseau social (26 %), une plateforme d’écriture en ligne de type Wattpad ou Plume d’argent (9 %) ou encore un blog (8 %). »
Le choix de partager en cercle restreint ou ouvert, en mode privé ou public, apparait murement réfléchi : s’exerce ici une grande vigilance tant il y a conscience des risques que peut présenter l’exposition de soi et « constant besoin de réassurance ». En matière de publication, les jeunes manifestent de la prudence, de l’intelligence proactive, comme le rappelle Dominique Cardon : «l’identité numérique est moins un dévoilement qu’une projection de soi. Les utilisateurs produisent leur visibilité à travers un jeu de masques, de filtres ou de sélection de facettes ». D’ailleurs, sur un réseau social, les ados ont souvent plusieurs comptes avec des paramétrages différents pour jouer entre leur sphère publique, privée et intime.
On notera l’importance prise par l’écriture collaborative. Par exemple, « Esther pratique intensément quotidiennement une écriture fictionnelle à plusieurs voix qui se déploie sur le smartphone de ses camarades et sur le sien, à travers des applications de messagerie instantanée» (Esther, 17 ans). Ou encore Nicolas auteur de rap pour un ami : « J’écris le texte, il me donne ses retours instantanément et on travaille à deux pour essayer de trouver un terrain d’entente. Être deux cerveaux, c’est bien, l’un pense à une chose, l’autre à une autre, surtout quand tu connais bien la personne, ça crée vraiment quelque chose de spécial. Là, vu que c’est mon frère, ça fait un beau mélange. » (Nicolas, 18 ans).
Comment l’école pourrait aider les ados dans leur pratique de l’écriture?
La première chose à faire est de ne pas obliger les jeunes à écrire s’ils ne le veulent pas. Tout doit venir d’eux bien sûr. Les attentes des jeunes sont particulièrement fortes. Le but de l’Ecole n’est pas de développer l’écriture créative, bien que je le déplore. Je suis partisane d’une Ecole qui cesse de faire écrire les élèves essentiellement dans des formats qu’elle a elle-même normés et qui n’ont guère d’existence en dehors du cadre scolaire.
L’Ecole devrait cesser de faire écrire les élèves uniquement en situation d’évaluation pour enfin priviliégier l’écriture de travail et exploiter tout le champ des possibles. Quand l’écrit est partagé, quand le regard enseignant cesse de rejeter les pratiques informelles jugées illégitimes, quand il « ne se limite pas à sanctionner les savoirs de l’écrit non maîtrisés, les adolescents soulignent le plaisir d’écrire dans le cadre scolaire, se déclarent aussi demandeurs d’apprentissages pour progresser et reconnaissants lorsqu’ils en bénéficient. »
Nous sommes toutes et tous d’accord que les activités de lecture et d’écriture ne sont pas uniquement l’affaire du français. « Quand les élèves “parlent d’écriture en dehors de la discipline français”, ils ne mentionnent en général que des situations de réception (copie, cours pris en dictée) et pratiquement jamais des écrits relevant d’une production (résumé à construire en histoire, compte-rendu d’expérience en sciences, résolution de problème en mathématiques…). »
« Ciel les ados écrivent ! » Puissent les adultes dépasser leur surprise pour s’efforcer de connaître et reconnaître leurs pratiques. Puisse l’Ecole dépasser ses ignorances et ses peurs pour oser avec les élèves de nouvelles expériences langagières et ainsi fortifier leur emprise sur les mots et le monde. Puisse le ministère de l’Education nationale en France, s’il souhaite redonner de la vigueur à l’écriture au sein même de l’Ecole, lire le rapport de Christine Mongenot et Anne Cordier, entendre leur appel et s’en inspirer.
Un outil: la fabrique à histoires
La fabrique à histoires est un kit pour faire écrire les enfants et les adolescents. C’est un outil complémentaire qui permet de travailler la manière d’écrire des histoires :
- construire des histoires en coopération.
- décrire un paysage/ des personnages/ une époque.
- dérouler les éléments du récit de manière cohérente du début à la fin.
- structurer le récit avec des repères spatio-temporels.
- enrichir le vocabulaire.
- stimuler l’imagination.
En un mot, de quoi donner de la “nourriture” pour l’esprit avec des amorces, des thèmes à développer.
La Fabrique à Histoires permet de travailler plus spécifiquement la description (description d’un paysage, d’un lieu, du physique ou de la personnalité d’un personnage) et les éléments d’un récit (raconter la fin d’une histoire à partir d’images qui racontent le début, faire parler des personnages, imaginer les péripéties d’un personnage dans un décor donné…).
Bernard Friot a élaboré un livre-coffret ingénieux et ludique, une véritable boîte à outils pour exercer son imagination, inventer des histoires et se lancer en écriture. Mettre en mouvement l’imagination des enfants et les inciter à écrire, prendre part en s’amusant à la création d’une histoire, voilà le contrat de lecture de cette boîte à outils de l’apprenti écrivain…
“Adopter un dragon”…
“Comment j’ai adopté un dragon” est un jeu de dés pour raconter des aventures extraordinaires et drôles. Les thèmes sont différents et variés. Par exemple : Mon colocataire est un fantôme, J’en suis à ma troisième vie, J’ai trouvé une girafe dans mon grenier, Mon miroir enchanté n’arrête pas de mentir… Le narrateur prend ensuite le dé blanc et les 5 dés colorés, placés du plus clair au plus foncé. Ils vont l’aider à rythmer son récit avec des mots de transition comme Quand j’étais petit / En plus / Quand soudain / Coup de bol / Et comme par magie / C’est ainsi que...
Le narrateur lance le dé jaune en premier, invente la suite de la phrase à partir de la face visible (Un beau jour/ Tout le monde pense/ Je connais quelqu’un…) et poursuit en jetant les dés suivants qu’il lancera l’un après l’autre pour relancer le fil de son histoire. Seule exception : le dé blanc spécial suspense, qu’il peut lancer quand il veut pour rebondir avec les onomatopées Et là, Paf / Couic / Nooon / Hmmm… / Grrr ou Tin, tin, tiiin !
Le dé noir permet quant à lui aux autres joueurs d’interrompre le narrateur avec des questions inattendues : Et ton chien dans tout ça ? / Tu peux le prouver ? / T’as pas eu trop peur ?
“Faire écrire les enfants”
Dans son livre “Faire écrire les enfants”, Faly Stachak fait 300 propositions pour donner le goût de la lecture et le plaisir d’écrire aux enfants. Ces propositions peuvent être individuelles ou collectives. Les thèmes et amorces d’histoires servent à stimuler l’imagination, à inventer des histoires écrites, à jouer avec les mots et à rire ensemble !
Quelques exemples :
- Ma première nuit blanche
- Si j’étais un garçon/ si j’étais une fille
- Lettre à un bébé qui vient de naître
- Je m’aime
- Les éléments : si j’étais l’eau/ le feu/ la terre/ l’air
- Le jeu collectif du “Pourquoi ? Parce que ? “
- Pour fabriquer des métaphores ensemble
- Bande dessinée collective
Faly Stachak propose également dans cet ouvrage une méthodologie d’écriture à base de 6 questions pour poser les éléments d’une histoire écrite cohérente et intéressante. Ces questions permettent de faire avancer une histoire et de remplir les trois parties de manière efficace pour le lecteur :
- Le début: présentation du personnage principal dans son monde habituel; mise en place du lieu, du temps et du décor; puis apparition du problème et préparation aux aventures.
- Le milieu: là où se joue le suspense (les difficultés se présentent; le courage et la détermination sont convoqués; la tension grimpe et il faut faire preuve de créativité; des personnages ressources apparaissent; les obstacles finissent pas être surmontés).
- La fin: heureuse en général (le héros ou l’héroïne terrasse l’adversaire puis quitte le monde des aventures; il/elle rentre chez lui/elle avec l’objet de l’aventure; il/elle est changé/ changée et les anciennes connaissances le remercient, l’admirent et/ou écoutent le récit de cette expérience; un nouvel ordre est établi).
En guise de conclusion
Dans le paysage complexe de l’adolescence, l’acte d’écrire dépasse largement la simple mise en mots de pensées ou d’informations ; il constitue un puissant véhicule d’expression personnelle, de construction identitaire et de développement cognitif. Pourtant, face à une génération hyperconnectée et sollicitée de toutes parts, susciter et maintenir la motivation des jeunes à s’engager dans cet exercice s’avère être un défi de taille.
L’écriture fait sortir les adolescents de leur addiction des écrans. Il existe aussi des colonies de vacances écriture. Incroyable, mais vrai! Ces ateliers permettent de faire découvrir des techniques de production littéraire aux jeunes. Comment distiller du suspens dans un récit ? Comment écrire une scène d’amour ? Comment décrire un personnage ? Les animateurs s’appuient souvent sur des œuvres originales pour organiser ces ateliers.
Souvent, les jeunes écrivent aussi pour sortir leurs angoisses et sortir de leurs angoisses. On a trop tendance à oublier que le langage est une mine d’or! L’inconscient est si désireux de s’exprimer que dès qu’on lui ouvre une porte, il fait des merveilles d’intelligence sensible. L’écriture est libératrice, à tous les âges de la vie…
Génial ! Ce blog sur Comment faire écrire les ados est riche d’enseignements et de conseils. Merci Laurence ! Et félicitations pour toutes ces idées. FV.
Merci à toi pour ce gentil message!
votre blog est génial et quelle générosité dans vos partages, merci.
Merci pour votre gentil commentaire!
Bonjour Laurence : votre blog est toujours une mine d’idées, d’informations . Merci .
Cecile
Merci à vous Cécile de me suivre et de me lire.Merci pour votre gentil commentaire.