Sans décor, pas de roman ni d’histoire. Ces deux éléments fonctionnent dans les deux sens. Le décor existe dans n’importe quelle histoire, courte ou longue, quel que soit le genre littéraire. Il existe dans n’importe quel texte d’inspiration romanesque. C’est un outil précieux, même si certaines voix s’élèvent pour dire que le décor n’a peut-être pas autant l’importance que nous lui prêtons.

Le décor est un élément polyvalent de l’histoire. Il est mouvant, évolutif et peut devenir sacrément imaginatif. S’il est bien utilisé, il peut agrémenter une histoire et en rehausser les aspects les plus importants. Le décor n’est pas simplement une toile de fond dressée derrière les personnages et l’intrigue. Ce n’est pas juste une décoration, juste pour faire joli et apporter une touche de couleurs.

Le décor est un élément de l’intrigue, complexe, vivant, évolutif, qui interagit avec les principaux éléments de l’histoire: les personnages, l’intrigue, le thème et le style. John Truby nomme le décor “l’univers”. Lavandier utilise le terme judicieux “d’arène”.

Le rôle sous-estimé du décor

Trop de récits ne prennent pas assez en compte l’importance du décor. Dans une histoire, chaque élément est important et doit trouver sa place, sa juste place. Certains préconisent de traiter le lieu de l’histoire comme un personnage à part entière. C’est une idée qui va dans le bon sens, même si elle est un peu arronée.

Que serait Harry Potter sans l’école de Poudlard? Que serait Batman sans Gotham City? Que seraient les Hobbits sans le Comté? Peu importe que le désor soit une vaste scène, comme une galaxie lointaine, ou un lieu plus restreint comme le chalet de montagne où se déroule le film de Quentin Tarantino, “Les Huit Salopards”. Il sert l’intrigue et doit marquer le lecteur.

Il est évident que le lieu choisi pour l’histoire doit avoir un lien avec elle. Cela pourrait paraître être une lapalissade de le formuler. Le lieu évolue au fil de l’intrigue; les personnages se déplacent au fur et à mesure de leur évolution.

Crédit photo: potemkine.com

Le décor comme ambiance

Pour se révéler efficace, le décor doit être pensé en terme d’ambiance. L’auteur doit se poser les questions suivantes:

• Quelle atmosphère souhaite-t-il?
• Comment la rendre au mieux?
• Quelles seront les couleurs dominantes?
• Quels seront les sons et les odeurs présents?
• Quels seront les éléments de vie?

Le décor ne peut pas donner une impression de carton-pâte figé. Il doit servir l’intrigue, au même titre que tous les autres éléments la composant. Il doit aussi être pensé en termes pratiques: quelles scènes sont prévues exactement? Chaque scène devra posséder les caractéristiques techniques appropriées au lieu prévu, comme pour une scène de bal, un huis-clos, une déambulation dans un passage secret, une salle de réception, un lieu muni d’une seule entrée…

Le décor doit ensuite être pensé en termes symboliques. Il doit avoir un rapport évident avec le thème de l’histoire. Ce lieu a-t-il un passé? Un côté historique pour l’histoire? Un côté symbolique pour les personnages? Ces derniers en ont-ils conscience ou pas?

Crédit photo: wikitionary.org

Choisir un lieu , c’est comme un jeu pour un auteur. Il peut changer complètement de scène quand bon lui semble. Il peut transposer une intrigue et des personnages dans un autre univers à sa guise. Il peut tout changer … en bien ou en mal. C’est comme un jeu de cartes que l’auteur peut décliner sans fin. Le décor doit aider à cerner les personnages et le thème du livre.

Un décor réel ou imaginaire?

Dans une histoire romanesque ou dans la littérature de l’imaginaire, le décor est à créer à partir de zéro ou presque. C’est un gros travail pour un auteur, qui adapte les lieux comme une couturière qui crée des vêtements sur mesure. Si vous écrivez des histoires de science-fiction ou de fantasy, l’environnement doit être forcément adapté au contexte. Cependant, trop d’univers de fantasy s’inspirent des décors de Tolkien pour en faire autre chose. Ce qui appartient Tolkien reste à Tolkien. Comme pour les autres décors inventés.

Même si on s’inspire de décors naturels qui existent, l’auteur a malgré tout une sacrée responsabilité, même s’il n’invente rien. Il se doit de rester réaliste et fidèle au décor réel. On ne peut pas faire fi des gratte-ciels si une histoire se déroule à New York. Ni oublier que Paris est considérée comme la ville des amoureux. Chaque quartier, chaque rue, chaque bâtiment a sa propre empreinte.

En conséquence, un auteur n’a pas d’autre choix que de creuser ses idées et faire appel à sa créativité. Pour le lecteur, l’émotion naîtra grâce à la découverte d’un univers original, ou grâce à un univers qu’il sent réel et bien vivant. Chaque détail compte, que le décor soit réel ou imaginaire. Le décor doit être travaillé et bien présent dans l’esprit de l’auteur, comme s’il avait une photographie devant les yeux.

Crédit photo: syfantasy.fr

Quand Honoré de Balzac décrit l’étude du notaire où le colonel Chabert est reçu, le lecteur ressent parfaitement le décor: la poussière, le clair-obscur. Le lecteur a presque envie d’éternuer à la lecture, surtout s’il souffre d’allergie, comme c’est mon cas! Apprécier ce type de description n’est pas une question de génération ou d’âge du lecteur ou du type de l’auteur. C’est tout simplement une question de puissance émotionnelle.

Dans Harry Potter, J.K Rowling n’a besoin que de deux phrases pour brosser l’atmosphère glaçante qui règne dans la classe du professeur Rogue: « Le cours avait lieu dans l’un des cachots. Il y faisait plus froid que dans le reste du château, et les animaux qui flottaient dans des bocaux de formol alignés le long des murs rendaient l’endroit encore plus effrayant. »

Tout doit être réfléchi avant l’écriture du roman. L’auteur devra donc effectuer des recherches et se documenter en conséquence, voire se déplacer sur le lieu choisi s’il existe. La bonne connaissance des lieux est encore plus importante pour les romans de l’imaginaire, les romans historiques et policiers.

Crédit photo: melty.fr

L’utilité des descriptions

Le but de l’auteur, quand il écrit des descriptions, est de susciter de l’émotion à ses lecteurs à travers ses personnages. Les détails du décor apportent de la valeur à l’histoire. Mais, je vous mets en garde: vous écrivez une histoire et non pas un guide touristique sur un lieu. Ne soyez pas tenté de bourrer votre récit d’infinies descriptions sur les lieux, qui finiraient par lasser les lecteurs. Soignez les descriptions des lieux, qui doivent être courtes. Dans le cas contraire, vous courez le risque de perdre votre lectorat.

Les descriptions doivent être utiles à l’intrigue. Elles doivent présenter le contexte, expliquer comment l’environnement du roman fonctionne. Eventuellement, le décor peut apporter de la valeur au héros. Par exemple, s’il s’engouffre dans une rue sombre, une description efficace peut le rendre courageux …ou le faire fuir devant un danger.

Pensez toujours à laisser un peu de place à l’imagination du lecteur et ne pas tout lui mâcher. Il a besoin de s’approprier l’histoire en s’inventant un monde. Or, si un auteur décrit tout, le lecteur va rester passif et ne pas s’intéresser à l’histoire.

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Le décor et les personnages

Les personnages d’un roman, presque malgré eux, vont trouver une place dans le décor. Ils sont forcément de quelque part, d’un lieu, d’une époque, d’un contexte socioculturel. Le lieu va laisser une trace sur la trajectoire des personnages, de manière différente bien sûr pour chacun d’eux. Cela permettra de les caractériser, de les différencier des uns et des autres.

Si des personnages sont nés sur une île, cela aura gravé une empreinte indélibile sur eux. Ils pensent différemment des habitants vivant sur le continent. Il y a ceux qui reviendront sur leur île toujours avec une forte émotion. Il y a ceux qui feront tout pour ne pas retourner s’encroûter dans le lieu de leur enfance où il n’y a rien d’autre que le vaste océan comme décor.

Le décor revêt plusieurs aspects. Il n’y a pas un seul aspect du décor mis à contribution pour illustrer une histoire.

• Comment les personnages de votre histoire se situent-ils par rapport à un événement historique, passé ou contemporain ?
• Quelles sont leurs relations à une organisation qui joue un rôle majeur dans l’intrigue ?
• Quels rapports entretiennent-ils avec certaines valeurs : famille, honneur, religion, argent ? 

Vous l’aurez bien compris, le décor définit les personnages les uns par rapport aux autres. Il façonne chaque personnalité et imprime sa marque sur eux. Par exemple, on voit très bien les réactions des personnages dans un film de guerre, où ils sont différenciés par leur attitude face au conflit qui les entoure.

Le décor peut ainsi devenir une source de conflit ou de désaccord entre les personnages. Il convient d’insister sur le fait que le décor n’est pas un élément inerte. On peut le considérer comme un personnage à part entière, qui défend des valeurs, se montre actif et surtout, qui évolue au fil de l’histoire. Mais, les personnages font aussi évoluer le décor. Dans un roman réussi, bien souvent, les personnages principaux auront réussi à changer des éléments du décor de manière spectaculaire entre le début et la fin de l’histoire.

Le décor et l’intrigue

Dans le monde de la littérature anglo-saxonne, le décor est nommé “worldbuilding”, soit la construction d’un monde, au sens littéral du terme. Donc, le décor a un impact fondamental sur le déroulement de l’intrigue.  On le voit de manière très claire dans Harry Potter, où J.K Rowling passe beaucoup de temps à expliquer comment fonctionne la magie, de quelle manière celle-ci est réglementée dans les deux mondes bien distincts des Moldus et dans le monde des sorciers, et comment la société des magiciens s’est constituée.

Toutes ces règles constituent autant de points d’appui pour bâtir une intrigue. En d’autres termes, il est fort probable que le cœur de l’histoire que vous souhaitez raconter s’appuie sur les éléments les plus saillants de votre décor. Un polar qui raconte la croisade d’un flic intègre contre la corruption de ses supérieurs va se baser sur des éléments de décor qui concernent les équilibres de pouvoir au sein de la hiérarchie du commissariat, les liens et les compromissions des officiers, etc…

Le décor sert l’histoire, mais l’histoire ne sert pas le décor. Une intrigue qui est bâtie sur les aspects les plus marquants du décor sera solide et cohérente. A l’inverse, si votre intrigue n’est qu’un prétexte à faire visiter le décor au lecteur, c’est que vous n’avez rien à raconter, et il n’y a rien de pire pour un lecteur qui aura dépenser entre 10 et 20 euros pour votre roman. C’est de l’argent gâché! Les lecteurs souhaitent qu’on leur raconte des histoires, pas qu’on les balade, comme dans un bus touristique.

Crédit photo: pimido.com

Le décor et le thème

Par exemple, un roman axé sur un thème comme l’impossibilité des humains à communiquer entre eux va bien sûr refléter ce thème à travers ses personnages, mais il y a toutes sortes de possibilités de l’illustrer également au moyen d’éléments de décor. Dans le film « The Darjeeling Limited » de Wes Anderson, trois frères, qui n’arrivent pas à se parler, font ensemble un voyage en Inde, un pays dont ils ne parlent pas la langue et dont ils ne comprennent pas les usages.

Ce thème va même pouvoir être reflété également dans les détails : le haut-parleur du téléphone d’un des personnages ne fonctionne plus, son chat qui ne miaule plus, ou alors il s’inquiète parce que ses voisins qui passaient leur temps à se quereller sont soudain silencieux.

Il vaut mieux éviter de placer des reflets du thème partout, parce que ça finirait par être assommant, mais le décor offre d’innombrables possibilités d’illustrer celui-ci de manière subtile et ludique. En littérature, un auteur a le choix de s’exprimer clairement ou entre les lignes. Les personnages le peuvent, le décor aussi.

Crédit photo: allocine.fr

Le décor et le style

Tous les éléments qui forment le décor peuvent être, si l’auteur le décide, mis au service de ses choix stylistiques. Un roman dépouillé pourra avoir un décor dépouillé, un roman baroque, un décor baroque. C’est le choix personnel de l’auteur. Un romancier pourra prendre la décision de décrire avant tout des aspects de la vie quotidienne, et d’écarter tout ce qui éloignerait le lecteur des préoccupations les plus pragmatiques. Désireux d’évoquer l’émerveillement ou l’exotisme, il pourra, dans ses descriptions, privilégier les aspects les plus déconcertants de son décor. Rien ne l’en empêche, que sa volonté et sa créativité!

Un style bavard peut mettre en scène des personnages bavards dans un monde bavard, à une époque bavarde, qui travaillent pour des organisations bavardes. Un écrivain qui se voit comme un iconoclaste au niveau stylistique peut délibérément situer son histoire dans un monde où les règles sont en train de voler en éclats.

Un auteur peut aussi s’amuser avec les contrastes: choisir un décor dépouillé avec un style ampoulé, ou l’inverse.

Utiliser les 5 sens

Dans la réalité, nous nous imprégnons des atmosphères qui nous entourent avec tous nos sens. Il est donc logique de reproduire le même phénomène dans nos romans. Pour créer une ambiance immersive, utilisez la vue, mais aussi l’ouïe, le toucher, l’odorat et pourquoi pas le goût, si la scène s’y prête. Encore mieux : faites en sorte que les perceptions des différents sens se complètent et se répondent. Dans Le cirque des rêves, Erin Morgenstern dépeint une ambiance festive et enchanteresse qui fait appel à tous les sens :

« Le cirque paraît désert, à l’abandon. Mais tu crois sentir un parfum de caramel flotter dans la brise du soir sous l’odeur fraîche des feuilles d’automne. (…) Tout d’abord retentit un bruit sec qui couvre à peine le vent et les conversations. Un claquement léger, telle une bouilloire sur le point de siffler. Puis la lumière jaillit. De petites ampoules se mettent à scintiller à la surface des chapiteaux, comme si le cirque était entièrement recouvert de lucioles étincelantes. La foule qui attend se tait en admirant ce déploiement de lumière. »

Erin Morgenstern – Crédit photo: thetimes.co.uk

Jouer avec les symboles

Introduire un motif symbolique et le répéter dans le récit, en plus de souligner le thème du roman, peut instaurer une certaine ambiance. Le grand classique, c’est le ciel orageux qui symbolise les affres des personnages et déploie une atmosphère tourmentée en même temps. Dans Roméo et Juliette de Shakespeare, le thème de la mort est omniprésent dans le vocabulaire employé par les héros, préfigurant leur fin tragique. Cet effet nimbe la pièce du dramaturge anglais d’une ambiance poétique et funeste.

« JULIETTE : Ami, je le voudrais aussi, mais je te tuerais à force de caresses. Bonne nuit ! bonne nuit ! Si douce est la tristesse de nos adieux que je te dirais : bonne nuit ! jusqu’à ce qu’il soit jour. »

Crédit photo: maisondelaradioetdelamusique.fr

Stephen King nous conseille d’écrire un premier jet rapide, et de nous pencher sur la portée symbolique de chaque détail présent dans notre roman durant la phase de réécriture. Il suggère alors de chercher les éléments symboliques, y compris ceux du décor, que nous avons glissés inconsciemment dans le texte, et de les accentuer dans une version retravaillée du roman.

En guise de conclusion

Vous l’aurez compris, le décor habille une histoire. On peut le considérer comme un personnage à part entière, qui défend des valeurs, se montre actif et surtout, évolue au fil de l’histoire. Alors que le décor imprime sa marque sur les personnages, ceux-ci eux aussi font évoluer le décor.

Une autrice ou un auteur sont des bâtisseurs d’univers. Ils sont capables de créer des univers entiers par le seul pouvoir de leur créativité et de leur plume. Le “worldbuilding” fonctionne avec ses règles et ses lois, ses singularités et ses usages, une ambiance, un style; avec des individus qui le peuplent et qui s’y installent.

Tout comme une pièce de théâtre ou le tournage d’un film, le roman comprend un décor, et l’auteur se transforme en décorateur. Et en se voyant comme tel, un auteur va réaliser qu’il a en premier lieu une histoire à raconter! Il existe des décors dans toute la littérature, quel que soit la culture du pays!

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