Nous vivons toutes et tous des émotions. Mais comment mettre en mots pour des personnages ce que nous vivons? Telle est la question. Il est difficile de trouver le mot juste pour décrire un ressenti, une sensation, une émotion enfouie dans son corps. On se trouve souvent bloqué et on élude le problème car les émotions sont délicates à travailler.
Pourtant, les personnages sont des êtres humains, sur le papier certes, mais ils fonctionnent comme nous. Ils-elles éprouvent les mêmes choses que nous. On doit leur prêter la même vie que nous. J’aime bien la citation suivante: « Les gens oublieront ce que tu as dit, ils oublieront ce que tu as fait, mais ils n’oublieront jamais ce que tu leur as fait ressentir. » Maya Angelou.
Un lecteur peut rester très marqué par les émotions vécues par un personnage et elles restent imprimées dans sa mémoire. L’émotion est au centre de tout roman: elle rend les personnages vivants, tangibles, profonds. Et le lecteur vibrera ou tremblera au rythme de ces émotions. L’émotion est ce qui touche à l’humain, ce qui fait écho en nous, ce qui nous marque.
Pour rédiger cet article, je me base en partie sur le blog “La Parenthèse imaginaire”.
Explorer son intimité
Vous avez sans doute déjà lu des textes dans lesquels les descriptions des émotions ressenties par les personnages vous ont laissé de marbre. La différence avec les textes qui vous emportent, vous font pleurer ou vous font rire ? L’implication de l’auteur ! Quand vous décrivez les émotions de vos personnages, essayez de vous remémorer des situations où vous avez ressenti le même type d’émotion. Qu’avez-vous pensé à ce moment-là ? Qu’avez-vous ressenti physiquement ?
Quelles sont les émotions que vous vivez au quotidien? Notez-les dans un carnet qui vous accompagne partout. Vous attendez votre train lorsqu’un retard de 1h30 est annoncé. Quelles pensées vous assaillent ? Comment votre corps réagit-il à cette nouvelle ? Notez tout! Cela vous servira plus tard. Mettez-vous dans la peau de vos personnages à travers toutes les situations qu’ils vivent.
Les émotions des protagonistes les plus vives et les plus adéquates reflètent souvent des expériences de la vie réelle. C’est pourquoi tenir un journal peut être une si grande ressource. Il peut vous aider à documenter vos propres expériences émotionnelles quotidiennes, qu’il s’agisse de tristesse, de colère ou de joie. Essayez d’écrire les circonstances exactes qui ont conduit à votre réaction émotionnelle et soyez aussi précis que possible lorsque vous décrivez vos propres émotions. Lorsque vous décrivez les sentiments de votre personnage, reportez-vous à votre journal. En fait, vous devez essayer de transférer votre propre état émotionnel passé dans votre écriture de fiction. L’impact émotionnel est grand si les pensées et le point de vue de votre personnage sont spécifiques.
Pour bien décrire les émotions, vous ne pouvez pas devenir ermite et vous couper du monde pendant six mois pour écrire votre roman. C’est une bien mauvaise idée. Rien de tel que de continuer à évoluer dans le monde, au contact des vrais gens et pas seulement des personnages de fiction. C’est en continuant à découvrir le monde que vous fabriquerez de nouvelles émotions à utiliser dans vos histoires.
L’importance des sensations
Il est important de décrire ce que le personnage ressent physiquement, surtout si vous choisissez d’écrire avec le point de vue interne. Ce procédé permet au lecteur de s’imprégner du ressenti du personnage et de s’impliquer émotionnellement lui aussi. L’appétit coupé par le chagrin, la joie qui rend plus léger, les poings qui se crispent sous l’effet de la colère … Utilisez les sensations pour explorer la facette physique de l’émotion.
Dans le passage du roman “Nous les menteurs” de E.Lockhart, une adolescente arrive en bateau devant l’île qui cristallise toutes ses angoisses : « Une vague s’élève devant nous, bleu foncé, jaillissant de la mer telle une baleine. Elle se dresse devant moi. Je sens ma nuque se raidir, ma gorge se nouer. Je me recroqueville sous le poids de l’eau. Le sang afflue vers ma tête. Je me noie. »
En écriture de fiction, tout comme dans la vie réelle, les émotions profondes sont plus mémorables que les émotions superficielles. La joie débridée a plus d’impact que le bonheur momentané. Un chagrin douloureux est plus fort qu’une déception mineure. Les lecteurs sont capables de partager l’état émotionnel de votre protagoniste si ces sentiments sont forts et passionnés. Enfin, les auteurs de fiction doivent créer des scénarios dans lesquels leur personnage ressent une gamme intense d’émotions.
La richesse expressive
Si l’émotion est observée du point de vue externe, ne vous contentez pas de décrire l’expression du personnage concerné. L’émotion se traduit aussi par sa gestuelle, sa posture, ses tics, sa voix – ton, inflexion, débit, etc. Même si on n’a pas accès aux pensées ou aux sensations du personnage, il existe de nombreuses manières de retranscrire son émotion. Il ne s’agit pas non plus de détailler le personnage de la tête aux pieds, mais plutôt de sélectionner des détails précis et marquants qui colleront à sa personnalité dans ce qu’elle a de singulier.
Dans “La Passe-Miroir” de Christelle Dabos, le visage de Thorn est toujours impassible, par contre, il a la manie d’ouvrir et de fermer sa montre à gousset quand il est mal à l’aise. Ce tic finit par devenir la marque de fabrique du personnage, sa manière bien à lui d’exprimer ses émotions : « Thorn souleva et referma le couvercle de sa montre. Ophélie commençait à le trouver agaçant à toujours surveiller l’heure ainsi.»
Quand vous rédigez votre premier roman, il est très facile de tomber dans le cliché lorsque vous écrivez des émotions. Même les auteurs expérimentés peuvent tomber dans ce piège. Combien de fois vous avez lu la phrase « une seule larme est tombée sur sa joue » ou « son cœur a raté un battement » ? Ces clichés sont des moyens si répandus de montrer l’émotion qu’ils n’ont presque aucun sens. Lorsque vous décrivez les émotions d’un personnage, soyez plus subtil dans votre choix de mots et le langage corporel de vos personnages. Chassez les expressions galvaudées, dans la mesure du possible.
L’action orientée par les émotions
On dit parfois que les personnages façonnent l’intrigue d’un roman. En approfondissant un peu cette idée, on pourrait dire que ce sont leurs émotions qui influent sur l’action. Les personnages agissent souvent en fonction de ce qu’ils ressentent, logique, donc, que l’intrigue soit impactée par leurs états d’âme. Faire coïncider les deux est un bon moyen de rendre votre histoire cohérente, tout en transmettant subtilement l’émotion des personnages à travers leurs actes.
Prenons pour exemple la scène dans “Hunger Games” de Suzanne Collins: révoltée par les juges, qui se goinfrent pendant qu’elle effectue un test dont va dépendre sa survie, Katniss tire une flèche sur le cochon rôti du buffet. Cela traduit la colère de la jeune fille, mais aussi son tempérament de feu … Finalement, cette réaction « sous le coup de l’émotion » aura un fort impact sur la suite de l’histoire: « Soudain, je suis furieuse. Ma vie est en jeu, et ils n’ont pas la décence de m’accorder un regard. Ils préfèrent s’intéresser à un cochon crevé. Mon pouls s’emballe, mes joues s’échauffent. Sur un coup de tête, je sors une flèche de mon carquois et la décoche vers la table des juges. »
Intensifier les émotions
Les images marquent l’esprit du lecteur, elles donnent corps aux émotions. Mais, pour qu’elles restent frappantes, évitez les images passées dans l’utilisation courante. Par exemple, le mot « chamade » désigne un signal militaire. Pourtant, l’expression « un cœur qui bat la chamade » est aujourd’hui si banale qu’elle n’évoque plus aucune image à celui qui la lit.
Pour illustrer les émotions, mieux vaut concevoir des images originales, fortes et adaptées au contexte. Comme dans cette métaphore filée tirée de “L’aube sera grandiose” de Anne-Laure Bondoux, où les secrets entre une mère et sa fille volent en éclats. « Un mot lui obstrue la gorge. Il enfle à toute vitesse. Et soudain, les larmes l’emportent et le mot explose sur ses lèvres. »
En écriture de fiction, tout comme dans la vie réelle, les émotions profondes sont plus mémorables que les émotions superficielles. La joie débridée a plus d’impact que le bonheur momentané. Un chagrin douloureux est plus fort qu’une déception mineure. Les lecteurs sont capables de partager l’état émotionnel de votre protagoniste si ces sentiments sont forts et passionnés. Enfin, les auteurs de fiction doivent créer des scénarios dans lesquels leur personnage ressent une gamme intense d’émotions.
Donner de la valeur aux émotions
Aux yeux du lecteur, l’émotion sera plus ou moins touchante selon la personnalité du personnage, sa culture et son passé. Dans “Le Trône de Fer” de George R.R Martin, Cersei est contrainte d’effectuer une marche de la honte, nue à travers la ville. Sa disgrâce est d’autant plus poignante que c’est une femme forte et orgueilleuse qui a été élevée dans la mentalité fière des Lannister, et règne d’une main de fer sur le royaume. Les efforts fournis par Cersei pour garder la tête haute ne feront qu’amplifier l’effet de son humiliation, quand elle finira par fondre en larmes.
« La reine se débarrassa de sa robe. Elle se dénuda d’un mouvement souple et posé, comme si elle se trouvait dans ses propres appartements, en train de se dévêtir pour prendre son bain sans personne d’autre que ses caméristes pour la voir. Quand le vent froid toucha sa peau, elle eut un violent frisson. Il fallut toute sa force de caractère pour ne pas tenter de se cacher avec les mains, comme la catin de son grand-père l’avait fait. Ses doigts se serrèrent en poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes. »
L’importance du décor
L’environnement peut symboliser l’émotion ressentie par un personnage pour mieux la renforcer. Insistez sur des détails marquants qui créent une atmosphère. Par exemple, une peinture défraîchie tombera à point nommé dans la maison d’un couple qui se sépare. Dans “La voix des ombres” de Frances Hardinge, un manoir lugubre devient la personnification même de l’effroi ressenti par la héroïne depuis le début du roman :
« Au-delà d’une assemblée maléfique d’ifs sombres aux troncs tordus, se dressait une immense bâtisse, à la façade grise et sans grâce. Deux tours s’élevaient au-dessus de sa façade comme des cornes difformes. C’était Grizehayes. Bien que Makepeace ne l’eut encore jamais vu, elle le reconnut sur-le-champ, comme si une énorme cloche se mettait à sonner dans les tréfonds de son âme.“
La description des émotions
La joie
Manifestations physiques : La joie rayonne dans le corps entier, la tête qui tourne, le sourire irrépressible…
Dans la tête du personnage : La joie peut se manifester par une impossibilité de se concentrer sur quelque chose. On ne cesse de penser à ce qui nous fait plaisir. Les pensées peuvent s’enchaîner à toute vitesse.
Dans le style de l’auteur : La joie peut être matérialisée avec la ponctuation (les points d’exclamation, de suspension…), avec des envolées lyriques, l’amplification, l’hyperbole… (On exagère quand on est heureux !)
Crédit photo: bernard-guevorts.com
L’amour
Manifestations physiques : Le cœur qui s’arrête et repart de plus belle, le ventre qui papillonne, les joues qui rosissent ou au contraire semblent se vider de leur sang, la gorge sèche, l’électricité, le bien-être…
Dans la tête : Tout le monde ne réagit pas de la même façon face à l’amour. Il y a le coup de foudre : on a l’impression de connaître l’autre par cœur, on l’aime directement. Il y a l’amoureux de l’amour. Il y a celui qui anticipe, celui qui freine, celui qui ne veut pas s’engager, celui qui ne veut pas souffrir…
Dans le style de l’auteur : L’auteur peut utiliser le flashback car l’amoureux ressasse encore et encore les moments passés avec l’élu de son cœur. Il peut utiliser l’accumulation, l’amplification, l’hyperbole, l’exagération ou encore la ponctuation pour marquer l’enthousiasme (les réactions de l’amour sont semblables à celles de la joie).
Crédit photo: sms.hypotheses.org
La tristesse
Manifestations physiques : Si la joie emplit le corps de bonheur, la tristesse vide celui qui la ressent. Les jambes sont lourdes, la tête tourne au ralenti, le corps est faible. Les larmes, la gorge nouée par les sanglots peuvent aussi être une manifestation physique de la tristesse.
Dans la tête du personnage : Le personnage réfléchit au ralenti. Il peut être amené à repenser à ses actions, à se focaliser sur un point précis qui l’a marqué.
Dans le style de l’auteur : L’auteur peut faire usage du flashback, de la répétition, des points de suspension pour marquer l’hésitation et le vide.
La surprise
Manifestations physiques : Le cri, le cœur qui bat très fort, l’excitation, la paralysie / l’immobilisme sont des manifestations de la surprise.
Dans la tête du personnage : Très supris, un personnage peut être incapable de penser, de comprendre ce qui se passe. Selon la capacité du personnage a être surpris, cela peut durer plus ou moins longtemps. Certains personnages (les policiers, les espions, les médecins urgentistes…) sont formés à garder leur sang froid et à gérer leurs émotions.
Dans le style de l’auteur : Les points de suspension, ou l’arrêt sur image peuvent être utilisés : parfois, on est tellement surpris que l’on voit ce qui se passe mais on ne sait pas quelle réponse y apporter.
Crédit photo: bernard-guevorts.com
La colère
Manifestations physiques : Les jours deviennent rouges (vous connaissez l’expression « être rouge colère »), les sourcils se froncent, les traits se tirent, les yeux lancent des éclairs, les mouvements deviennent irraisonnés, secs, violents.
Dans la tête du personnage : La colère peut monter petit à petit ou être déclenchée par un événement. Elle peut être explosive ou au contraire progressive. Le personnage tourne en boucle.
Dans le style de l’auteur : La répétition, les points d’exclamation, les points de suspension, l’accumulation, l’argumentation, l’antiphrase (dire « Bravo ! Magnifique ! Toi, tu es un champion » en réponse à la grosse bévue de quelqu’un par exemple), l’amplification…
Crédit photo: elisegravel.com
La peur
Manifestations physiques : Les cris, le cœur qui bat très vite ou de façon désordonnée, la paralysie, l’incapacité de dire quoi que ce soit, la sensation de froid… Il y a aussi les tremblements et la chaire de poule qui sont des manifestations très souvent utilisées dans les livres mais je n’ai jamais eu ce type de réaction dans une situation de peur.
Dans la tête du personnage : La peur peut figer ou au contraire faire réagir. Là encore, certaines personnes peuvent être formés à mieux réagir que d’autres face à une situation dangereuse ou suspecte (je pense encore aux policiers, soldats, espions, pompiers…).
Dans le style de l’auteur : Les points d’exclamation, les points de suspension, l’arrêt sur image, la répétition, le bégaiement…
Crédit photo: bernard-guevorts.com
Le film d’animation “Vice et versa”
Je ne peux que vous conseiller chaudement de regarder avec une extrême attention le film d’animation “Vice et Versa” des studios Pixar. Tout d’abord, j’ai adoré et c’est un travail remarquable sur les émotions. Chaque émotion est représentée par un petit personnage d’une couleur bien précise et toutes les émotions travaillent de concert (ou pas) tout au long de la journée dans le corps d’une petite fille. On rentre dans son corps.
Voici le lien vers la bande-annonce:
https://www.youtube.com/watch?v=SYLrpcNTVwE
Grandir n’est pas de tout repos, et la petite Riley ne fait pas exception à la règle. À cause du travail de son père, elle vient de quitter le Midwest et la vie qu’elle a toujours connue pour emménager avec sa famille à San Francisco. Riley est guidée par ses émotions – la Joie, la Peur, la Colère, le Dégoût, et la Tristesse. Ces émotions vivent au quartier Général, le centre de contrôle de l’esprit de Riley, et l’aident et la conseillent dans sa vie quotidienne.
Le 2e opus de “Vice et versa” sort en 2024. Voici l’image des émotions en personnages.
En guise de conclusion
Selon Ekman, il existe 6 émotions de base: la tristesse, la joie, la colère, la peur, le dégoût et la surprise. A ces 6 émotions de base, s’ajoutent 10 émotions secondaires que je n’afficherai pas dans cet article. Le but n’est pas de tout décrire pour faire passer une émotion. Passez plutôt par les manifestations physiques, qui sont tout aussi importantes.
Vous pouvez utiliser la tonalité de la voix, les mouvements du corps, la position des bras, la posture générale, les yeux, la bouche, le comportement, etc. Vous aurez tout intérêt à vous former sur le langage corporel pour décrire au plus juste vos personnages.
Ce qui est difficile lorsque l’on travaille avec les émotions en tant qu’auteur, c’est qu’il n’y a pas de solution qui s’applique à chaque fois, de recette inratable. Les émotions et leur description ne sont jamais fixes. Elles changent en fonction du personnage, du point de vue, de la situation…