Menie Grégoire a reçu 100.000 lettres durant sa carrière radiophonique. De femmes principalement et des hommes en mal être vivant dans une société française corsetée dans laquelle elles et ils se sentaient mal à l’aise, dans laquelle leurs libertés étaient bafouées.

Menie Grégoire a redonné le courage, la force et la volonté nécessaire à toutes ces femmes et ces hommes pendant la période des Trente-Glorieuses, via les ondes radiophoniques, pour aller de l’avant, affronter la société, pour aller mieux et vivre dignement.

Elle démarre son émission en 1967, qui va révolutionner la relation avec les auditeurs. Menie Grégoire écoute, sans juger, ses auditrices principalement, les rassure, les questionne et les fait réfléchir. Tous ces gens diront pour la première fois, dans l’anonymat de la radio, tout ce qui était enduré jusque là dans le silence et la solitude, sur tous les thèmes de la société.

Une femme qui a fait évoluer notre société à sa manière et à laquelle il est digne de rendre hommage!

Je me baserai sur le livre “Menie Grégoire, comme une lame de fond” que la journaliste a écrit en 2007 aux Editions Calmann-Lévy.

 

 

Qui était Menie Grégoire?

 

 

Menie Grégoire est née à Cholet le 15 août 1919 et est décédée à Tours le 16 août 2014. Elle fut une journaliste et écrivaine, connue notamment pour avoir officié sur RTL dans son émission de 1967 à 1982, “Allô Menie”.

Grâce à ses émissions, elle a sondé les cerveaux et les cœurs d’une France profonde, qui, malgré les avancées de toutes sortes, n’allait pas si bien que ça à l’époque. Soit dit en passant, la société française va-t-elle mieux de nos jours?

Menie Grégoire a livré à ses auditeurs, de façon passionnante et émouvante, l’intimité des Français et des Françaises qui lui faisaient confiance, à une époque où parler de ses problèmes était mal vu, où les non-dits régnaient en maître dans le silence le plus total au cœur des familles.

Au départ, quand Menie Grégoire a commencé sur les ondes, elle ne s’était pas imaginé un seul instant que son émission aurait un succès aussi retentissant, à tel point que nous en parlons encore aujourd’hui.

Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, des milliers de Français et de Françaises se sont sentis libres de raconter leur intimité à une parfaite inconnue, avec leurs mots, leurs questions, parfois dans l’horreur des situations et souvent dans les larmes.

Plusieurs millions d’entre eux écoutaient quotidiennement Menie,  et ils peuvent lui rendre grâce d’avoir contribué, à sa manière, à l’évolution de la société et d’avoir libéré la parole, dignement, sans exhibition, car cela n’était pas devenu un passe-temps comme cela peut l’être malheureusement de nos jours.

 

 

 

La genèse de “Allô, Ménie!”

 

Menie Grégoire n’a jamais vu de près ses auditeurs et ses auditrices. Soit elle les écoutait à la radio, soit elle les lisait.

Après avoir écrit un livre à succès, “Le métier de femme” en 1965, RTL lui proposa d’animer une émission pour faire parler les auditeurs, au lieu de leur parachuter informations et distractions. Le directeur de la station la réussit à la convaincre sur le fait que Menie connaissait les femmes. Il voulait qu’elle les fasse parler de ce qu’elles voudraient.

Elle commença à recevoir de plus en plus de lettres, notamment abordant la sexualité du couple et ses problèmes. La psychanalyse se dévoilait à peine.  C’était un vrai pari de la part de la radio car ce genre d’émission ne s’était jamais fait nulle part dans le monde à cette époque.

Menie Grégoire a été une pionnière dans son genre!

 

 

Sans qu’elle ne s’y attende, Menie reçut de plus en plus de lettres. Pour son émission, elle choisissait une lettre, la lisait et répondait de femme à femme, comme à une amie. Toutes ces lettres ont raconté des confidences, des problèmes intimes, sur le couple, la famille, les amis, le travail, l’argent: tous les pans qui composaient la société! Les femmes étaient enfin écoutées et traitées en adultes!

 

 

 

Son émission a connu, dès le départ, une audience incroyable. Menie Grégoire est devenue un phénomène radiophonique! Elle en arrivait à recevoir de 200 à 300 lettres par jour brisant les secrets les mieux gardés de cette époque, les tabous familiaux enfouis depuis des générations, trahissant les frémissements d’une révolte à venir l’année suivante, créant une nouvelle façon d’être une femme, un homme, un couple et une famille.

 

 

Ces lettres sont aujourd’hui des témoins de ces années cruciales qui ont profondément changé les Français et la vie de fond en comble.

L’échange entre Menie et son auditrice durait environ 20 minutes, échange entre une personne invisible et une personne anonyme. Bien sûr, comme à chaque fois, au début, l’émission a été tournée en dérision, voire au scandale: “déshabillage, atteinte à la pudeur, atteinte aux bonnes mœurs, atteinte à la bienséance”  étaient les mots entendus à l’époque.

Deux millions de personnes ont écouté l’émission  quotidiennement en moins d’un an et quinze millions potentiellement.

 

Pourquoi un tel succès?

 

Premièrement, Menie Grégoire expliqua son succès par l’importance de la voix, qui amenait une présence dans la solitude affective des gens. Ce contact restait assez mystérieux par la radio car il créait un lien imaginaire avec celui ou celle que l’animatrice entendait.

La radio permet ce genre de rencontres et de confidences. La radio offre un contact et non pas un spectacle, comme la télévision. Elle permet d’oublier sa propre existence, de se libérer un temps de ses angoisses et de ses problèmes.

Ensuite, Menie Grégoire expliquait les 100.000 lettres reçues par la solitude de l’homme moderne, à tous les niveaux. Je n’ai jamais pu le dire à personne”  était le leitmotiv habituel à la lecture des grandes et difficiles confidences et des interdits sociétaux et familiaux.

A travers cette émission, les auditeurs se voyaient reconnaître une existence qui avait de la valeur, le droit de parler, de penser, de lutter et de souffrir. Ces gens voulaient être tout simplement reconnus, être écoutés et compris. A l’époque, tout ce qui ne se conformait pas aux règles ne devait pas exister.

 

 

Des hommes et des femmes de tous âges et de tous milieux et des enfants écrivaient à Menie Grégoire. Pourquoi un tel succès?

Quand nous écrivons, nous écrivons d’abord à nous-même. Cela constitue un moment d’arrêt dans notre vie pour parler de nous, à nous. Nous écrivons pour savoir ce qui nous habite, autant pour le faire savoir. Nous le sortons définitivement de nous, pour ne plus étouffer, pour ne plus faire semblant. Nous écrivons pour partager ce qui est trop lourd à porter sur nos épaules.

L’écriture est salvatrice! Cela a toujours été et sera ainsi, si écrire des lettres, devant l’invasion des courriels, ne disparaît pas, ce qui serait une grande perte humaine!

Les milliers de lettres que Menie Grégoire a reçues sont conservées et classées aux archives de son département, l’Indre-et-Loire, attendant d’être étudiées. Un jour, elles livreront l’histoire vécue de la révolution qui a bouleversé, en quinze ou vingt ans, le visage intérieur de la société française et a ouvert sur un autre monde.

 

Quelques extraits de lettres

Dans le livre précité, Menie Grégoire traite de 8 thèmes:

  • la famille
  • l’éducation
  • les jeunes
  • les hommes
  • les femmes
  • la contraception et l’avortement
  • le féminisme à la française
  • le sexe

Je vous propose donc une lettre choisie pour chaque thème. J’au eu du mal à en sélectionner une, car elles sont toutes très intéressantes.

Sur la famille:

 

La situation est criante de vérité, à quelques décennies d’écart, la situation d’aujourd’hui est-elle vraiment différente?

 

Sur l’éducation:

 

 

Sur les jeunes:

 

 

Sur les hommes:

 

 

Sur les femmes:

 

 

Sur la contraception et l’avortement:

 

 

Nos sociétés occidentales ont-elles vraiment évolué par rapport à ces décennies précédentes?

 

Le féminisme à la française:

 

Où en est-on en France sur l’égalité de salaire entre les femmes et les hommes?

 

Sur le sexe:

 

Sur ce thème, Menie traite aussi de l’impuissance, du mariage blanc, de l’homosexualité, des transsexuels et de la prostitution.

 

Un témoignage sur Menie Grégoire 

 

Je me permets de vous proposer de témoignage de ma mère, qui, au quotidien, a écouté Menie Grégoire avec ferveur, ce qui l’a fait évoluer, ce dont j’ai indirectement bénéficié:

 

“Née en 1944, à la fin de la guerre, issue d’une famille nombreuse et ouvrière, notre vie à chacun de mes frères et sœurs ( nous étions 10 enfants) n’a été faite que de brimades, de dressage, et d’ironie… Bref, aucun épanouissement n’était possible, tant les préjugés, le qu’en dira-t-on, les habitudes négatives des transmissions précédentes étaient très lourds à vivre…Bien qu’avec le recul, mes parents ont fait ce qu’ils ont pu, eux-mêmes ayant eu une vie pas réjouissante du tout. Je les respecterai toujours…

Mariée jeune par amour, mais aussi comme  beaucoup croyant à la liberté en quittant nos parents qui n’étaient qu’autorité et sévérité sur leurs enfants jusqu’à 21 ans. Donc, comme toute ma génération, me voici avec un mari qui avait  été “éduqué” comme nous autres, sans amour et sans regard bienveillant. Mariée jeune, et maman toute aussi jeune, (nous ne connaissions pas la pilule)  je m’épanouissais avec mon premier enfant, tant, avec mon mari, nous lui donnions de l’amour. Je donnais de l’amour et j’en recevais sans aucune arrière-pensée, pour la première fois de ma vie, j’étais heureuse dans ce rôle-là….

Je n’avais pas pour autant confiance en moi, j’étais d’une timidité maladive, héritage de mon enfance…Un 2ème enfant “désiré” est arrivé, et aussi des difficultés d’argent entre autres… Bref, je ne voulais surtout pas ressembler à ma mère quant à l’éducation de mes enfants, je voulais qu’ils soient “épanouis”  et qu’ils aient “un métier”, ce qui nous avait été  interdit à tous, (on devait  le plus tôt possible rentabiliser le gîte et le couvert). Mais comment faire pour qu’ils aient autre chose que moi? Qu’ils soient “mieux” que moi? Je n’avais aucun modèle référent, et mon salut est arrivé d’une femme, Ménie Grégoire, qui a bousculé tous les tabous, tous les interdits, qui nous a appris ou “plutôt, nous a suggéré “comment réfléchir par nous-mêmes, et au fil du temps ( pendant des années) nous ouvrir un petit espace de liberté dans notre vie, dans notre tête, par toutes ses émissions quotidiennes. Tous les sujets ont été abordés, la violence conjugale, le travail des femmes, avoir un compte personnel à la banque, l’avenir de nos enfants, l’alcool, les dépendances de toutes sortes. Dans beaucoup de sujets, je me sentais concernée, mais surtout, tout ce qui concernait les enfants. Pour moi, c’était “ma” priorité absolue. J’ai su très vite que je me battrais pour que ma fille puisse vivre libre avec un métier. Très jeune, elle a connu mon histoire, et de son côté, a tout fait pour devenir professeur d’anglais. C’était très rare dans ces années-là, que les filles d’ouvriers aillent à la Sorbonne. C’était  notre revanche, notre fierté, tant personnelle que familiale, car elle a été la seule petite-fille à aller aussi “haut “dans les études. De mon côté, travaillant en usine depuis l’âge de 14 ans, dans un travail absolument dévalorisant, à 38 ans, soutenue moralement par ma fille, j’ai entrepris des cours du soir de dactylo, alors que je travaillais en équipe (4h30 du matin jusque 14h ou 14h à 22 h)  Au bout d’un an, un patron m’a fait confiance suite à une annonce d’emploi qui paraissait à l’époque dans un journal régional. Je lui ai répondu, et ma lettre l’a touché par ma sincérité. Il a décidé de  me prendre et de m’apprendre tout ce qui était le “travail de bureau”. Répondre aux clients au téléphone, les recevoir, les guider, bref, je me suis épanouie comme jamais, enfin je me me suis sentie” intéressante” ,j’étais reconnue dans mon travail. Cet homme était strict, exigeant, mais, il m’a dit des paroles encourageantes comme jamais je n’en n’avais entendues de mes parents. C’était “mon père spirituel”. J’ai toujours gardé un contact avec lui jusqu’à sa disparition. Je lui dois beaucoup dans ce que je suis devenue… Bref, j’étais secrétaire-dactylo, j’avais un “certain statut”, je n’étais plus O.S. Nos enfants eux aussi se sont élevés dans la société. Je suis la plus heureuse des retraitées. Je suis née à 40 ans grâce à Ménie Grégoire et sans elle,qu’aurait été ma vie? Alors,je lui infiniment redevable, et la remercie du fond du cœur…”.

 

En guise de conclusion

 

Pendant mon adolescence, j’entendais parler de Menie Grégoire à la maison, mais je n’y prêtais pas plus d’importance que ça. Je suis d’une génération où les avancées étaient déjà réalisées, où les femmes avaient acquis certains droits.

Je n’ai pas eu, en tant que femme, à me battre comme l’ont fait les femmes de la génération de ma mère. Nous ne pouvons que nous incliner devant leurs combats, leurs luttes et leurs idéaux. Mais, je suis aussi parfaitement consciente que la lutte n’est jamais définitive et que rien n’est jamais acquis!

Je ne peux que regretter que personne n’ait pris le relais de Menie Grégoire. Car, face à un monde de plus en plus technologique et robotisé, dans lequel les confidences, les secrets et les images sont divulgués sans retenue aucune, les femmes et les hommes ont et auront besoin d’humanité, dans un monde où les rencontres se font de plus en plus virtuelles ou anonymes.

 

 


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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  • Je connais toutes les histoires de tous ces gens, mais tu vois là, à l’instant je pleure en t’écrivant, en relisant et en revivant le défilé de ma vie, dans le texte que je t’ai envoyé. Quelle vie, quelle force mentale il fallait pour s’en sortir. J’ai encore beaucoup à apprendre, mais j’ai réalisé ce que je m’étais promis d’améliorer, c’est à dire la vie de mes enfants. Merci Ménie, merci la vie, merci à tous ceux à qui je donne de l’amour, et merci à ceux qui savent m’en donner…

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