Bernard Werber, dans la masterclass que je suis sur The Artist Academy, propose, dans une des vidéos, des conseils sur les mécanismes du roman initiatique.
Il précise d’emblée qu’écrire un roman fonctionne bien comme une thérapie, car l’écrivain fait un transfert de ses problèmes sur les personnages qu’il crée. Par là même, le lecteur se prend pour un héros. Telle est la fonction du roman.
La transformation et l’évolution du personnage principal suit son cheminement initiatique. A ce titre, Bernard Werber se sert de l’art divinatoire du tarot comme un outil d’écriture. Il l’utilise pour savoir comment ses personnages vont évoluer, et non pas pour prédire l’avenir!
Les arcanes du tarot selon Bernard Werber
Nous sommes bien d’accord que je vous fais part des commentaires de Bernard Werber sur les cartes du tarot en tant que boussoles pour conduire l’évolution de ses personnages. Il n’y a rien de mystique dans aucun de ses propos ni dans les miens.
Le bateleur est un homme qui fait un tour de magie. Le héros sait alors qu’il est ignorant et qu’il doit faire un travail sur lui-même. Par ses outils, ce personnage vit dans l’illusion car de plus, c’est un tricheur. Mais, il a profondément envie d’une démarche spirituelle.
La papesse dit qu’il faut lire dans les livres. Elle donne ce conseil au bateleur en secret. C’est la première démarche d’initiation spirituelle.
L’impératrice aide le héros et lui présente l’empereur. Elle permet à l’homme d’avancer. Elle possède du pouvoir.
L’empereur apprend au héros comment avancer sur son parcours. Il est dans l’action.
Le pape donne un enseignement spirituel au héros, qui a besoin de faire un travail sur lui-même et sur son esprit. Le pape poursuit le travail commencé par la papesse.
Avec l’amoureux, le héros se retrouve devant un choix à faire. La situation est débloquée par l’ange. Mais, la carte reste troublante. la situation de blocage perdure malgré tout. Ce qui caractérise un héros, c’est qu’il doit opérer un choix.
Après avoir fait son choix, le héros croit avoir réussi et croit avoir pris sa vie en main. Il se sent un homme puissant et il finit par faire n’importe quoi.
Le héros se fait rattraper par la justice. il reçoit un coup de semonce de la vie dans l’intrigue qui l’entoure. C’est un élément inattendu.
Le héros se retrouve seul; il a perdu ses amis. C’est la traversée du désert. Il est seul pour avancer dans son histoire.
Les choses s’arrangent tout à coup pour le héros, puis se compliquent à nouveau. Il est déstabilisé, le lecteur se pose des questions à son sujet. Des épreuves et des récompenses injustes apparaîssent.
Une femme apprend au héros à maîtriser sa force afin de gérer ses problèmes. Elle lui enseigne la maîtrise de soi. Le héros aura normalement moins de problèmes quand il sera capable de gérer sa force.
Le héros finit par tomber dans le piège et se retrouve coincé. En regardant le monde à l’envers, il trouve de nouvelles solutions; Cela lui permet de changer son regard sur le monde. Ainsi, le héros peut de nouveau avancer.
L’arcane sans nom ou la mort est la carte redoutée. Elle représente le changement, une remise en question. Elle indique un nouveau départ. le héros a une vie qui ne fonctionne pas. Il a commis trop d’erreurs. La remise en question doit être globale.
Le héros doit régler sa partie spirituelle. A ce stade, il doit contrôler son corps et son esprit. Mais le héros n’a toujours pas compris.
C’est le moment où le héros laisse parler ses pulsions primaires. Son mauvais côté prend donc le dessus. il cède à la facilité. C’est l’expérience du corps. Il va pouvoir évoluer quand même.
Cette carte marque la fin, la destruction, l’irréparable. C’est le point de non-retour.
L’étoile apprend au héros à répartir ses énergies et à mettre de l’ordre dans sa vie. Elle aide. Le héros est donc prêt à avancer. Mais il a encore des détails à régler.
La lune représente un aspect sombre du héros, sa partie primitive en fait. Il doit régler une blessure d’enfance. Il ne peut pas encore complètement avancer. Il doit d’abord nettoyer son lac intérieur.
Le soleil brille enfin. Le héros rencontre son âme soeur. Cela lui apporte de l’énergie yang. il vit une belle hsitoire d’amour. il entre dans une bonne communication.
Le héros est prêt. Il a réussi son initiation. La justice du ciel apparaît. Les morts peuvent revenir. Le héros a libéré les énergies retenues partout.
Le monde représente le trésor, le graal, la joie. Le personnage a accepté sa part féminine et sa part masculine en lui. Il se sent parfaitement équilibré.
Le héros a enfin tout compris. Il doit reprendre la route, avec la connaissance acquise pendant l’initiation. C’est la seule carte où le personnage avance dans ses gestes. Cette signifie aussi que nous ne devons pas nous arrêter, même quand nous avons réussi. Nous devons continuer à évoluer.
Les étapes nécessaires
A ce stade, Bernard Werber cite l’exemple de son premeir roman à succès, Les Fourmis. A un moment donné, une fourmi comprend qu’il y a un autre monde à l’intérieur. Cela fonctionne de la même manière pour Le seigneur des anneaux, Star Wars. Cela s’appelle l’initiation par étapes.
Ces étapes sont nécessaires. Autrement, le personnage ne peut pas comprendre tout d’un coup. Car, alors, le risque serait que le lecteur ne s’intéresserait pas à lui. Le personnage va vivre comme nous vivons nous-mêmes. Il va se tromper, il va croire qu’il possède toutes les réponses. La vie va se charger de lui rectifier le tir et de lui dire de rester éveillé, de se poser des questions, de lire, de rencontrer des gens, de surmonter ses peurs. C’est la base du roman initiatique.
L’exercice d’écriture
Bernard Werber propose d’écrire à partir des cartes du tarot. Vous tirez 5 cartes du jeu de tarot et vous les placez en croix.
Voici les étapes de l’évolution de votre personnage:
- le héros
- l’aventure
- ce qui l’aide
- ce qui ne l’aide pas
- comment ça aboutit
L’écrivain conseille d’écrire une histoire de 2 pages avec une intrigue dans l’histoire. Il suggère de regarder le détail des cartes du tarot, les couleurs. Il insiste sur le fait de laisser parler votre intuition et votre créativité.
Voici mon tirage:
- la justice (le départ de mon héros)
- l’impératrice (les aventures)
- l’arcane sans nom (ce qui l’aide à vivre ses aventures)
- l’Hermite (ce qui bloque le héros)
- l’étoile (comment ça aboutit).
Voici mon texte:
La croisière a rendez-vous avec le passé
Laurie avait toujours voulu voyager depuis toujours. Mais, elle avait maintes fois repoussé ses envies d’ailleurs en se réfugiant derrière les envies de son mari et les contraintes de la vie de famille.
C’était une femme d’âge mûr, une sénior comme on dit dans les médias. Ce terme, d’ailleurs, l’énervait toujours, car elle se sentait irrémédiablement jeune aussi bien dans sa tête que dans son esprit. Elle n’avait pas encore atteint la soixantaine. Elle était toujours en activité, attendant avec impatience le moment où elle aurait tout le temps de s’adonner à ses passions.
Elle vivait seule désormais, après une rupture difficile à cinquante ans avec le père de ses deux enfants, des filles maintenant autonomes et capables d’opérer leurs propres choix de vie. Elle se trouvait à la croisée des chemins. Le démon de midi avait rattrapé son ex-mari qui s’était entiché de sa secrétaire, de trente ans sa cadette. Il semblait vivre heureux, mais elle ne le voyait plus que de loin en loin pour les anniversaires de Camille et Carla. Ils étaient parvenus à maintenir des relations amicales. Elle ne lui en voulait pas de son départ. Elle ne le prenait pas comme un abandon. Leur vie ensemble avait trop ressemblé à une routine ennuyeuse, dans laquelle aucun des deux ne s’était vraiment épanoui. Ils avaient plutôt vécu par habitude.
Elle ne cherchait pas à refaire sa vie, elle avait besoin de calme et de solitude pour se reconstruire.
Elle souhaitait laisser le hasard agir à sa place et à sa guise, au gré des rencontres et des aléas que la vie lui offrirait certainement. Elle se doutait qu’à un moment donné, il lui faudrait faire des choix, mais elle repoussait tout cela en vivant au jour le jour, en appréciant au maximum les petites joies de la vie.
Laurie paraissait être une femme calme, mais les apparences pouvaient être trompeuses. Elle possédait une volonté à toute épreuve, relevant défi après défi, mine de rien, sans faire de bruit et en restant à sa place. Elle observait beaucoup, écoutait tout le monde, tentait de comprendre les autres. Cela avait développé en elle une finesse d’esprit que beaucoup lui enviaient. Cette femme était respectée en privé, mais aussi dans le monde du travail.
Laurie ne savait pas ce que la vie lui réserverait, mais elle savait en tout cas qu’elle voulait voyager. Enfin ! Etant enseignante, elle profitait de chaque vacance pour découvrir un nouveau lieu. Elle parlait l’anglais et l’espagnol, ce qui facilitait les échanges dans les pays étrangers. Elle décida donc pour l’été de ses cinquante sept ans de s’offrir une croisière entre Moscou et Saint-Pétersbourg, entre les fleuves la Moskova et la Néva. Elle était allée en Russie, du temps de l’URSS, quand elle étudiait encore au lycée où elle apprenait la langue russe. Elle tenait absolument à retourner sur les pas de son adolescence, là où elle avait rencontré son premier amour, Tom, un Anglais du nord de l’Angleterre. Cela lui rappellerait sans doute quantités de souvenirs agréables.
Elle ressentait comme un appel, quarante après sa première visite dans ce pays magnifique, où elle avait été impressionnée par la gentillesse du peuple slave. Laurie sentait que ses voyages la transformaient peu à peu, lui faisaient du bien et lui apportaient une sérénité dont elle avait besoin. Cela lui permettait de voir autre chose, et surtout de faire le deuil de sa vie passée. Elle avait besoin de renouveau, de pratiquer des activités qu’elle n’avait pas pu réaliser en couple.
Une page se tournait, et elle en était ravie.
Cette croisière sur les fleuves et les canaux russes commençait sous les meilleurs auspices. Le bateau accueillait soixante-dix personnes au maximum, avec des cabines luxueuses, une nourriture abondante et savoureuse. Son vol depuis Paris jusqu’à la capitale russe s’était bien déroulé, et elle avait rejoint sans encombre le quai d’attache du bateau de croisière. L’accueil fut à la hauteur de ses espérances. La voilà partie pour deux semaines de découvertes, de sensations et de rencontres diverses et variées.
Mais, Laurie partait surtout à la découverte d’elle-même. Elle ressentait, tout au fond d’elle-même, un petit quelque chose, une petite voix, son intuition peut-être, qui lui soufflait que ce voyage allait changer sa vie. A jamais.
Le dîner du premier soir était celui où tout le monde se présentait de façon simple et chaleureuse. C’était vraiment sympathique. Puis, tout à coup, elle eut un choc, comme elle n’avait pas ressenti depuis longtemps. Elle crut que son cœur allait la lâcher, là en plein milieu d’une terre étrangère, loin des siens. Elle mit une main sur sa poitrine, croyant défaillir. La tête lui tournait, elle n’en croyait pas ses yeux. Tom était en train de se présenter, tout en plaisantant. Le Tom dont elle était tombé amoureuse à dix-sept ans, à Kiev, dans un hôtel pour touristes.
Elle était sûre que c’était lui. Il lui ressemblait trop, même avec des cheveux blancs et une petite bedaine qui rajoutait à son charme. Quarante ans séparaient le Tom de ses souvenirs avec l’homme qui se tenait debout devant sa table du dîner. Laurie était vraiment remuée à l’intérieur d’elle-même, comme jamais. Allait-elle oser aller au devant de ce passager pour savoir si c’était lui ou pas ? Tout se bousculait dans sa tête, le passé avec Tom et les deux années d’amour qu’ils avaient vécues avant leurs vingt ans, le présent de la croisière puisqu’elle écoutait d’une oreille distraite les autres passagers se présenter, et l’avenir, parce que, sans nul doute, cette vision fortuite allait changer la donne de son quotidien.
Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas vu l’ombre qui s’approchait d’elle et qui s’était permise de s’asseoir à sa table. L’ombre souriait, semblait heureuse et attendait patiemment que Laurie sorte de son nuage de pensées.
Puis, leurs regards se croisèrent, dans un sourire de béatitude. Quelle coïncidence inouïe ! Ils se retrouvaient, après quatre décennies, dans la salle à manger d’un bateau de croisière naviguant sur le fleuve de Moscou. Elle se pinçait la main pour savoir si elle ne rêvait pas, pour savoir si elle n’était pas au cœur d’un roman dont elle serait l’héroïne.
Tom et Laurie avaient vécu un amour de jeunesse puissant, partagé, mais court, comme peuvent l’être les premiers amours. Pas un mot n’avait été encore échangé. Laurie avait l’impression que cet instant magique avait duré une heure. L’environnement autour d’eux avait complètement disparu. Ils étaient seuls au monde, tellement heureux de se revoir qu’ils n’arrivaient toujours pas à se parler.
Tom finit par prendre les devants, demanda à Laurie comment elle allait. Des paroles qui lui auraient semblé d’une banalité affligeante en d’autres temps, mais, qui revêtaient, à cet instant, une once de félicité. Puis, un flot de paroles défila sans interruption, jusqu’au bout de la nuit. Ils se racontèrent tout sur leur vie, sans rien omettre.
Les deux semaines à voguer furent majestueuses, tant par la beauté des paysages et la gentillesse des Russes qui les accueillaient lors des nombreuses visites, que par le lien puissant qui s’était tout naturellement recréé entre Tom et Laurie. Ils formaient de nouveau un duo qui laissait présager un avenir radieux.
En guise de conclusion
J’ai été très surprise, pendant cette présentation de Bernard Werber, de constater qu’il utilisait le jeu de tarot pour faire évoluer certains de ses personnages. L’effet de surprise passé, cela m’a paru être une excellente base pour écrire une historie. J’y ai mêlé quelques détails de ma vie personnelle, arrangés bien sûr, et d’autres, purement fictifs.
Le jeu de tarot propose tellement de cartes pour raconter des histoires, des voyages, créer des personnages, pimenter des intrigues, imaginer des péripéties, écrire ce qu’on a sur le coeur ou s ’embarquer carrément dans l’écriture d’un roman.
Bernard Werber a eu cette idée géniale de nous confier un de ses secrets d’écriture. J’appelle ça le tarot de l’écrivain. Le jeu du tarot, c’est comme si on ouvrait une boîte de pandore, une boîte d’imagination. Les mots viennent et le jeu d’écriture peut commencer.
Alors, à vos tirages et à votre plume!
Jamais je n’aurai imaginé écrire un texte à partir d’un tirage de cartes du tarot. C’est une excellente idée, et ton texte est très beau. Il y a de toi à tes 17 ans dans ce texte bien sûr, , mais il y a aussi de toi dans ton intérieur profond. Il faut juste décrypter à travers tes écrits…
Merci pour cette découverte étonnante. Je n’aurai jamais imaginé qu’on puisse écrire à partir du hasard d’un jeu de tarot. J’avais adoré lire « les fourmis », une lecture qui m’avais marquée par son originalité, sans avoir conscience du rôle du tarot dans sa conception. Du coup, ça pourrait être intéressant de relire cet ouvrage avec cette nouvelle donnée en tête. Mon seul problème : je ne connais pas les cartes du tarot et va falloir que je m’y penche. Ça titille mon cerveau, tout ça ! Malgré tout, ça me rappelle les composantes du conte qui sont un peu similaires.
Quant à votre texte, bravo ! Un bel exemple d’application de la méthode , pour une histoire qui fait du bien. Moi, je ne suis pas certaine d’en être capable à l’heure actuelle, alors encore bravo. Et merci pour tout ce travail de recherche que vous partagez.
Bien à vous …
Vos commentaires sont toujours touchants Catherine; merci beaucoup! Je fais partager ce que j’apprends dans mes formations. Moi aussi j’ai été très étonnée d’écrire grâce au jeu de tarot.
Bien à vous…