Ceci est donc le troisième article que j’écris autour de la thématique de la correspondance.
Il sera basé sur un ouvrage, sur des lettres que nos soldats, nos chers Poilus ont écrites durant la Première Guerre Mondiale, tout en se battant sur le front:
- Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front, 1914-1918 de Jean-Pierre Guéno paru en 1998 dans différentes éditions.
Ils avaient 17 ou 25 ans et étaient palefreniers, boulangers, colporteurs, ouvriers ou bourgeois. Ils devinrent soudainement, sans n’avoir rien demandé, artilleurs, fantassins, brancardiers…pendant quatre longues et horribles années.
Des voyageurs sans bagages, ils durent quitter leur ferme, leur femme, leurs enfants, leur vie, revêtir l’uniforme, chausser des godillots cloutés et tuer l’ennemi d’en face!
8 millions d’hommes mobilisés, 2 millions d’entre eux morts, 4 millions d’entre eux avec de graves blessures ou défigurés à jamais!
La genèse de ce livre
Radio France a lancé un appel en 1997 visant à collecter les lettres des Poilus de la Grande Guerre, jusqu’ici éparpillées partout en France, cachées dans les caves, dans les greniers, ou qui dormaient au fond des malles ou dans les vieux albums de famille. Cet ouvrage en présente une centaine.
Radio France a reçu 8000 lettres en tout. Elle présente dans ce livre les plus fortes, les plus touchantes, les plus révélatrices.
Des mots écrits dans la boue, dans l’effroi d’une nouvelle bataille, dans des conditions inhumaines…Ces mots n’ont pas vieilli d’un jour…Des mots déchirants, emplis d’une humanité que les soldats oubliaient un peu plus chaque jour!
Paroles de Poilus est un livre rassemblant différentes lettres que les soldats envoyèrent à leur famille pendant les quatre années de guerre, malgré la censure sévère.
Bien évidemment, ce livre montre la cruauté de la guerre, démontre comment nos soldats ont pu atrocement souffrir. Ces lettres nous racontent une autre guerre, parfois très différentes des livres d’histoire, des clichés qui sont parvenus jusqu’à nous depuis 100 ans.
Ces soldats, qui ont combattu pour leur patrie, notre pays, nous font entendre la vérité des mots écrits, leur vérité. Certains d’entre eux savaient à peine lire ou écrire, ou étaient analphabètes, se faisaient écrire leurs lettres ou cartes postales par les copains de tranchée.
Les Poilus ont beaucoup écrit du fin fond de leurs tranchées, comme un exutoire à leur quotidien. Ils essayaient d’exprimer l’horreur absolue qui les entourait, jour et nuit, cette boucherie à laquelle ils devaient participer, sous peine d’être fusillés.
Des traits communs émanent de ces lettres: beaucoup de ces Poilus étaient des paysans, traumatisés d’abandonner leurs terres du jour au lendemain.
Ils s’appelaient Henri, Aimé, Lazare, Maurice, Jacques ou René…Ils écrivaient entre deux batailles, deux assauts. Chacun prenait le temps d’écrire à sa mère, à sa fiancée, à sa femme ou à ses enfants, pour raconter l’indicible, pour se permettre un peu d’espoir, au milieu du carnage qu’ils voyaient au quotidien.
Quelques extraits de lettres
2 novembre 1914
Mes hommes trouvent mille petits moyens ingénieux pour se distraire ; actuellement, la fabrication de bagues en aluminium fait fureur : ils les taillent dans des fusées d’obus, les Boches fournissant ainsi la matière première « à l’œil » ! Certains sont devenus très habiles et je porte moi-même une jolie bague parfaitement ciselée et gravée par un légionnaire.
Marcel Planquette.
1915
Je ne sais pas si je pourrais dormir dans un lit à présent, on est habitué à coucher par terre ou sur la paille
quand on peut en trouver. Il y a bien deux mois que je ne me suis pas déshabillé, et j’ai enlevé mes souliers cette nuit pour dormir ; il y avait au moins quinze jours que je ne les avais pas quittés.
Je vais te donner quelques détails comment nous avons passé la nuit dans la tranchée. Celle que nous avons occupée a une longueur de cent mètres à peu près, construite à la lisière d’un petit bois (…) ; elle est
profonde d’un mètre, la terre rejetée en avant, ce qui fait que l’on peut passer debout sans être vu. La largeur est généralement de quinze centimètres et l’on fait de place en place des endroits un peu plus larges de façon à pouvoir se croiser quand on se rencontre. Dans le fond de la tranchée et sous le terrain, on creuse de petites caves où un homme peut tenir couché, c’est pour se garantir des éclats d’obus.
Adolphe Wegel.
4 décembre 1914
Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voici pourquoi :
Le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra avec ce qu’il y a dedans. (..)
Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.
Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout.
Henry Floch
Le 13 novembre 1918
Chers parents (…)
Le 9, à 10 heures du matin on faisait une attaque terrible dans la plaine de Woëvre. Nous y laissons trois
quarts de la compagnie, il nous est impossible de nous replier sur nos lignes ; nous restons dans l’eau trente six heures sans pouvoir lever la tête ; dans la nuit du 10 , nous reculons à 1 km de Dieppe ; nous passons la dernière nuit de guerre le matin au petit jour puisque le reste de nous autres est évacué ; on ne peut plus se tenir sur nos jambes ; j’ai le pied gauche noir comme du charbon et tout le corps tout violet ; il est grand temps qu’il vienne une décision, où tout le monde reste dans les marais, les brancardiers ne pouvant plus marcher car le Boche tire toujours ; la plaine est plate comme un billard.
A 9 heures du matin, le 11 , on vient nous avertir que tout est signé et que cela finit à 11 heures, deux heures qui parurent durer des jours entiers.
Enfin, 11 heures arrivent ; d’un seul coup, tout s’arrête, c’est incroyable.
Nous attendons 2 heures ; tout est bien fini ; alors la triste corvée commence, d’aller chercher les camarades qui y sont restés.
Eugène
Eugène Poézévara avait dix-huit ans en 1914. Il écrivait souvent à ses parents, des Bretons qui habitaient à Mantes-la-Jolie. Eugène a été gazé sur le front, et il est mort d’épuisement dans les années 20.
Dans ce document, vous avez pu quatre témoignages: de Marcel Plaquette, de Adolphe Wegel, de Henry Floch et de Eugène Poézévara.
Pour se distraire, ils fabriquaient souvent des objets, ici, des bagues en aluminium, à partir des fusées d’obus qu’ils récupéraient et taillaient.
Bien sûr, l’ennemi, ce sont “les Boches”, ceux de la tranchée d’en face, qu’ils devaient abattre coûte que coûte!, vaille que vaille!
Adolphe Wegel nous apprend qu’il ne s’est pas déshabillé depuis deux mois, qu’il n’a pas enlevé ses souliers depuis quinze jours. Nous pouvons aisément imaginer les conditions de vie au quotidien, dans notre petit monde propre et aseptisé!
Henry Floch, lui, va être fusillé et écrit sa dernière lettre. On lui reproche d’avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi. Il est passé au Conseil de Guerre, et les mesures sont toujours exemplaires, pour servir de modèles aux autres.Il aurait dû rester prisonnier, au lieu de déguerpir, ce qui revient, pour les autorités militaires, à déserter son poste.
La dernière lettre date du 13 novembre 1918, alors que l’Armistice a été signé le 11 novembre. Mais, les soldats n’ont pas regagné leur village immédiatement. Il s’est passé du temps avant qu’ils ne soient tous démobilisés.
Eugène évoque “la triste corvée”, celle de ramasser les soldats décédés dans la plaine.
D’autres extraits de lettres
10 août 1914
Dans la petite école de Saulces-Monclin où je suis à la disposition du colonel du 274e , je me sens faible ; j’ ai besoin de manger un peu et de dormir mais comme ma compagnie , la 22e, est de service aujourd’hui , je suis obligé de rester pour porter les ordres . Pourtant , nous sommes partis hier à 7 heures du matin de Rouen . Nous avons roulé 18 heures de suite (….) avec halte café et avons marché depuis 1 heure du matin jusqu’à 6 heures [ …] Que d’impressions depuis hier , d’abord , petite mère, merci, tu as été sublime de courage samedi soir . Je suis fier, fier d’être ton fils . Hier, durant tout le trajet , les populations pressées aux passages à niveau et aux gares n’ont cessé de nous acclamer ,les femmes envoyant des baisers, les hommes reprenant avec nous La Marseillaise et le Chant du Départ . (…)Pourquoi faut-il qu’une angoisse sourde m’étreigne le cœur, si c’était en manœuvres, ce serait très amusant ;
mais voilà , après-demain, les balles vont pleuvoir et qui sait ? (…).
Maurice Maréchal
En guise de conclusion
Le XXe siècle avait débuté de manière faste: expositions universelles, progrès en marche tous azimuts, guinguettes en bords de Seine ou de Marne, le métropolitain à Paris, l’Art nouveau, les émeutes avec son cortège de grèves, le début du téléphone, le développement du chemin de fer et de la fée électricité.
Ce siècle paraissait prometteur aux yeux de tous! C’était la promesse d’une aube nouvelle!
Grâce à nos valeureux Poilus, nous connaissons un peu plus ce qui se passait, ce qui se tramait, ce que eux vivaient, ce qu’ils affrontaient, ce qu’ils taisaient…
Ils sont devenus des voyageurs sans bagages, errant dans un conflit qui les dépassait, se nourrissant de haine au quotidien.
Leurs lettres, 100 ans après, témoignent, et c’est en ça que la correspondance est importante: elle est un témoignage, poignant, précis, touchant, plein d’émotion. Que les générations à venir puissent s’en inspirer pour lutter contre toutes les formes de haine!
Tous ces témoignages nous arrachent le cœur. Est-ce possible que des sois-disant “êtres humains” fassent subir autant de souffrance au nom de la guerre. Cette “putain” de guerre qui n’a jamais cessé. Aujourd’hui elle est plus que jamais d’actualité partout sur le globe…
Au bout du compte qui sont les gagnants? Qui sont les perdants? Les perdants toujours les mêmes, le pauvre peuple, les enfants, les personnes âgées qui n’ont plus de maison, plus de nourriture. J’ai honte, et quelque fois, je doute fort de l’espèce humaine…
j’suis d’accord