Marcher dans la nature, au contact des arbres apaise considérablement le mental. Et quand vous avez un mental apaisé, vous pouvez créer. A vrai dire, je considère la marche comme une source d’inspiration pour écrire.
Pour aller à la pêche aux idées, rien ne sert de rester collé à son bureau en attendant la divine idée. Nos pas disent quelque chose de nous. Notre vision de la nature et notre relation à elle aussi.
La marche peut être méditative ou en compagnie, douce ou intense, solitaire ou en défilé dans un groupe de randonnée, expéditive ou punitive, silencieuse ou bruyante, au pas militaire ou en file indienne, comme des fourmis processionnaires. La marche peut aussi être sportive, rapide, athlétique, nordique ou afghane: elle déclenchera à coup sûr quelque chose de vibratoire dans votre corps et dans votre tête.
Comprendre ce que nos pas disent de nous
La marche, d’emblée, se rapproche beaucoup de la philosophie et de la spiritualité. Bon nombre d’écrivains sont de grands marcheurs et certaines de leurs idées leur sont venues au fil de leurs pas.
Les pieds sont les seules parties de notre corps en contact avec le sol, avec la terre. Dans la marche, il y a une union entre ce que notre cerveau commande aux muscles pour avancer et une certaine forme de liberté qui prend forme dans notre esprit. Le marcheur ressent en lui une folle détermination à rester debout et à mettre un pas devant l’autre.
Marcher permet de s’aventurer hors des sentiers battus, et infatigablement, oser s’affranchir des contraintes imposées par la société. Marcher, c’est un geste banal du quotidien, que nous faisons sans trop réfléchir. Mais, la marche va bien au-delà du simple exercice physique. De la flânerie à la méditation, de l’épreuve de courage à l’introspection, la marche peut nous emmener très loin!
Pratique sportive ou spirituelle, touristique ou thérapeutique, la marche fait de nombreux adeptes aujourd’hui. Marchons-nous pour échapper à la vitesse de notre monde moderne? Marchons-nous pour nous dépasser physiquement? Marchons-nous pour trouver de la compagnie dans un groupe? Marchons-nous pour entreprendre un chemin spirituel?
Des écrivains et la marche
Sylvain Tesson, aventurier baroudeur infatigable, passionné d’escalade et écrivain, a chuté d’un toit en 2014. A sa sortie du coma, il traverse la France à pied pour se réparer. De ce périple, il a tiré un livre: “Sur les chemins noirs” en 2016 aux éditions Gallimard.
Dans ce livre, il décrit la marche comme une critique en mouvement de la société. Pour lui, marcher, c’est fuir le monde numérisé et s’opposer ainsi au règne de la prévisibilité. Il veut fuir toutes les actions du quotidien régies par l’ordinateur, qui cimente la vie de chacun.
La marche permet d’échapper à tout ça, de redevenir humble, de faire attention aux petits détails et de s’émerveiller de rien en chemin. Ce que la plupart des gens ne sont plus capables de faire, pris dans le tourbillon de leur quotidien, de plus en plus numérisé.
Sarah Marquis est une aventurière depuis plus de 20 ans. Elle parcourt le monde à pied, en solitaire. Après une expédition dans la cordillère des Andes en 2006, elle a ensuite marché pendant 3 ans, de la Sibérie à l’Australie. Des milliers de kilomètres qu’elle a retranscrits dans son livre: “Sauvage par nature” en 2015 aux éditions Pocket.
Sarah Marquis a un but lorsqu’elle marche: montrer que le lien avec la nature est le seul moyen pour l’être humain de sauver sa peau. Elle a développé cette capacité de se ressourcer au contact de la nature, au bout d’une vingtaine de minutes de marche. Pour elle, il s’agit aussi de retrouver la condition originelle de l’être humain: mettre un pied devant l’autre, au cœur de l’immensité de la nature.
Frédéric Gros est philosophe et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Dans son livre, “Marcher, une philosophie” publié en 2008 aux éditions Carnets Nord, le philosophe analyse le sens politique que peut revêtir la marche, individuelle ou collective, mode d’expression populaire par excellence.
A ses yeux, marcher, c’est aussi faire preuve de dignité, car celui qui marche se tient debout et avance. Par tous les temps. La marche symbolise une humilité face aux éléments et à la nature.
David Le Breton est sociologue, anthropologue et professeur à l’université de Strasbourg. Il est l’auteur de “Éloge pour la marche”, “Marcher – éloge des chemins et de la lenteur” aux éditions Métailié.
David Le Breton fait l’éloge de la marche comme moyen de rédemption face aux dépressions ou aux amertumes des gens. La marche est souvent guérison. Sa puissance réorganisatrice n’a pas d’âge. Elle procure la distance physique et morale propice au retour sur soi, la disponibilité aux événements, et donc, l’éloignement des routines personnelles. La marche ouvre à un emploi du temps inédit, à des rencontres au hasard des chemins.
Antoine de Baecque est historien, spécialiste en histoire culturelle du XVIIIe siècle. Il pense la marche comme une métaphore de l’écriture. Marcher fait indubitablement penser, réfléchir, et parfois, écrire. Idées qu’il a compulsées dans son livre, “Une histoire de la marche” en 2016, aux éditions Perrin.
Pour Antoine de Baecque, la déambulation pédestre implique une écriture. Nous pensons en marchant. Marcher fait penser, puis, parfois écrire. La marche n’est pas seulement une incitation au récit, au partage de l’aventure avec les autres, mais elle peut être comprise, par certains auteurs, comme un mouvement du corps indispensable au rythme de la narration.
Cet écrivain américain a tourné le dos à la civilisation au XIXe siècle. Dans son livre “Walden”, il décrit son autarcie dans une cabane au bord d’un étang et prône ainsi le retour à la nature. Il a également écrit un court essai, “Marcher”. Il marchait beaucoup, mais, selon lui, peu de gens comprenaient l’art de la marche, c’est-à-dire l’art de se promener, le génie de la balade.
Ecrit en 1926, “Le paysan de Paris” raconte plutôt une rêverie hallucinatoire. A travers les pages, le lecteur s’égare aux Buttes Chaumont, trouve des informations pratiques pour déambuler dans Paris, notamment dans des friches, autrefois des gares, où les renards s’aventurent.
Arthur Rimbaud est considéré comme un marcheur éternel, comme le poète aux semelles de vent. Il a tout fait à pied, quittant sa ville natale de Charleville à 16 ans pour rejoindre Paris en 1870, et humer la révolte des Communards. Toute sa poésie sent la rosée, l’aube, les odeurs que la nature lui offrait au gré de ses pas. Une ode à la nature à travers les poésies de ce poète génial…
Ecrire en marchant
Chantal Deltenre, ethnologue, dans son livre “Ecrire en marchant”, publié en 2018 aux éditions Maelström, raconte comment elle s’est sentie prisonnière dans sa vie, comme une mouche prise au piège. Comme elle n’en peut plus, elle se lève de sa table et s’en va faire alors un tour.
Elle part sur un coup de tête, sous la pluie, à travers champs, dans les bois, par les villages aux environs de sa maison. De temps à autre, elle sort des feuilles de papier notant de courtes choses – ce qu’elle voit, ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent.
Dans ce livre, qui n’est pas un livre de souvenirs, elle donne – ou offre – une description précise et méticuleuse du chemin parcouru lors de cette première marche en écrivant. D’autres marches ont suivi. Depuis 1976, l’autrice n’arrête pas d’écrire en marchant. Elle aime écrire en mouvement, comme dans un bus par exemple, en notant tout ce qu’elle observe par la fenêtre.
Ce livre n’est pas un récit littéraire, loin de là. L’autrice présente cette première expérience qui l’a faite devenir écrivaine. Le lecteur suit pas à pas son projet dans ce livre, présenté à l’italienne au format ‘paysage’.
Marcher et écrire
Daniel de Roulet, dans son livre “L’Envol du marcheur” en 2011, propose un journal de bord tenu pendant près de 3 semaines au cours d’un périple qui l’a conduit à pied de Paris à Bâle en Suisse.
Daniel de Roulet part alors sur les traces de Kübler, un autre Suisse, qui avait réalisé ce parcours, après avoir perdu sa femme. La marche est propice à l’écriture, car les mots épousent les pas.
En parcourant les chemins de la France dite profonde, Daniel de Roulet a aussi fait un retour sur lui-même, à sa manière, légère et désinvolte. Avant de pouvoir apprécié la nature, la vraie, il se morfond à traverser des banlieues tristes, des raffineries puantes, des usines désaffectées, des cafés presque déserts, bousculant des détritus jonchant les trottoirs.
Dans son livre, le marcheur dresse le constat, souvent et plutôt désolant, d’un pays en lente désagrégation, tant au niveau social (petites épiceries et bistrots qui ont disparu) que du paysage urbain ou rural (chemins défoncés, voies ferroviaires désaffectées).
Marcher, puis écrire
Jean-Loup Etienne a commencé dans la vie avec un CAP d’ajusteur. Puis, il est devenu médecin, chirurgien et médecin d’expéditions au long cours et explorateur. Il est resté fidèle à la petite lumière qui s’était allumée en lui quand il était enfant.
Dans son livre, “Dans mes pas”, en 2017, aux éditions Paulsen, il offre une ode à la marche. Il a réalisé qu’il était marcheur. Il s’est rendu compte, en marchant, que la marche était quelque chose à taille humaine, qui a été, pour lui, son outil de liberté.
Aussi, la marche sert de moteur à Jean-Loup Etienne. Quand il est bloqué pour écrire, il se lève et part marcher. Cela le transporte ailleurs et quand il revient, il se sent comme un homme neuf devant son texte. C’est donc extrêmement bénéfique à tous points de vue.
L’explorateur compare la marche à l’écriture. Au même titre que l’on voyage en écrivant, la marche représente d’énormes possibilités, tant physiques que mentales. On ne marche pas qu’avec ses jambes. En marchant, tout le corps se met en oeuvre.
En mettant tout le corps en oeuvre, la marche a des effets bénéfiques biologiques pour toutes les fonctions, même pour la mémoire et pour le cerveau. De plus, il n’y a qu’à regarder les randonneurs: la marche sociabilise!
La marche à pied donne de l’esprit
Dans une interview sur France Inter, Christophe Lamoure, professeur de philosophie, parle de son livre, “Petite philosophie du marcheur” publié en 2007 aux éditions Milan.
En marchant, il s’agit surtout de faire route, et pas forcément d’aller d’un point A à un point B. La marche est affaire de philosophes: Socrate, Rousseau, Kant marchaient beaucoup et ont aussi réfléchi sur le lien entre la marche et la pensée.
Marcher et penser ne sont pas deux activités distinctes, mais au contraire, très intimes l’une de l’autre, car le corps et l’esprit cheminent de concert. Marcher permet de se décrisper de tous les soucis, de sortir de sa routine, de son travail. Sur les chemins, la pensée va aussi son chemin.
Le marcheur retrouve un goût au monde, à la plénitude. Mettre le corps en mouvement offre du bonheur car il se sent bien dans sa peau, et donc dans sa vie. Le rythme de la marche permet de libérer les raisonnements qui peuvent parfois rester bloqués.
Le marcheur trouve souvent des solutions en marchant. Dans un de ses ouvrages, le philosophe Nietzsche raconte comment il a eu des idées, tout en marchant.
La marche est aussi un phénomène ethnologique. En prenant le temps pas après pas, la marche permet de fabuleuses rencontres parfois. En se débarrassant d’un certain nombre de choses, le marcheur allège son “sac à dos”. Pour illustrer ce propos, voici la bande-annonce d’un film que j’aime beaucoup: “Saint-Jacques- La Mecque” de Coline Serreau:
En marchant, l’homme va vers des choses plus élémentaires, voire plus essentielles, qui touchent à la faim, à la soif, à la satisfaction de voir de beaux paysages. Tout au long du mois d’avril, j’ai écrit des articles autour du carnet de voyage, notamment sur le parcours de Bernard Ollivier sur la Route de la soie:
Marcher, c’est aussi découvrir la géographie, à côté de chez vous ou vers un ailleurs lointain. C’est surtout un nouveau rapport du corps à l’espace. Cheminer lentement en faisant des efforts modifie la perception de l’espace et du temps.
En traversant des paysages, le marcheur a conscience également de l’endroit où vivent les habitants du coin. Cela permet un autre regard car très souvent, les gens vivent coupés des liens avec l’endroit où ils vivent. En marchant, on est de plein pied sur terre.
Marcher, de nos jours, permet de lutter contre cette humanité assise, qui bouge de moins en moins. Marcher, c’est être dans son existence, et non “marcher à côté de ses pompes”, et qui rend très vivant.
Marcher longtemps nettoie le corps, génère la production de sang dans le cerveau pour mieux l’oxygéner, et provoque l’euphorie. Cela équivaut à une méditation et à tous les bienfaits qui en découlent. Ce n’est pas mal, non, dans cette société au rythme infernal qu’on essaie de nous imposer…!
Renouer avec la lenteur à travers la marche permet d’expérimenter son corps autrement, en le rendant actif. Le marcheur redécouvre la puissance de son corps physique et la force de son mental, après avoir souffert plusieurs heures pour gravir un sommet.
Il recrée aussi un lien étroit avec la nature, en l’apprivoisant et en apprivoisant le temps, qui s’égrène au fil des pas en le savourant. Jean-Jacques Rousseau parle de la marche comme d’une expérience de la liberté.
La sculpture “L’homme qui marche” d’Alberto Giacometti de 1960 est une belle illustration de la pensée en mouvement. La pensée et la création ne se développent pas dans l’immobilité. La marche est un bon moyen de susciter des idées. Le silence accompagnant les pas sur les chemins aide beaucoup.
Cela peut arriver après la souffrance occasionnée par la marche, comme le révèle Théodore Monod dans son livre “Tais-toi et marche”, dans lequel il évoque ses douleurs avec des pieds en sang, par exemple.
Quand nous marchons, notre corps pense. Il ouvre l’esprit. Et quand l’esprit est ouvert, tout est possible en terme de création. Car il n’est plus parasité par le quotidien.
En guise de conclusion
Il m’est très fréquemment arrivé d’avoir des idées d’histoires tout en marchant. J’emporte toujours soit mon carnet de notes soit mon téléphone portable pour noter de suite ces idées. A mes yeux, elles sont précieuses.
“Les seules pensées viennent en marchant” écrivait Nietzsche. Jean Giono préconisait l’exercice de la marche comme forme d’hygiène de pensée. D’ailleurs, le philosophe grec, Aristote, enseignait en déambulant.
Je suis convaincue que la marche stimule intensément le cerveau et lui permet aussi d’être créatif ensuite. La pensée associe toujours le corps et l’esprit. Mais, la marche est riche de pensées si elle est libre, choisie et sans autre objet que de passer un moment avec soi-même!
Je confirme, la marche est un défouloir. Avec des copines, on discute tout en allongeant le pas, seule on médite, et aussi la marche nous guérit de bien des maux du corps et de l’esprit…