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Derrière les grands écrivains, se cachent souvent des provocateurs. Qu’a fait Victor Hugo dans Les Misérables sinon provoquer sur la situation scandaleuse des gens pauvres? La provocation, bien menée et bien maniée, est un précieux instrument pour disséminer des idées. Qu’a fait Molière à part provoquer et se moquer, des médecins entre autre?

On pourrait penser, à tort, que provoquer n’est plus possible à l’heure des réseaux sociaux, qui transforment le moindre trait d’ironie en outrage à prendre au premier degré. La provocation n’est pas forcément là où on l’attend. Tout auteur s’est confronté à la société de son époque.

Nombreux sont les écrivains à avoir mis le feu aux poudres pour créer la polémique. Beaucoup plus qu’on ne le croit. Mais, on l’a oublié. Rappelons-nous que certains auteurs sont passés par la case prison, pour avoir choqué la morale bien pensante de leur époque.

Un écrivain peut choquer

Voltaire, philosophe des lumières du XVIIIe siècle, disait: «Il faut écrire comme on parle.» C’est-à-dire que l’auteur doit exprimer ses pensées et parvenir à faire progresser les idées qu’il défend à travers ses œuvres. L’expression «faire progresser les idées» associé au terme «écrivain» peut signifier, qu’à travers un ouvrage, l’écrivain va chercher à influencer ses lecteurs sur leurs façons de penser. L’auteur peut parfois choquer en contrariant ou en heurtant les goûts du lecteur ou encore en agissant contre la bienséance grâce à différents procédés évoluant selon l’époque, la religion, les régimes politiques, par exemple.

La littérature peut devenir une vraie arme politique. Par le biais de son texte, l’auteur peut critiquer certains aspects de la société, dénoncer une situation qui le dérange ou encore défendre une cause qui lui tient à coeur. Jean de la Fontaine affirmait se servir des animaux pour instruire les hommes.

Ayons toujours à l’esprit que les mots ont un réel pouvoir. On considère tout comme argent comptant. On oublie trop facilement que les mots véhiculent des idées et que les idées finissent toujours par surgir d’une manière ou d’une autre. Les idées des philosophes des Lumières ont mis combien d’années à se répandre avant d’aboutir à la révolution française de 1789? Les idées du livre de Karl Marx, Le Capital, ont mis combien d’années à se répandre avant d’aboutir à la révolution russe de 1917?

Les idées se répandent d’une manière ou d’une autre. La plume devient toujours plus forte que le fer et la tyrannie. Ecrire est donc un moyen pour l’écrivain ou le poète de s’engager et de lutter sans faire couler le sang. User des mots pour défendre une cause ou dénoncer les problèmes de la société devient une force aux enjeux multiples. L’écrivain fait de ses livres une arme essentielle puisqu’avec les mots, il parvient à susciter l’intérêt des lecteurs. De cet intérêt naissent des émotions et des réactions. Les lecteurs ne restent pas insensibles. Jamais. C’est ainsi que l’écrivain parvient avec succès à dénoncer les travers de la société.

La littérature est l’art de dénoncer. Même si on pense qu’un roman est sans intérêt, il y a quand même un élément pour dénoncer: le sort des femmes, le divorce, la tromperie, etc. Le message peut être dissimulé derrière des tournures de phrases ou des métaphores. Le message peut être inconscient. Dans toutes sortes d’ouvrages, quelle que soit l’époque, on peut y lire une dénonciation ou une critique de notre société. Car les livres sont un bon moyen de dissimuler des paroles qui pourraient être néfastes pour leur auteur.

LAURENCE SMITS

Ecrire pour dénoncer les injustices

 A travers ce bref récit publié en 1829, Victor Hugo livre un vibrant réquisitoire contre la peine de mort dans son roman à thèse, qui fit date dans l’histoire de la répression de la criminalité. Bien avant l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Le grand romancier-poète a assisté, à de nombreuses reprises, au “spectacle” de la guillotine. Il s’indignait de ce que la société se permettait de faire de sang-froid ce qu’elle reprochait à l’accusé d’avoir fait.

 L’œuvre de Hugo se présente comme un témoignage brut, à la fois sur l’angoisse du condamné à mort et ses dernières pensées, les souffrances quotidiennes morales et physiques qu’il subit et sur les conditions de vie des prisonniers, par exemple dans la scène du ferrage des forçats. Il exprime ses sentiments sur sa vie antérieure et ses états d’âme.

Bien sûr, le livre, à sa sortie, essuya de nombreuses critiques. Beaucoup parlèrent d’une oeuvre inutile, qui ne faisait pas avancer la cause qu’elle défendait. C’est pourtant un vrai plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort.

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Comme tout individu, l’écrivain n’est qu’un pur produit de son époque, parfois un peu trop en avance sur son temps. Ses écrits reflètent le contexte historique, social et idéologique dans lequel il évolue. S’il est de son temps, l’écrivain peut également être en réaction contre son temps. L’histoire littéraire est jalonnée de romanciers considérés, à leur époque, comme des agitateurs, des troublions, des empêcheurs de tourner en rond, tels que Sade, Cervantès, Villon.

Ils ont osé donner un coup de pied dans la fourmilière. Ils ont aussi engendré des formes d’écriture nouvelles. Néanmoins, ce que nous jugeons insolent de nos jours ne l’était peut-être pas à l’époque des écrivains agitateurs et pourrait le devenir davantage à l’avenir.

De toute façon, la plupart des mouvements artistiques se font une place à coups de provocation et de scandale. Les surréalistes détestaient Anatole France, parce qu’il symbolisait la France de 1924. Il était en dehors du temps qui agitaient les surréalistes.

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Dire la vérité dérange

Nous vivons dans un monde fondé sur des conventions plus ou moins arbitraires. Ce n’est pas forcément typique de notre époque. Cela a toujours existé. C’est sûr que dire la vérité libère l’écrivain. Mais, elle dérange. Les vérités ébranlent, secouent, scandalisent. En son temps, Socrate était un vrai provocateur. Il utilisait l’ironie pour provoquer, sans en avoir l’air. Il feignait l’ignorance pour mettre ses interlocuteurs en confiance. Cette technique provoquait des réactions de colère et certains débateurs quittaient la discussion séance tenante.

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A l’époque du philosophe grec, dire la vérité était considéré comme une vertu politique. Cela permettait à tout citoyen de s’exprimer avec franchise face à ses concitoyens. Il semblerait que ce principe soit devenu le contraire à notre époque, non? Il semblerait que celui qui dit la vérité est sali par la vindicte populaire. Curieux, non?

Que dire de Charles Baudelaire qui affichait un goût très prononcé pour la provocation, qu’il affichait aussi dans sa vie privée, en vivant notoirement avec une femme noire? Que penser d’Arthur Rimbaud, au regard et à l’allure angélique, qui écrivit le sonnet du trou du cul avec Paul Verlaine?

Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
À travers de petits caillots de marne rousse
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.

Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C’est l’olive pâmée, et la flûte câline,
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !

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La vie de Colette a fortement dérangé ses contemporains. Toute sa vie, elle a cherché à s’émanciper du modèle bourgeois qu’elle reçut pour son éducation. Elle n’a pas hésité à aborder, sans détour, l’épineuse question de la bisexualité dans la série des Claudine. Elle a scandalisé la société parisienne de la Belle-Epoque. L’écrivaine se sentait libre et curieuse de tout, bien qu’elle ait été jugée comme sulfureuse. On lui refusa un enterrement religieux en 1954. Mais, elle obtint des obsèques nationales!

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Peut-être, et sans doute, notre époque préfère ignorer les vérités sous des couches de vernis. Est-ce préférable? Je vous laisse juge…

Des livres qui ont fait scandale

Chef-d’œuvre de la littérature française, longtemps interdit, censuré voire oublié, avant d’être reconnu pour ses qualités littéraires exceptionnelles et l’acuité psychologique de son auteur officier de l’armée, comme le roman du siècle des Lumières, Les Liaisons dangereuses fascinent toujours autant pour la perversité qui ne se dément pas aujourd’hui.

Gustave Flaubert choque la bonne société par les idées qu’il propage, mais impose son style dans cette œuvre majeure de la littérature française et mondiale. Refuser son statut de femme bourgeoise et sage et lui préférer une recherche de l’idéal à travers l’adultère était une idée insupportable en ce milieu du XIXe siècle. Cela lui vaudra même un procès pour « offenses à la morale publique et à la religion ».

Baudelaire scandalise très vite une société encore conformiste et sclérosée par des principes moraux, au point de lui intenter un procès et de le condamner pour « passages ou expressions obscènes et immorales. » Aujourd’hui ce recueil est considéré comme une œuvre majeure de la poésie moderne, symbole d’une beauté artistique universelle.  

Ulysse est un pavé de plus de mille pages qui raconte ce qui se passe à Dublin un jour de l’année 1904. Contournant les règles orthographiques et n’hésitant pas à parodier différents styles littéraires, James Joyce reprend le long voyage d’Ulysse dans l’Odyssée, mais pour en faire l’errance sexuelle d’un homme chaste qui attend sa Pénélope. Interdit aux États-Unis jusqu’en 1934 pour cause d’obscénité, il est considéré aujourd’hui comme un monument de la littérature mondiale, certains n’hésitant pas à le qualifier de « cathédrale de prose ». 

 C’est la frustration sexuelle qui pousse la jeune héroïne à collectionner les amants jusqu’à sa rencontre avec le garde-chasse de son mari, avec qui elle connaîtra une entente sexuelle et sentimentale ardente. La sexualité comme retour à la vie pour ses deux naufragés de l’amour, le sexe raconté de façon si explicite qu’il introduira le terme « fuck » dans la littérature mondiale, le niveau de langue familier et la relation scandaleuse de cette jeune aristocrate avec un ouvrier en fait l’un des brûlots les plus puissants des lettres internationales. Sa publication en 1960 en Angleterre et son acquittement au procès qui était intenté à D.H Lawrence marquera le début d’une ère nouvelle de libéralisation des mœurs et de la société.

Ce roman a été écrit à la suite d’un pari, sous le pseudonyme de Vernon Sullivan. Ce pastiche de roman noir met en scène la vengeance d’un métis après le lynchage de son frère, dénonçant le racisme et la ségrégation avec une force de conviction et un style flamboyant qui ne l’empêchera pas d’être interdit en 1949. Boris Vian, révélant qu’il en est le réel auteur, se verra condamné pour outrage aux bonnes mœurs, ce qui le fera entrer dans le panthéon des auteurs controversés mais aussi des plus remarquables. 

Le livre de Simone de Beauvoir n’est pas un livre militant mais un bilan sur le fait d’être femme au XXe siècle. « On ne naît pas femme, on le devient. » restera sans nul doute une des formules les plus célèbres. Le statut de la femme n’est pas imputable à un état mais à des conditions entretenues et renouvelées par l’homme. Révolutionnaire et visionnaire, l’essai philosophique a choqué la société masculine bien-pensante. Il est encore aujourd’hui un ouvrage d’espoir et d’élan libérateur pour beaucoup d’entre nous, et pas seulement pour le genre féminin. 

Publié le 15 mars 1954, alors qu’elle n’a que 18 ans, Bonjour Tristesse de Francoise Sagan fait une entrée tonitruante dans le monde des lettres françaises, faisant couler des torrents d’encre scandalisée de tant d’audace émancipatrice chez une femme, se moquant au passage d’un esprit bourgeois étriqué.

Jugée tour à tour perverse, pornographe et pédophile, l’histoire de cette relation incestueuse entre un homme de 37 ans et sa belle-fille âgée de 13 ans choque par l’horreur qu’il décrit, mais avec une subtilité poétique telle qu’il évite la description glauque de l’horreur criminelle qu’il raconte. Suscitant scandale et censure immédiate, Lolita de Vladimir Nabokov est désormais considéré comme une des œuvres les plus importantes de la littérature mondiale.

Violence, pornographie, le tout en associant inhumanité, cruauté et capitalisme ne pouvaient laisser indifférent dans ce roman sulfureux. Un doux parfum de scandale domine l’accueil critique de ce livre publié après « les années fric » mais ce cauchemar est-il vraiment improbable ? American psycho aura permis de révéler un des grands auteurs américains contemporains, Bret Easton Ellis.

En guise de conclusion

Je reste convaincue de ce fait: les écrivains sont des militants. De tout temps, et encore de nos jours dans certains pays, ils subissent la censure. Les écrivains n’ont pas forcément la vie facile. J’aurais pu citer encore tellement d’autres écrivains, qui ont dénoncé, fait avancer les idées. J’aime à considérer que les livres ne sont pas juste des pages qu’on tourne pour passer le temps.

Certains auteurs ont fait et font le choix de choquer, de dénoncer et de déranger leurs contemporains. Pour le meilleur et pour le pire. Si certains régimes politiques censurent leurs auteurs, c’est qu’ils savent que les mots ont un pouvoir considérable qu’on peut difficilement arrêter. Certains écrivains manient mieux les mots que les dirigeants ne le font avec leurs armes.

Même de nos jours, la littérature a bien plus de pouvoir que ce que l’on peut supposer. Les auteurs peuvent faire changer la vision du monde. N’en déplaise aux “politiciens” de tous bords de tous pays!


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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