Crédit photo: sacally.typepad.com

Ces mots n’émanent pas de ma personne, mais de l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt de l’académie Goncourt. Pour lui, la poubelle est la compagne de l’écrivain. Voilà une bien étrange constatation. Voilà un conseil qu’on ne serait pas enclin à suivre de la part d’un écrivain qui a vendu plus de 20 millions de livres.

Mais, c’est un fait. Personne ne peut écrire un livre d’un premier jet, comme ça, sans relire ni rien corriger. C’est impossible. On peut être satisfait, voire content, du premier jet écrit, mais c’est l’ego qui parle alors. On ne peut pas publier un livre en l’état. C’est un respect vis à vis de soi, mais surtout vis à vis du lecteur. On lui doit le meilleur.

Un premier jet, sur papier ou ordinateur, c’est un brouillon, une première version, une ébauche. Alors, c’est normal de jeter cette ébauche une fois que le texte a été amélioré. Bien écrire, c’est d’abord trouver des idées et brouillonner.

Pour écrire cet article, je me base sur un article de Lire Magazine de juillet-août 2021.

Savoir écrire, c’est savoir jeter

Pendant de nombreuses années, Eric-Emmanuel Schmitt s’est reproché de jeter ses textes ébauchés, avancés, voire achevés. Il était alors furieux contre lui-même. Il se sentait en échec sévère. Il se lamentait sur sa médiocrité et sa pauvre production. En un mot, il se haïssait. Il se sentait malheureux et il endurait d’interminables et épouvantables semaines à ressasser au lieu d’avancer.

Il sait maintenant qu’il n’aurait jamais dû se lamenter ainsi. Il ne savait que son geste de jeter lui avait été bénéfique. Il sait maintenant qu’il avait raison de détruire ses productions. Il se croyait faible en agissant ainsi, alors qu’en fait c’était un acte d’une force incroyable.

Voilà donc que nous devons reparamétrer toutes nos croyances. Nous sommes dans l’erreur. C’est un échec de croire que le fait de rater est une chose négative. Dans la culture anglo-saxonne, être en échec n’est pas un échec. C’est une étape pour mieux rebondir et avancer en apprenant de ses erreurs. Dans la culture francophone, il en est tout autre.

On est en échec quand on est incapable de tirer des conclusions de ses échecs. On peut rebondir après un échec. Evidemment. Que fait un bébé quand il tombe? Abandonne-t-il et reste-t-il par terre toute sa vie? Bien sûr que non. Il se relève et tente de multiples fois avant de vraiment marcher. Il en est de même pour l’écriture.

Eric-Emmanuel Schmitt- Crédit photo: generations-plus.ch

Pour Eric-Emmanuel Schmitt, c’est clair: il faut jeter. Bernard Werber donne le même conseil. Il a écrit plus de 100 versions de son premier livre, “Les fourmis” qu’il a mis 12 ans à achever. Il recommençait une nouvelle version en faisant table rase de celle qu’il venait d’écrire.

L’auteur qui n’a rien bazardé n’est pas un auteur. Pire, il n’existe pas. Se débarrasser de ses textes appartient à l’apprentissage de l’écriture, puis à la vie de l’écrivain. S’améliorer dans le domaine de l’écriture passe par l’étape de la poubelle. Progresser passe par la poubelle, même si ce conseil paraît difficile. C’est un ménage compliqué à mettre en place, mais nécessaire.

Surmonter son narcissisme

Jeter, c’est indéniablement surmonter son narcissisme, son ego qui crie au scandale parce qu’on a jeté des feuillets. L’ego va vous faire croire que vous êtes un génie. Il est là pour ça. On s’accorde, de manière générale, trop d’importance. Ce n’est pas parce que nous avons rédigé quelques pages qu’elles sont bonnes. C’est quand une page est bien qu’il faut la jeter. Le génie, selon Eric-Emmanuel Schmitt, se situe dans l’oeuvre, pas dans l’homme.

Il existe en effet une dichotomie entre l’écrivain et son oeuvre. C’est l’oeuvre qui est géniale, pas l’écrivain. Prenons l’exemple de Gustave Flaubert au XIXe siècle. Il se présentait comme un laborieux minable, détestable, insuffisant, qui a fini par produire un bijou, à force de sueur. Flaubert ne s’est jamais aimé. Cependant, il est parvenu à aimer quelques romans ou nouvelles qu’il a créés.

Gustave Flaubert- Crédit photo: linternaute.fr

Jeter pour diagnostiquer

Peu importe si les débuts sont brillants, si vous vous perdez par la suite. Si vous ne trouvez pas la fin de votre roman, de votre nouvelle, de votre pièce de théâtre, c’est qu’il y a un problème d’écriture de base. Ecrire un livre, c’est comme en architecture: on construit peu à peu. Cela doit donc être une construction solide pour éviter que la base en s’envole ou ne se détruise.

Dans ce cas-là, il faut repartir de zéro et tout réécrire depuis le début. Ecrire, c’est travailler sans relâche. Ecrire, ce n’est pas du bricolage où on reprend son texte pour coller des pansements ou des rustines. Reprendre toute l’écriture est nécessaire. Peu importe si vous recommencez 50 fois.

Il vaut mieux vous alléger, vous libérer plutôt que de vous encombrer d’une mission devenue impossible. Quand vous arrivez dans une impasse, que faites-vous en temps ordinaire? Vous faites demi-tour et vous suivez un autre chemin. C’est la même chose en écriture.

Crédit photo: ornikar.com

Jeter, c’est être rigoureux

Jeter, c’est manifester une certaine forme de rigueur. Le but n’est pas de fabriquer un livre de plus qui risquerait de ne pas se vendre. Jeter vos feuillets prouve au contraire que vous êtes un excellent critique. C’est de cette manière que vous parviendrez à devenir l’écrivain que vous rêvez d’être.

Jeter vos écrits, paradoxalement, c’est aussi garder l’estime de soi. Bien évidemment, vous êtes déçu. Ce que vous avez écrit ne correspond pas à vos attentes. Vous vous sentez blessé et humilié d’avoir jeté vos feuilles à la poubelle. C’est normal. Qui apprécierait de jeter parfois des mois de travail? Mais, en agissant ainsi, vous ferez taire cet ego épouvantable et vous aurez une meilleure connaissance de vous-même. Vous aurez vaincu de terribles résistances.

Nous sommes bien d’accord: vous ne pouvez pas rester à un piètre niveau. Vous souhaitez le meilleur pour vous-même et vos futurs lecteurs. Vous leur devez bien ça! De plus, vous en êtes parfaitement capable!

Jeter ne rime pas avec abandonner son rêve d’écriture. Loin de là. C’est une étape nécessaire dans le processus d’écriture. Une idée en pousse une autre, c’est bien connu. A force de réécrire votre texte, vous aurez plus de facilité à exposer clairement votre pensée. Notre cerveau n’est pas conçu pour réfléchir et écrire en même temps. Il est pratiquement impossible d’avoir des idées et de les retranscrire en même temps en phrases sensées. Pour notre cerveau, cela revient à faire deux opérations contradictoires. D’où l’importance de réécrire ses textes par la suite.

Ecrire, c’est:

  • trouver des idées
  • faire des brouillons
  • structurer
  • faire attention à la langue
  • réviser la langue
  • réviser le style
  • mettre le texte en page

J’arrête là, juste pour vous montrer que ce n’est pas possible que les premiers jets soient de bons textes. Faire venir les idées et dans le même temps, les retranscrire sous forme de phrases, c’est prendre le risque que le texte en question manque de lisibilité.

Quand on a un texte à écrire, à quoi bon se jeter sur son clavier d’ordinateur ou griffonner des centaines de pages sans s’arrêter?

Ecrire, c’est jeter, sélectionner, s’inspirer, s’orienter et recommencer. On écrit, on avance, on supprime, on recommence. Les pages de brouillon en sont pas faites pour devenir définitives.

En guise de conclusion

Eric-Emmanuel Schmitt conseille de jeter le plus possible de pages. La taille de notre poubelle sera proportionnelle à celle de notre exigence. Elle constituera le juste appui de notre ambition. Seules les pages jetées conduisent aux pages réussies.

Soit un reste un écrivaillon, un auteur qui reste dans l’ombre, soit on devient un écrivain. Il n’est d’aucun intérêt de garder ses brouillons. Vous pouvez garder précieusement tout ce que vous écrivez, comme des choses possédant une grande valeur. Avec le temps, vous comprendrez que vos brouillons n’ont aucune valeur. Vous vous encombrez inutilement à tous les niveaux.

Vous devez garder que ce qui recèle de l’importance. Le reste, c’est du superflu. Il est possible que vous lisiez des conseils contraires de celui prodigué dans cet article. J’ai souhaite développé cette idée d‘Eric-Emmanuel Schmitt qui me paraissait contraire à tous les conseils que j’avais pu lire jusqu’à maintenant.


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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  • Un sujet de réflexion très intéressant ! Si Eric-Emmanuel Schmitt me désarçonne, j’adhère sans conteste à la citation de Boileau. La méditation est lancée. Merci pour cet article.

  • Un excellent texte peut malgré tout rester méconnu. Et des textes souvent très moyens ont du succès (je ne citerai personne). C’est à se demander comment il faut écrire, pour vendre.

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