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Saviez-vous que dire “au coiffeur” n’est plus vraiment une faute, que l’Académie française, c’est du flan, que l’Edit de Villers-Cotterêts du temps de François Ier est un mythe, que, jusqu’au XIXe siècle, le français est la langue de seulement quinze départements, que Brassens et Gainsbourg n’accordaient pas toujours les participes passés dans leurs chansons? Saviez-vous qu’aujourd’hui, quoi qu’on en dise, la langue française se porte à merveille?

Dans leurs chroniques iconoclastes, parsemées de révélations cocasses et troublantes, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, deux comédiens belges qui furent en leur temps professeurs de français passionés de linguistique, réinventent notre rapport à la langue avec humour et ironie dans leur livre, “Le français n’existe pas”, publié aux éditions LeRobert, adapté de leurs chroniques de l’été sur France Inter, “Tu parles!”.

Parcourir leur livre et leurs réflexions est un exercice totalement décomplexé et vivifiant, qui n’épargne pas les puristes, qui bouscule les idées reçues et qui redore le français de couleurs nouvelles! Ces deux auteurs sont des amoureux de la langue française et ils remettent en cause nos certitudes grammaticales et orthographiques, de quoi décomplexer tout le monde.

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron sont tous deux enseignants et linguistes de formation. En 2016, ils écrivent et mettent en scène le spectacle “La Convivialité” à Bruxelles, qui montre les incohérences de l’orthographe française. Ils jouent depuis leur spectacle dans toute la francophonie avec grand succès. En 2017, ils publient le texte de leur spectacle, “La Faute à l’orthographe” et, en 2019, ils chroniquent avec humour la langue française sur France Inter.

Au-delà des pièces destinées aux salles de spectacle, la compagnie cherche également à nourrir le débat public au sens large et a toujours eu à cœur de multiplier les approches afin que les fruits de la recherche sortent du cadre académique. 

Crédit photo: Radio France.fr

En 2018, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron relaient par exemple dans la presse une proposition de réforme des accords du participe passé avec l’auxiliaire avoir qui émane du Conseil de la langue de la FWB. Leur tribune rencontre un grand retentissement dans la presse internationale. Ils ont ensuite présenté des chroniques de linguistique sur France Inter en 2019 et publié en 2020 “Le français n’existe pas” aux éditions Le Robert.

Arnaud et Jérôme sont également à l’initiative de la création du groupe des Linguistes atterés et de la publication du tract Gallimard “Le français va très bien merci”, qui s’est coulé à plus de 40,000 exemplaires à ce jour. Le travail de leur compagnie vise également un public plus spécialisé à travers des formations pour les enseignants ou les autres acteurs et actrices de l’école, des participations à des colloques universitaires ou à des webinaires. 

Selon les deux auteurs belges, l’orthographe n’est pas un ennemi. Il est vrai qu’elle est souvent injuste et démoralisante, que de nombreux élèves perdent des points à cause de règles souvent ingrates. Ce n’est pas toujours l’orthographe qui a raison! Les deux auteurs belges s’attaquent au tabou ultime: peut-on remettre en question les sacro-saintes règles qui régissent l’orthographe?

Cette orthographe française, passionnante et chamboulée, a des évidences et des mystères, elle a des logiques et des aberrations. Il est tabou, notemment en France, de remettre en question les règles de l’orthographe bien établies depuis si longtemps. Si l’on peut réfléchir, débattre, questionner toutes les règles, celles d’une société, celles d’un Etat, même celles d’une science, pourquoi une discipline comme l’orthograhe en serait-elle exonérée? Pourquoi vivre en démocratie et s’auto-imposer la dictature de l’orthographe?

Certaines personnes les ont accusés d’agresser la langue française, de vouloir tout saccager, tout détruire, de vouloir achever le travail qu’auraient entamé l’anglicisation de notre société et la faillite de l’Education nationale. Pourquoi voudraient-ils faire cela? Cela équivaudrait à dire que si on ne vénère pas le français, c’est qu’on ne l’aime pas! Si on ose critiquer, cela singifierait qu’on détruit!

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron ne cherchent pas à détruire la culture française. Le français est la langue maternelle de la plupart des francophones, quelle que soit leur nationalité. On oublie trop souvent qu’on parle le français depuis bien plus longtemps à Namur qu’à Marseille ou à Bordeaux. Rappelons-nous que la France ne représente qu’un quart des francophones de ce monde, et tous les francophones ne rêvent pas d’être Français.

Le problème en français est qu’il existe un trop grand écart entre l’injonction au respect d’une norme et la variété des pratiques réelles, qui mériteraient d’être valorisées dans ce qu’elles ont de riche, d’utile, voire de nécessaire. C’est le travail des linguistes. Aimer une langue, ce n’est pas respecter aveuglément une norme immuable.

Crédit photo: tdg.ch

Respecter à la lettre l’orthographe valorise les uns et culpabilise les autres. Pour qu’une évolution soit possible, il faut suspendre le jugement. Pour que les gens se permettent d’essayer, il faut qu’ils cessent d’avoir peur de se tromper. Cela ne veut pas dire tout permettre. Ce n’est pas le propos des auteurs. Quelques points à modifier et on permettrait ainsi de libérer la langue et de donner l’envie de la langue. Elle autoriserait à penser, au lieu d’entraver notre esprit critique.

Le français quotidien est un lieu d’expérimentation, d’observation, qui confère un peu de liberté. Il nous donne le goût de la langue. Quand on parle de langue française, on est poussé à devoir prendre une des positions extrêmes: ne rien changer ou tout accepter. En tout cas, le crédo d’Arnaud Hoedt et de Jérome Piron, c’est la modération.

Cette affirmation n’est pas de moi, mais du philosophe Jean-Marie Klinkenberg, qui prononçait cette phrase en commençant son cours de linguistique à l’université de Liège, en Belgique. Les linguistes étudient la langue telle qu’elle est, et non telle qu’elle devrait être. Les puristes, eux, ce sont plutôt les curés de la langue, selon Hoedt et Piron.

Il existe une multitude de français. Le français qu’on apprend à l’école est UN modèle de français, ou plutôt le “français académique”, celui de la grammaire scolaire. Nous parlons toutes et tous bien plus que nous écrivons.

Jean-Marie Klikenberg- Crédit photo: klikenberge.ulg.ac.be

Le français possède 26 lettres dans son alphabet, mais la langue française possède 36 sons. Ces sons varient en fonction de l’âge, de l’accent, du milieu social, etc. Ce qu’on appelle le “bon français” est avant tout le français des livres. Le problème, c’est que nos modèles scolaires sont presque exclusivement graphiques, voire orthographiques.

Le français scolaire ou académique n’est qu’une vision de la langue et de ses usages, mais cette vision n’est pas toujours suffisante. Notre langue est bien plus riche et bien plus subtile que ce que certains donneurs de leçons veulent bien nous le laisser entendre.

Selon Hoedt et Piron, il n’y a qu’en France qu’on pense que l’orthographe, c’est la guerre. L’accord du participe apssé ne sert plus à rien. Il est désuet et reflète une époque à jamais disparue. La plupart des gens oublient de faire cet accord du participe passé employé avec l’auxiliaire ‘avoir’. Même les écrivains, parmi les plus célèbres, ont oublié de faire l’accord dans leurs romans, sans parler des hommes et des femmes politiques.

Dans les débats sur l’orthographe, ce qu’on a perdu, c’est surtout le sens des proportions. On tente de nous faire croire que la langue est parfaite et que la moindre modification serait une perte irrémédiable, qu’on ne pourrait toucher sans lui tondre le crâne. On oublie trop souvent qu’l y a deux plateaux sur la balance et on conserve une règle avec 22 pages d’exceptions parce qu’on a trouvé un exemple rigolo.

Crédit photo: lemonde.fr

On passe, en France, des dizaines d’heures à étudier l’accord du participe passé. Sans grand résultat, faut-il le rappeler.

Il y a, sur Internet, des gens qui aiment encore passer leur temps à commenter, pas toujours gentiment, l’accent circonflexe oublié, par exemple, plutôt que de s’intéresser aux arguments. Certaines personnes sont même très sourcilleuses vis à vis des autres… beaucoup plus que pour elles mêmes, soit dit en passant! L’enfer est pavé de bonnes intentions…Ces redresseurs de torts linguistiques, je ne les apprécie guère…Se comportent-ils vraiment en chevaliers de l’orthographe à toujours donner des leçons?

La grammaire dans l’esprit des puristes est aussi bien rangée qu’une maison témoin. Pour ces gens-là, leur grammaire est un dogme. Pourtant, ils n’écrivent pas, ou plutôt se contentent de tout critiquer derrière des pseudos, n’assumant pas de révéler leur non. Juges et critiques, mais pas téméraires pour deux sous…

Avec la grammaire, certaines et certains se donnent le droit d’insulter; des insultes qui reçoivent que anciennement Twitter, devenu X, un succès indéniable d’après le nombre de likes. Ils se pensent sans doute malins en pointant les ‘fautes’ d’accord trouvées sur Internet, en se permettant de préjuger du niveau intellectuel des gens à partir des erreurs qui se sont glissées dans leurs messages. Cela ne coûte pas bien cher de se montrer supérieur aux autres en montrant que l’on maîtrise mieux le code social que les autres… et surtout ils flattent …quoi? ben, leur égo surtout!

Pour Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, l’Académie française, c’est du flan. C’est une institution érigée sous Louis XIII, en 1635. Au départ, c’est une idée de Richelieu qui a trouvé cette idée pour s’accorder les grâces des écrivains de la Cour en les mettant sous sa coupe. Cette institution a survécu, quand même, à cinq républiques. La Révolution française l’avait supprimée en 1793 et elle a été réhabilitée par Louis XVIII.

L’Académie se contente de valider une langue qui dure dans le temps, langue écrite, validée par les grands écrivains qui s’en sont emparés. Elle penche plutôt vers Maurice Druon que vers Frédéric Dard! Cette vénérable institution prétend promouvoir les formes “correctes” et combat les “abus de langage”. De nos jours, c’est Google ou Twitter/X, ce sont les francophones eux-mêmes qui attestent des pratiques réelles de la langue.

Pendant 400 ans, l’Académie française a fait reculer le féminin dans la langue, en refusant d’intégrer à son dictionnaire des termes comme “autrice” ou “peintresse”, alors que la féminisation des mots était monnaie courante au Moyen-Age. Cette institution était exclusivement masculine jusqu’en 1980. Depuis cette date, seulement 9 femmes y sont entrées. Il faudra attendre 2019 pour que la vénérable Académie accepte enfin la féminisation des noms de fonctions et de métiers.

L’Académie a un sérieux problème: elle n’est que française. Elle est tout à fait illégitime pour régenter la langue de 300 millions de francophones dans le monde. A quand une véritable Académie francophone? demandent Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. Ce qui manque au français, c’est une corrdination francophone, avec ou sans flan académique.

Crédit photo: orientxxi.info

Les francophones adorent l’étymologie, qui leur permet surtout de briller en société. En parlant français, soyons conscients qu’on fait des fautes de latin. A qui apprend-on que le mot “chrysanthème” aux origines grecques signifie “fleur dorée”? Franchement, a-t-on vraiment besoin de connaître l’histoire des mots pour les raconter?

L’histoire des mots ne doit pas empêcher l’évolution de l’orthographe. Nous faisons évoluer le sens des mots, car c’est en perpétuel mouvement. Les langues, comme l’espagnol, l’allemand, le néerlandais, l’italien écrivent leurs mots comme ils se prononcent. Ce sont des langues aussi nobles que le français. Alors pourquoi ne pourrait-on pas arriver au même résultat en français? Cela résoudrait bien des problèmes …

L’espagnol et l’italien ont autant de racines que nous, autant d’histoire que nous, autant de patrimoine que nous. Ces langues respectent le principe fondateur de l’orthographe latine: le principe phonétique, alors que le français a gardé le principe étymologique depuis la Renaissance, pas toujours de manière judicieuse, à vrai dire.

Bien évidemment, je n’ai fait que résumer les propos d’Arnaud Hoedt et de Jérôme Prion dans leur livre “Le français n’existe pas”. Je vous ai résumé 44 pages de l’ouvrage. Il faudra donc patienter pour lire la suite de leurs aventures. J’apprécie leur point de vue, car les deux auteurs abordent des notions qui bloquent souvent les utilisateurs.

Pourquoi met-on autant d’affect et de rigidité pour une langue, le français, qui sert à échanger des informations d’une grande banalité, la plupart du temps. Et si la faute, selon les deux auteurs, était le véritable génie de la langue? Cela en froisserait plus d’un…

La Semaine de la langue française et de la Francophonie a eu lieu du 16 au 24 mars 2024. Le français est la langue officielle des Jeux olympiques, tout comme l’anglais, depuis 1896. Selon les prévisionistes, notre langue serait la langue la plus parlée au monde en 2050, utilisée par 750 millions de personnes, dont une majorité en Afrique subsaharienne. Molière rattraperait-il Shakespeare, après quelques siècles de suprématie de l’anglais? J’ai hâte de voir..


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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