Vous l’avez bien sûr deviné: l’extrait que je vous ai proposé pour la proposition d’écriture N° 159 était issu du chapitre 1 du roman “Le Joueur” de Fiodor Dostoïevski.

J’ai lu ce roman il y a peu. 

C’est un exercice intéressant que d’offrir un extrait et de composer une histoire à partir de là. L’imagination peut s’enflammer… 

Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture.

De Gérard

Je fourrais en vitesse les 166000 roubles que j’avais obtenu en échange des 2000 francs suisses dans les poches de mon blouson.
Le « général » me héla :

– Laissez Micha et Nadia dans la salle de jeux, accompagnez-moi, je souhaite me dégourdir les jambes.
-A vos ordres, monsieur le Président !
J’accompagnais le Président, alias le « Général » pour le personnel de l’hôtel, sur le front de mer de Sotchi, au bord de la mer Noire.
Nous étions seuls, ce moment je l’espérais depuis de nombreuses semaines. Dans la poche de mon blouson, je bipais discrètement mes collègues de la DGSE qui attendaient patiemment dans une anonyme LADA Granta, dans la rue Kooperativnaya. Quatre coups très brefs, c’était LE signal.
Le Président était détendu, sous son apparence tronquée de général en permission. Il échappait pour plusieurs jours au très rude stress du Pouvoir, ce qui ne lui était guère arrivé depuis ce maudit jour du 24 février qui avait vu le déclenchement de l’invasion. Arrivés au croisement de la rue Voykova, la GRANTA grise arriva à notre hauteur, le « Général » s’en étonna, se tourna vers moi au moment où la portière arrière droite s’ouvrit, écarquilla les yeux quand je le poussais brusquement à l’intérieur, une main se refermant sur son nez, l’envoyant immédiatement dans les bras de Morphée.
La portière avant droite s’ouvrit à son tour, je sautais à bord du véhicule :
– Bravo les gars, et maintenant direction Gagra, la frontière géorgienne n’est qu’à une trentaine de kilomètres.
À Gagra, nous changeâmes la LADA pour une MERCEDES, direction l’Arménie où nous attendaient fébrilement nos collègues.
Deux jours plus tard, quand je remis le criminel de guerre Vladimir POUTINE aux responsables de la Cour Pénale Internationale, moi, Hubert Bonnisseur de La Bath, j’avais atteint mon rêve : j’étais devenu aux yeux du monde entier le premier grand héros du XXIème siècle.

De Coralie

Je laissais les deux demoiselles au bon soin d’un portier, ravi de leur tenir compagnie en échange d’un petit billet et je me rendis rapidement dans les appartements du général. Une femme dans sa suite, cela avait toujours fait jaser et j’avais le dos large. Chaque fois qu’on venait m’annoncer qu’il voulait me voir, le message était agrémenté d’un petit regard en coin, d’une œillade appuyée ou d’un sourire entendu. Il n’en fallait pas plus pour que je comprenne les sous-entendus graveleux que cela masquait à peine.
Toutefois, je savais pourquoi j’étais là.
« Mon général, vous m’avez fait appeler. »
Il m’invita à entrer et à prendre place dans l’un des fauteuils de sa chambre.
« Oui, j’ai besoin de toi pour une tâche bien particulière et je ne fais confiance à personne d’autre pour ça. »
Après m’être installée, je lissais d’une main ferme les plis dessinés sur ma jupe de tailleur et plongeais mon regard dans l’azur des yeux du général. Il était plutôt bel homme et il m’était arriver de rêver de quelques moments intimes à ses côtés, pourtant, ce n’était pas mon rôle, contrairement à ce que disaient les racontars, mais je devais le laisser croire. Toutefois, lorsque j’étais seule avec lui, je me reprenais et buvais ses paroles avec attention et professionnalisme.
-Vous sentez-vous à la hauteur de cette mission, Mathilda ?
D’un signe de tête entendu, je lui indiquais que oui. Il en fut ravi et retourna à ses affaires. De nombreux dossiers s’entassaient déjà sur son bureau alors que nous venions d’arriver. Depuis que le climat politique était aussi tendu, nous étions amenés à beaucoup voyager et il devait rencontrer de nombreux hauts représentants et émissaires. Les hommes de pouvoir voulaient s’assurer du soutien de l’armée sur de nombreux fronts et il faisait partie de ces grands hommes qui devaient réussir à faire la part des choses entre honneur, devoir et nécessité.
Je l’avais toujours admiré pour sa capacité à voir clair dans le jeu des hommes et à réussir à tirer le meilleur de chacun. Il avait ce don de reconnaître les compétences et les défauts de celles et ceux qu’il croisait et de les exploiter au mieux. Parfois, il m’apprenait quelques astuces que je me plaisais à réutiliser.
Alors qu’il travaillait, je restais assise à le regarder, je vérifiais mes ongles ou le contenu de mon sac. Il me fallait attendre avant de quitter la pièce. Ma mission avait commencé et je devais conforter l’illusion à laquelle tout le monde souhaitait croire. Après un laps de temps qu’il estima suffisant, il me fit un petit signe de tête. D’une main, j’ébouriffais rapidement ma chevelure et, portant ma main devant mon visage, j’étouffais quelques cris. Je défis le lit du général, déposai une boucle d’oreille sur la moquette et quittai ses appartements sans un regard.
Une fois sortie, je fis mine de remettre ma chaussure dans le couloir et de l’ordre à mes cheveux. En chemin vers ma chambre, je pris soin de croiser de nombreuses personnes qui échangèrent sourires complices et regards entendus entre eux. Quelques rires saluèrent mon passage et, une fois arrivée, je savais que j’avais réussi la première partie de ce qui m’était demandé. Le soir venu, je réitèrerai le scénario, en attendant, il fallait que je joue la suite de la partition. En un clin d’œil, je changeai de toilette et me recoiffai proprement. J’avais désormais l’air d’une femme du monde, en uniforme vert et talons plats.
Je retournais bien vite voir l’homme à qui j’avais confié Nadia et Micha afin de le remercier. Après avoir envoyé un baiser soufflé dans sa direction et l’avoir vu rougir, je repris les laisses des chiennes et entreprit de les emmener en promenade.
Sur le trajet, je fis de nombreux détours : la mairie de la ville, l’hôtel de police, l’école – à l’heure de sortie des enfants, je pris un moment de repos sur l’un des bancs du parc, au milieu des badauds, allongés sur l’herbe, bavardant entre eux ou jouant joyeusement. Ma journée fut bien remplie. J’eus même le temps de passer dans quelques supérettes récupérer des douceurs et des souvenirs. Mon rôle de femme à tout faire était exécuté à merveille. Une vraie petite servante, prête à sortir les chiens de son patron et à faire les boutiques.
Je ne pus m’empêcher de sourire en rentrant à l’hôtel, les bras chargés de sacs, les joues rougies par le vent frais. Quelques hommes vinrent m’aider à porter mes achats et je les en remerciais bien. L’un d’entre eux eut l’audace de me demander un rendez-vous, mais je lui susurrai à l’oreille que mes services étaient réservés au général. Il rougit et s’éclipsa avec mes emplettes, les portant là où je le lui avais demandé.
Afin de me remettre de ma journée, je décidai de passer mon avant-soirée au bar de l’hôtel. Peut-être pourrais-je y rencontrer quelques messieurs bavards avec qui faire la causette, ou pourrais-je prendre un peu de repos, en écoutant un morceau ronronner en fond sonore.
J’eus la chance d’être courtisée par des hommes hauts placés qui m’expliquèrent en détails leurs fonctions et les plans qu’ils avaient pour être encore plus riches ou plus puissants. Je faisais mine de n’y rien comprendre, de les trouver fort intelligents, beaux ou sympathiques selon ce qu’ils avaient envie d’entendre. Parfois, l’un d’entre eux posait la main sur mon épaule, d’autres fois sur ma hanche et je riais en leur souriant.
J’allais commander un cocktail lorsque le général me fit de nouveau demander. Je saluai la gent masculine en leur disant, à regret, que le devoir m’appelait. Je déposai quelques baisers sur des joues douces ou barbues et je m’éclipsais.
Dans sa chambre devenue bureau, le général m’attendait, le regard froid et pénétrant.
-Je vous écoute, Mathilda.
-Mon général, cette ville cache de nombreux secrets. Le maire a été vu avec l’ennemi à plusieurs reprises. On le suspecte de vendre des œuvres d’art pour soutenir l’effort de guerre, mais il joue contre son camp. Le général Guerztanger le fait chanter grâce à des informations qu’il possède sur sa fille. La pauvre petite s’est enamourachée d’un Allemand et elle a voulu faire passer son enfant pour celui d’un des gars du village.
Je repris mon souffle un instant avant de reprendre.
-Vous avez également un officier supérieur, de Nicolini, qui essaye de prendre votre place, il fomente un drôle de coup dans votre dos et essaye de rallier des troupes. Je crois qu’on lui a promis monts et merveilles du côté allemand s’il parvient à monter en grade. Un sacré collabo en puissant si vous voulez mon avis…
-Mathilda, vous êtes une perle… je ne sais pas ce que je ferai sans vous.
-À votre service mon général, je trouve le métier du renseignement passionnant !

De Françoise B

Une excursion.

J’ai dit aux enfants de m’attendre dans le jardin. J’ai rejoint le petit salon où le général avait coutume de s’installer avant le repas .Chaque soir, on lui sert avec déférence le meilleur vin de l’établissement. Il est certain que fortune oblige on le considère comme un fin connaisseur. Il prit la peine de finir son verre avant de me parler. Je restai là à le regarder boire. Avec le général, je ne savais jamais à quoi m’attendre. Je le trouvais vieux.
Enfin, il m’adressa la parole. Il me donna des instructions pour la journée du lendemain. Il voulait que les enfants partent en excursion tôt le matin pour ne rentrer que le soir. Il me mit en garde contre les dangers de la montagne, les risques de mauvaises rencontres. Souvent, il inventait des situations difficiles qui ne se concrétisaient jamais. Il semblait que pour lui je ne connaisse pas mon métier. Je l’ai rassuré patiemment. Je trouvais ses propos quelque peu incohérents. Je mis ça sur le compte de la fatigue ou du vin. Dans la soirée, il donnerait une commande au maitre d’hôtel de la livraison de deux paniers de pique-nique au refuge d’altitude. Nul doute qu’on se presserait à la cuisine pour lui donner satisfaction. Lorsque je pris congé, je rejoignis les enfants pour évoquer le projet de leur père.
Le lendemain, je me levai tôt. Les enfants étaient déjà dans la salle à manger. Ils déjeunaient en compagnie de leur père. Le général les abreuvait de recommandations. Micha le regardait les yeux pleins d’angoisse. Nadia parlait en riant, la bouche pleine. J’écoutais le général. Il parlait lentement avec des hésitations dans la voix. Je ne comprenais pas son discours. Le personnel était courtois et disponible.
Nous sommes partis vers dix heures. Nous avons pris le train jusqu’au terminus. Les enfants s’amusaient de tout. Nous marchions jusqu’au refuge. Ils avançaient sans fatigue des heures durant. La montagne était superbe. L’air était cristallin. Arrivés au chalet, Ils se sont jetés sur la nourriture. Leur appétit était insatiable. Pendant l’excursion, j’avais songé au comportement du général. Ses mots étaient confus, ses propos lents et décousus. Je ressentais comme un sentiment de bizarrerie, sans pouvoir le définir précisément.
Au retour, nous avons dévalé le chemin. Nous avons repris le train. Les enfants étaient harassés. Ils dormaient sur la banquette du compartiment. Nous sommes arrivés à l’hôtel. J’ai gagné le petit salon. Je n’ai vu personne. Ni dans l’hôtel ni dans les jardins. J’ai cherché partout le général. Puis j’ai cherché les membres de sa suite.
J’ai questionné la réception. On m’a demandé de quel général je voulais parler. On m’a dit qu’on ne louait pas de chambre au cinquième.

De Saxof

Au garde à vous, le doigt sur la ligne du pantalon :
-Général, vous m’avez demandé ?
-Oui Julien, je dois partir pour une réunion avec l’état-major, je vous confie les deux jeunes et on se reverra à mon retour, d’ici 8 jours.
-Comptez sur moi.
J’ai sauté de joie en expliquant à ses neveux que leurs vacances commençaient pour une semaine et la mienne aussi par la même occasion. Comme il se doit dans l’armée, nous nous sommes installés autour d’une carte avec carnet et crayon, pour faire le point sur les décisions de chacun et préparer le circuit plaisir.
Durant ces quelques jours, nous avons profité de la restauration locale, avons fait de nombreuses balades à cheval à travers la campagne et je les ai initiés au jeu de paume et aux échecs Ce furent des jours de partage et de rire. Une complicité s’est installée entre nous pourtant bien jeunes puisque Micha n’avait que 13 ans et 14 pour Nadia.
La veille du retour du général, une femme magnifique, brune aux longs cheveux bouclés et aux yeux bleus, s’est engouffrée dans le hall de l’hôtel, à deux pas de notre table. Je me suis avancé pour me présenter et lui faire le baise main tant mon coeur avait tremblé à son arrivée triomphale. A peine avais-je ouvert la bouche que les deux enfants se sont jetés dans ses bras en s’esclaffant « maman ». Et c’est dans un sourire éclatant de sa part qu’elle m’a appelé par mon nom.
-Le général, mon frère, m’a beaucoup parlé de vous m’assurant que les enfants étaient entre de bonnes mains. Je vous remercie beaucoup pour votre dévouement. Je vais dormir à l’auberge, accepteriez-vous de partager notre repas ?
A ces mots, j’ai eu le souffle coupé, et c’est la respiration haletante que j’ai répondu d’une voix mal assurée « avec grand plaisir ».
Quelle délicieuse soirée, avec cette impression de se connaitre depuis toujours. Une parenthèse enchantée. Il me reste quelques heures de rêves avant de reprendre le taff dès l’aube, avec l’arrivée du général prévue à 7h.

De Francis

Les jeux sont faits


Je suis devant la porte du Général. Je prends quelques instants. Je frappe.
-Entrez !
Il est là, derrière un bureau de style anglais. La chambre est dans la pénombre. Cependant, je peux remarquer les lourdes tentures aux fenêtres et des glaces qui apportent un peu de lumière. Il a revêtu un costume sombre. Contrairement à d’habitude, il ne porte aucune décoration. Je suis devant lui, je le fixe droit dans les yeux.
-Vous m’avez fait appeler Général ?
Le regard fuyant comme d’habitude et sur un ton neutre il me répond :
-Evidemment, vous disparaissez sans prévenir.
-Je ne souhaitais pas vous déranger dans vos occupations.
-Vous ne me dérangez jamais, vous le savez très bien, j’apprécie votre compagnie ainsi que celle des petites.
-J’allais leur faire prendre l’air, leur faire faire le tour de cette ville, découvrir ses monuments et rencontrer les habitants.
-En êtes-vous bien sûre ?
-Certaine Général, elles ont besoin de connaître une autre atmosphère que celle d’un « palace.
-Depuis quelques temps, je sens chez vous une certaine velléité à vouloir fuir notre « compagnie.
-C’est bien involontaire Général, mais j’avoue que je me pose parfois des questions. Je crains pour notre avenir. Je me dis que la vie peut avoir des revers et que le jeu n’a jamais été une base solide pour assurer le futur. J’éprouve de plus en plus souvent une crainte de manquer.
-Pourquoi voulez-vous que cela change. Jusqu’à présent la chance m’a souri. Pourquoi voulez-vous que cela s’arrête. Jusqu’à aujourd’hui, j’’ai pris soin de vous et je continuerai. Soyez rassurée. J’ai un plan qui doit nous nous aider à assurer tous nos besoins et nous laisser entrevoir des jours radieux. Le temps fait bien les choses. Soyez optimiste. La vie a ses règles, il suffit de les connaître et d’en faire un jeu où l’on gagne à tout coup.
-Je vous remercie Général de ce que vous faites pour nous. Je vous en suis reconnaissante ainsi que les petites Nous ne vous remercierons jamais assez et que le Ciel vous entende. Je ne vais pas abuser de votre temps précieux et je vais vous demander la permission de me retirer et rejoindre Micha et Nadia. Je leur parlerai de vous, de la sollicitude que vous leur accordez et je les assurerai de l’amour que vous leur portez.
Je me retirais sur la pointe des pieds. Cet entretien m’avait éclairée, en sortant de la chambre, je n’étais pas rassurée et mon intuition féminine me disait que les jeux étaient faits.


De Zouhair

J’abandonnai Micha et Nadia aux soins du réceptionniste de l’hôtel et me présentai à la suite du général. Je le trouvai anéanti. Le coup d’état contre le maréchal Tito avait échoué. Les généraux félons avaient dû fuir la Yougoslavie et se réfugier, pour la plupart, en Italie. Ici, on les accueillait les bras ouverts, au regard de leur fortune. Ils faisaient le bonheur des propriétaires de palaces situés à Gênes et à Naples.
Toutefois, ils n’avaient évidemment pas le statut social, plus qu’enviable, dont ils jouissaient dans leur pays. Là-bas, ils possédaient des palais dans des propriétés immenses au bord de l’Adriatique. Et puis, comme ils étaient d’excellents cavaliers, ils avaient leur haras avec, souvent, des purs sangs arabes. Ils possédaient également des plages privées et des bateaux pour aller visiter les nombreuses îles alentour.
En Italie, par contre, leur horizon était réduit à cette suite qui, bien que luxueuse, ne leur apparaissait pas moins qu’une prison dorée. Certes, ils pouvaient voir la mer et les bateaux qui entraient et qui sortaient du port, mais cela ne faisait qu’augmenter la nostalgie de leur pays.
Le général m’avait fait appeler pour que lui trouve un samovar russe. En effet, en Yougoslavie, le général ne se servait que de cet ustensile pour faire chauffer l’eau de son thé. Je me demandai comment j’allais dégoter un tel objet en Italie. Peut-être chez un brocanteur ?
Ainsi, je fis le tour des brocanteurs de Gênes qui riaient souvent quand je leur exposais l’objet de ma requête. Mais, aimables, ils me dirigeaient vers un autre brocanteur, un peu plus loin.
A force de persévérance, je tombai sur la perle rare. C’était un samovar en cuivre peint de motifs floraux aux couleurs chatoyantes. Un vrai samovar de prince. J’étais persuadé que ce magnifique objet allait remonter le moral du général. Encore fallait-il le transporter jusqu’à l’hôtel, car il était lourd, très lourd.
Heureusement, il y avait encore des carrioles qui, pour un pécule, transportaient les objets volumineux d’un endroit à un autre de la ville.
Arrivé au porche de l’hôtel, le réceptionniste, paniqué, m’annonça que Micha et Nadia avaient disparu ! Il avait relâché son attention juste quelques minutes pour s’occuper d’un client et lorsqu’il s’était retourné, Micha et Nadia n’étaient plus là. Je laissai le samovar trôner au milieu du hall d’accueil et me précipitai dans la rue pour essayer de retrouver les fillettes.
J’osai à peine imaginer le courroux du général si ses nièces venaient à disparaître !
J’écumai le quartier et demandai à tous les passants s’ils n’avaient pas aperçu deux fillettes âgées d’environ dix et sept ans. Je finis par trouver un monsieur qui se rappelait avoir vu deux dames tenir des filles par la main et se dirigeant ensemble vers le marchand de glaces.
Fébrile, je questionnai ce dernier.
-Oui, en effet, deux dames avaient offert des glaces à des gamines qui semblaient ravies.
-Par où sont-elles parties ?
Le marchand de glace m’indiqua vaguement la direction du parc Astoria. J’en fis le tour. Aucune trace des fillettes. Après avoir sillonné la ville de long en large, je rentrai finalement à l’hôtel, épuisé. Là, le réceptionniste m’annonça qu’un appel téléphonique anonyme destiné au général lui avait annoncé que les deux fillettes avaient été kidnappées et que la rançon pour qu’elles soient libérées s’élevait à deux cent cinquante millions de dinars !
J’appris plus tard que la mafia génoise repérait les généraux exilés dès leur arrivée en Italie et, connaissant leur fortune, cherchait par tous les moyens de les rançonner. La vue des deux fillettes sorties se promener sans autorisation était pour eux une occasion en or. Les malfaiteurs avaient exigé l’argent en petites coupures dans un sac en jute qui serait déposé près d’un hangar désaffecte dans le nord de la ville. A cet endroit, à condition que la police n’ait pas été prévenue, ils échangeraient l’argent contre les fillettes.
Au deuxième appel pour confirmer le rendez-vous, j’étais à l’écoute. Derrière la voix tranchante du kidnappeur, je perçus un bruit familier. Pas de doute, c’était le clapotis des vagues sur l’étrave d’un bateau. Les criminels détenaient les fillettes sur un bateau et celui-ci était amarré quelque part. En effet, mes longues années de navigation en tant que « oreille d’or » dans un sous-marin, avant d’être au service du général, me permettait de savoir si un bateau était amarré ou en navigation. Contactée, la police du port confirma nos soupçons. Un petit bateau de pêche venait de prendre place dans le port depuis peu. Dès le début, l’embarcation était apparue suspecte aux yeux des policiers car elle ne sortait ni de nuit ni de jour pour pêcher. De plus, ses occupants avaient des têtes peu avenantes.
Les autorités mirent donc immédiatement le bateau sous surveillance et attendirent de voir ce qui allait se passer à l’heure où le rendez-vous avec le général était fixé. Ils ne furent pas déçus. Malgré le brouillard et la bruine qui envahissaient ce soir-là le golfe de Gênes, les policiers distinguèrent quatre silhouettes émerger de la cale du bateau. Pas de doute, deux d’entre elles étaient celles d’enfants.
Les mafieux furent interpellés, non sans peine, et les fillettes libérées.
Le samovar put enfin être monté dans la suite et le général, soulagé et reconnaissant, but enfin son thé auprès des fillettes, secouées mais heureuses.

De Jean-Claude

Je frappais et entrais dans le couloir, j’hésite d’avancer, je ne voyais que deux fauteuils et un guéridon. Un lourd silence s’appesantit dans la pièce. On eut entendu voler une mouche.
Le général Boris Tierko, « j’étais le seul à l’appeler Mr Boris ».
Il se tenait debout et de dos dans la pénombre du grand rideau de la baie regardant le building d’en face. D’une voix grave :
-Marcel veuillez prendre place autour de la table !
Ne le distinguant à peine, je restais debout immobile comme une statue de marbre.
Il fit deux pas, ôta sa moustache, d’un geste me montra la chaise, nous étions assis face à face.
-Il faut que nous parlions sérieusement d’une affaire qui risque de compromettre mon plan ! Vos voyez de quoi je veux dire !
-Pas tout à fait mon général !
D’après des renseignements que l’on m’a fournis hier, on veut me supprimer ! Et que vous, vous avez entendu quelques mots, et vous n’avez pas réagi, vous avez une réponse !
-Général, je n’étais pas dans la même pièce où les trois personnages chuchotaient cette éventualité ! Je suis sorti, pour vite disparaître !
-Vous savez qui sont ces trois personnages ?
-Non mon général…il y avait deux hommes et une femme…un détail, j’ai aperçu dans l’entrebâillement de la porte des deux pièces, que la femme était brune avec une écharpe de couleurs rouge et verte !
-Dites-moi Marcel, avez-vous remarqué quelque chose d’anormal dans le hall d’entrée de l’hôtel, ou bien dans les escaliers !
– Ma fois non, rien de particulier…un détail, le réceptionniste a chuchoté à l’oreille d’une femme de chambre quelques mots pendant qu’elle accrochait la clé numéro 21 à un tableau. Cela semblait des mots anodins, et inaudibles, elle a souri, en prononçant le mot Oh… ! J’y pense maintenant, elle portait le même foulard noué dans son chemisier blanc. Une autre remarque, dans l’escalier, étage 4, un ouvrier, certainement électricien, vérifiait des prises de courant au niveau du sol, une armoire technique était entrouverte, il tenait en sa main droite une tournevis neuf, il y avait l’étiquette avec le prix. Puis aussi Général, à la hauteur de la chambre 19, j’ai entendu un cri, une voix de femme, j’ai collé mon oreille à la porte, ça parlait, des mots dans une langue autre que le français, puis le silence complet.
Il se leva, les mains derrière le dos, il arpentait la pièce tout en regardant le parquet.
-Vous voyez, il y a des rapprochements dans les faits que vous me dites…quand j’y pense, on veut me liquider, par quels moyens …une balle dans la tête, de l’arsenic dans mon café. Allez savoir Marcel…il y a des traîtres qui nous entourent ! Ouvrez le placard, apportez la boite, ouvrez là ! De l’argent en magots d’or, Mr Boris, vous pouvez partir de suite avec Micha et Nadia pour rentrer chez vous dans les Balkans pour y être en sécurité ! Oui, cela peut en être ainsi, mais je dois régler mon plan… !
Deux coups de feu retentissent !
Marcel gît sur le sol .

De Marie-Josée

La mission

J’ai donc immédiatement rebroussé chemin, je savais que toute attente le désappointait et lorsque j’étais arrivée à sa chambre, j’entendis une grande effervescence régner à l’intérieur. Je frappais discrètement et son aide de camp m’ouvrit.
-Approchez, dit gravement le général, j’ai eu des nouvelles tragiques de Saint-Petersbourg. Le Tsar Alexandre II a été assassiné et des émeutes ont éclaté. Vous pensez bien que je ne peux pas rester ici en villégiature et, dès que les bagages seront prêts, je rejoindrai mon régiment. Je vous confie ma femme, mes enfants et la clé du coffre qui contient de quoi assurer le nécessaire en cas de besoin. J’ai réglé les frais d’hébergement pour un mois en espérant être de retour bientôt. Vous serez à l’abri ici si la situation devait dégénérer davantage. Je sais que c’est une lourde responsabilité pour vos jeunes épaules, mais je suis persuadé que vous saurez y faire face. Je vous laisse le soin d’annoncer la nouvelle à ma femme après sa sieste, vous saurez vous y prendre mieux que moi. Vous pouvez disposer !
Le ton autoritaire n’admettait aucune objection. Consternée, je quittais la pièce, ce n’est qu’une fois sur le palier que je me rendis compte de l’ampleur de la mission. J’avais considéré l’opportunité d’être prise au service du général comme une chance inouïe, mais la tournure que prenait les évènements m’en fit douter.
Olga était une femme capricieuse et elle jouait volontiers de sa santé fragile pour manipuler tout le monde. La moindre émotion la perturbait beaucoup et la perspective de me retrouver seule avec elle, laissait présager bien des déboires. Comme prévu, à l’annonce du départ de son mari, elle’’ tomba en pâmoison’’ et les sels que j’avais toujours à proximité lui firent reprendre ses esprits. Elle versa quelques larmes et m’ordonna d’aller illico allumer un cierge à l’église pour le salut de l’âme de ce pauvre Alexandre.
À mon retour, le général était parti avec son escorte et contrairement à toute attente, Olga était tout excitée et m’attira dans sa chambre en disant :
-Irina, sortez ma plus belle robe, le chapeau avec la voilette, je sors ce soir. Le comte Borowitz m’a invitée à dîner au casino des thermes. Remplissez ma bourse, le général a laissé un petit pactole au coffre de l’hôtel, il ne faut pas laisser passer la chance.
Mes tentatives de la raisonner sont restées infructueuses, je n’avais plus qu’à m’exécuter et espérer que l’argent du général ne fonde pas comme la neige au soleil du printemps qui s’annonçait.
Les sommets qui surplombaient la ville avaient encore leur manteau blanc, tandis que la nature sortait de sa torpeur hivernale. Les toilettes des dames s’allégeaient, les chapeaux et les manteaux en velours avaient remplacé les pelisses et les chapkas. Mes promenades quotidiennes au parc avec les enfants étaient une bouffée d’oxygène et me permettaient d’échapper aux invectives d’Olga, bien décidée de profiter de l’absence de son mari pour s’octroyer du ‘’bon temps’’. Elle n’appréciait pas que le général m’eût confié la clé du coffre ce qui générait un conflit permanent entre nous. Elle commençait à délaisser ses enfants et se consacrait entièrement aux mondanités en compagnie de son ‘’chevalier servant’’ comme elle appelait le comte. Ses demandes d’argent devenaient de plus en plus insistantes et mes refus déclenchaient des crises d’hystérie. L’hôtelier se rendit compte de ma détresse et envoya une dépêche au général, lui expliquant que la situation devenait intenable et que son retour était une question de vie ou de mort.
Il ne croyait pas si bien dire, deux jours plus tard Olga n’était pas rentrée d’un dîner et ne donna plus signe de vie. Sa disparition causa de l’émoi à l’hôtel, chacun y mettait son grain de sel et les rumeurs et suppositions allaient bon train. L’arrivée du général y mit fin et il confia les investigations à la police. De son côté, il m’interrogea longuement et me demanda de lui rendre la clé du coffre. À ma grande surprise, il était vide. J’avais beau lui remettre la feuille où je notais toutes les sommes que j’avais remises à sa femme et le solde qui restait la dernière fois que j’y avais accédé, il n’accorda aucun crédit à mes justifications. Il me traita de menteuse et de voleuse, pire de meurtrière. Il ne pouvait pas croire que sa femme ait abandonné volontairement ses enfants, il lui était forcément arrivé malheur. J’étais la seule qui possédait la clé du coffre et elle n’avait pas été volée, c’était donc forcément moi la coupable. Il me fit jeter en prison et je risquais la potence. Olga et le comte s’étaient volatilisés et la police ne trouva aucune trace d’eux. Seuls l’hôtelier et l’aide de camp croyaient en mon innocence et faisaient de leur mieux pour me soutenir. Je me posais sans arrêt la même question : comment avait-elle réussi à accéder au coffre alors que la clé était toujours dans la cachette dont moi seule avait connaissance ? J’eus la réponse quand on me libéra quelques jours plus tard. Micha avait avoué que sa mère lui avait donné l’ordre de m’espionner, de subtiliser la clé quand il aurait découvert la cachette et de la lui remettre quand j’aurais le dos tourné.
Le général n’était plus que l’ombre de lui-même, la trahison et l’abandon de sa femme l’avait anéanti. Il se confondit en excuses et me dédommagea avec quelques billets. Incapable de s’occuper de ses enfants, Il avait décidé de les confier à sa sœur. Il me supplia de lui accorder une dernière faveur, les accompagner jusqu’à son domicile à Saint-Petersbourg et ensuite ma mission prendrait fin et je pourrais débuter une nouvelle vie.


De Nicole

Quelque part en Russie


-Vadim Koutouzov, le Général Bourakine vous attend, vous pouvez confier la garde de Micha et Nadia à Irina Tulevitch la gouvernante.
Ce qui fut fait. Et rapidement je rejoignis le général.
« Mon cher Vadim, vous êtes un précepteur de talent, il est temps pour vous de devenir mon Officier d’ordonnance pendant quelques temps. Nous rentrons à Saint-Petersbourg à la cour de notre bien-aimé Tsar. Les enfants rentreront à Moscou. Cet empereur français, ce va-t’en guerre approche dangereusement. Il vaut laisser à la piétaille et à quelques lieutenants fanatiques le soin de nous défendre et de servir de chair à canon. Tout sera brûlé avant son arrivée dans nos villes, il ne trouvera que cendres, sans ravitaillement et avec notre hiver si froid, même leurs chevaux gèleront. Ils repartiront la queue basse, sans demander leur reste…Dans mon ombre, vous allez apprendre toutes les ficelles du métier de conseiller.
Vous prendrez le grade de Capitaine. Vous allez gravir les échelons du pouvoir à la Cour, avec votre intelligence et votre physique avantageux, vous ferez des ravages. Le but ultime, devenir le conseiller, l’ombre grise de notre bien-aimé Tsar, votre réponse Vadim ?
-Oui, bien sûr je me montrerai à la hauteur de vos espérances.
Les ors de l’empire brillaient déjà dans ses yeux pers, son destin était scellé.
Toutes les attentes du Général Bourakine furent accomplies et plus encore. Le conseiller Vadim Koutouzov eut les pleins pouvoirs durant la vie du Tsar qui mourut très âgé. A sa chute Vadim K. se retira dans sa datcha avec ses souvenirs.


D’Isabelle

Le Général n’attendait pas, il était impatient et colérique. Je m’empressais de monter les escaliers quatre à quatre, laissant cois les deux caniches qui étaient prêts à sortir. Depuis notre arrivée dans cette ville de Calembourg, le Général ne cessait de montrer son impatience, sa versatilité et sa mauvaise humeur. Ainsi, une priorité en chassait une autre et les chiens attendraient…
Arrivé quelque peu essoufflé à la porte de la suite du Général, je m’annonçais benoitement en me demandant bien à quoi j’allais être employé cette fois. Le Général était assis face au secrétaire de bois de rose, il était visiblement concentré. Comme à son habitude, il évitait de me regarder. Il rédigeait une lettre, ce qui éveilla ma curiosité. Qui pouvait bien être le destinataire ? Que contenait-elle ?
La suite du Général était orientée plein est et était illuminée par le soleil de neuf heures. Les bois précieux, les dorures et les tapis d’Orient scintillaient et semblaient narguer ma détestation de ce décor bourgeois. Je détestais ce déploiement de richesses empruntées. Fort heureusement, ma modeste chambre n’en était pas pourvue. Je restais sur le pas de la porte, tel qu’il convient aux personnes de mon rang, je ne disais mot. Seuls le frottement de la plume sur le vélin et les ronchonnements du Général venaient troubler cette harmonie pantouflarde. L’attente et la curiosité grandissantes étaient propices à la rêverie…
J’imaginais le Général impliqué dans une sombre affaire d’escroquerie. Il aimait se donner de la prestance et savait passer pour une personne fortunée mais la réalité était autre. Son prestige relevait certainement du passé. Ecrivait-il à son banquier ? Avait-il encore quelques connaissances qui pourraient l’aider ? Avait-il au contraire, contracté des dettes au point d’être ruiné ? Le Général ne faisait pas illusion longtemps et une fois la baudruche dégonflée, il se mettait facilement à dos tous les commerçants et les bourgeois du pays. A force de brouilles et de déconvenues, il n’était plus le bienvenu en ville et avait décidé de s’en aller quelques temps dans d’autres contrées. On m’avait prévenu avant de m’engager, mais pour d’autres raisons, j’avais accepté ce travail.
J’avais consenti à cette tâche d’éducateur canin car elle me permettait de voyager en Europe. Je détestais l’Allemagne tout autant que la France, mais je voulais parfaire ma pratique en langues étrangères. Les chiens étaient de bons vecteurs pour engager la conversation. Les passants, sous le charme, me pardonnaient mes erreurs et me faisaient progresser.
J’avais imaginé une mission un peu solitaire et en retrait des caprices du Général. En réalité, je m’occupais peu des chiens qui s’attristaient… Chaque jour ou presque, je devais sacrifier la grande promenade pour satisfaire aux exigences du Général. J’avais repéré un petit parc non loin de l’hôtel et je souhaitais aller voir de plus près. J’avais aperçu des camélias en fleurs et il y aurait certainement des oiseaux dans les haies. Les allées semblaient larges, Nicha et Nadia pourraient courir à leur aise. Je commençais à perdre patience. J’avais besoin d’air et les chiens aussi !
Le Général plia nerveusement la feuille de papier. Puis brusquement, leva les yeux vers moi et me fit signe d’approcher.
-Veuillez, je vous prie, porter en urgence cette missive à ma cousine que je souhaite inviter pour le thé, dit-il en me regardant fixement. Notez bien qu’elle n’apprécie que le thé noir. Insistez auprès de l’office pour qu’on nous serve les meilleures pâtisseries sur des plateaux fleuris. Allez ! Allez, je vous prie ! ajouta-t-il d’un revers de la main.
Je m’inclinais et me dirigeais vers la sortie quand il ajouta :
-Des tulipes, des tulipes jaunes et aussi des blanches !
Il faisait maintenant les cent pas dans la pièce.
-Il faut que tout soit parfait ! répétait-il en fronçant les sourcils et en se tenant le front.
Il semblait passer en revue les détails de ce goûter. Il me regarda à nouveau et dit :
-Elle déteste les chiens ! Emmenez Nicha et Nadia en promenade dès l’annonce de son arrivée.

De Pierre

J’étais sur le point de sortir quand le général me demanda :
-Oui mon général, lui répondis-je, je viens immédiatement…
-Mon cher ami, encore merci pour ce change d’argent qui nous permet de vivre tranquillement pendant huit jours mais attention, il conviendra de gérer nos finances de manière scrupuleuse.
-Bien sûr mon général, j’y veillerai sinon les nouvelles de Russie sont-elles bonnes ?
-Oui et non, un début de révolte gronde, le peuple a faim. Je me demande si je peux rentrer chez moi sans problème. D’un autre côté, un accueil de longue durée est toujours possible, nos amis français l’envisagent, mais il faudra bien que je rentre au pays où il y a fort à faire.
Français d’origine Russe, mon père fut un des rares grognards de la Grande Armée rescapée de la campagne de Russie, il m’était donc aisé d’échanger en Russe et en Français. Moi-même, j’ai dû participer à cette guerre de Crimée à mon corps défendant. Ce fut une expérience douloureuse, une guerre atroce avec beaucoup de morts …
Le général Dimitri Doubnine, boyard, avait également combattu en Crimée. C’était un homme corpulent, « rabelaisien », autoritaire mais doté d’un grand cœur un peu à l’image du général Dourakine, le personnage de la comtesse de Ségur. Sans doute était-il riche en terres et en domaines mais ses capacités financières étaient très minces. Après la défaite Russe en Crimée, le général s’est retrouvé prisonnier en France, certes, une prison dorée. J’ai pu faire sa connaissance au hasard d’une rencontre d’anciens de Crimée et d’un passage dans la capitale en compagnie des deux enfants qui voulaient visiter Paris. Mme Dubary, ma compagne étant au chevet de sa mère mourante, le général me proposa d’entrer à son service. Etant à cette époque relativement inoccupé, j’acceptais d’emblée sa proposition et je devins son intendant. Le lendemain en matinée, le général Doubkine me demanda :
-Charles, me dit-il, une bonne nouvelle, enfin ! Nous allons pouvoir rentrer au bercail très vite après une si longue absence et tu viens avec nous. Je viens d’avoir les autorisations nécessaires ; il nous est aussi promis un peu d’argent pour assurer le voyage. Une fois en Pologne, nous pourrons emprunter le nouveau chemin de fer vers la Russie.
-Formidable mon général, mais il faudra que je prévienne les enfants et ma compagne dans le nord avec qui je dois me marier.
-Je sais cela Charles, dit-il, je t’aiderai, je te laisse le soin de leur expliquer et j’attends ta réponse mais sache que je tiens à te garder à mon service car tu es mon double !
Outre ma tâche d’intendant au service du général, j’avais la charge des enfants Micha et Nadia, que j’avais recueillis bien avant d’être enrôlé pour la Crimée. A mon retour de l’enfer, je pus les retrouver à l’hôtel du Cheval Noir à une centaine de kilomètres de Paris. Ce fut une joie immense pour les enfants comme pour moi. Mme Dubary, la dame qui en avait la charge, s’en étaient bien occupé ; elle était surprise de me voir, elle ne me connaissait pas mais nous pûmes sympathiser très vite. Quelques temps plus tard, avant de rencontrer le général Doubkine et comme j’étais tombé amoureux d’elle, le courage me prit de lui demander sa main. Elle accepta sans hésitation, elle qui était veuve de guerre, sans famille, hormis sa vieille mère et les deux enfants Micha et Nadia. Nous avions décidé de nous marier aux beaux jours car nous étions encore en hiver.
Quelques jours après le dernier échange, le général me rappela et me dit qu’il devait quitter la résidence rapidement et me demanda de l’aider pour lui trouver un nouveau point de chute pour quelques jours. Il ne parlait pas un mot de Français hormis « bonjour » ou « merci ». Le lieu fut aisément trouvé, près de Paris, un hôtel/auberge de bonne « facture », le personnel nous accueillit à bras ouverts en ces temps de fin de saison car nous étions quasiment les seuls clients. Nous nous installâmes pour quelques jours, moi et les enfants, qui étaient avec moi dans deux petites chambres, le général dans une chambre/salon plus confortable, lui permettant de recevoir des visiteurs. Sur un plan financier, les ressources du général ne permettaient pas de séjourner au-delà de la semaine à venir.
Le mariage eut lieu à Paris au début du printemps, le général accepta d’être des nôtres, il fut même mon témoin. Tout se passa dans la joie et la bonne humeur, les enfants étaient très heureux et les nouveaux mariés aux anges ! Ce même jour, mon épouse et moi-même annoncions au général que nous étions d’accord pour aller en Russie avec lui, l’occasion de faire un beau voyage de noces !
Traverser l’Europe en plein dix-neuvième siècle n’est pas chose aisée, quelle gageure ! le voyage fut très long, plein d’imprévus mais qu’importe, le monde appartient à ceux qui veulent le découvrir.


D’Elie

Dès que j’ai reçu le message du général, je retournai sans tarder pour recevoir de lui les instructions qu’il avait à me donner. A l’arrivée, il m’instruisit à faire la commande de mets pour notre dégustation de cet après-midi.
Le général, un homme géant et trapu au teint clair, avait su toujours se maintenir dans la pleine forme depuis la nuit des temps que nous avions fait la connaissance de l’un et de l’autre. D’un ton aimable et au langage très articulé, de l’homme habitué au commandement, le général me demanda de faire venir le cordon bleu et une servante pour le choix de mets que désirait chacun de nous.
Je désirais, quant à moi, prendre en premier lieu, un plat de hors-d’œuvre, puis celui d’un poulet rôti et une bouteille d’eau simple pour ce dîner. J’ai ainsi choisi un tel mets dans la perspective d’être en fin de compte lucide et pour ne pas se laisser dévaliser par un quelconque intrus dont la moralité serait douteuse. Le général insista que je prenne une bouteille de boisson gin. Cette offre, je l’ai déclinée avec le calme et la gentillesse qui dénotait mon tempérament naturel connu du général, et des autres.
Quant au général, à Micha et Nadia, les mêmes mets leur étaient servis sauf à la différence la boisson de gin.
La prise du dîner a été pour moi un moment délicieux mais c’était avec un regret que Micha et Nadia m’ont mis dans un état confus et perplexe, du fait qu’elles étaient tombées dans l’ivresse au point de ne plus s’appartenir. Quant au général, il tomba dans un profond sommeil d’ivresse. Pour ne pas s’exposer davantage, je demandai le secours des serviteurs afin de les emmener dans leurs chambres d’hôtel, prises pour notre séjour.
En l’espace de quelques minutes, nous eûmes des aides pour sauver le reste de la dignité du général, de Micha et celle de Nadia. Par surcroît, Vigninou, une personnalité de l’armée vint découvrir l’état humiliant et dégradant du général et dit :
-Si nous avons obtenu la grâce de parvenir au faîte de la grandeur sur l’échelle des valeurs sociales, nous avons l’obligation de respecter toutes les normes de l’éthique morale de peur de mettre en péril la dignité de soi et de celle de la corporation dans laquelle nous sommes.
Il cria d’un air suffoquant disant :
-C’est bien mon général que je vois dans cet état ?
Je m’insurgeai contre les propos de monsieur Vigninou sur notre général et ignorant qui était devant moi. Je constatais que monsieur Vigninou était bien notre chef d’état-major de l’armée du camp Bidossessi, l’un de nos chefs. Pour préserver la personnalité des officiers que nous étions, Vigninou m’emmena dans une paillote, pas très en vue, pour me révéler ce qu’il était en réalité.
Monsieur Vigninou menaça de nous infliger des sanctions correspondantes à notre rang, en tant qu’officiers de l’armée.
Pour atténuer les sanctions qui nous attendaient une fois retournés dans le camp, je n’avais qu’une possibilité pour tirer nos épingles du jeu. Il s’agissait de saisir les armements que sont l’humilité, le renoncement et le respect à l’autorité. Je tombai à genoux et implorai la grâce. Le chef d’état-major Vigninou demanda à voir les autres dans leurs chambres d’hôtel. Et je l’emmenai voir le général dans sa chambre, qui était déjà réveillé de son sommeil d’ivresse.
Quand le général aperçut le chef d’État-major, il s’efforça puis se mit au garde à vous. Entre généraux, ils se parlèrent et puis…etc. Quelques minutes s’écoulèrent et des soldats vinrent pour nous conduire dans nos domiciles avec nos véhicules. Les effets de l’alcool se dissipèrent des neurones du général et tout le bon sens lui revint. Micha et Nadia se retrouvèrent avec leurs robes sales, mouillées et parfumées des odeurs de la boisson Gin.
Tout d’un coup, le général commença par aller et tourner dans tous les sens.
Il criait :
-Oh ! oh ! oh ! oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! Je suis perdu ! Je suis mort ! O mort ! Sauvez-moi ! J’ai perdu mon portefeuille contenant la somme de 5000.000 francs.
Toutes les investigations allaient donner à nos salives le goût de vinaigre. On se lamentait. Et on concevait des soupçons nuisibles à la santé à cause de la perte de cette importante somme. Nous étions dans l’état de deuil émotionnel quand le cordon bleu et deux autres servantes vinrent apporter des paroles ondulantes de paix et grâces.
Le cordon bleu prit la parole et dit :
-Mon général, soyez tranquille. Nous avons retrouvé votre portefeuille et la somme de 5000.000 francs qui sont avec nous. La joie renaissait chez le général et les éclats de rire parcoururent l’espace des ondes loin de nous.
Jouir des plaisirs de la vie, c’est le moindre des moments souhaités pour l’épanouissement de l’homme. Mais il est aussi capital de veiller sur la vie de soi et de celle des voisins. Et doit passer par le respect des lois morales qui conditionnent la bonne santé de la dignité humaine.

D’Eric

Ninon, avant de s’endormir, a un petit rituel ou plutôt un grand plaisir : elle lit au lit. Ce soir, elle prend le livre choisi au hasard à la médiathèque et retrouve le passage où elle s’était arrêtée :
“On m’avait retenu une petite chambre au cinquième. On sait à l’hôtel que je fais partie de la “suite du général”. Il est clair qu’ils ont déjà su se faire apprécier. Ici, tout le monde considère le général comme un richissime boyard. Dès avant le dîner, entre autres commissions, il m’avait chargé de lui changer deux billets de mille francs. J’ai fait la monnaie au bureau de l’hôtel. On nous prendra maintenant pour des millionnaires pendant au moins huit jours. J’ai voulu emmener Micha et Nadia faire une promenade. J’étais dans l’escalier quand le général m’a fait appeler »…
Secrétaire de Son Altesse, je dois m’exécuter sur-le-champ. Les amourettes sont remises à plus tard. Debout devant la fenêtre, le général contemple les gros flocons qui tourbillonnent dans l’air depuis ce matin et me dicte ses ordres. Après notre séjour ici, il veut partir dans un pays où la douceur du climat nous changera de cet hiver russe qui n’épargne ni hommes, ni animaux, ni végétaux. Il me demande d’organiser un séjour sur la Côte d’Azur, à Nice, où résident maints de nos compatriotes, et plus précisément une certaine Maria Amanovna qui, je le sais, ne le laisse pas indifférent. Puis, il me congédie.
Je retrouve Micha et Nadia dans le grand hall de l’hôtel et nous partons dans une calèche, tirée par deux chevaux noirs, sur les chemins enneigés qui mènent à la rive. Emmitouflé dans d’épaisses fourrures, blotti entre mes deux amies, je savoure le contraste entre la chaleur de leur corps et le froid apporté par le vent qui souffle sur nos visages. Nous quittons les bords du rivage trop venté et pénétrons dans une forêt profonde pour nous arrêter dans une clairière. Le vent qui, en hauteur, fait bruisser les ramures, au sol devient silence. Un timide rayon de soleil fait éclater la blancheur de la neige immaculée.
Pas un bruit, nous goûtons un moment ce calme, puis nos conversations reprennent. Nous étalons une couverture, sortons de son panier en osier notre pique-nique, et dévorons à belles dents ce repas et cet instant. Rires et jeux s’enchaînent, parsemés de roulades dans la neige pour se réchauffer. Puis, trop rapidement, hélas, vient le temps de rentrer. Ici, les jours sont courts. A la nuit tombée, dans un endroit aussi isolé, le danger rode derrière chaque arbre. Alors que les patins de notre attelage glissent silencieusement sur la neige, nous regagnons l’hôtel. Serré entre mes deux compagnes, j’admire ce paysage hivernal féerique qui se découpe derrière la croupe noire et charnue des chevaux dont les muscles saillants ne cessent de s’agiter devant nos yeux. Arrivé à destination, j’ai la tête emplie d’images plus magnifiques les unes que les autres : collines aux courbes adoucies par le manteau neigeux, arbres aux ramures glacées sculptés par le vent, route aux bruits assourdis par la neige et dont le tracé est dessiné par les poteaux et les fils télégraphiques givrés qui, tels une portée de notes de musique, se découpent dans le ciel et chantent dans la brise…
A la descente de calèche, Nadia enlève les glaçons de mes moustaches et de sa main effleure ma joue, en me susurrant, pour que Micha ne l’entende pas, un rendez-vous pour ce soir, après diner. Au doux contact de sa peau, un feu intérieur m’embrase. Le tourniquet de la porte à peine franchi, l’aide de camp du général fonce sur moi pour me conduire à lui…

D’Eric (proposition d’écriture N° 158)

Ce matin-là, Ninon n’est pas dans son assiette. Il ne l’a pas appelée.
Elle le traite pourtant aux petits oignons. Chaque fois qu’il vient, il met les pieds sous la table, se régale de ses talents de cordon bleu, fait bombance et bonne chair jusqu’à jouir de la sienne après le repas. Et il ne l’appelle pas. Il la prend vraiment pour une cruche ! Elle en a assez d’être le dindon de la farce. La prochaine fois, ce sera à la fortune du pot : elle ne mettra pas les petits plats dans les grands et l’accueillera à la bonne franquette. S’il en reste comme deux ronds de flan, il en sera pour ses frais. Peut-être aura-il alors plus d’égards pour elle. De toute façon, qui ne tente rien n’a rien et ce n’est pas la fin des haricots si elle fait chou blanc. Elle n’accepte plus de se laisser rouler dans la farine. Fini le coq en pâte. Sa détermination grandit alors que le téléphone reste implacablement muet.

Je vous attends pour la prochaine proposition d’écriture N° 160, avant quelques jours de repos bien mérités. 

Le printemps frappe à nos portes et dans nos jardins. La nature se réveille et bourgeonne en tous sens, les oiseaux gazouillent à tout va, le soleil joue à cache-cache avec les nuages selon les jours. Les humains jouent aussi à cache-cache en France dans d’autres circonstances: le printemps réveille toutes les forces endormies durant l’hiver!

Je vous souhaite une belle semaine créative.

Portez-vous bien et prenez soin de vous!

Créativement vôtre,

Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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