
J’ai adoré vos textes de la proposition d’écriture N° 123, à partir de l’incipit de “L’Etranger” d’Albert Camus.
Certains textes sentent le vécu. Beaucoup décrivent évidemment la souffrance ou la délivrance d’un tel moment. Pas toujours simple de faire face à ses émotions!
Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture!
De Jean-Noël
Aujourd’hui maman est morte…Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Elle avait connu deux siècles, presque trois. Ce n’est pas donné à tout le monde de vivre plus de cent ans. Dix décennies… Comme si, moi-même j’avais recommencé dix fois mon enfance.
Je trouve qu’elle a eu beaucoup de mérite de vivre tant de choses désagréables comme deux horribles guerres, l’une pendant son enfance et l’autre à l’aube de sa vie d’adulte en charge de famille. En ce temps-là, on avait beaucoup d’enfants, elle en a mis six au monde. Quel courage ! Maman avait déjà trois filles et un garçon quand papa est parti à la guerre, il pilotait des avions, on disait qu’il était dans la chasse…
Chaque soir, elle lisait une page de prières dans un livre posé sur sa table de chevet. Elle en avait fait autant, après la guerre, quand il partait pour deux ou trois mois en Afrique pour son travail.
C’est que c’était loin l’Afrique, on imaginait tous les dangers qu’il devait affronter chaque jour. Maman en tremblait forcément et ce petit livre l’aidait à surmonter ces mauvais passages de la vie, tout comme elle avait frémi tout au long des cinq longues années de la Seconde Guerre Mondiale. Il avait manqué y laisser sa peau plusieurs fois au début quand le moteur de son avion avait givré et qu’il n’avait réussi à le redresser qu’à huit cents mètres du sol. Huit cents mètres, c’est vraiment peu pour un avion…
J’ai failli ne jamais exister, je reviens de loin, moi aussi ! Il y a eu également ce jour où, épuisé par la répétition incessante des missions aériennes, il s’était assoupi sur un lit de camp ; son chef d’escadrille l’avait laissé au repos et son remplaçant s’était fait descendre à sa place…La vie ne tient qu’à un fil, parfois. Et celui qui tenait maman a été très long, d’une infinie longueur.
Aujourd’hui, les souvenirs remontent à la surface, forcément. Quand un témoin important s’en va, on tente de récupérer le plus de choses possibles, tous ces morceaux de vie épars qu’il faut rassembler à la hâte avant qu’ils ne s’effacent. Il y a ceux qui sont un peu flous, les plus lointains, ceux qui sont remplis de nostalgie, ceux où seule la tendresse se répand à profusion. Une mère a toujours de la tendresse pour ses enfants, et plus elle en donnait, plus on en demandait !
Maman a vu ses enfants quitter le nid les uns après les autres. Était-ce un déchirement à chaque fois ? Je ne le sais pas, elle ne l’a jamais montré, elle était toujours digne, dans l’effort ou la peine comme dans les moments heureux. Notre mère nous a donné cette leçon de savoir maîtriser nos émotions. Nous avons su grandir avec cela.
Rien n’était important pour elle, mais rien n’était anodin…Maman avait cette finesse des femmes qui ont beaucoup vécu. Elle savait toujours résoudre l’insoluble, la résilience était sa marque de fabrique, rebondir ne lui faisait jamais peur et elle recommençait autant de fois que cela était nécessaire, avec un courage admirable, sans plainte et sans rancœur.
Lorsqu’on la questionnait sur le métier qu’elle avait exercé, elle répondait invariablement mère de famille ! Un beau métier…
Je n’ai jamais osé lui demander si sa vie l’avait contentée, si elle aurait voulu en connaître une autre, si elle avait des regrets et beaucoup d’autres questions encore. C’est que la mère avait une forte personnalité, elle était ce que l’on appelait autrefois une maîtresse femme. Elle en imposait malgré sa frêle apparence, la discrétion était sa force, mais il ne fallait pas s’y fier, rien ne lui échappait, elle savait si bien anticiper les choses.
Les longues conversations qu’elle avait à la fin de sa vie révélaient une étonnante lucidité, sa vie n’avait pas été ce long fleuve tranquille dont on parle pour dire de belles choses. Des obstacles, il y en a eu tant et tant qu’elle les enfouissait prestement dans le grand sac de sa mémoire prétextant qu’il y avait toujours pire… Maman avait ce don de relativiser les choses pour n’en retirer que le meilleur, c’est-à-dire l’expérience.
C’était une belle femme que la vie avait, malgré tout, préservée. Elle avait sans cesse eu ce réflexe de saisir l’opportunité qui passait, et c’est cette vigilance qui l’a sauvegardée si longtemps. Les années se sont accumulées, les souvenirs avec, qui n’étaient jamais foncièrement mauvais, simplement parce qu’ils faisaient partie de sa vie. Je pense que maman a aimé cette vie qu’elle a traversée, qu’elle a bâtie à la force de son caractère, mêlant abnégation, réserve, effacement parfois, mais aussi avec une autorité indispensable quand il le fallait.
Maman n’a été qu’une seule fois prise au dépourvu, quand la mort est venue la reprendre : elle a oublié de se réveiller et ce matin on l’a retrouvée dans son lit, avec ce visage paisible de la mère qui sait qu’elle a accompli ce que la destinée lui avait imposé.
Maman est morte aujourd’hui, le temps est passé, il est un lieu d’action qui engage l’éternité. Il y a comme deux êtres en chacun de nous, l’un en dehors du temps et l’autre dedans : Aujourd’hui, Maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas…
D’Aissatou
“Aujourd’hui, ma maman est morte”.
Il est 10 heures 03 minutes . Mon téléphone portable sonne. Mon époux. Il me propose d’aller voir ma maman souffrante à la capitale. Je souris en attendant cette phrase de sa bouche. Dans ma petite tête, ouf, je vais pouvoir sortir de ce bureau , retrouver ma ville que j’ai quittée depuis trois mois pour un stage à plus de 450 kms de ma ville natale. Je suis soulagée. Ma réponse, un oui.
Mais avant tout, je vais voir la directrice de l’agence pour le lui annoncer. Madame Sarr est au courant de la maladie de ma maman . Je lui en avais déjà parlé. Elle m’accorde quatre jours de congé. Une demi-heure plus tard, mon époux est devant moi . Mais il me fuit du regard, la mine déconfite. J’ai une sensation bizarre. Je range mes affaires, j’éteins mon ordinateur et je prends congé de mes collègues. Il fait très chaud dans cette partie nord de mon pays. 42 degrés à l’ombre. Nous sommes en plein mois de ramadan. Je sors alors sous un soleil de plomb.
Une sensation étrange m’envahit. Je rentre dans la voiture, direction la cité des marines. Après 10 minutes de trajet , nous arrivons à la maison. Je rentre dans la maison, je mets le climatiseur en marche pour échapper à cette chaleur étouffante. Rapidement je range quelques habits, une serviette et quelques effets personnels. Soudain, Mamadou mon mari rentre dans la chambre, ouvre le placard et me sort deux grands foulards. Je me retourne alors et avant même que je ne pose une question , il me dit: « ben tu allais oublier de les prendre avec toi. Tu es tellement excitee à l’idée d’aller en ville. »
Je souris et tout d’un coup je vis des larmes couler sur son visage. Qu’est ce qui se passe? Pourquoi tu pleures? Qu’est-il arrivé à ma maman? Il ne répondait pas. Je m’approchais de lui et je le suppliais de me dire la vérité. Le temps s’était arrêté. Au fond de mon coeur, je savais qu’il s’était passé quelque chose . Ces mots. Il va falloir être forte. Je n’attendais pas la fin de la phrase. Je tombais par terre. Je frappais le sol , je criais ,je pleurais. Non, pas maman Eva. Elle avait encore plein de belles choses à réaliser. Elle, pleine de vie. Tout s’écroulait autour de moi ce jeudi 21 octobre 2004, un malheur s’abattait sur moi.
De Françoise V
« Aujourd’hui maman est morte ».
« Une page se tourne. Maintenant tu laisses trois filles devant la vie. Elles n’ont plus de référence vivante. Elles se doivent d’inventer le présent et le futur. Plus de modèle, plus d’appel, plus d’échange. Une page est bien tournée. Un autre chapitre va commencer. Chacune de tes filles va regarder sa famille, ses enfants, sans pouvoir partager les joies, les peines, les soucis. Les plus deux plus âgées ont déjà des petits enfants. Mais la dernière, celle qui a tant compté pour toi, n’a pas encore de petits enfants. Elle vient juste d’élever ses propres enfants et de les projeter dans les études d’ingénierie. C’est un autre chemin qu’elle va devoir assumer avec ses fils. Un chemin que tu ne lui a jamais montré.
Toi, chère maman, tu as su nous montrer comment s’occuper de nos maisons mais tu ne nous a pas guidé une fois dehors. Ton départ est une absence d’affection, de lien, de correspondance, de sourire. Tu es devenue veuve et seule. J’ai essayé de t’aider à survivre et je n’y suis pas arrivée. Ta solitude m’a inquiétée. J’ai voulu t’aider. Mais tu es partie justement parce que tu étais seule. Je n’ai rien pu faire et suis arrivée trop tard.
L’accident cérébral t’a rendue hémiplégique, sans parole. Déjà à ce moment-là, tu étais déjà un peu partie loin de nous. Quinze jours se sont écoulés dans l’enfermement de tes pensées, de tes soins, de ton combat. Puis le jour J est arrivé où tu n’as plus voulu avancer, tu as déclaré forfait, une vie trop difficile pour toi. Et je n’ai rien pu faire. Sauf que …. si notre sœur et sa jalousie maladive n’avaient pas taraudé ton esprit si fragile, peut-être serais-tu encore avec nous ? Tu aurais sûrement eu le courage de te battre et de dépasser le handicap. Mais elle a été là pour te faire du mal dès le début de ton veuvage.
Et je n’ai rien pu faire, rien faire du tout, à part entendre ses paroles envenimées destinées à anéantir ses sœurs et sa mère qu’elle haïssait. Comment peut-on se redresser avec un entourage pareil ? C’est impossible quand on est fragile, sensible comme toi. Tu as été la « mère passive » pendant des années et ta fille aînée en a profité pour « patronner » toute la famille avec son mari car ils étaient jaloux des deux sœurs. Et moi, je n’ai pu que me protéger et fuir cette famille frustrante.
Maman, aujourd’hui que tu es morte, tes deux dernières filles se sont séparées de l’aînée, la laissant seule avec sa jalousie, ses méchancetés, sa solitude, ses maladies et ses sottises, en résumé, sa perversité narcissique . Elles vivent heureuses et libérées du poids que l’aînée leur faisait supporter : le despotisme familial. Loin d’elle, la vie a repris son cours avec leurs enfants, et leurs petits-enfants, s’appliquant à ne pas faire revivre ce qu’elles ont vécu avant. Aujourd’hui tu aurais 101 ans ».
De Véronique
Aujourd’hui maman est morte. Je te laisse partir en paix et douceur maman, sans regrets ni remords. Mon cœur a trouvé un apaisement et une douceur. Et pourtant…
Ce matin à l’annonce de ta partance, je regarde la photo de votre couple avec papa qui est décédé il y a deux ans et t’a devancée pour préparer ton chemin vers un autre univers, celui de l’autre côté du miroir.
Tu sais, il t’a aimée mon père, il t’a protégée et t’a adulée de tout son cœur au détriment de ses propres désirs et envies. Il a trimé de semaine en semaine, d’année en année, a escaladé les échelons de la vie, les marches professionnelles pour t’offrir une vie de reine, de princesse. L’as-tu remercié pour cela, l’as-tu admiré pour cette vie merveilleuse que tu as pu apprécier ?
Non, je ne pense pas maman, tu as toujours regardé ton petit nombril et ta petite vie étriquée et réduite à tes besoins matériels, ton petit confort. Tu as même osé me mettre à la porte de ta maison de vacances en 2021, un 1er janvier, en essayant d’enrubanner ton petit message sms d’un amour maternel inexistant, pour les bonnes convenances disons, et en me souhaitant tous tes vœux de bonheur. «Je te souhaite une bonne année 2021, la santé et le bonheur. Je te demande de partir, je te laisse trois mois de sursis pour libérer la maison puisque j’y viens pour l’été prochain ».
Tu avais choisi la façon expresse d’un sms rapide et succinct, on ne peut pas mieux, même pas une gentille lettre pour la nouvelle année. N’avais-tu rien de plus à me dire ? La sécheresse de nos échanges avait étouffé tout sentiment d’amour maternel.
Tu as préféré préservé un confort de vie matérielle et ta priorité était de profiter de ta petite maison de vacances. Oui maman, je l’habitais depuis un an, depuis 2020 dans une période de ma vie difficile, cette jolie maison de vacances que je vous avais dénichée il y a une quinzaine d’années pour vous permettre, toi et papa retraités, de venir profiter de vos petits-enfants, mes trois jeunes adolescents à qui je ne pouvais donner de mon temps car trop stressée et embourbée dans une vie professionnelle prenante et oppressante. Vous avez profité de la beauté et la gentillesse de vos petits-enfants pendant des étés dans un cadre magnifique verdoyant près de la mer. C’était magique et je vous en suis reconnaissante à toi et à papa. Quelles belles années de joie et de bonheur dans un partage familial heureux et joyeux grâce à vous. Toi aux fourneaux, tu nous as tous régalés. Il n’y avait que toi à nous concocter des recettes savoureuses, fraîches et avec amour. Amour pour tes petits-enfants que tu as adorés, aimés et protégés.
Parfois, je me posais la question de savoir si nous avions vécu, moi et ma fratrie, de doux et heureux moments avec toi notre mère en tant que tes enfants. Je n’ai souvenirs que d’une vie disciplinée, de maintes obligations, de devoirs et contraintes. Une vie de petite fille modèle j’ai eue car nous vivions dans une petite commune où les apparences étaient reines et dirigeaient nos comportements. Ne pas faire un pas de travers. Qu’allait-on dire ? Ecole, classes, bonnes notes, église et cours de catéchisme. C’était l’époque. Des enfants modèles devions-nous être à vos regards, toi et papa. Ne pas attirer les mauvais commentaires de la population, surtout que papa avait un statut social noble disiez-vous, obtenu avec acharnement et travail.
Oui maman, aujourd’hui tu pars car l’âge te rappelle à ta destinée d’humain. Je ne cesse de me dire dans ma tête depuis ce matin. « Aujourd’hui maman est morte » et je n’arrive même pas à verser une larme. Comment le pourrais-je alors que nous avons vécu l’apothéose de notre relation toxique cette dernière année, toutes tes phrases fracassantes de toute ma vie résonnent dans mon cœur si blessé comme le tocsin de la raison à revenir à moi. J’existe maman !! J’existe pour moi et avec moi. Je suis moi à part entière avec ma vie qui n’est pas la tienne, en dehors de tout formalisme, avec mes convictions et contradictions, mes joies et mes peines, mes réussites et mes erreurs.
Comment puis-je verser une larme alors que dans mon cœur tu es morte depuis si longtemps ? Je n’ai pas réussi toute la vie que vous aviez rêvée pour moi, un beau mariage, une belle profession, de beaux enfants. J’ai rompu le contrat avant terme avec des choix de vie différents. Toute une réussite matérielle extérieure, je vous l’ai proposée jusqu’à un certain moment de ma vie, j’ai obéi à vos consignes conscientes et vos souhaits les plus cachés et puis j’ai craqué et cassé notre belle image familiale. Je ne regrette rien de ma vie et je suis en perpétuelle recherche de l’inconnu et de ce que tu as nommé parfois « toi et ton gourou ». Oui, en recherche de ce que l’on peut appeler la vie de l’esprit, et les réponses à mes questions existentielles sans délaisser mes responsabilités de femme et de maman.
Aujourd’hui, maman en regardant la tombe glaciale où ton corps va être déposé, je ne peux m’empêcher de refouler des angoisses et des cris. Ton cœur pour moi sera de marbre comme celui gris et brillant de la tombe de mon père, ton mari. Une tombe de marbre, sobre, vide, triste, propre sans une fleur, ni un bouquet, juste le nom de famille administratif de tes parents, de ton mari et de toi future décédée. Même pas une plaque commémorative avec les dates de naissance, prénoms et dates de décès. Tout est de marbre, propre et vide…. de sentiments de cœur ! Pas de fioritures, ni même de personnalisation, de petits mots d’amour. Sur la tombe, tout est vide comme dans ton cœur. Tout brille dans le dénuement. A quoi bon ! Tu assistais à la messe tous les dimanches et jours de semaine sur ton chemin de vie parfaite disais-tu. Tu regardais la messe télévisée, toujours ce satané confort de vie !
De Gérard
Aujourd’hui, maman est morte.
Elle n’en avait pas le droit.
Une mère ne devrait pas être autorisée à mourir,
Tous les hommes savent ça.
Que vais-je devenir maintenant ?
Seul dans la grande maison
Qui va sécher mes larmes ?
Qui va me câliner ?
Lorsqu’il a quitté la maison trois ans plus tôt
Papa m’a dit « Je te la laisse, pour toi tout seul. »
Bien sûr, j’étais triste que papa s’en aille
Mais d’un autre côté …
Nous étions si bien maman et moi
Unis comme les doigts de la main
Nous comprenant sans avoir besoin de nous parler
Pleins d’amour l’un pour l’autre
Pourquoi m’a-t-elle trompé ?
Quand j’ai entendu la voix grave
Compris la présence d’un autre
La nuit, dans sa chambre
Mon sang n’a fait qu’un tour
La carabine chargée derrière le comptoir
M’attendait
J’ai tiré deux coups
Ils sont morts dans leurs draps
J’ai enterré l’homme sous l’érable du jardin
Installé maman dans son rocking-chair
Là-haut, dans le grenier
Demain je ré-ouvrirai le commerce
Gèrerai les réservations
Rallumerai notre enseigne lumineuse :
« Motel Bates, depuis 1960 »
Les clients reviendront.
Norman
De Jacques
Cadre noir : la tristesse
Aujourd’hui, maman est morte. 12 septembre 2012, 10h45. J’ai reçu l’appel au travail. La veille, l’infirmier de soir, me téléphone pour me dire qu’elle est au plus mal. Aurais-je de dû aller à son chevet? Je traîne cette culpabilité depuis. D’un autre côté, ça aurait changé quoi? Qu’elle ne meure pas seule? Je crois que c’est plus cela qui me tire vers le bas chaque fois que cette pensée percute mon quotidien.
Nous sommes au travail lorsque le téléphone sonne. Une infirmière me dit que ma mère est décédée. J’annonce la mauvaise nouvelle à Jacinthe. Je pleure dans son cou. Nous retrouvons notre fille dans le garage, je lui parle doucement et elle comprend les sentiments qui me transpercent. Elle se jette dans mes bras en me disant qu’elle regrette de ne pas avoir été la voir plus souvent avec les enfants. Nous pleurons sous le regard des employés qui passent tout autour de nous.
Jacinthe et moi, nous partons pour aller avertir mon père. Il a failli s’évanouir. Nous téléphonons aussi à mon frère. Paul ne sait pas trop comment réagir, comme désemparé.
Nous avions de gros projets pour l’entreprise et un souper important avait lieu le soir même, devais-je y aller ou me morfondre toute la soirée? J’ai décidé d’y aller comme pour me soûler la tête de mots et de rester éveillé à mon environnement. Le travail, le travail pour oublier en tout cas pour repousser l’inévitable vide.
À la mi-août un vendredi, nous l’avions amenée dans le parc Regard sur le fleuve, non loin du centre… le mouroir comme elle l’appelait. Toute ma famille était présente. Les conversations étaient enjouées, mais elle n’était pas partie prenante. Elle n’entendait ni ne voyait plus très bien. Elle avait l’air tellement triste, tellement triste.
Il faisait chaud, le soleil enjolivait cet après-midi. Je lui avais laissé ma casquette pour la protéger d’un soleil dont elle n’avait plus l’habitude. Cette casquette a été pour moi comme une relique sainte puisqu’elle avait touché la tête de ma mère. C’était aussi la dernière chose qu’elle avait touchée qui m’appartenait. Plusieurs années plus tard, il a bien fallu que je me résigne à la laver.
Le dimanche suivant, nous arrivons à sa chambre, elle est assise dans son lit et me regarde en me disant : « Ne passe plus trois semaines sans venir me voir ». Je lui répète que nous nous étions vus trois jours plus tôt. Elle me regarde effarée ne sachant si je dis vrai ou pas. C’était le présage de la fin prochaine.
Mes journées s’assombrissent. Le chagrin qui m’habite s’habille aussi de soulagement… ne plus la savoir souffrante et triste. Elle espérait quitter ce monde tellement fort à chaque seconde de sa vie.
Il faut organiser les funérailles. Paul et moi rencontrons le curé, ma mère était croyante, c’est la chose à faire et ce, même si ce crétin n’est même pas foutu de se croire lui-même croyant. J’endure ses niaiseries et son plan de travail prédéterminé… un canevas qui ressemble plutôt à de la paresse intellectuelle. Bref, je n’ai jamais aimé ce gros mou.
Avec le paternel et Paul, nous allons au funérarium pour faire les arrangements. Bien que l’accueil soit chaleureux, je n’ai pas envie d’être là.
Quelques jours plus tard, c’est le moment de lui dire adieu. Mes oncles et mes tantes Caron et Larochelle et des membres de ma belle-famille sont là. Je suis un peu perdu. Je mélange les noms.
En jasant avec une amie, je lui dis que ma mère avait beaucoup d’humour. Je lui raconte qu’après l’accouchement de mon frère, ils sont allés dans la famille de ma mère. Ma tante Janine trouvait extraordinaire tout ce que mon frère faisait : rire, pleurer, sourire, etc. De retour à la maison, Maman a mis dans une petite boîte d’allumettes une petite crotte toute sèche de mon frère et l’a envoyé à ma tante en écrivant : « voici un souvenir de mon extraordinaire fils ». Mon amie ne savait pas trop comment réagir, prise entre fou rire et un « ho! » gêné.
À l’église, mon père, Paul et moi, nous nous tenons par la main. J’ai pleuré, Jacinthe et Timothy (petitfils) sont venus me trouver pour me consoler.
Ce gros crétin de curé a fait en sorte de massacrer un moment triste avec son canevas idiot.
Au cimetière, ma petite fille Cassy est allée voir mon père en disant : « grand-papa chocolat[1] doit être triste et lui a tendu les bras pour le serrer dans ses petits bras ». C’est très certainement le moment le plus merveilleux de cette terrible journée.
Au début, je rêvais à elle et une nuit une voix m’a dit : « Il faut que tu la laisses partir maintenant ». Je pense très souvent à ma mère. Je lui parle même.
Le 23 février prochain, elle aurait eu 107 ans. Elle me manque tellement.
([1] Ma mère donnait toujours du chocolat à mes petits-enfants lorsqu’ils allaient la voir. Le nom est resté : grand-maman chocolat et grand-papa chocolat.)
De Catherine
L’abandon
Aujourd’hui, maman est morte. Un grand claquement sec et suffisamment fort pour me faire sursauter a précédé sa chute. Elle est tombée sans crier ni gémir, frappée en pleine course. Elle semble ne pas avoir eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. C’est sans doute mieux pour elle, car elle n’a pas eu mal.
Je me suis approché d’elle, ne sachant si c’était un jeu ou si elle était partie pour de bon. Ses grands yeux marron, toujours pleins de tendresse, n’exprimaient plus rien, fixés sur le néant. Aucun souffle n’émanait plus d’elle, son ventre et sa poitrine ne se soulevaient plus dans leur rythme de vie habituel. J’ai essayé de la faire bouger, pour conjurer le mauvais sort et nier la vérité de l’instant. Mais elle n’a pas répondu à mes sollicitations. Alors, j’ai dû me rendre à l’évidence : maman est morte, et maintenant, je suis tout seul, perdu dans notre grande forêt, où papa avait aussi rendu l’âme quelques mois auparavant.
De grosses larmes ont coulé de mes yeux sur le mufle de maman, avec lequel elle me gâtait de mille bisous humides. Mais, à contrecœur, il a fallu que je l’abandonne vite , car les chiens arrivaient à grands coups d’aboiements, galvanisés par les cris des hommes aux bâtons de fer qui tuent les mamans. Un dernier câlin mouillé, mufle à mufle, et je me suis enfui le plus loin possible du vacarme des meurtriers de ma mère.
Je suis encore très jeune et mes andouillers commencent à peine à pointer. Je suis livré à moi-même, mais en hommage à mes parents, je dois me construire une belle vie de cervidé, avec les plus gros bois de la forêt. Je veux qu’ils soient fiers de moi, s’ils peuvent me voir d’où ils sont. À mon tour, j’aurai un jour progéniture que je devrais protéger des dangers de l’automne.
Tout en fuyant, le cœur bien gros, je pense très fort à ma maman, car c’est terrible : aujourd’hui, maman est morte .
De Lisa
Aujourd’hui, Maman est morte…L’un de ses fils parle devant le cercueil
Maintenant que tu es là-haut
A donner des ordres autrement
On doit t’avouer un secret
Que ton garçon a une beauté
Fais-nous un signe de « joie »
ça te changera de ton quotidien
Je t’en prie, ne dis rien
De la différence d’âge
Dis-moi, que tu seras là pour leur noce
18ans de différence
Alors…
Le Diable va en Enfer
Petit ange au Ciel
Pour rejoindre les ainés
Pour retrouver Papa !
Ce n’était pas comme je croyais
Tout le monde connaissait le secret
Là-bas, tu seras au noce
Comme l’ange de ton gosse
Dis-moi, que tu seras là pour leur noce
18ans de différence
Alors…
Le Diable va en Enfer
Petit ange au Ciel
Pour rejoindre les ainés
Pour retrouver Papa !
De Zouhair
Vertige
Aujourd’hui maman est morte. Nous sommes un 24 avril, je m’en souviens. Mon frère aîné m’a téléphoné en me disant : « maman est morte », d’une voix neutre.
Comme pour être en accord avec sa neutralité, je lui demande : « A quelle heure » ? A ma grande surprise, il s’emporte et me reproche de m’intéresser à un détail au lieu de considérer l’essentiel, la mort de sa mère. Il se reprend et finit par lâcher : « à 16h30, aujourd’hui ».
-Tu vas aller à son enterrement ?
-Non, je n’ai pas les moyens de prendre l’avion. De toute façon je lui avais déjà dit au revoir la dernière fois que je l’ai vue. Et toi, tu vas y aller ?
-Je viens d’être viré de mon emploi et j’ai deux enfants à charge. Je n’ai pas les moyens de prendre un billet d’avion moi non plus.
Les sanglots me submergent dès que je raccroche l’appareil.
J’ai beau savoir qu’elle était malade depuis plusieurs années, je ne me fais pas à l’idée de ne plus la voir, de ne plus l’embrasser, de ne plus sentir son odeur. Elle était mon soutien et ma pourvoyeuse de tendresse, surtout depuis que j’avais moi-même des enfants.
Prostré dans un coin de la pièce, j’évoque mentalement tous les moments heureux que nous avons passés ensemble, les moments douloureux aussi, comme lorsqu’elle a été victime d’un AVC et que je l’ai transportée moi-même à l’hôpital, faute d’ambulance. Je réalise que je ne pourrais plus jamais vivre ces moments-là. Les sanglots reviennent. Je suis dans mes souvenirs quand j’entends tout d’un coup la voix de ma femme :
– Tu comptes passer ta journée à te lamenter sur ta mère morte ? N’oublie pas qu’il y a les courses à faire, par exemple !
Ravalant mes larmes et mon chagrin, j’obtempère mais j’en veux à ma femme de ne pas avoir compris que les tâches domestiques, aussi indispensables soient-elles, ne signifient plus rien lorsque l’on vient d’apprendre que sa mère est morte.
Cela relève pour moi d’un manque d’empathie, surtout que ma mère est morte à l’étranger et que je ne peux même pas aller lui dire adieu.
Je sors faire les courses à la supérette du village et, alors que je me trouve entre le rayon des couches pour bébés et les petits pots de légumes mixés, je me sens complètement étranger à ce monde. Je ne sais plus ce que je fais là ni quel sens donner à mon activité.
Je sors du magasin sans avoir rien acheté puis me dirige vers la montagne toute proche. Je marche comme un automate, le cerveau complètement vide. Je grimpe le petit sentier de randonnée qui mène jusqu’au col. J’emprunte souvent ce sentier lorsque j’ai besoin d’évacuer un stress ou juste parce que j’ai envie d’être seul. J’aime bien passer devant l’artisan qui fabrique des jardinières creusées dans des troncs de sapin et où, l’été, fleurissent de magnifiques géraniums…
Mais nous sommes en avril. La terre est encore couverte de neige par endroits ou gelée et les chemins sont glissants. Je m’y engage quand même, mû par je ne sais quelle force invisible qui me commande de marcher.
Au bout de plusieurs heures de marche où je ne ressens aucune fatigue, j’aperçois le sommet vers lequel aboutit le chemin. La nuit tombe mais je ne m’en soucie guère et plusieurs fois je trébuche sur des branches ou des troncs. Parfois, je me rapproche dangereusement des ravins vertigineux et lorsque je m’en rends compte, je reviens vite au milieu du chemin.
Il est toujours temps de revenir à la maison, ma femme doit commencer à s’inquiéter, me dis-je, mais je ne m’y résous pas.
Puis, c’est la nuit noire. Je n’y vois plus rien. Je tangue comme un bateau ivre sur une mer peu sûre. Je n’ai aucun souvenir d’avoir glissé et d’être tombé dans un ravin douze mètres plus bas. Tout ce qui me revient, c’est l’image de ma mère qui me vient en aide, des bébés qui pleurent et ma femme qui se lamente. J’espérais, dans mon état de semi-conscience, qu’elle regrettait maintenant de m’avoir envoyé faire les courses alors que j’avais besoin de faire un deuil. Et si j’étais mort ? C’est elle qui aurait dû faire un deuil, avec deux enfants sur les bras !
Ce sont les pompiers qui m’ont retrouvé, sur les indications de ma femme qui connaissait les endroits où j’allais me balader. Ils m’annoncent que j’ai passé la nuit un pied trempé dans le ruisseau, incapable de l’en sortir car je m’étais cassé la jambe en heurtant un sapin. Le corps tout tordu, je m’étais déplacé plusieurs vertèbres aussi. J’étais en hypothermie et je risquais l’amputation de plusieurs orteils.
A mes sauveteurs qui me reprochaient mon imprudence, je ne savais pas quoi répondre.
– Je ne sais pas ce qui s’est passé, leur répétais-je à l’envie, puis à la fin : hier maman est morte.
De Lucette
Aujourd’hui maman est morte…
J’avais 8 ans. J’entendais le remue-ménage dans la rue, je ne comprenais pas pourquoi maman ne se réveillait pas, pourtant il faisait grand jour…
Je m’appelle Nadine, ma mère tenait une mercerie, et toute la journée ça papotait entre ma mère et les clientes à l’affût du moindre commérage. La vie se coule doucement avec l’amour que je reçois d’elle, car mon père, lui est enterré comme « soldat inconnu à l’Arc de Triomphe de Paris ». Ne riez pas, je l’ai longtemps soutenu avec toute la véhémence de ma jeunesse. Je sentais que tout le monde riait sournoisement quand je le disais, puis un jour ma mère m’a expliqué que s’il était inconnu, ce n’était sans doute pas mon père. Par déception et manque de curiosité, je n’ai pas posé d’autres questions.
Donc, le printemps est arrivé, tout refleurit, la vie est belle, mais ma mère doit être très fatiguée car elle ne se réveille pas. J’entends les pipelettes sonner à la boutique, j’entends leurs appels « Nelly, tu n’ouvres pas aujourd’hui ? ».
Mon instinct me renvoie vers ma mère, je l’embrasse, lui demande de se réveiller, je me colle contre son corps pour la réchauffer, je sens sa froideur à travers mon pyjama. Au bout de quelques minutes, j’en ai marre, je me dirige vers la porte pour faire taire toutes les bonnes femmes, pour laisser maman se reposer. Je leur explique la situation, deux d’entre elles me bousculent, et montent quatre à quatre les escaliers. Elles m’empêchent de rentrer, et je les entends parler à mi-voix. Je n’entends que des murmures, des bouts de phrases. Au bout de quelques minutes, la grosse Germaine ressort, m’attire vers elle, je respire sa sueur, elle m’annonce sans prendre de gants « Nadine, ta mère est morte ». Je ne veux pas le croire, pas maman, elle si belle avec ses longs cheveux bruns tout bouclés. Même, elle a du succès, souvent j’ai des tontons qui viennent la voir, et repartent le lendemain matin…
Je dois me rendre à l’évidence, car maintenant, c’est un défilé qui monte et qui descend. J’entends, « que va-t-elle devenir ? A -t- elle de la famille ? A l’assistance publique, elle serait trop malheureuse. » Je suis perdue, oui que vont- ils faire de moi ? Ma mère est enterrée, il y a beaucoup de badauds et peu de fleurs, elle qui les aimait tant…
Et moi, moi, j’ai quatorze ans, ils ont décidé pour moi, sans me demander mon avis, que j’irai travailler à l’usine et en pension chez un lointain cousin en attendant ma majorité à 21 ans.
De mauvais grâce j’ai suivi leurs conseils. Que pouvais-je faire d’autre ? Je suis glacée à l’intérieur, ma mère ne peut plus me faire de câlins, elle me manque tellement. Les années passent. J’ai maintenant 18 ans, je suis un beau brin de fille, c’est le seul héritage que j’ai reçu de ma mère, « sa beauté » et après qu’est-ce que je vais en faire de cette beauté?
Je tourne et retourne dans ma tête que je ne peux plus rester ici à faire ce travail de bagnard, je dois prendre ma vie en mains. Je ne dis rien à personne, j’ai quelques petites économies à force de privations, je me renseigne pour un aller simple, direction la capitale. Je fuis, une fugue en quelque sorte, je ne suis pas majeure. Mon pauvre pécule a vite fondu. Malgré ma naïveté, j’étais en état d’alerte, dans tout ce brouhaha, ces regards louches, une fée vint à moi…
Une dame très aimable, fort maquillée, s’approche et me demande ce que je fais ici avec mon maigre ballot. Je lui explique succinctement ma situation. Elle me dit « il ne faut pas rester seule, viens chez moi, je vais t’héberger le temps que tu trouves ta voie. » Je ne t’oublierai jamais Maggy, tu m’as donné d’excellents conseils, je ne t’ai jamais jugé pour le métier que tu as exercé, et du fond u cœur, tu ne remplaces pas ma maman, mais tu es ma deuxième maman…
Un jour, j’ai répondu à une petite annonce qui recherchait une jeune figurante. Mon sourire les a séduits. Faire la figurante, c’est vrai, mais de façon très fulgurante…
Toutes ces lumières, cette atmosphère inconnue pour moi, les costumes, tout me plaisait.
Avec mes maigres ressources, j’ai pris quelques cours de théâtre. Puis, j’ai joué dans la rue moyennant quelques pièces jetées à terre. De fil en aiguille, j’ai pris de l’assurance, j’ai été repérée, et enfin un cinéaste m’a donné un petit rôle de jeune première un peu dénudée. J’ai saisi la chance, mon nom d’artiste était « Nadine Tellier ». Mon vrai nom était « Nadine Lhopitalier ». Il s’est affiché de plus en plus grand, j’étais une petite « starlette » …
Quelques années ont passé. J’ai continué à faire des films, puis mon destin a changé du jour au lendemain, après une rencontre incroyable. Un Monsieur distingué m’a invité dans un Palace bien connu de Paris. Il a divorcé, m’a épousée et je suis devenue Nadine de Rothschild. Vous connaissez la suite…
J’ai un peu romancé l’histoire, mais Nadine Tellier a vraiment existé, d’ailleurs elle est toujours en vie, c’était une enfant pauvre de Picardie. Elle a travaillé en usine pour aider sa mère, est devenue comédienne, et a épousé le Baron Edmond de Rothschild. Excusez du peu…
Elle a toujours cru en son étoile, et elle a décroché la lune…
De Nicole
Aujourd’hui maman est morte.
Ou peut-être hier, je ne sais pas.
J’ai reçu un télégramme du home.
Enterrement sous huit jours.
Je suis entre deux rives.
Celle qui t’aime et celle qui te déteste.
Celle de l’amour inconditionnel qu’enfant je te portais, toutes griffes dehors contre ceux qui te blâmais.
Parfois, je me promenais dans les souvenirs de mon père avant son suicide, essayant de comprendre son abandon, cela te fâchait .
Celle qui te déteste pour l’alcool, tes délires, tes esclandres, tes haines, tes mensonges et surtout tes gifles, tes coups et ta jalousie maladive à mon adolescence, ton refus de me laisser vivre ce que j’avais à vivre.
Juridiquement émancipée, je t’ai quittée à presque dix-sept ans.
Mariée à vingt-deux ans, je t’ai revue.
Toujours la même, prête à médire, à te fâcher.
Avec mes enfants, tu as rejoué le chantage au suicide qui a tant marqué mon enfance.
Pour un peu de légèreté, j’ai renoncé à l’image de la mère idéale, je me suis extraite de cette relation qui me blessait.
Le petit caillou noir dans mon coeur grossissait trop.
Et te voilà morte.
Le passé réveillé tourne autour de moi, saute à pied-joints, me piétine à nouveau.
Je n’ai rien accepté en souvenir de toi. Enterrement en tout petit comité, un seul bouquet acheté sur le pouce, je n’y avais même pas pensé.
Nerveuse sur ma rive, je suis soulagée de cette pesanteur.
Un renaissance à quarante-six ans.
Trente ans plus tard, maman inconditionnelle de mes enfants, je crois t’avoir pardonné, une autre libération.
De Michèle
Aujourd’hui maman est morte. Le ciel est aussi triste que la situation. Il pleut et le vent souffle violemment, résumant la révolte de mon coeur.
Je savais que cela devait arriver très rapidement, car ses séances de chimiothérapie ne donnaient plus aucun résultat positif, depuis quelques semaines.
Débout, tremblante, je scrute son teint blanc, ses yeux fermés sans aucun frémissement et je décèle une paix que je n’avais plus vue depuis longtemps, car au-delà de ses sourires, ses yeux exprimaient une douleur intense.
Tandis que mes larmes coulent évacuant le chagrin qui me brise, je sens une main qui se glisse dans la mienne. Je tourne la tête vers Mathieu, le visage ravagé, qui essaie de parler sans y réussir. Puis, il se laisse tomber sur une chaise avec des grognements de douleur.
Maman ne se plaignait jamais. Je venais la voir 2 fois par jour pour soulager Mathieu, son compagnon, Papa étant décédé dans un accident de voiture il y a 15 ans. Elle s’était installée 5 ans plus tard avec son meilleur ami, divorcé. Il avait été tellement présent après cette tragique disparition.
Elle venait de fêter ses 45 ans, et son cancer détecté la vieille de ses 42 ans, ne lui avait plus laissé de répit.
Une place vide va se créer dans le coeur des personnes qui l’aimaient. Elle a toujours été à l’écoute des autres, en tant que psychologue scolaire. Même si elle ne travaillait plus depuis des mois, mais recevait, malgré tout, ceux qui en avait vraiment besoin, pour les guider.
Je suis sa fille unique, je suis orpheline. Elle s’était tant battue pour moi depuis la disparition de papa. Je n’avais que 6 ans.
Elle était si heureuse le jour où je suis venue, pour déposer Axel dans ses bras, il y a 8 mois. Elle ne pouvait déjà plus beaucoup bouger, mais de voir son petit-fils avait fait rayonner son visage usé par la douleur. Je venais régulièrement avec lui pour qu’elle puisse passer des instants heureux avec ce bout de choux pétillant, qui la faisait rire faiblement.
Elle ne lisait plus. Tenir un livre était devenu trop fatiguant. Je lui avait acheté un casque branché sur une clé USB sur laquelle je lui téléchargeais régulièrement des livres audios. Elle, qui lisait beaucoup de sujets concernant la spiritualité, la philosophie, la psychologie ou des biographies, ces derniers temps préférait des livres d’amour à l’eau de rose, qu’elle dévorait par les oreilles. Ce romantisme lui apportait de la sérénité.
Mon esprit vagabonde, et je me pose mille questions pratiques. Qui dois-je appeler? Où est son carnet d’adresses? Ses ami(e)s proches vont certainement venir comme d’habitude. Dois-je laisser Mathieu s’occuper de tout ça?
La sonnette retentit. Je descends et à la porte d’entrée deux visages inconnus avec chacun une rose blanche.
« Bonjour, nous sommes les voisines et le médecin nous a dit pour votre maman, peut-on la voir ? »
« Oui » en leur laissant le passage.
Au même instant, arrive avec de grands signes, Valérie, sa plus proche amie qui n’est pas encore au courant.
Au pied du lit, nous sommes tous silencieux, tristes, douloureux, anéantis.
Mathieu sort de son état léthargique en murmurant: « quelqu’un veut du café? ».
Et se tournant vers moi « Tu peux rester un peu ce soir ? Il y a tant de choses à mettre en place et je me sens dépassé ».
De Marie-Josée
Triste journée
Aujourd’hui maman est morte. Un coup de tonnerre dans le ciel bleu, un coup de poignard dans le cœur. Il fallait que je la voie, tout de suite. Quelques affaires jetées pêle-mêle dans un sac de voyage et me voilà sur l’autoroute. J’étais la plus éloignée géographiquement, il n’y avait pas de temps à perdre. Cette réflexion me parût dérisoire et tout au long du trajet, le texto m’annonçant cette nouvelle défilait devant mes yeux comme les voitures que je doublais.
Dimanche dernier, lors de notre conversation téléphonique, tout allait bien pourtant. Elle était comme d’habitude, avait plein de projets, notamment celui d’un grand voyage dont elle ne voulait pas encore parler.
C’est vrai que je ne suis pas rentrée depuis quelques mois. Les obligations professionnelles me retenaient à Paris et avec les enfants, les déplacements tournaient à l’expédition. Je lui avais promis qu’on passerait une semaine ensemble pendant les vacances d’été, quitte à raccourcir mon séjour à la mer. C’est encore loin, m’avait-elle répondu et elle a changé de sujet.
C’est elle qui maintenait le lien entre la fratrie éparpillée aux quatre coins de l’hexagone. Elle avait attribué le mercredi à mon grand frère, le vendredi à mon petit frère, et le dimanche à moi pour ce que nous appelions en plaisantant ‘’le rapport hebdomadaire’’.
A son grand regret, elle n’a jamais exercé d’activité professionnelle, elle en appréciait que davantage nos réussites même si elles nous ont éloigné d’elle. Son statut de ‘‘mère au foyer’’ avait fini par la combler. Au fil du temps, elle était devenue le pilier sur lequel reposait tout son petit monde et elle en été fière.
Ses conseils étaient toujours judicieux et bien plus fiables que ceux sur les réseaux sociaux et on y avait souvent recours. Elle décrochait toujours avec une petite appréhension lorsque l‘un de nous l’appelait en dehors des jours fixés, craignant qu’il y avait un problème, ce qui était souvent le cas, mais parfois aussi pour annoncer une bonne nouvelle comme ce jeudi lorsque j’ai crié dans le combiné :
« Tu vas être grand-mère. Je n’ai pas pu attendre jusqu’à dimanche pour te le dire ».
« Tu as bien fait, je suis tellement contente, j’espère que cela donnera des idées à tes frères qui ne semblent pas pressés d’agrandir la famille. J’ai hâte d’avoir une ribambelle de gosses dans mes pattes ».
Après le décès de papa, elle s’était retrouvée seule dans cette grande maison à entretenir qu’elle ne voulait pourtant pas quitter pour se rapprocher de l’un de nous. D’ailleurs, quel aurait été l’heureux ou le malheureux élu ? ironisait-elle. Mieux valait s’abstenir et tant pis si on enrichissait les opérateurs téléphoniques.
Son humour décapant me manque déjà. Elle avait le don de faire passer des messages désagréables sur le ton de la plaisanterie et ne comprenait pas que cette façon de faire n’était pas au goût de tout le monde. Son expression favorite était : « Il vaut mieux en rire qu’en pleurer », haussait les épaules quand on le lui signifiait et jurait ses grands dieux qu’elle ferait attention à l’avenir mais on ne se refait pas.
Elle quittait son univers qu’une fois par an car elle adorait voyager. Elle s’était fixée comme objectif de mettre le pied sur les cinq continents, le seul qui manquait à son palmarès était l’Australie et elle était bien décidée à y aller un jour.
Elle était restée coquette et je m’étais juré qu’on organiserait un après-midi shopping comme lorsque je vivais encore à la maison. On ferait une pause dans sa pâtisserie favorite avec des éclairs à la vanille dont elle raffolait avant de repartir à l’assaut des boutiques. Invariablement, elle disait que ce n’était pas bon pour sa ligne en y mordant à pleines dents et qu’elle aurait peut-être mieux fait de prendre la taille 40 au-lieu de s’obstiner à vouloir rentrer dans un ‘grand’ 38. Alors, on éclatait de rire et on commandait un deuxième éclair, ce n’était pas tous les jours qu’on se lâchait.
Elle nous réunissait tous dans la maison familiale à Noël, Pâques et pour son anniversaire, pas question d’y déroger sous peine de crime de lèse-majesté. Ces rituels semblaient immuables jusqu’au jour où elle nous présenta Adrien. L’irruption de cet ‘’individu ‘’ dans son monde réglé comme du papier à musique nous surprit grandement. Elle nous expliqua qu’elle l’avait rencontré lors de son voyage en Inde et ils s’étaient découverts beaucoup d’atomes crochus. Les garçons étaient franchement hostiles à cette relation et moi j’étais plutôt mitigée, mais j’ai décidé de lui laisser une chance.
Les choses se gâtèrent vraiment quand il emménagea chez elle. Les retrouvailles devinrent de plus en plus sporadiques et finirent par s’arrêter. J’avais du mal à comprendre l’attitude de mes frères, j’estimais que c’était à maman de savoir si cette relation lui convenait ou pas. Nous n’échangions pratiquement plus que par téléphone ou Skype et j’étais la seule à rentrer une fois par an à l’occasion des vacances d’été. Maman était venue passer une semaine chez moi, lors de la naissance de mon petit dernier, c’était la dernière fois que je l ‘ai vue.
Je suis arrivée à la maison après 5 heures de trajet à la tombée de la nuit. A ma grande surprise, ce n’est pas Adrien qui m’ouvrit la porte mais mon frère aîné qui s’effondra dans mes bras en disant :
« Elle s’est suicidée».
Incrédule, je lui répondis :
« Ce n’est pas possible. Je lui ai parlé dimanche. Tout allait bien. Elle avait même des projets de voyage… ».
Je n’ai rien vu venir. C’était donc ça, son projet de voyage et moi qui croyais qu’elle voulait aller en Australie.
Poème de Nelly Chamard, « Un désir de silence », proposé par Françoise T (hors proposition d’écriture)
Rien ne s’oublie pourtant de notre imaginaire
Les vieux mots de patois blottis dans le creux des pierres,
N’ont pas pris le temps d’aller au cimetière
Et leurs pages dormiront à jamais sans désir.
Un désir de silence se blottit dans les pierres
Incrustées de la nuit une poignée d’étoiles
Sous l’œil bleu de la lune aux racines de terre,
Nul ne sait le chagrin enfoui dans la poussière.
Nul ne sait la douleur du silence et la pierre,
Qui suspend son instant à toute éternité
Sur le fil blanc du vent où se bercent les cris
Des oiseaux sans enfance et des âmes absentes.
Un désir de silence accompagne les hauteurs
De Livron le vieux bourg, l’aube est sans paroles
Des fantômes de vie dans leur mort souveraine
Rôdent sans sommeil dans le souffle du Temps.
Quel que soit notre âge, on n’est pas jamais prêts à laisser partir ses parents…il me semble!
Je vous souhaite un beau weekend (même si la météo est exécrable pour certains!) et je vous donne rendez-vous début mars pour la proposition d’écriture N° 124.
Réjouissez-vous, le printemps arrive: vendredi après-midi, les grues sont passées au-dessus de chez moi, dans le sud Charente-Maritime! Adieu monsieur Hiver!
A bientôt!
Portez-vous bien et prenez toujours soin de vous!
Créativement vôtre,
Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE
