Pour cette proposition d’écriture N° 180, il y a eu beaucoup de vent, de mer déchaînée et de tempêtes. Normal, c’est de saison, vous me direz. Et des personnes qui cherchent des réponses à leurs questionnements. Face à la mer, que cherche-t-on?
Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture.
De Chritine T
L’attente
« Si vous aimez une personne, laissez-la partir, car si elle revient elle a toujours été à vous. Sinon, elle ne l’a jamais été ». Khalil Gibran
Cette phrase emplie ma tête. Je ne peux accepter son départ, je ne peux accepter de vivre sans elle. Il a fallu plus d’un an pour que nous arrêtions vraiment notre relation. J’avais mal, je voulais la garder pour moi et puis un jour, je lui ai envoyé un mail en lui disant que je lui souhaitais tout le bonheur du monde et peu importe où, avec qui, c’était je crois ma dernière preuve d’amour pour elle. Elle a pris au pied de la lettre ce que lui ai écrit.
Un jour, elle m’a informé qu’elle partait, loin, très loin. Qu’il fallait que j’accepte.
Elle a eu des mots tendres, elle a eu des mots violents.
-Regarde-toi, tu vis dans un monde de vieux. Tu es confiné dans une vie de petit vieux et je ne veux pas me laisser enfermer dans ton monde.
Elle a ajouté :
-Regarde-toi dans une glace, tu es vêtu comme un vieux. Qui de nos jours s’habille de cette façon ? J’ai honte lorsque nous nous promenons à cause de tes fringues d’un autre âge, que tu ne veux pas quitter ; c’est à mourir de rire. Oui, je sais, tu vas me redire pour la énième fois que tu dois être vêtu ainsi pour te rendre à ta banque. Mais les autres jours, soit un peu plus décontracté, relâche-toi, vis.
Ses phrases dites dans le but de me blesser ont atteint leur but, d’autant qu’elles étaient en partie vraies. Je sais que je ne suis pas comme les « djeunes » qu’elle a plaisir à côtoyer. Des plus jeunes que moi, des gens de son âge qui la font rire. Moi, je ne sais que prendre soin d’elle, de l’aimer, la choyer et ceci, malgré mon côté un peu rétrograde.
Aujourd’hui, je l’espère heureuse, sincèrement. Voilà quatre mois que nous ne nous sommes plus vus, que je n’ai plus de nouvelles du tout, comme si elle avait disparu de la surface de la Terre. Je ne dis pas que ça ne me fait pas encore mal, je me demande surtout ce qu’elle devient, si elle va bien. Mais je sais que si elle a fait ce choix, c’est qu’elle est heureuse ainsi et je ne peux pas lui en vouloir.
Pourtant, j’espère son retour. Je me souviens de ce jour où je l’ai accompagné jusqu’au port. Elle voulait partir en bateau, prendre le temps de penser, de se projeter, comme elle me disait toujours, pour refaire sa vie. La mer était calme, comme elle. Moi, j’étais malheureux, engoncé dans mon costume trois pièces quelque peu suranné.
-On croirait que c’est mon père qui m’accompagne, a-t-elle réussi à me placer.
-Ne sois pas aussi méchante, ça ne sert à rien cette acrimonie à mon égard !
-Tu as raison, et je ne vais pas t’oublier. Je t’aime, mais je pars, je veux vivre.
Ses mots sont un baume sur mon cœur endolori, une forme d’espérance. Depuis ce jour maudit, je vais, presque chaque jour, regarder l’océan. J’ai dans ma tête le bateau qui s’en va vers l’inconnu. Ce bateau que j’ai suivi jusqu’à ce qu’il se dissolve dans la ligne d’horizon de l’océan, où un soleil couleur de lave incandescente l’engloutissait peu à peu.
Aujourd’hui, comme beaucoup des jours précédents, le soleil a disparu, comme s’il ne voulait pas m’offrir un brin de chaleur. Réconforter mon cœur endolori.
Je pense qu’un jour moi aussi je vais monter dans ce paquebot ; mais je suis lâche, je sais que je ne le ferais pas. Alors, je vais sur la plage, muni de ma valise, celle qui devrait m’accompagner jusque-là bas. Pour me donner du courage, mais aussi pour me rassurer, notre chien Blaky, celui que nous avons choisi ensemble à la SPA, m’accompagne. Lui aussi est malheureux, il l’aime tellement.
Je me sens ridicule engoncé dans mes vêtements de « vieux ». Je lui dis, tout bas :
« Mon cœur, je vais acheter des vêtements plus jeunes ; un jean, un beau pull, comme ceux que tu aimes. Un sac à dos comme ceux que tu utilises ; tu verras, tu ne me reconnaîtras pas ! »
Aujourd’hui l’océan est démonté, j’espère qu’elle ne reviendra pas aujourd’hui, c’est trop dangereux
-Blaky, nous reviendrons demain.
De Christophe
Tout cela avait commencé avec un pari stupide.
-Bon, je vous laisse, j’ai un rendez-vous client dans dix minutes, dit Jacques en attrapant son manteau au dossier de la chaise qu’il occupait.
C’était la fin du premier service à la Brasserie de la Baudroie. Les collègues de Jacques auraient sans doute le temps de commander un café, puis de reprendre à leur tour le chemin du bureau. C’est fou ce qu’on a le temps de faire en dix minutes.
-Hé Jacques ! lança Jean-Claude, rigolard. Pas cap’ de t’envoyer cinq calvas cul-sec… Histoire d’être bien à l’aise pour ton rendez-vous client !
Jacques, on le sait au bureau, faut pas le pousser beaucoup pour qu’il se la joue, genre : fier combattant viking, guerrier invincible. On se souvenait encore de cette mise au vert qui s’était achevée au bar du centre de séminaire, à pas d’heure, avec un Jacques torse nu, la cravate nouée autour de la tête, brandissant une hache dénichée on ne savait où dans les réserves du centre, et braillant à tue-tête : « Winnetou boire eau de feu ! ».
Ce qu’on avait rigolé ! Le lendemain, devant les présentations PowerPoint du chef des ventes, on avait bien remarqué que certaines et certains piquaient du nez… Pas frais ! Mais bon, dans ces métiers-là, il faut pouvoir décompresser. Du moment qu’on continue de faire du chiffre sur le terrain…
Ajustant son manteau, Jacques fit un signe avec désinvolture au patron derrière le bar :
-Six calvas, Pierrot!
Eclat de rire à la table des collègues. A part Martine qui leva les yeux au ciel en soupirant : « Bonjour la maturité ! »
-J’avais dit cinq, rappela Jean-Claude avec un sourire en coin.
-Bah, quand y en a pour cinq, répondit Jacques avec un clin d’œil…
Les six verres étaient alignés et sans une hésitation, il les descendit méthodiquement l’un après l’autre.
-Allez, à plus les minus !
Et il partit à son rendez-vous en faisant un dernier signe de la main à la tablée.
L’alcool met toujours un peu de temps avant de faire de l’effet, surtout après une blanquette de veau. N’empêche : six calvas par-dessus un repas agrémenté d’une carafe d’eau, certes, mais aussi d’un quart de rouge, ça commençait à peser sévère.
« Aucun souci, songea Jacques, c’est pas comme si j’avais picolé à jeun, sur un ventre vide ! ». Il tendit la main à son client et démarra son rendez-vous avec son habituel baratin de conseiller. Conseiller, tu parles. Je te conseille surtout d’acheter, de claquer ton pognon, de me faire une foutue vente qui va exploser ma moyenne, et me faire une bonne commission pour clôturer le mois ! En arrière-plan, le computer Jacques carburait à cela, tandis qu’en fond d’écran, il affichait un sourire et une mise impeccables.
-Et si on allait fêter ça avec une petite coupe de champagne ?
Au bout d’une heure, Jacques venait de conclure l’affaire. L’encre de la signature en bas du contrat n’était pas encore sèche que le client offrait d’aller poursuivre la conversation autour de quelques bulles. Jacques commençait à avoir l’attention passablement émoussée. Juste à temps, pensa-t-il, maintenant je peux relâcher la pression.
-Pas de refus, dit-il à son client, une espèce de gros parvenu qui s’était mis en tête de se la jouer homme d’affaire.
La boîte autorisait ce genre d’extra si cela pouvait contribuer à consolider les relations avec la clientèle. Et puis, pas à dire, le Jacques commençait à se sentir un peu chaud. Ils se retrouvèrent donc un peu plus tard dans une sorte de bar à hôtesses. La première bouteille sembla s’évaporer comme une flaque d’eau en plein milieu du désert.
La suite devint de plus en plus confuse.
Il y eut un début d’embrouille avec un vague entrepreneur, décidé à se taper l’incruste avec Jacques et son client. Tous deux en étaient arrivés à se tutoyer et à se taper dans le dos avec un enthousiasme de vieux camarades de chambrée. Une des filles du bar proposa d’installer un karaoké. Le massacre de Sardou et Johnny s’accompagnait d’une consommation erratique de boissons fermentées et spiritueux en tout genre. Une dernière image rappelait à Jacques son embarquement plus ou moins consenti à bord d’un taxi.
La suite se dissipait dans des brumes aussi bien propres que figurées. Jacques avançait sur la plage. Le vent, chassant les embruns, avait retourné le parapluie qu’il tenait en main. Son costume, étonnamment, conservait sa tenue, à peine froissé, ce qui contribuait à sauvegarder un semblant d’honorabilité au conseiller en déroute. Il identifia également son attaché-case, pendu au bout de son bras gauche.
« Ah, pensa-t-il, avec un brin d’inquiétude, je suis donc repassé par le bureau… ».
Quelles péripéties l’avaient donc amené jusqu’au bord de la mer ? Peut-être une de ces imitations d’une scène légendaire du film « C’est arrivé près de chez vous » ? Pas improbable. Bien le genre de la maison. Surtout dans cet état. Mais flûte, pas le moindre souvenir de la manière dont s’était terminée la nuit.
Les chaussures de Jacques trempaient dans le jusant. Ses pieds étaient frigorifiés. La sensation de froid, en même temps que l’air vif, lui fit pourtant du bien. Il convoqua un effort de mémoire pour tenter de se souvenir des circonstances qui l’avaient conduit à trimballer ce chien qui se tenait à ses côtés. Lui qui, sans détester les clébards, n’avait jamais projeté d’en adopter un.
« C’est quoi ? Un Saint-Bernard ? Un Beagle ? ». Pour les marques de bagnole, Jacques était du genre incollable. Mais en races de chien, ses connaissances se limitaient à quelques noms hasardés au gré de souvenirs approximatifs. L’aube était grise, le ciel chargé annonçait une journée plutôt maussade.
-Ce que c’est beau, tout de même, la mer ! prononça-t-il pour lui-même.
Le chien lança trois aboiements joyeux, comme pour confirmer les propos de son nouveau maître. Un élancement déchira le crâne de Jacques, prémisses d’un costaud lendemain de veille. Il inspira profondément, regarda autour de lui. Aucune idée de l’endroit où il se trouvait. Puis il regarda sa montre et dit :
-C’est embêtant, je vais être en retard au bureau…
De Lisa
Inspiré de la chanson de « Au port d’Amsterdam » de Jacques Brel
Voici la suite du roman d’amour entre un chien « le guetteur de la nuit» et sa maîtresse, tout en parlant de son autre maitre, qui est en fait son fidèle, abandonné par la mort de sa bien-aimée.
Au port du Havre
Un guetteur de la nuit
Revient devant la plage
En de bonne compagnie
Au port du Havre
Un guetteur de la nuit
On vous reparle du chien
Et cette fois-ci, son autre maître est là
Au port du havre
Il y a toujours la pluie
Qui est cette fois est dans l’après-midi
Au port du Havre
On vous rappelle
Qu’on est dans l’imagination
Entre un homme et son fidèle
Et là, comme par hasard, ils sont face à la mer
Restant dans le silence comme il a fait sur la Terre
Il vient dire un bonjour à la maîtresse du chien
Pour ensuite quitter la plage pour rejoindre les copains
Et là tout à coup, il lui donne des conseils
Tout en pleurant et en regardant la mer
Il veut tout simplement qu’il protège
La fille de son frère de cœur, qui est sa maîtresse
Il est prêt désormais à retourner au ciel
Pour revoir l’autre vieillard, qui est son père
Préserver son cœur pour la chérir
Et prouver qu’il est fidèle à cette pauvre fille
Au port du Havre
Prêt comme sur le quai d’une gare
À rejoindre ses aînés et surtout le père de la mariée
Mais ce chien fidèle promet de rester près d’elle
Car sans elle
Le guetteur de la nuit aurait son cœur en berne
Au port du Havre
De Françoise V
Face à l’océan, il contemplait l’horizon dans les embruns d’un matin sous son parapluie retourné par le vent, sa valise à la main, son chien Titus à ses pieds, stoïque et méditatif.
Elle venait de partir. Il l’avait accompagnée jusqu’au port, puis avait suivi la plage lisse et nue de toute vie pour suivre du regard la trajectoire du navire. Il ne restait plus qu’un petit point sombre à l’horizon, un petit point qui s’effaça au fil des minutes. Le navire et Mathilde avaient disparu de son champ de vision. Il ne restait plus que l’océan, les vagues, le vent, les embruns et le duo homme-chien.
Lucie, la mère de Mathilde, les avait quittés il y a un an pour se rapprocher de sa propre famille. Sa vie avec Pierre n’était plus possible : trop d’animosité, trop de reproches, trop de tromperies, trop de mots cinglants, trop abattue par la « trique des mots ». Dans cette ambiance détestable, Mathilde préférait vivre sereinement avec sa mère et le Canada la faisait rêver. Elle avait trouvé du travail à la cinémathèque de Montréal. Une occasion unique pour une carrière unique. Elle avait choisi de rejoindre Lucie en voyageant en bateau plutôt qu’en avion tant elle craignait le décollage et l’atterrissage.
De son côté, Pierre n’avait pas accepté l’échec. Il projetait de refaire sa vie avec Lucie. Il avait mis tous ses espoirs pour repartir à zéro. Il s’était imaginé que la situation pourrait s’arranger en changeant de lieu de vie. Une décision personnelle sans consultation. Il n’avait toujours rien compris. Comme d’habitude, il voulait décider tout seul, sans tenir compte de l’avis de son épouse. Encore une erreur avec audace ! La marque d’un égoïsme et d’un entêtement qu’il n’a jamais voulu reconnaître.
C’est sur les quais du port d’embarcation que Lucie lui avait envoyé un texto pour lui annoncer qu’elle avait rencontré un homme dont elle était tombée amoureuse. Tous les espoirs de Pierre s’évanouirent comme un retour du bâton. A quoi bon partir. Sa place était prise. Il devait songer à un divorce. Mais quand donc reverra-t-il sa fille chérie!
De Katia
Le ciel était bas et lourd, chargé de fleurs de coton et de larmes iodées. La mer restait relativement impassible alors que le vent poussait sa corne. Novembre propulsait les frimas propres à cette saison.
À présent, il pleuvait sur Brest comme il pleuvait dans son cœur. Barbara tournait en rond, se rongeant les sangs et ne sachant que penser. Olivier devait la rejoindre, mais le tic-tac de l’horloge défilait, défilait, défilait… l’orage grondait à demi-mots au loin, languissant de faire sa magistrale entrée en scène. Les éléments étaient sur le qui-vive, prêts à se déchaîner comme souvent en Bretagne.
Elle aurait bien aimé voir la fin du tunnel de cette chienne de vie. Barbara était une enfant du soleil, une immortelle qui avait vu le jour sur l’Ile de Beauté. Elle avait rencontré Olivier dans son petit coin de paradis alors qu’il était en déplacement professionnel. Il avait quelque chose de spécial, son regard probablement. Doté d’une douceur infinie, empreint d’une humanité qui forçait l’admiration, il n’en demeurait pas moins qu’il faisait preuve d’un tempérament bien trempé, ce qui avait attiré Barbara et avait définitivement fini par l’ensorceler.
Ils s’étaient aimés immédiatement, passionnément. Barbara avait alors quitté sans crier gare sa terre natale pour que les deux inséparables chantent ensemble à Brest. Depuis l’enfance, Olivier était passionné par les bateaux. Voiliers, catamarans, jonques, pirogues, caravelles, flûtes, tant de sirènes envoilées représentaient tout ce pourquoi il s’était battu. Il supervisait, organisait les courses Guyader Bermudes, les transats Jacques Vabre, les routes du rhum… ces compétitions passionnantes lui laissaient peu de temps pour son idylle. Ces missions ardues, où l’excitation et le stress ne faisaient qu’un et l’éloignement fréquent, rendaient leur relation amoureuse chaotique.
Heureusement, Virgule, le Golden d’Olivier, aimait Barbara autant que son maître et veillait sur cette précieuse fleur des îles. Avec lui, elle se sentait moins seule, moins loin, moins mal. Le fardeau des compétitions devenait comme le temps, pesant, angoissant et un peu plus insupportable au fil des années. Barbara n’avait pas la vertu des femmes de marins.
En métropole, Barbara était devenue assez solitaire. Elle aimait être seule mais redoutait le fait de se sentir seule. Elle partageait son art de la photographie avec Virgule. Tous deux s’en allaient de bon matin arpenter les plages, les rochers, les digues, les vallons, la pointe du petit Minou contre vents et marées pour réaliser ses clichés en noir et blanc dont elle avait le secret. Virgule courait, jouait, jappait tandis que Barbara figeait pour l’éternité les aurores, les déferlantes, les crépuscules, les couchers de soleil, les éthers, étonnamment différents selon les heures de la journée. Ils rentraient tous deux fourbus et profitaient des flambées apaisantes du feu de cheminée. Le clair-obscur, c’était pourtant un peu l’histoire de sa vie à Barbara. Elle souffrait de ce vide abyssal, mais Virgule mettait tout en œuvre pour mettre un arc-en-ciel dans ses pensées.
Olivier travaillait énormément, intensément, réalisant parfois le projet de deux ans en six mois. Cependant, il nourrissait des desseins avec Barbara, ceux que l’on projette quand on est amoureux. Il avait fait une promesse à Barbara, et non des moindres, celle d’arrêter les courses, les transats. Mais la mer avait été plus forte. Elle avait englouti son esprit et son âme. Elle le rappelait toujours, le happait jusqu’à s’emparer de lui. Barbara se sentait désemparée, impuissante face à cette divinité marine et n’avait plus la force de lutter, pas cette fois, pas encore.
Lorsque Olivier rentra du Havre cet après-midi-là, tout était devenu aussi noir que ses clichés, tout se mélangeait, tout allait exploser, les éléments comme leur histoire. La tension était palpable, électrique. La dispute éclata, terrible, immaîtrisable. Tandis que la pluie déferlait, les larmes se déversaient.
Olivier siffla Virgule, prépara un maigre bagage et brava les rafales glaciales. Il était en proie aux doutes, le désespoir envahit tout son être. Il avait mal, il avait froid. Il se figea face à l’océan qui lui offrit ses bras. Virgule était assis à ses côtés. L’homme et le chien étaient là, immobiles, envahis par des sentiments mêlés. L’heure avait sonné de faire un choix crucial.
Les beaux souvenirs resurgirent dans la brume et les embruns laissant place à l’amertume. La partie d’échecs s’annonçait cruellement épineuse : Amphitrite versus Barbara.
Il prit conscience de son destin, et dans un élan d’audacieuse délivrance, il sut qu’ici et maintenant, il deviendrait le père et l’époux qu’il avait toujours rêvé d’être.
Durant quelques instants, il fut un père face à la mer.
De Christine C
Pierre venait de terminer sa journée de bureau mais n’avait pas envie de rentrer chez lui. Il avait besoin de décompresser. Plus personne ne l’attendait et il n’attendait personne. Sa maison vide le déprimait depuis que sa femme l’avait quitté en emmenant sa fille. Alors, il avait décidé d’aller se balader sur la plage, malgré la tempête qui s’annonçait. Le ciel était à la fois effrayant et magnifique. Les nuages s’amoncelaient, créant une masse sombre et menaçante dans le ciel avec leurs nuances de gris et de noir, annonciateurs de trombes d’eau. Des éclairs zébraient le ciel et le grondement du tonnerre se mêlait au fracas des vagues.
Il essayait de s’abriter sous son parapluie complètement inutile car le vent l’avait retourné. Son costume et son attaché case étaient déjà trempés mais il ne pouvait détacher son regard du spectacle fascinant des vagues de plus en plus hautes qui déferlaient à ses pieds. Il adorait ces embruns qui lui fouettaient le visage et lui vidaient la tête de toutes les tracasseries de la journée.
Il fixait l’horizon à la recherche d’un bateau ou d’une mouette. Mais l’horizon était vide. Tout le monde était rentré au port avant la tempête. Quand il se retourna, il s’aperçut qu’un golden retriever l’avait suivi et s’était assis juste à côté de lui. Il se mit à lui faire la conversation.
– Alors mon vieux, toi aussi tu aimes la mer ?
Le chien le regarda en penchant la tête comme s’il voulait lui répondre et se mit à gémir. Pierre lui gratta la tête entre les deux oreilles. Le chien se laissa faire sans broncher.
– Regarde un peu comme c’est beau ?
Le chien fixa les vagues comme s’il avait compris. Ils restèrent tous les deux côte à côte pendant quelques minutes. Puis, le tonnerre étant de plus en plus proche, le chien commença à s’agiter et à faire les cent pas sur la plage, inquiet. Pierre décida de rentrer et le chien le suivit à quelques mètres.
– Qu’est-ce que tu veux ? Tu es aussi abandonné que moi, on dirait.
Il chercha un collier dans l’épaisse fourrure mais n’en trouva pas.
– Qu’est-ce que je vais faire de toi ?
Le chien s’assit face à Pierre et le fixa avec de grands yeux interrogateurs. L’air de dire, alors tu m’emmènes ? Pierre pensa aller au refuge de la ville pour le déposer mais n’en eut pas le courage. Il décida de le ramener chez lui pour la nuit.
– Allez, viens, on va se trouver un bon repas pour ce soir. Demain, on ira voir le vétérinaire pour vérifier si tu as une puce. Tes maîtres sont peut-être inquiets.
Le chien se mit à gambader tout joyeux à côté de lui. Alors, il se souvint d’une citation de Lamartine qu’il avait lu dans sa jeunesse « Partout où il y a un malheureux, Dieu envoie un chien.»
Il espéra secrètement que ce chien était abandonné et qu’il allait pouvoir le garder.
De Francis
Alexander et la mer
L’écran affiche FIN. Le générique du film défile. En plan de fond, un homme se tient debout sur une plage, il a les yeux fixés sur l’horizon.
Je reste pensif dans mon fauteuil. Le film m’a impressionné. Le soir, de retour chez moi, je pense à cet agréable après-midi et à l’histoire. Je ne comprends pas pourquoi elle me hante l’esprit à ce point. Demain je l’aurais oubliée. C’était préjuger de l ‘inconscient, car ce matin je me rappelle que j’en ai rêvée.
J’ai revu cet homme solitaire vêtu d’un imperméable et tenant fermement un parapluie défié par le vent, sur une plage isolée, battue par des vagues tumultueuses. Il scrute l’horizon avec une intensité captivante. Il s’appelle Alexander, c’est un ancien marin qui a bourlingué sur toutes les mers du monde. Il est en quête de réponses à des questions existentielles que seul l’océan peut comprendre. Les nuages menaçants dansent au-dessus de lui, laissant présager une tempête imminente.
Son chien fidèle, un Labrador nommé Orion, se tient à ses côtés, sa fourrure est trempée par la brume persistante. Alexander a passé toute sa vie à naviguer. Une série d’événements mystérieux l’a ramené sur cette plage. Quelque chose au fond de lui l’a poussé à y venir ?
La pluie redouble, les rafales de vent se font plus fortes. Il regarde fixement l’horizon.
J’ai froid, je remonte les draps.
Il est pensif. Orion, est silencieux, il semble partager l’inquiétude de son maître. Il fixe également l’horizon, comme s’il percevait des signes que seul son instinct animal lui permet.
Soudain, alors que les vagues s’écrasent avec une fureur croissante, une lueur étrange apparaît à l’horizon. Une lueur qui attire l’attention d’Alexander et d’Orion. Intrigué, l’homme resserre sa prise sur le parapluie, avance lentement vers la mer en compagnie de son chien. À mesure qu’ils s’approchent, la lueur se transforme en un éclat hypnotique, et une silhouette émerge des vagues. C’est une créature marine majestueuse, une sorte de sirène aux yeux lumineux.
Alexander est stupéfait, il ne comprend pas.
La sirène s’approche de lui avec grâce. Elle approche silencieusement. Elle le frôle et bizarrement, il n’arrive pas à la toucher. Elle le fixe dans les yeux. Il est hypnotisé, à cet instant leurs cerveaux entrent en relation, ils sont reliés par des ondes. Alexander n’est plus qu’une silhouette, il irradie.
Quelques minutes s’écoulent, immobiles, sans un mot, ils se font face, une foule d ‘informations arrivent à l’esprit d’Alexander. A l’intérieur, sa tête bouillonne, tout devient clair et limpide pour lui. C’est un moment éphémère de compréhension mutuelle.
La tempête qui faisait rage s’apaise. La sirène disparaît dans les vagues. Avec Orion à ses côtés, il quitte la plage. Alexander comprend que la mer, bien que déchaînée, portait en elle des réponses qui pouvaient apaiser même les tourments les plus profonds de l’âme. Avec Orion à ses côtés, et alors que la sirène disparaît dans les vagues, il quitte la plage, porteur d’une sagesse nouvellement acquise, prêt à affronter les mystères de la vie avec un regard renouvelé.
Il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait, une réponse aux questions qui le hantaient depuis si longtemps. Un réconfort dans la puissance inébranlable de la nature, une force qui, malgré sa fureur, semblait apaiser l’âme de l’homme solitaire sur la plage.
Dommage, la nuit s’est terminée, il a fallu revenir à la réalité.
De Manuela
Je suis éditeur sur la commune de Port des barques, Charente Maritime, en face du fleuve « la Charente ». Le rendez-vous avec un nouvel écrivain s’est bien passé. Il s’appelle Marcel Mortdefaim, c’est un spécialiste des romans historiques et cherche des idées pour son prochain livre. Je lui propose : les prêtres réfractaires et l’île Madame. Une histoire morbide. Il faut se rendre sur place pour s’imprégner des lieux.
Une longue négociation s’engage, nous tombons d’accord sur le thème, sur les défraiements et sur l’acompte que je vais lui verser ce jour. Je lui ferais des virements en fonction de l’avancé de son livre. Une poignée de main franche pour sceller notre accord.
Heureux de ce bon rendez-vous, je souffle. Je m’approche de la baie vitrée du premier étage, celle dont la vue sur la Charente est une merveille. Il fait presque nuit, ciel gris. J’aperçois sur la plage l’homme qui vient de partir de mon bureau.
Il a revêtu un élégant et chaud duffle-coat bleu marine. Son chien, un bouvier bernois, est assis à ses côtés. Il a comme seul bagage un attaché case. Que fait-il ? Commence-t-il déjà à s’emplir de l’air marin, de la vue de l’ile au loin pour sa future production ? Le vent souffle, une pluie tombe drue, son parapluie s’est retourné, mais malgré ça, il semble rester impassible. Je veux le rejoindre pour lui offrir l’hospitalité pour le soir et la nuit qui arrive. A mon arrivée, il a déjà commencé à se rendre sur l’île Madame par la Passe aux Bœufs. J’appelle, je hurle pour le faire revenir car la marée commence à monter, en vain, il ne m’entend pas avec ce maudit vent.
L’homme est fou, il ne connait pas les bords de mer, le froid et surtout l’humidité. Il ne connait pas non plus les gros rochers qui jalonnent notre île. La nuit, pas de lampadaire, peu de routes carrossables pour marcher quand il fait sombre.
Je suis gelé. Je rentre, je reviendrais demain à marée basse. Il y a quatre périodes distinctes dans une journée : deux marées basses qui nous permettent de traverser en voiture, à vélo et même à pied. Les deux autres marées sont dites impraticables. Je n’arrive pas à dormir, j’ai froid, je cauchemarde – que devient Marcel ?
Dès que la marée le permet, je prends mon 4×4 et file sur cette route de cailloux qui nous mène sur ce gros rocher. Il est environ huit heures. Le jour est levé. Au loin, deux ombres surgissent : un chien et un homme. Ne serait-ce pas l’écrivain ? Je m’arrête à leur niveau après avoir ouvert ma fenêtre. Ils sont trempés, les yeux hagards. Une voix forte et énervée me dit :
-Je ne savais pas tout sur votre île : pas de resto, pas d’hôtel, ni de commerce. Il faudra que je revienne plus tard dans la saison, quand le soleil sera de retour avec une température clémente. J’ai quelques monuments à revoir, je vais mieux me renseigner, lire et réfléchir pour entrer dans la peau de mes prêtres. J’ai vu de très beaux paysages, même de nuit.
-Entrez dans la voiture. Je vous ramène chez moi pour vous réchauffer avec un bon café italien accompagné de quelques viennoiseries.
-Non, je me débrouille seul avec Buck, mon chien. J’aime la marche et les pensées qui vont avec.
Il continue son chemin… Je ne l’ai revu que quelques mois plus tard, un manuscrit sous le bras, l’air heureux. Il m’avoue être revenu sur l’île, avoir cette fois-ci loué une caravane au camping. Ce fut pour lui ses plus belles vacances.
De Saxof
Tout est possible
Thomas est un bel homme de 36 ans qui rêve d’évasion et d’amour. Il a fait des études d’ingénieur programmeur et envisage de quitter le territoire, avec sa chienne Laïka, une belle Golden retriever de quatre ans. Il y a pensé longtemps ces derniers mois, sa femme étant partie depuis quatre ans déjà, suite à son cancer fulgurant qui l’a laissé mortifié. Il n’a jamais pu reconstruire quoi que ce soit et surtout il a quitté son travail quelques semaines après la mort de Julie, n’arrivant plus à garder la tête hors de l’eau.
Sorti de sa dépression, il a été obligé de se bouger quand son meilleur ami lui a offert ce chien magnifique sorti d’un chenil où elle était malheureuse. Il est allé marcher avec elle, et toutes ces sorties lui ont nettoyé la tête et fait prendre conscience d’un tas de choses. Une belle complicité s’est installée entre le chien et l’homme, en quelques jours.
Presque jour et nuit, durant deux semaines, il a cherché, d’une manière acharnée, un job dans ses compétences. Hier soir, une réponse lui est parvenue par mail.
« Bonjour monsieur. Votre CV a bien retenu notre attention et si vous souhaitez rejoindre notre équipe, nous vous attendons demain matin à l’adresse suivante…….. »
Thomas regarde sa montre, 10H10. Il réfléchit vite et fort. Il doit être à Londres, demain matin !!! Il cherche un vol tôt ou même ce soir, mais catastrophe, tous sont complets.
Apres trois heures de recherche et d’appels, il décide de contacter son ami James, un Anglais qui vit entre ici et là-bas.
James le rappelle une heure plus tard pour lui annoncer qu’un hydravion viendra le chercher ce soir vers dix-huit heures et que lui sera là pour l’accueillir à son arrivée et pour lui offrir l’hospitalité. C’est bon l’amitié !!
Tout à coup, Thomas se sent comme aspiré par la vie. Son coeur bat vite, son visage s’éclaire dans une joie absente depuis trop longtemps. Il prépare sa valise sans oublier les croquettes de Laïka. Il met son plus beau costume, et prend son parapluie, car comme souvent, ce soir il pleut. Il dépose sa voiture au parking de la plage et s’avance près de l’eau en scrutant l’horizon, lorsque tout à coup un bruit de moteur se fait entendre avant même la vue de l’engin. Il est temps, car il faut quitter la plage avant l’arrivée de l’orage.
La vie palpitante reprend son cours d’une façon un peu mouvementée, pense Thomas en souriant devant l’arrivée de l’hydravion.
De Marie-Josée (proposition d’écriture N° 179)
Le madrier
Ils me regardaient étrangement, ils avaient posé leurs pelles et leurs truelles. L’un d’eux siffla et dit :
-Les gars, ce n’est pas encore l’heure du casse-croute, ce n’est que la fille du Roumain, pas de quoi arrêter le boulot, surtout qu’on a pris du retard.
Ils se remirent au travail et je suis restée figée devant le madrier qui faisait office de pont jusqu’à la porte d’entrée. Il avait plu la veille, la cour n’était plus qu’un immense bourbier et la maison était méconnaissable. Mon panier rempli de fraises à la main, j’avais l’impression d’être le Petit Chaperon rouge qui devait traverser la forêt pour se rendre chez sa grand-mère sauf que moi, je devais traverser une planche glissante pour me rendre chez ma tante. Il n’y avait pas qu’un loup mais quatre qui me lorgnaient et s’attendaient à me voir tomber. Je n’avais qu’une envie, prendre les jambes à mon cou et rebrousser chemin, mais n’avaient-ils pas dit que j’étais la fille du Roumain. C’était peut-être un sorcier ou un magicien aux supers pouvoirs dont j‘avais hérité sans le savoir. Peut-être pourrais-je survoler cette poutre et atterrir sur le perron sans salir mes sandales blanches ?
Cette idée me donna le courage de m’aventurer sur ce pont de fortune. Telle une équilibriste sur un fil, j’avançais pas à pas et parvins sans encombre à destination. Le retour fut moins glorieux, je l’ai effectué dans les bras de mon oncle qui me déposa sur la route goudronnée. La corbeille vide, je sautillais sur la route pour rentrer en évitant les flaques d’eau qui s’était formées dans les nids de poule, mais une question me taraudait l’esprit : c’était quoi un Roumain ? Je demanderais à Mamema en rentrant, j’étais sûre qu’elle savait.
Etonnée, elle me demanda pourquoi je lui posais cette question. Je lui ai rapporté les mots de l’un des maçons et elle me dit :
-C’est quelqu’un qui n’est pas d’ici, il vient d’un autre pays, mais ça c’est une longue histoire, tu ne peux pas encore comprendre.
Le soir, quand mon père est rentré, je l’ai regardé étrangement. C’est vrai qu’il avait l’air de venir d’ailleurs. Il avait des cheveux noirs bouclés, des yeux bruns et la peau mate alors que maman et moi étions blondes aux yeux bleus. C’était la première fois que j’étais confrontée à la différence et la première fois que j’y prêtais attention. J’ai pris conscience que je n’étais pas tout à fait pareille que mes petites camarades, elles avaient un papa d’ici, moi un papa qui venait d’ailleurs. J’avais cinq ans, je n’ai jamais oublié cette remarque.
De Marie-Josée
Nuit de tempête
Il faisait un temps à ne pas mettre un chien dehors. Les bourrasques de vent transformaient l’océan en un immense chaudron où bouillonnait une soupe plutôt indigeste. Tous les habitants marins avaient trouvé un refuge et attendaient patiemment que le dieu Éole daigne bien se calmer. Canaille se demandait pourquoi son maître s’obstinait à arpenter la plage désormais déserte. Trempé jusqu’aux os, la queue entre les jambes et les oreilles rabattues, il subissait les assauts des éléments déchaînés. Le parapluie de François se retournait fréquemment et ne le protégeait ni de la pluie battante et encore moins du vent qui le faisait tanguer, tel un bateau ivre.
Il avait bien bu quelques bières, mais il tenait l’alcool et c’était bien le vent qui le faisait chanceler. Qui ou quoi pouvait-il bien attendre ?
-Je crois que c’est peine perdue, elle ne viendra pas, dit-il d’une voix à peine audible.
Ils rebroussèrent chemin et retournèrent au bazar le plus proche. Des maillots de bain, des pelles et des seaux côtoyaient des cirés et des marinières, des cartes postales, des revues, des journaux et des livres. Les rares clients étaient partis, il ne restait plus qu’une vieille dame qui feuilletait une revue. Le gérant était d’humeur maussade et l’accueillit d’un :
-Je vous l’avais bien dit, le trafic maritime est interrompu, faudra patienter. Je vous sers une autre bière ?
-Non merci, y-at-il un endroit où mon chien et moi pourrions passer la nuit?
-Ce n’est plus la saison touristique, les hôtels sont tous fermés, d’ailleurs je vais faire de même dans cinq minutes.
-Ce n’est pas de chance, dit François en caressant la tête de Canaille, faudra se trouver un abri de fortune mon vieux, il doit bien y avoir un porche, ou un pont qui pourrait faire l’affaire.
-Si je puis me permettre, l’aborda la vielle dame, j’ai une grande maison où je vis toute seule et si vous voulez, je peux vous proposer une chambre. Le seul problème, c’est que je ne supporte pas les chiens, il faudra qu’il reste dehors.
-Je vous remercie pour votre proposition, mais dans ce cas, je ne peux pas accepter.
-Vous avez tort, la tempête ne va pas se calmer, bien au contraire. Si je puis me permettre que faites-vous ici ? Ce n’est plus la saison touristique.
-Une affaire personnelle à régler, mais je crains qu’elle ne le soit plus. C’était la dernière chance, mais la vie en a décidé autrement.
-Ça ne me regarde pas, mais j’ai l’impression que vous n’êtes pas vraiment en forme, vous êtes trempé et vous allez attraper au mieux un gros rhume, au pire une pneumonie. Je ne peux pas vous laisser dehors. Pour le chien, on peut trouver un compromis, la buanderie, ça peut aller ?
-Qu’en penses-tu Canaille ? Je crois qu’on ne trouvera pas mieux.
Canaille le regarda de ses grands yeux tristes, à croire que le désespoir de son maître l’avait envahi également et se blottit contre lui.
-Je crois qu’il est d’accord.
-Alors allons-y, je m’appelle Suzanne Tonnelier et vous ?
-François Dupont et voici mon chien Canaille.
La nuit était tombée et le vent s’était encore renforcé. La maison de Suzanne se trouvait à 800 mètres et ils progressaient difficilement, tête baissée. Suzanne s’agrippa au bras de François et Canaille fermait la marche. Ils évitèrent de justesse une tôle qui était tombée d’un toit, mais ne virent pas l’arbre qui s’abattit sur eux. François s’effondra et la jambe de Suzanne resta coincée dans les branches. Canaille tournait autour de François, aboyait mais il ne donna pas signe de vie. Il s’assit à côté de lui, lui lécha le visage, mais rien n’y fit. Suzanne tenta vainement de se dégager, mais n’y parvint pas. Pas âme qui vive qui pourrait leur porter secours, seul Canaille pourrait chercher de l’aide.
-Canaille, tu es un chien intelligent, va chercher du secours.
Elle réitéra sa demande et au bout de la troisième fois, il se dirigea vers les maisons. Tout à coup, les lumières s’éteignirent, le réseau électrique avait sûrement été endommagé. Volets et portes étaient clos, tout le monde s’était barricadé. Canaille aboya de plus belle, gratta aux portes mais rien ne bougea. Il revint auprès de son maître qui était toujours inanimé et tournoya autour de Suzanne.
Celle-ci appela au secours, mais sa voix se perdait dans le bruit du vent.
-Canaille, n’abandonne pas, essaye encore de trouver de l’aide, dit-elle.
Le chien obéit, il gratta aux portes et réussit à se faufiler entre les lattes d’une clôture. Il parvint jusqu’à la porte d’entrée et aboya de plus belle. La porte s’ouvrit et un vieux monsieur apparut avec une lampe torche.
-Qu’est-ce que tu fais dehors par ce temps ? Tu t’es perdu ? Viens, entre, je vais te sécher.
Canaille aboya de plus belle et tenta de lui faire comprendre qu’il devait le suivre. Entre deux aboiements, il lui semblait entendre un appel au secours.
-Il s’est passé quelque chose ? Deux secondes, le temps de mettre une veste et je te suis.
Quand les secours arrivèrent sur les lieux de l’accident, il était trop tard pour François. Suzanne s’en tira avec une jambe cassée. Canaille ne voulait pas quitter son maître, le vieil homme eut toute les peines du monde à l’emmener chez lui.
-Que vais-je faire de toi ? En attendant, tu resteras chez moi, mais je ne pourrais pas te garder, je suis bien trop vieux pour m’occuper d’un jeune chien fougueux comme toi.
La valise de François ne contenait que quelques vêtements et la photo d’une jeune fille. Il n’avait pas de papiers d’identité. D’ailleurs, Suzanne se demandait si François Dupont était son vrai nom. Les investigations de la gendarmerie pour retrouver des proches et la jeune fille de la photo restèrent sans résultat. Personne ne le connaissait et personne n’a jamais su pour quelle raison il était venu ce jour de tempête, ni quelle affaire personnelle il voulait régler. Il fut enterré dans le cimetière de la petite station balnéaire et seule Suzanne accompagnée de Canaille, qui a été adopté par l’un de ses petits-enfants, allait fleurir sa tombe.
D’Inès
Onyx, haletant, affamé, courait à droite à gauche, cherchant dans les poubelles de la ville de Johannesburg. Le petit chiot était perdu dans les ruelles étroites lorsque Bruno, l’urgentiste, le trouva sur les rebords d’une route en pleine nuit, seul et abandonné. Malgré ses petites yeux tristes et sombres, ainsi que ses poils mouillés et hérissées, Onyx gémissait du mal être qu’il subissait.
Une fois à la maison, l’animal retrouva le poil de la bête, et commença activement à sautiller et à lécher son nouveau maître Bruno. C’était en quelque sorte comme s’il voulait non seulement mettre ses empreintes mais aussi être reconnaissant envers cet homme qui avait surgi dans sa vie, telle une magnifique providence
Les années passèrent. Onyx devint un grand et gentil toutou, plein d’entrain. Lorsque son maître Bruno venait à perdre malencontreusement son portable, en quelques minutes Onyx le ramenait et le déposait entre les mains de son maître. Bruno, tout content, le récompensait en lui enfonçant un petit sucre dans son museau ou en entreprenant de longues randonnées avec lui dans les forêts.
Avec le temps, les deux amis étaient tellement proches l’un de l’autre qu’ils commencèrent à communiquer tantôt par le regard, puis tantôt par télépathie. Onyx adorait jouer dans un terrain face à la maison de son maître. Soudain, une voiture de vendeurs d’animaux s’arrêta et jeta un grand filet autour de son corps et le transporta en dehors de la ville afin de l’exposer dans le grand marché de vente d’animaux de la ville de Johannesburg.
Un jour, après une longue journée de travail, Bruno, déprimé, et triste de la disparition d’Onyx, s’enfonça dans un long sommeil profond. Tout d’un coup, au milieu d’un brouillard dense apparu dans son rêve, un homme courait vers lui les bras grands ouverts … Tout de suite, Bruno reconnut son meilleur ami Onyx. Il le prit chaleureusement dans ses bras, le visage, à peine perceptible, était plein d’affection et de tendresse et le sourire illuminait tout son beau visage. Il n’y avait pas de dialogue entre eux, mais un profond lien sacré les unissait de telle sorte qu’ils pouvaient dialoguer et se faire passer des messages dans un profond mutisme intime et secret.
Bruno, médusé, la tête baissée, comprit enfin les lieux où son fidèle ami se trouvait. Tout d’un coup, son chat vint se blottir contre lui dans son lit. Ce dernier sursauta, surgit de son lit, s’habilla et s’apprêta à prendre la route vers la périphérie de la grande métropole de Johannesburg, le lieu où soi-disant il pourrait retrouver son ami.
Malgré les grands boulevards bien espacés, les voitures folles et agressives restaient collées les unes contre les autres. Bruno avait du mal à avancer, il avait l’impression d’être pris dans une immense toile d’araignée. Les feux rouges soudain lui semblaient longs et innombrables, il y en avait presque de tous les côtés. Il réalisa pour la première de sa vie qu’il vivait dans un lieu déprimant et toxique. Chaque minute et chaque seconde étaient comptées, il fallait qu’il retrouve Onyx avant qu’il ne soit vendu à d’autres personnes, plus avides et cupides. Il fallait surtout qu’il garde son sang-froid et suive la petite voix qui résonnait en lui.
Le point rouge sur la carte de son GPS lui indiquait qu’il y était presque, encore un tournant et il se retrouva face à un immense terrain, où se trouvait de tas d’animaux malheureux et séquestrés. Au milieu de ce foir fouille, il remarqua son chien Onyx, tout content et excité d’être repéré par son maître. Quelques minutes après, les autorités encerclèrent les lieux et interpellèrent tous les voyous.
De Roselyne
L’homme au parapluie
Géraldine, après une journée intense de travail, rentre chez elle. Elle longe l’avenue de bord de mer. Elle est à pied. En effet, le tribunal où elle est Juge des Enfants se trouve à quelques encablures de son logement.
Elle est enfin chez elle. Elle vit seule depuis le départ de son ami, il y a huit ans. La séparation a été douloureuse, la détresse a été abyssale. Le jour de ce cataclysme, le plongeon dans cet élément eau qu’elle affectionne, a été violent et la dépression qui s’en suivit a été ravageuse.
Pour ne pas penser à ce désastre, elle s’est engloutie dans son job qu’elle adore. Petit à petit, elle est remontée à la surface. Elle n’a jamais envisagé de reprendre une vie amoureuse, elle n’a eu que des relations passagères.
Géraldine, le front collé à la vitre de son salon, scrute l’immense masse d’eau. Peut-être, à l’horizon, un géant des mers glisse sur les eaux. Elle est toujours abasourdie, par le fait que de tels monstres puissent voguer tranquillement et traverser océans et mers du monde sans problème. La nuit s’est installée, laissant dans le ciel gris une trouée blanche comme une porte gigantesque ouverte sur l’horizon.
Géraldine s’apprête à se rendre dans sa cuisine, lorsque son regard s’arrête sur une silhouette qui se détache sur la plage. Elle est tournée face à l’océan. La personne, manifestement un homme, porte un imperméable, sa tête est recouverte d’un chapeau. Il se protège par un parapluie. A ses pieds, un chien est assis. Un promeneur, se dit-elle qui aime lui aussi, se perdre dans les reflets de l’eau.
Géraldine se prépare un petit repas, prend une bonne douche, se met en tenue confortable pour la soirée. La télévision diffuse un flot de paroles auxquelles elle ne prête pas d’attention particulière. Pour elle, c’est juste une présence. Elle se plonge dans ses dossiers du lendemain. La matinée sera chargée. Le midi, elle déjeunera avec quelques collègues avant d’aller rencontrer avec ceux-ci le nouveau procureur.
Géraldine se dit qu’elle va devoir passer une bonne nuit pour être d’attaque pour la journée qui s’annonce bien remplie. Avant de baisser les volets, comme un rituel, elle regarde l’océan, le ciel, elle capture la lumière et les instants calmes pour sa nuit. Machinalement, elle parcourt la plage, celle-ci est déserte, pas une âme humaine à laisser les traces de ses pas dans le sable.
Six heures trente, Géraldine s’étire dans son lit comme un chat, sa nuit a été calme, aucun cauchemar n’est venu enrayer ses heures de sommeil. Elle se compose un solide petit déjeuner qu’elle prend face à l’océan. Les premières lueurs du jour apparaissent, elles laissent deviner un ciel un peu sombre, la pluie va-t-elle encore s’inviter pour la journée ? Géraldine se dirige vers sa salle d’eau pour s’apprêter pour la journée. Elle choisit avec minutie ses vêtements, elle aime être soignée mais ne pas être entravée par ceux-ci. Il est l’heure de partir pour le tribunal.
A peine dix minutes plus tard, elle est à son bureau. Elle l’a agencé un peu à son image. Elle n’aime pas les décors trop austères, alors un peu de couleurs pour égayer les lieux, d’autant qu’elle y reçoit des enfants qui sont en détresse et en situations douloureuses.
L’heure de la première audience est arrivée, elle sait que le dossier n’est pas facile et qu’il lui faudra de la patience et de la conviction pour mettre l’enfant en confiance. La protection et la prévention sont le corps de son métier.
Il est déjà treize heures, il est grand temps qu’elle rejoigne ses collègues pour le déjeuner, car à 14 heures trente, le nouveau procureur vient se présenter. Le déjeuner se passe dans la bonne ambiance. Ils ont tous besoin de se défouler avant de replonger dans les affaires de l’après-midi.
Géraldine s’en retourne au tribunal, aux abords de celui-ci, elle voit la même silhouette que la veille au soir sur la plage. L’homme, juste devant elle, s’arrête, lui fait un grand sourire, se découvre et lui dit : « Bonjour, Géraldine, je suis ton nouveau procureur, tu en as la primeur ». Elle est pétrifiée, cette silhouette aperçue sur le sable n’est autre que son ancien ami… mais alors !!!
De Pierre
Bill, c’était son nom, était devenu mon compagnon de route. Nos chemins se sont croisés un soir d’hiver, sur une route du centre de la France. Je venais d’achever ma journée de travail comme agent technique dans une entreprise de la région, sans doute une de mes dernières journées car comme l’entreprise devait « réduire sa voilure ». J’étais sur la liste des prochaines charrettes de licenciement.
A proximité de la petite ville où je résidais, j’aperçus le chien à un feu rouge, à un croisement délimitant l’entrée de la ville. Le chien, en position assise, semblait attendre quelque chose. C’était un chien de taille moyenne ni beau, ni moche, d’âge indéterminé, de race indéfinie mais il semblait avoir en lui quelque chose d’attirant, de très attachant.
Mu par une sorte de réflexe, malgré le feu passé au vert, je me suis arrêté à sa hauteur, j’ai ouvert la portière avant gauche. Le chien comprit tout de suite et sans hésitation grimpa et sauta sur le siège, en me regardant fixement. Il semblait avoir l’habitude des automobiles.
J’habitais non loin de là dans un petit pavillon de style « Phoenix » années 70.
Je vivais seul depuis le décès de ma femme il y a peu d’années. Mes deux enfants, résidant à une centaine de kilomètres de chez moi, venaient me rendre visite régulièrement. Ma vie était d’une simplicité « biblique », n’ayant aucun compte à régler avec qui que ce soit, hormis avec moi-même ou mon employeur actuel, mais je m’ennuyais ferme, seul dans cette maison froide….
Rendu chez moi, le chien qui me suivait fit le tour de la maison. Une fois dans la cuisine, je le vis se poster devant le frigo et je compris qu’il avait faim. Je lui dis de rester sagement tranquille, de m’attendre le temps de faire quelques courses dans une supérette toute proche et de lui acheter à manger. Au retour de mes achats, je vis le chien qui m’attendait derrière la porte d’entrée, il semblait heureux d’être avec moi. Bizarre, curieux, j’étais un peu inquiet et me demandais ce qu’il m’arrivait avec cette bestiole.
Après un rapide diner et après avoir nourri le chien qui avala goulument croquettes et pâté, je me suis affalé sur mon canapé, devant la télé et me suis endormi. Une heure plus tard, éveillé, je vis le chien à mes côtés, sa tête sur mon bras, allongé lui aussi sur le canapé. Il m’avait adopté et sans doute moi également. Comme je devais aller me coucher, je lui ai demandé de dormir sur un tapis de sol. Le lendemain matin à mon réveil, le chien était encore à mes côtés, une vraie romance à quatre sous…
Soudainement, la porte d’entrée sonna. Je vis le chien se cacher sous un meuble. J’ouvris
-Bonjour Paul, comment vas-tu ? Désolé de te déranger.
-Dépêche-toi Yvette, je dois me préparer pour aller au boulot, dis-moi ce qui t’amène.
-Voilà Paul, j’ai besoin de ton aide : peux-tu passer ce soir dépanner ma machine à laver ?
-Je ne suis pas spécialiste de la question mais je passerai. Au fait, il faut que je te présente mon nouveau co-locataire.
Bill, qui semblait avoir compris, s’approcha et regarda l’intruse.
-Paul, je l’ai déjà vu ce chien, ses maîtres le recherchent, ils ont posté une affiche, il s’appelle Bill, je crois que tu devrais te renseigner.
-Oui, merci de l’info, je vais me renseigner à la gendarmerie. En attendant, le chien reste chez moi.
-Comme tu veux, donc à ce soir.
L’heure d’aller travailler approchait, je m’adressais au chien :
-Bill, content de savoir ton nom. Je pars travailler, tu gardes la maison ; tu as à manger dans ta gamelle.
Profitant de la pause déjeuner, je me suis rendu à la gendarmerie en leur exposant ma rencontre avec le chien. Le gendarme de service que je connaissais bien m’accueillit me dit :
-Oui Paul, ce chien est recherché par ses maitres, mais il y a eu des plaintes déposées pour maltraitance occasionnée envers lui par les maîtres eux-mêmes ou par leurs enfants et ils en ont cinq.
-OK je comprends, le chien s’est sauvé, il en a eu marre de souffrir. Il est chez moi, il est heureux, donc je le garde.
-Attention Paul, tu n’as pas le droit, la bête ne t’appartient pas.
-Nous verrons…
Après ce contact à la gendarmerie, je dûs retourner sur mon lieu de travail et là, ce que je craignais se produisit, j’étais licencié après vingt ans passés dans l’entreprise. Une fois le choc passé, je pris la décision de fuir, de quitter ce monde cruel. Arrivé à la maison, le chien fut heureux de me revoir, je pris quelques affaires dans une petite valise et me dirigeai vers ma voiture ; le chien me suivit.
Nous prîmes une route en direction de la mer. Il pleuvait, j’avais du mal à conduire de nuit par ce temps pourri. Arrivés au bord de la mer, il faisait nuit noire et il pleuvait toujours. Le chien et moi, nous nous dirigeâmes vers la plage et là Bill put piquer son cent mètres sur le sable. Quant à moi, assis sur un rocher, je contemplais l’océan et ses mystères. Le chien vint me rejoindre.
-Allez Bill, allons-y, là-bas où les gens sont gentils. Fuyons ce monde méchant qui n’est pas le nôtre.
Bill, qui semblait acquiescer, me regarda assis au bord de l’eau par cette nuit d’hiver. La route allait être longue pour atteindre notre bonheur.
On y est: le décompte vers Noël est enclenché. Les festivités sont lancées. Tout le monde s’affaire. En ce qui me concerne, les cadeaux sont prêts. Je suis un peu les habitudes des Américains de commander lors du Black Friday. C’est vrai qu’il y avait des prix intéressants.
J’ai pris le temps de regarder sur internet le documentaire de France 3 Est concernant une dâme agée de 91 ans, qui vit seule dans sa ferme familiale. Elle se nomme Suzanne et vit comme on devrait tous le faire.
Je vous joins le lien si le coeur vous dit de regarder cette femme solaire et joyeuse, qui se contente de vivre en suivant les saisons et en accord avec la nature. Une vraie leçon de vie….
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour de nouvelles aventures plumesques sur le blog LA PLUME DE LAURENCE.
Portez-vous bien, prenez soin de vous et gardez le moral!
Créativement vôtre,
Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE