Bonjour à toutes et tous,
La proposition d’écriture N° 19 vous demandait de commencer votre texte par l’incipit suivant: “Antoine est au fond de son atelier, il ne l’a pas encore vue”.
Bien sûr, Antoine devait apercevoir une femme, une créature ou tout autre chose. L’imagination peut être fertile dans ce domaine.
Seuls 2 textes ont été créés; aussi, je vous propose des incipits célèbres pour vous inspirer et en apprendre plus sur ces débuts de roman, primordiaux pour accrocher le lecteur dans la suite de l’histoire.
De Lucette de France
Quel destin pour Antoine…
A peine né, déjà abandonné sous le porche d’une église. Dans les années 1930, la misère était partout. Les femmes étaient souvent abandonnées, et n’avaient pas le choix que d’abandonner elle-même, à leur tour, leur progéniture. C’était souvent des « accidents de la vie » Des grossesses non désirées qui fatalement allaient bouleverser la vie de la mère et de l’enfant. Les femmes étaient soumises au dictat des hommes, la plupart de ceux-ci ne pensaient qu’aux plaisirs de la chair, et laissaient les conséquences de leurs actes à de pauvres filles sans défense…
Antoine a été recueilli par des « sœurs de charité » où il est resté jusqu’à l’âge de 7 ans. Aucune affection, que des règles, des règles et encore des règles. Il devait prier, obéir, travailler en faisant toutes les corvées possibles, au vu de son âge.
A l’aube de ses 8 ans, on le présente à un couple, qui le sonde sous tous les aspects, et décide de l’emmener pour « aider à la ferme » Antoine était vraiment heureux de fuir cette institution, il n’en pouvait plus des messes à l’aurore, des corvées, des obligations de toutes sortes.
Le voilà parti dans une voiture, non pas à chevaux, mais à moteur. Quelle aubaine pour lui, qui a été enfermé entre 4 murs pendants des années. Il finit par arriver dans une allée majestueuse, au bout de laquelle se dessinait un magnifique manoir. Il n’en croyait pas ses yeux. Est-ce possible de voir pareille beauté ?
On lui fit faire le tour de la propriété, présenter chaque cuisinière, jardinier, panseur, bref, c’était un rêve. Enfin, on l’amena dans sa chambre. C’était au dessus de l’écurie dans un bon lit de paille. Les larmes perlèrent, mais il n’en laissa rien paraître.
« Un jour, je sortirai de là », pensa-t-il, « je me ferai respecter à mon tour. »
Les années passèrent, il s’appliqua, fit toujours de son mieux, il était apprécié, et enfin il eut un modeste lit dans un recoin de buanderie, mais au moins, il ne s’endormait plus avec l’odeur des chevaux.
Le voilà à 15 ans, devenu vaillant, costaud, un regard pétillant, assoiffé de la vie. Il voulait voler de ses propres ailes. Mais, il ne s’attendait pas à tomber amoureux de la petite Lucie, la fille de son patron, du même âge que lui. Une passion dévorante les unit. Ils prenaient d’énormes précautions pour ne pas se faire « coincer », mais emportés tous les deux vers cet amour qu’ils croyaient éternel, ils ne se méfièrent pas d’un jaloux, qui raconta tout aux parents.
Ni une ni deux, il fut mis dehors comme un vaurien, avec rien dans les poches. Il ne réussit pas à dire adieu à sa bien-aimée. Leur vie à tous les deux s’arrêta à cet instant devant tant d’injustice. Ils avaient pleins de projets, voulaient juste s’aimer et fonder une famille.
A nouveau abandonné dans la rue, il a survécu en faisant des petits larcins, des petits vols, tout doucement il tomba dans la délinquance. Encore 2 années passèrent, et ce fut un prêtre vieillissant qui lui ouvrit ses bras. Il se méfiait beaucoup de tous ces gens-là, il gardait un mauvais souvenir des années « bonnes sœurs ». Ce prêtre ne le brusqua, le laissa avancer à son rythme, et voilà Antoine à 25 ans. La vie l’avait beaucoup meurtri, après un mariage terminé en fiasco, une petite fille qui lui fut arrachée à la séparation. Le voilà à nouveau seul. Il se retira du monde, trouva une maison au milieu des bois, et là, se régénéra. Il parlait aux arbres, vivait en autarcie, cultivait quelques légumes, mangeait les œufs de ses poules. Enfin, il était libre et heureux. Ses blessures se cicatrisaient doucement, mais il n’avait jamais oublié Marthe sa fille. Dans ses yeux de papa, il retrouvait sa Lucie tant aimée…
Voilà Antoine à 60 ans. Un matin, une jeune femme se présenta sur le seuil de son atelier aux bras d’un beau garçon. C’était Marthe, il la reconnut tout de suite avec ses beaux yeux bleus. Le jeune homme était son mari. Antoine et Marthe pleuraient de joie, d’émotion, de regrets aussi. Il apprit que sa fille n’avait pas eu une vie facile avec une maman dépressive. Enfin elle était heureuse avec son cher mari…
Bientôt un bébé arriva, et le baptême s’annonça. Il y était convié. Lui le solitaire dut sortir de sa tanière pour retourner dans le monde. Il devait bien ça à sa chère fille… Les préparatifs avancèrent. Un soir de veillée, Antoine raconta sa vie en détail à Marthe et son mari. Au fur et à mesure de son récit, il vit bien que leurs visages passèrent du rouge au blanc et du blanc au rouge… Qu’avaient-ils ???
Sa modeste demeure était maintenant embellie par des fleurs de toutes les couleurs. C’était un enchantement pour sa Marthe quand elle venait voir son papa. Le baptême approchait…
Il n’attendait pas de visite et pourtant quelqu’un toqua à la porte de son atelier. «
Qui en veut à un « sauvage » comme moi ? »
Il la vit et la reconnut aussitôt. Cette jolie femme était devant lui, le sourire aux lèvres.
« Mais ce n’est pas vrai, c’est un rêve, je me pince, mais oui c’est bien elle, après toutes ces années ».
Lucie était là devant lui, son amour de jeunesse.
« Je l’embrasse, elle m’embrasse, nous avons à nouveau 15 ans. Mais que fais-tu là ? »
Elle déroula toute sa vie, son mariage raté. Comme lui, elle ne l’avait jamais oublié, elle avait 3 enfants, et son fils s’était marié avec une jeune fille très douce, qui était tout simplement sa fille Marthe. Enfin, le destin leur envoyait des signes heureux.
Le jour du baptême, ils arrivèrent avec des étoiles dans les yeux, bras dessus bras dessous. Libres comme l’air tous les deux, Antoine et Lucie allaient inscrire leur propre histoire. Ils ne rattraperaient pas le temps perdu, mais allaient vivre chaque minute de leur nouvelle vie, avec intensité.
Il ne faut jamais désespérer et toujours croire aux miracles…
De Laurence de France
Antoine est au fond de son atelier, il ne l’a pas encore vue. Comme toujours, il est sur ses machines à couper, à scier, à raboter ; il y passe tout son temps. C’est son Eden à lui, et personne n’oserait venir le déranger dans son temple du bricolage.
Mais, il sent que quelque chose le dérage dans son dos, une impression fugace au début, puis, qui devient de plus en plus prégnante, gênante au fil des secondes qui s’égrenaient comme des heures.
Il sait au moins une chose : ce n’est pas sa femme, qui aurait tout de suite crié, comme à son habitude, puisque la communication n’existe pas vraiment dans ce couple, qui le reste par souci des conventions sociales.
Non, ce quelque chose, qu’Antoine sent, traverse tous les pores de sa peau, le fait frémir, et il commence à avoir la chair de poule. Est-ce un homme avec un revolver qui vient se venger ? L’amant de sa femme, décidé à se débarrasser de lui, devenu trop encombrant ?
Il reste figé, n’ose plus bouger un doigt, car maintenant, il aperçoit une ombre, qui grossit à vue d’œil. Est-il en train de vivre une scène d’un de ses films de science-fiction qu’il affectionne tout particulièrement ? Il est trop perturbé pour demander même qui est là. Et si ce sont les gendarmes qui viennent l’arrêter car il a tué sa femme, ce dont il rêve toutes les nuits ? Les rêves ne deviennent-ils pas réalité parfois ? Ou est-ce le voisin qui l’accuse de détruire ses plans de légumes dans son potager depuis tant d’années et qui a décidé de régler cette affaire à l’ancienne, en pensant au diable la justice ?
Antoine a trop peur de se retourner, et se cramponne à son établi, les doigts raidis par l’angoisse. Ce quelque chose tapi dans son dos a de gros yeux. Ses cheveux à lui se hérissent sur son crâne, quelque peu dégarni avec l’âge et les soucis. Il hésite entre un humain, ou un ami, qui lui fait une mauvaise blague ou un extra-terrestre, débarqué dans la nuit au fond du jardin et qui cherche à entrer en contact avec lui.
Antoine commence sérieusement à craindre le pire et à ressentir un certain effroi devant tant de probabilités, qui assaillent son cerveau depuis quelques secondes, qui lui paraissent une éternité. Son cœur va-il tenir devant tant de confusion et de danger à venir ? Il n’est pas couard, mais n’ose toujours pas se retourner. Il a affronté tant de choses horribles dans sa vie ; il a été soldat pendant la Guerre d’Indochine. Il a assisté à des massacres horribles, en est revenu chamboulé et embrouillé. Il a mis des années à mettre à distance ce conflit qui lui a volé une partie de sa jeune vie d’adulte.
Est-ce alors un fantôme d’un des hommes qu’il a tués pendant ces années d’horreur ? Il ne croit pas plus que ça aux revenants, et se demande tout de même si les esprits des morts rendent visite aux humains. Il est à un âge où il commence à se poser beaucoup de questions existentielles, la vie étant derrière lui. Cela peut être aussi son double. Il le sent parfois qu’il y a un autre Antoine : il lui parle souvent, lui pose des questions, l’apostrophe, l’engueule aussi. Une sorte de jumeau, à qui il confie tout, lui qui a été enfant unique, son plus grand regret dans la vie.
Antoine sent qu’il délire complètement, tellement il a peur. Mais qu’est-ce que c’est que cette chose-là ? Il écume toutes les possibilités, son esprit carburant à mille à l’heure, lui, l’homme toujours posé et calme, ne se reconnaissant pas dans cette attitude figée. Qui peut venir le déranger dans son atelier à une heure si matinale ? Il se sent réellement mal, cramponné à son établi. Il prend néanmoins un gros marteau qui traîne là devant lui, prêt à dégainer au cas où. Il se dit quand même qu’il va devoir se retourner pour affronter cette chose qui rampe, le guette, l’épie, attend son heure. Et si c’est la Faucheuse qui lui envoie un signal que l’heure est venue de quitter cette terre, tout seul au fond de son atelier ? En serait-il soulagé ? Peut-être, car il n’est heureux que dans son atelier, le plus loin possible de sa mégère, qui lui empoisonne l’existence. Mais enfin, quand même, il n’est pas si vieux que ça, il peut continuer encore un bout de chemin pour voir grandir ses petits-enfants qu’il adore.
Ça y est, Antoine est prêt, il a décidé de se retourner et d’affronter la Chose. Il se sent tétanisé et n’arrive pas à bouger. Son corps semble fait de métal, plutôt rouillé. Il sent son corps engoncé comme dans une armure de chevalier. Il tourne lentement la tête et la voit. Des gouttes de sueur perlent sur son front.
Il rigole comme un fou à n’en plus pouvoir devant la situation ridicule dans laquelle il s’est mis tout seul. Tout ça pour ça…
Une petite araignée trône sur le mur opposé au sien, et la lumière de son atelier a déformé l’ombre de l’insecte ; son cerveau délirant a fait le reste. Il va voir la bestiole, lui parle et la caresse, toujours hilare, se débarrassant ainsi de ses angoisses psychiques.
Définition de l’incipit
On appelle « incipit » les premières lignes d’un récit, roman ou nouvelle. Le mot vient de la formule latine « incipit liber », « ici commence le livre ». L’incipit, dont la longueur est variable (on peut parler de la première phrase d’un récit, ou alors d’un ou plusieurs paragraphes) constitue un enjeu majeur. Il doit donner envie de lire la suite, mettre mal à l’aise, dépayser, questionner, renseigner. Certains incipit sont restés particulièrement célèbres dans la littérature. Petit tour d’horizon des célèbres premières phrases de romans.
Voici quelques incipits célèbres de la littérature
Les incipit les plus poétiques
L’incipit des beaux quartiers d’Aragon : « Dans une petite ville française, une rivière se meurt de chaud au-dessus d’un boulevard, où, vers le soir, des hommes jouent aux boules, et le cochonnet valse aux coups habiles d’un conscrit portant à sa casquette le diplôme illustré, plié en triangle, que vendaient à la porte de la mairie des forains bruns et autoritaires. »
L’incipit de Lolita de Nabokov : « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. »
L’incipit de Salammbô de Flaubert : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. »
Les incipit qui instaurent une atmosphère
L’incipit de Germinal de Zola : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. »
L’incipit de La Modification de Butor : « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. »
Les incipit qui nous plongent tout de suite dans le bain
L’incipit des Aventures de Télémaque de Fénelon : « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse. »
L’incipit de La Condition humaine de Malraux : « Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? »
L’incipit de Bel-Ami de Maupassant : « Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. »
L’incipit qui comporte une morale
L’incipit d’Anna Karénine de Tolstoï : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. »
Les incipit qui déstabilisent
L’incipit de L’Etranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
L’incipit d’Aurélien d’Aragon : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. »
Les incipit qui informent
L’incipit du Comte de Monte-Cristo de Dumas : « Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le trois-mâts le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples ».
L’incipit des Misérables de Victor Hugo : « En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de Digne. C’était un vieillard d’environ soixante-quinze ans ; il occupait le siège de Digne depuis 1806. »
L’incipit délicieusement ironique
L’incipit d’Orgueil et préjugés de Jane Austen : « C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier. »
Le dernier jour d’un condamné (1829) – Victor Hugo
« Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids ! »
Notre-Dame de Paris (1831) – Victor Hugo
« Il y a aujourd’hui trois cent quarante-huit ans six mois et dix-neuf jours que les Parisiens s’éveillèrent au bruit de toutes les cloches sonnant à grande volée dans la triple enceinte de la Cité, de l’Université et de la Ville. »
Du côté de chez Swann (1913) – Marcel Proust
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »
L’Amant (1984) – Marguerite Duras
« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. » »
Jacques le fataliste (1778) – Denis Diderot
« Comment s’étaient-ils rencontrés? Par hasard, comme tout le monde.
Comment s’appelaient-ils? Que vous importe?
D’où venaient-ils? Du lieu le plus prochain.
Où allaient-ils? Est-ce que l’on sait où l’on va?
Que disaient-ils? Le maître ne disait rien; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. »
Germinal (1885) – Émile Zola
« Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. »
Je vous souhaite une belle lecture inspirante.
Je vous attends avec délice pour de nouvelles escapades d’écriture.
Laissez-vous guider par votre intuition, votre imagination, votre envie d’écrire!
Mes propositions d’écriture sont des exercices de créativité.
Laissez filer vos idées avec des mots, même simples!
N’hésitez pas à consulter mon blog, La Plume de Laurence
Créativement vôtre,
LAURENCE SMITS, La Plume de Laurence