Merci à toutes et à tous pour avoir si ardemment et si nombreux participé. Quel plaisir de vous relire, avec des histoires ou poèmes parfois touchants!

Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture. J’espère que vous avez du temps libre devant vous!

De Jean-Michel

l’alphbat dans tous ses états

Ci-gît une personne que j’aime encore même, si l’air de rien, elle vole maintenant de ses propres ailes. Dès que l’ai appris, ce furent les grandes eaux. Mais maintenant, paix à elle. Nous ne prendrons plus le thé ensemble. J’ai grandi en apprenant à la connaître. Nos différends n’ont pas empêché que depuis longtemps nous avions enterré la hache de guerre. Est-ce possible de surmonter telle douleur ? En tous les cas, il le faudra, et rejeter toute haine.

De Abdelmjid

L’Égaré 

Un samedi soir, trois mois après son retour du Maroc, Dalila invita Naïm au restaurant marocain qu’ils avaient déjà fréquenté le premier jour de leur rencontre. Dans une ambiance romantique et bien arrosée, Naïm se transforma en un homme sensible à la parole de Dalila, heureux de passer la nuit en sa compagnie. Néanmoins, si elle savait ce que Naïm lui cachait, elle se révolterait et risquerait de réagir violemment, tout comme le jour où elle l’avait expulsé de chez elle.

En effet, Dalila ne pouvait supporter une troisième trahison ; les deux amants qu’elle avait fréquentés auparavant avaient laissé des séquelles psychologiques indélébiles. Elle se sentait abandonnée et rejetée. Au début de leur rencontre, elle ne croyait pas qu’elle pourrait tisser un lien sentimental avec un homme, mais Naïm avait défié cette conviction.

Le couple resta ensemble jusqu’à la fermeture du restaurant marocain. Ensuite, Dalila prit le volant, craignant que Naïm, en raison de son état d’ébriété, ne soit arrêté pour conduite en état d’ivresse. Ils continuèrent la soirée dans leur lit, alternant tendresse et séduction. Naïm se libéra et s’exprima sans auto-censure, ayant un contrôle de soi qu’il n’avait jamais eu avec sa fiancée Amina.

Le couple fit la grasse matinée et, à midi, se réveilla pour prendre une douche ensemble. Par la suite, ils se posèrent en tête à tête et prirent un petit déjeuner préparé avec amour de la part de sa femme Dalila. Au milieu de ce repas, Dalila prit l’initiative de lui annoncer qu’elle était enceinte depuis deux mois.

À cette annonce inattendue, Naïm réagit pour la première fois de manière agressive et violente, lui donnant des coups de pied dans le ventre. Un geste inconscient et sans doute motivé par son intention de la quitter pour se marier l’été prochain avec la lycéenne Amina. Cette réaction traduisait ses tensions intérieures qu’il ne pouvait plus réprimer et maîtriser tel un volcan en ébullition. Dalila ne put accepter d’être une femme battue, d’autant plus qu’elle n’était pas sa Fatma, comme elle le lui fit savoir dans sa première réaction au geste violent. Sans trop tarder, elle alerta la police en composant le numéro 17.

Un quart d’heure plus tard, les policiers étaient déjà devant la porte. Dalila, en larmes et allongée sur le sol, souffrant de douleurs abdominales, décrivit la scène de manière tremblante, depuis le début jusqu’à la fin. Les policiers écoutèrent ensuite la version de Naïm, avant de le menotter et de l’embarquer.

Naïm se retrouva en garde à vue, et avant de partir, les policiers demandèrent à Dalila de déposer plainte pour coups et blessures ainsi que pour tentative de meurtre sur un fœtus. Il fut entendu et put donner sa version des faits. Le lendemain matin, Dalila déposa officiellement plainte. Étant enceinte, un certificat d’arrêt de travail d’un mois lui fut délivré par un médecin urgentiste.

À sa sortie de garde à vue, Naïm fut convoqué au tribunal correctionnel quatre mois plus tard et se vit interdire de s’approcher de sa femme et de son domicile. Il partit à la recherche d’un logement, ne pouvant se permettre un hôtel puisqu’il avait dépensé toutes ses économies pendant les grandes vacances. À sa sortie de sa garde à vue, la police lui remit le numéro d’un service social de sa ville Bobigny. Une assistante sociale lui trouva un endroit où dormir en urgence. Il se dirigea immédiatement, il était huit heures du soir.

À son arrivée dans le quartier de Stalingrad à Paris, il fut surpris par les hurlements des personnes dans un grand hangar, où les lits étaient alignés le long des murs. L’odeur qui émanait de cet espace rappelait une usine de production d’alcool. Un vieil homme, assis à l’entrée d’un poste d’accueil, lui donna une couverture, un gobelet numéroté, de la soupe chaude, une dosette de sucre, une cuillère à café, une grande cuillère et un mouchoir en papier. Il ne pouvait croire ce qui lui arrivait, comme si un mauvais sort s’abattait sur lui.

Du jour au lendemain, Naïm s’installa dans des conditions d’extrême précarité, un incident qui lui coûta un passage en enfer. 

Au Maroc, Naïm avait tabassé plusieurs fois sa première compagne, Salima, mais elle n’est jamais allée jusqu’à déposer une plainte. Elle avait refoulé son comportement violent jusqu’au jour où elle l’avait quitté pour partir définitivement avec un autre homme, laissant derrière elle un passé douloureux. Heureusement pour elle, elle vivait uniquement en concubinage et n’avait pas d’enfants à sa charge, ce qui lui permit de tourner la page plus facilement.

Contrairement à Dalila, qui l’avait expulsé de son domicile lorsqu’elle croyait qu’il cherchait à profiter de la situation le jour où il avait eu l’obligation de quitter le territoire français. Salima, son ex-compagne, avait pris une décision radicale. 

En effet, cette fois-ci, elle était partie, loin des yeux et loin du cœur, ce qui a conduit Naïm à se retrouver confronté à une garde à vue et à une plainte. De plus, sans domicile fixe, il est devenu tel un clochard errant sur les trottoirs de Paris. Il pourrait facilement se retrouver sous les ponts de la Chapelle avec les clandestins et les drogués.

Son seul refuge était alors ce grand hangar, semblable à une étable, aménagé pour accueillir les marginalisés et les sans-abri, afin de les protéger du froid hivernal et d’éviter l’hypothermie, qui peut être fatale. La réalité de sa chute sociale le frappa de plein fouet, et il comprit que son geste impulsif et maladroit l’avait mené à cette situation désespérée. 

Il récoltait ce qu’il avait semé. 

Désormais, Naïm devait faire face à ses erreurs, reconstruire sa vie et repartir à zéro, espérant un nouveau départ, empreint de réflexion et de changement.

Il passa sa deuxième nuit dans cet endroit nauséabond sans fermer l’œil. Naïm vécut une semaine au milieu des sans-abri et ne put supporter cette vie infernale. Il reçut de nombreux appels de sa future femme, Amina, mais ne put lui répondre, de peur de s’effondrer et de lui confier sa tragédie.

Après cette rude épreuve, la chance lui sourit. En effet, le directeur du centre Sonacotra, où il avait occupé la chambre du retraité Hamdoun, lui proposa de postuler pour le poste de gérant-médiateur du Café, un local initialement destiné aux encombrants, mais qui avait été transformé en cafétéria. De plus, il pourrait prétendre à une chambre à proximité de son lieu de travail.

Naïm accepta l’offre sans hésitation et démarra son activité une semaine avant le mois de Ramadan. Ce fut une occasion en or à ne pas rater. Il développa même le jeu de loto, un divertissement très prisé par les occupants du centre. Certains arrivaient directement après la rupture du jeûne, tandis que d’autres, notamment les personnes d’un certain âge, prenaient le temps de prier et de faire du Tarawih. Ensuite, les musulmans de toute la ville d’Aulnay-sous-Bois se déplacèrent par l’effet du bouche-à-oreille, créant ainsi une ambiance nostalgique semblable à celle des cafés du bled. Les week-ends, il était particulièrement difficile de trouver une place disponible. 

Les immigrés prenaient plaisir à jouer au loto, espérant gagner de l’argent pour combler le vide émotionnel et le mal-être qui les habitaient quotidiennement dans ce foyer sans âme, sans famille et où la solitude était devenue maîtresse de l’horloge. Ils restaient souvent tard, jusqu’à quasiment l’aube. Naïm termina le mois de Ramadan avec les poches bien pleines ; cette activité lui avait permis d’être financièrement prolifique. Il s’acheta une Peugeot 309, qu’il comptait emmener avec lui l’été prochain au Maroc et faire des emplettes à Amina sa fiancée et à sa mère ainsi un cadeau pour le fkih du quartier bien qu’il ne fréquentait pas la mosquée.

Une fois qu’il retrouva le goût du travail et une certaine stabilité psychologique, il contacta sa fiancée Amina, lui expliquant les épreuves qu’il avait endurées ainsi que sa séparation avec Dalila. Il s’excusa auprès d’elle pour ne pas avoir répondu à ses nombreux appels, sachant qu’elle pourrait douter de son projet de mariage.

Elle se montra compréhensive et heureuse d’apprendre ces nouvelles, considérant que c’était un mal pour un bien. En effet le malheur de Dalila faisait son bonheur. Elle le rassura en lui promettant qu’elle prendrait soin de leur nouveau-né une fois qu’il serait né et qu’elle mettrait les pieds en France, un rêve tant attendu, surtout après les doutes engendrés par ses trois mois d’absence.

Le lundi 2 décembre, muni de sa convocation, Naïm se présenta seul, sans avocat, au tribunal correctionnel. Sa femme, quant à elle, était représentée par un avocat réputé défendre les femmes battues. Après une heure passée au milieu de la foule, le plaidoyer de l’avocat et les réponses craintives de Naïm, le verdict tomba : il écopa de six mois de sursis et de 4000 euros d’amende pour préjudice moral, afin de compenser un mois d’arrêt de travail pour sa femme. Quelques mois plus tard, le juge des affaires familiales annonça la séparation définitive du couple à la demande de Dalila. En attendant son accouchement, un nouveau jugement sera rendu pour évaluer la pension alimentaire que Naïm devra verser.

De Philippe

  VALENTINE

Dans ce matin d’avril, limpide et frais comme une chanson de Trenet, le vélo de Valentine fonce joyeusement dans la campagne, longeant vallons et prés fleuris, mares tranquilles et ruisseaux argentés, emportant la jeune voyageuse, cheveux au vent, vers un je ne sais où…

En traversant le bois du Pendu, le vélo de Valentine a roulé sur un clou.  « Pschitt ! » a fait le pneu. « Pfff ! » a fait Valentine. Un joli clou, à la tête ronde et dorée, se trouve là, planté à l’avant, dans le pneu tout neuf, tout aplati, tout penaud. Qu’est-ce qu’un clou vient faire au milieu d’un bois ? Je vous le demande. Il n’y a aucune activité humaine artisanale, industrielle ou agricole à moins de cinq kilomètres. Alors que venait faire ce clou de tapissier, là, dans ce chemin creux, placé exactement dans la trajectoire de la roue du vélo de Valentine, la pointe érigée vers le ciel ?

La jeune fille, furieuse, a jeté sa bicyclette sur le bas-côté et se laisse tomber sur le talus. Un cri déchire le calme de la forêt. Les accortes rondeurs de Valentine viennent d’écraser une bogue de châtaigne. La demoiselle n’a pas fait « Pschitt ! » mais « Aïe ! » et l’on peut légitimement penser que dans son for intérieur la bogue a fait « Pfff ! ». Qu’est- ce qu’un derrière, aussi joli soit-il, vient faire sur ce talus, à cet endroit précis, réservé aux végétaux des bois ?

D’un bond, Valentine s’est relevée, exaspérée par la conjugaison de ses malheurs. Car, pour ajouter à sa déconvenue, elle a oublié son téléphone portable à la maison. Mais notre jeune cycliste est forte et tenace. Ce ne sont pas les piquants d’une bogue de châtaigne ni la pointe d’un clou qui vont dégonfler son courage.  Trouvant cette fois une grosse pierre plate et moussue, elle s’y assoie prudemment pour réfléchir à la situation. La tête entre les mains, elle se concentre et veut comprendre ce qui lui arrive.

Pourquoi se trouve -t- elle dans ce bois ? Où allait-elle ? Avait-elle un rendez- vous galant ? Allait-elle faire une course pour sa mère ou simplement se balader sur son vélo tout neuf, offert pour Noël ou pour son anniversaire ? Valentine vient de découvrir avec horreur qu’elle est incapable de répondre à ces questions. Valentine est amnésique. Valentine ne sait plus rien de l’avant, de l’après, de l’espace et du temps !

« Je suis une étrangère à moi-même, se dit la demoiselle, alors essayons de faire connaissance pour tenter de dénouer ce mystère.

Donc je m’appelle Valentine mais je ne sais rien de moi. Je ne sais même pas mon âge ni mon nom de famille, si j’en ai une ! J’ai un vélo neuf crevé, une piqure de châtaigne dans les fesses et c’est tout. Une copine m’avait dit…tiens mais j’ai quelques lambeaux de souvenirs… donc cette copine m’avait dit que sa grand-mère connaissait un type qui écrivait des histoires dans lesquelles il arrivait pleins de trucs compliqués aux enfants, comme ça, pour rigoler, un sadique quoi ! Il faisait partie d’une sorte de club de grand-mères qui se réunissait le jeudi tous les 15 jours et comme il était le seul homme du club il faisait le coq pour épater ces dames en inventant des histoires à dormir debout !

Tiens, tiens, mais si ça se trouve, je suis moi aussi dans une histoire à dormir debout. J’ai dû être inventée par ce sale type qui devait drôlement rigoler en me faisant rouler sur un clou et tomber sur une bogue de châtaignes. J’aurais dû me douter de la supercherie car, en réalité, il n’y a pas de châtaigniers dans ce bois. C’est bien çà : je suis un personnage inventé, une fiction. Ce sagouin aurait quand même pu faire l’effort de me mettre en valeur, de dire que j’ai 15 ans et que j’en parais 18, que je suis jolie, que j’ai de beaux yeux noirs comme Audrey Tautou ; il aurait pu écrire que j’allais retrouver mon amoureux dans la cabane des bûcherons, mais non, il est trop nul, il a bâclé son travail. C’est un paresseux et un sadique. J’espère que les dames de son club ne le lui enverront pas dire !!

Le plus terrible, c’est qu’au bout de son texte je n’ai plus de vie, plus d’existence. Je ne suis pas morte, je suis figée au bord vide, au bord du rien. Dans les romans, les personnages prennent le temps de vivre, et le lecteur a le temps de faire connaissance, de se familiariser avec eux, de les regarder exister. On les aime ou on les hait, on les adore ou on les méprise, on les craint ou on les plaint, mais on les suit jusqu’au dénouement de leur histoire. On les voit prendre corps, consistance, épaisseur, au fil des pages. Et, s’il y a une héroïne, l’auteur la chouchoute avec amour en lui inventant une belle destinée.

Alors imaginez ma colère et ma frustration de personnage laissé en plan, piteusement abandonné dans une forêt qui n’existe pas, sans avoir eu le temps de vivre pleinement une histoire intéressante. Si j’avais été une espèce de bécasse laide et méchante, je pourrais comprendre que l’auteur me laisse tomber mais une Valentine, dans un matin d’avril frais comme une chanson de Trenet, pédalant joyeusement, cheveux au vent dans la campagne ne peut être que jeune et jolie et inspirer un auteur digne de ce nom pour la conduire vers de passionnantes aventures romanesques. Ben non ! que dalle ! Walou !  Circulez, y a rien à voir ! L’auteur est à sec comme un oued du Sahara et paresseux comme une couleuvre. Me voilà donc définitivement stoppée dans mon élan cycliste et vouée à finir toute chiffonnée au fond d’une corbeille à papier.

Si j’avais su, ce matin d’avril, limpide et frais comme une chanson de Trenet, je serais restée sous ma couette ! »

De Luc

Cela me fait aussi remonter quelques souvenirs. J’étais allé en 1984, je crois me souvenir, courir les 25 kilomètres de Berlin. En dehors de la visite du mur qui m’avait profondément marqué, je me souviens de cette course qui après une traversée de Berlin-Ouest se terminait dans le stade olympique construit par Hitler pour les jeux de 1936. En y pénétrant pour effectuer les dernières centaines de mètres, cette enceinte de pierre grise titanesque, austère et hostile, grand symbole du III Reich, me revenaient à l’esprit ces reportages vus à maintes reprises de ces foulées hitlériennes acclamant le dictateur, mais aussi les images de Jesse Owens remportant ses 4 médailles d’or. Cette émotion qui m’avait subjugué il y a plus de 30 ans se rappelle à moi quand je me remémore ce moment de ma vie. Pour la petite histoire, j’étais content de ma course, j’étais arrivé dans les 130 (133ème dans mon souvenir mais bon c’est déjà très vieux) sur plusieurs milliers de coureurs.

Un autre souvenir lié à la chute du mur. Au printemps 1990, le mur était tombé depuis quelques mois, je me trouvais en Allemagne pour préparer la partie aérienne d’un exercice franco-allemand et interarmées terre-air.

Les grandes règles sont intangibles, quand on prépare la partie aérienne d’une manœuvre, tout naturellement les ponts et les barrages sont des cibles potentielles. Donc, en tenue de l’armée de l’air française, je suis accompagné de mon homologue allemand dans sa tenue de la Luftwaffe. Travailler sérieusement n’exclut pas de le faire dans la bonne humeur. Donc, avec mon camarade allemand, nous nous trouvons sur un barrage. Vieux réflexe de pêcheur, je regarde ce qu’il y a dans l’eau, et là d’énormes poissons nombreux se pressent contre le mur en béton du barrage.  Je les montre à l’aviateur allemand, lui aussi fana de pêche. Nous nous mettons à commenter dans de grands éclats de rire.

Nous sommes là penchés sur le parapet, alors un couple à l’âge indéterminé en tenue grise à l’air austère passe derrière nous. L’homme porte un chapeau à la mode Stasi. Ils s’arrêtent à une cinquantaine de mètres de nous, et nous regardent ostensiblement, il n’y a personne d’autre aux environs. Ce comportement nous intrigue. L’officier allemand va à leur encontre leur demander ce qui les fait nous regarder avec une telle insistance. Etant suffisamment loin, je n’entends pas ce qu’ils se disent, puis je vois mon camarade éclater de rire et après quelques dernières paroles, il me rejoint. Et là il me dit « tu ne devineras jamais ce qu’ils m’ont dit ». Il n’arrêtait pas de rire sous le coup de la réponse surprenante à sa question. Je commençais à être très intrigué, enfin il parle :

« Ils m’ont dit : Nous sommes très étonnés que vous, officier allemand, vous ayez un tel comportement à rigoler avec un militaire d’une armée d’occupation, alors que nous on ne parle pas aux Russes. Nous venons de Berlin-Est pour la première fois en RFA depuis la construction du mur en 1961. »

Par politesse pour ces deux personnes, nous avons attendu un peu qu’ils s’éloignent pour recommencer à éclater de rire ensemble et pas seulement du fait des gros poissons. 

De Françoise

La vie d’une assiette dans un lave-vaisselle.

Je suis toute grasse et j’ai failli lui échapper des mains. Mais il a pu me ranger derrières d’autres copines, qui attendent la dernière assiette sale, et c’est moi ! On me place devant l’assiette du chat qui a perdu sa langue !

Un peu de poudre qui me fait éternuer et hop la porte est claquée violemment. Quel brut celui-là !  Me voilà dans le noir complet. Ça cliquote là-dedans… ce n’est pourtant pas Noël. A vrai dire, c’est la première fois que je subis ce sort.

Quel bruit … tout à coup. Un grand jet d’eau se plaque sur mon derrière. Puis devant maintenant. Quelle violence encore. Pourvu que ma peinture tienne le coup. Eh !  Ça chauffe un peu vite. Pas le temps de se regarder entre nous et de s’admirer toute propre.

Je préférais autrefois, quand la patronne me caressait le ventre. Au moins, elle le faisait doucement et en chantant. Et quand elle m’essuyait, je voyais ses beaux yeux satisfaits, son sourire radieux devant la brillance de mon vernis coloré.

Dans ce lave-vaisselle, je suffoque au moment du séchage. Pas de contact humain, que de la technique. C’est plus ce que c’était ! Où est le bon vieux temps où j’entendais les conversations quand on utilisait du liquide vaisselle main… ?

Ça causait, ça riait, et parfois ça râlait. Mais il y avait l’ambiance au moins, et je pouvais tout raconter après à mes chères amies.

Revenons à notre présent. Le séchage terminé, un grand bruit qui m’assourdit : la porte s’ouvre toute seule. Je dois attendre car je dois refroidir avant que l’on me saisisse. Je dois patienter encore pour retrouver les autres copines dans le placard. Mais, qu’est-ce que je vais leur raconter maintenant ? Pas grand-chose… L’une d’elle me dira : « Je donne ma langue au chat ! ».

Autre texte de Françoise

A la tombée de la nuit, un bruit d’arme à feu : Pan ! Un cri dans le bois, puis plus rien. Un peu de fumée s’échappe du sentier. Un lièvre détale. Un bruit de moteur qui démarre puis qui cale. Un juron. Des pas précipités font crisser les feuilles mortes. Un cri de douleur, le bruit d’une chute. Puis plus rien, que le cri d’une chouette qui hulule. 

L’homme est tombé inerte, les deux enfants l’ont retrouvé avec une citrouille creusée sur la tête… mais il n’avait plus de tête. Il est recouvert d’une toile d’araignée géante. D’un seul coup, l’araignée s’approche d’eux et leur jette sa toile immense. Ils se débattent et s’échappent en criant en direction du lac. 

Ils veulent se débarrasser de cette horrible filet collant. La nuit devient noire. La lune s’est cachée derrière les nuages.

Face à l’étendue d’eau, l’un deux soumet une idée.

– Il faut se laver et se baigner, Antoine.

– Vas-y le premier Yann. Je te suis.

L’enfant rentre dans l’eau tout habillé et appelle Yann.

– Viens, elle est bonne.

Yann s’exécute et avance prudemment. Il rejoint Antoine en nageant.

Les deux enfants s’éclaboussent et Antoine plonge. Il touche le fond du lac et voit un village animé. Des chevaux, une église, des enfants qui jouent à la marelle, tous sont vêtus d’habits d’Halloween. Il sort la tête de l’eau et prévient Yann.

– Je viens de voir quelque chose d’extraordinaire. Viens, je t’emmène.

Yann confiant, sans peur, le suit en s’accrochant à ses pieds pour descendre plus vite. Le spectacle les séduit tous les deux. Ils accélèrent leurs mouvements pour rejoindre le village marin. Ils sont attirés par deux personnes connues qui sont mortes l’année dernière. Ce sont leurs grands-parents déguisés en sorciers. Ils sont tirés par le fond et tous les quatre disparaissent.

Le lendemain, deux personne âgées sortent des flots. D’allure fatiguée, elles se tirent par la main l’une et l’autre sur la plage.

– Ca va Antoine ? Tu sembles fatigué, tu es tout ridé, tes yeux sont creusés !

– Oui, ça va Yann, mais toi tu as perdu tes cheveux bruns et bouclés, tu es devenu un vieillard !

– Tu crois que l’on va retrouver notre Maman ?

D’Ariane

Berceuse bancale

« Oh ! J’l’aime bien cette chanson ! C’est la mère Michu des Batignolles qui chantait ça quand j’étais minot.

« Dodo…Coco…mon Loulou. N’aie pas peur, c’est… »

C’est quoi déjà ? J’deviens lourdingue de la feuille, j’comprends pas tout c’qu’elle dit, la p’tite môme. Dis-donc, il est calme le marmot. Ah ! Sûr qu’c’est pas un crève-tympans comme le môme Zizou qu’la grande Gertrude a pondu y a trois mois ! Et vas-y qu’je chouigne, et vas-y qu’j’ai pas assez tété les lolos à ma maman.

Enfin, en attendant, j’les téterais bien moi les lolos à la maman…

Ouais, enfin le goût du lolo, y m’est bien passé ! J’préfère quand même mon p’tit kil de rouge. Ça c’est d’la tototte. Hum… un’ bonne p’tite tutute, ça s’rait pas de refus. En plus y commence à faire frisquet. J’aurais p’têt dû l’accepter l’vieux pardessus qu’l’abbé voulait m’refourguer. Mais, bon il aurait encore fallu qu’j’aille à la messe à St André. Faut pas abuser des bonnes choses, quand même !

L’est bien gentil l’abbé. Les petits godillots qu’il m’a refilés c’t’hiver, m’ont bien tenu. C’est pas comme les vernis à la Marquise. Ah, dis donc avec les ampoules qu’ça m’a fait, j’aurais pu éclairer les Champs Elysées, Montmartre et la Tour Eiffel ! Merci la Marquise ! Ouais, enfin sa pitance, c’est pas mal. D’ailleurs un  p’tit fricot chez elle un d’ces dimanches, ça n’serait pas d’refus. Et pis elle sent bon la Marquise. Tiens un peu comme la p’tite mère là. D’ailleurs, j’veux pas dire mais la p’tite mère, elle a du pot qu’hier, j’sois passé aux bains-douches, parce qu’j’suis sûr qu’elle aurait battu le record de c’lui qui déguerpit l’plus vite quand j’arrive sur un banc.

Bon, j’avoue qu’l’autre fois j’ai abusé. Même moi, j’ai cru qu’j’avais un rat mort dans le calbute. Ah, i’z’étaient contents à la maison Poulagat quand i’m’ont ramassé ! Enfin j’me suis bien marré. « Alors Riton, aussi fort que Bébert le Coyote ! » qu’i disaient.

Mon pauvre Bébert. Il a passé l’arme à gauche. Remarque, il avait bien choisi son endroit. Sur la terrasse du Wepler. Il avait l’goût des bonnes choses, l’Bébert. Bon, l’patron était un peu vert, mais pour son grand départ, moi j’dis qu’mon poteau il a bien choisi.

J’l’aimais bien moi l’gars Bébert. Et pis, pas regardant pour partager les p’tits plaisirs ! Même les faveurs à la Mère Renée, j’y ai eu l’droit.

Ah mon Bébert ! Tu m’manques, tiens !

Ça m’rappelle la dernière fois qu’j’l’ai vu.

Ben tiens, c’est pas dur, on était au milieu de la place. Là, à l’ombre du maréchal. Dès qu’on pouvait, on la fêtait sa victoire au maréchal. D’accord, elle date un peu. Mais vous savez c’qu’on dit, hein ? La mémoire ça s’entretient. Alors, nous on n’oubliait pas. Qu’est-ce qu’on a picolé ce jour-là ! Et pis du bon, son picrate. Ça rigolait pas à la dépense avec l’Bébert.

« Un bon pinard, ça vaut un bon steak et moi j’aime pas la bidoche ! » qui m’disait mon Bébert. « Et pis i’s’ra bien temps qu’on leur serve de bidoche aux asticots. Et pis i’z ‘auront d’la bonne viande marinée, les asticots ! »

 Ah ! C’était un philosophe mon Bébert ! J’ai même pas un souv’nir d’lui, dans mon fourbi. Ah ben tiens, i’m’fait couler une larme, c’te con ! La p’tite dame, elle va m’prendre pour un sentimental. Elle va croire que c’est la vue d’la sainte famille qui m’fait d’l’effet.

Remarque, s’ça s’trouve elle va ouvrir son larfeuille pour m’filer un ‘p’tite pièce ou…une grosse… Après tout c’serait pas d’refus, j’fais la nounou d’puis t’à l’heure. J’les surveille tous les deux. Personne n’est v’nu les embêter. C’est pourtant pas la racaille qui manque dans l’square. Des p’tits jeunots à casquette de travers et à futal sur les pieds. Et i’s’trouvent beaux en plus. Je rêve ! Moi, j’étais beau avec mes potes, quand on avait l’pantalon à carreaux, les chaussures bi, les ch’veux gominés. Ça, c’était la classe. Y’connaissent plus rien les chiards ! J’sais pas comment les minettes, elles peuvent les trouver choucards.

Par contre, les minettes, pas mal. Bon, y’en a qui font un peu poufiasses, mais j’serais encore vert que j’en f’rais bien mon p’tit quatr’heures.

Un p’tit quatr’heures, j’en ai pas eu aujourd’hui. J’commence à avoir la dalle. Où c’que j’vais aller c’soir ? L’ami Momo, i’veut plus d’moi. La Dédette, c’est même pas la peine. I’m’reste que l’gars Luc. Peut-être qu’i voudra bien qu’j’roupille dans son gourbi au fond du jardin. J’crois qu’sa mégère est pas là en ce moment. Parce qu’elle par contre, quelle proutproute ! Même la Marquise elle est pas comme ça.

Tiens, y’a l’marmot qui roupille, il est parti au pays des rêves.

C’était bien quand même quand on était marmot. Un p’tit câlin entre deux beignes, ça donnait du réconfort. Bon, ça y est !  Y’a la marmaille qui lève le camp.

« B’soir la p’tite dame.

-Bonsoir monsieur. »

Elle est polie la p’tite, il a du pot l’joufflu.
Oh ! Ça y est, ça m’revient !

« Dodo…Coco…mon Loulou.

N’aie pas peur. C’est maman.

Elle est là. Plus de loup…

Un poutou…Et dodo,…

 Maintenant.  »

C’est vrai qu’ça donne envie d’dormir. Allez, j’m’allonge, on verra plus tard pour aller chez l’gars Luc… »

D’Arnaud

CHANTEZ MESDAMES !

Est-ce que le genre proclame ce qui doit nous tenir ?

Est-ce que quand on naît femme on mérite de souffrir ?

Pourquoi au nom d’un livre vient on les interdire,

D’être elles-mêmes et de vivre, de chanter et d’écrire ?

Il y aura toujours, une note un poème,

Quelques lourds grammes d’amour, pour faire face aux extrêmes !

Il y aura partout, des cœurs qui se dressent,

Pour empêcher les fous, d’imposer leur tristesse !

Je serais le premier à vous offrir mes vers,

Pour entendre chanter vos belles voix de lumière,

Pour que vous déclamiez de votre grâce infinie,

Le terme liberté dans vos chants et vos cris !

Je serais le premier à écouter vos odes,

Pour entendre percer, l’espoir vert émeraude !

Et vos rimes féminines éclaireront la nuit,

Comme celle des origines, dont vous portez la vie !

Votre si beau courage est un exemple pour moi,

Pauvre homme en esclavage, de mon ego si bas…

Vous m’êtes supérieures par chacune de vos voix,

Celles qui bravent la peur et mènent le combat…

Chantez Mesdames chantez de tout votre âme,

Pour faire brûler la flamme que la liberté réclame !

Faites que se déclament les rimes de votre charme,

Pour que tombent les armes devant les droits des femmes !

De Viviane

  NOS REVES

 Nous ne voulions pas partir. Nous rêvions de voyage. Nous étions bien dans notre HLM.

Le soir, nous descendions retrouver nos copains et là, les rêves se dessinaient tout seuls. En bas des escaliers ou devant les portes des caves, au milieu des halls d’entrées, tout en posant nos graffitis sur les murs, nous (c’est-à-dire toute notre petite bande de gamins de tous âges), nous nous retrouvions et nos esprits partaient au bout du monde, bâtissaient des trois-mâts, et nous faisaient traverser toutes les mers, bravant tous les dangers, les pirates, les requins, et nous repartions, ainsi, tous les soirs à l’aventure, …une nouvelle…, à chaque fois. Ce n’était que du rêve mais c’était notre rêve à nous, nos rêves à nous, à nous tous, tous ceux de la bande, nous tous, émigrés des quatre coins du monde, venus pour un temps …ou pour toujours.

La plupart d’entre nous n’étions que les descendants d’immigrés bien heureux, à une certaine époque de venir poser leurs pieds sur le sol français, d’y prendre un travail qu’on leur proposait comme un cadeau fabuleux… Ils ne savaient pas qu’ils seraient tous réunis dans des cités que l’on apparente aux ghettos, dans ces cages à lapin, où on leur demande de surtout ne pas faire trop de bruit, voire de renier ses origines.

Enfin, le soir, nous, on se retrouvait pour rêver et le meilleur, c’était quand Mouloud était là. Ce vieil homme, avec ses cheveux blancs et ses yeux brillants, nous racontait sa vie. Assis sur le banc d’en face, dans le square qui servait le jour aux boulistes et aux retraités, nous étions tout à son écoute. Mouloud s’asseyait au pied de l’unique arbre qui donnait, le jour, un peu d’ombre aux joueurs. Ce n’était pas un oranger mais on aurait pu y croire, et il y mettait le ton et son cœur et sa vie et à chaque fois, chaque soir, c’était une nouvelle histoire. Né dans les montagnes Kabyles, il nous contait son enfance qui semblait sortie d’un autre temps, parfois du Moyen-âge. Il nous racontait son pays. Il nous faisait plus que rêver, il nous faisait frémir aussi. Son pays, c’était un peu le nôtre, nos racines, celles dont nos pères ne nous parlaient qu’à demi-mot, comme s’ils avaient un trop de pudeur pour raconter comment ils avaient accepté de venir travailler ici en quittant leur terre natale.

Mais aujourd’hui, mes frères et moi, nous avons appris que nous devions quitter ce HLM. Les quatre tours de la cité allaient être détruites. Ils avaient déjà fait tomber les tours de la cité d’à côté. Ils disent que c’est une « nécessité ». « Ils », c’est toute cette smala qui dirige les choses depuis les bureaux, ces technocrates endimanchés qui décident de tout, de la vie de tous ceux qui se sont entassés dans ces appartements, mais sans jamais avoir mis un pied au milieu de ces microsociétés, de ceux qui décident sans même se demander ce que vont devenir toutes ces familles qui « doivent être relogées convenablement » mais qui ignorent tout du mot « convenable ». Ben oui, « convenable » chez nous, ça n’a pas le même sens que « convenable » chez ces bureaucrates.

Les autres immeubles, on les avait vus tomber. Ils avaient fait ça un dimanche après-midi. Ils avaient encerclé la cité avec des barricades » défense de dépasser ces limites ». Toute la vie était venue au rendez-vous et attendait avec impatience, comme on attend un feu d’artifice.

Sauf que, pour nous déjà, c’était la mort dans l’âme, la tristesse plein les yeux qu’on allait regarder ces tours s’effondrer. C’était là que, petits, nous venions en bande défendre nos intérêts contre l’autre bande qui habitait là. Notre nom de clan c’était les « Morfalous ». Eux, c’était « Les Grognards » et combien de raclées on a pu se mettre mais avec quel plaisir ! Finalement, les bagarres de gosse, ça rapproche et quand leurs immeubles sont tombés dans un vacarme phénoménal et toute cette poussière, on est venu les soutenir et on a pleuré avec eux.

Aujourd’hui, c’est notre tour d’attendre d’être relogés et la chute de nos appartements. Ils ne se rendent pas compte que cette chute, c’est aussi la chute de nos vies. Ils se moquent pas mal de savoir si on sera à nouveau tous ensemble, les potes et moi, et nous. Est-ce qu’on pourra encore passer nos soirées à inventer nos vies passées et futures ?

Ça, « ils » s’en moquent pas mal !

Alors les histoires de Mouloud et les rêves de ce soir prenaient un goût particulier. On avait envie de les écouter encore plus fort, de les apprécier encore plus, de se rassasier, mais il y avait un léger goût d’amertume…

Nous ne voulions pas partir. Nous voulions juste continuer à voyager…

De Marc

Je lui ai fait sa place. Elle viendra quand elle voudra. Un soir d’été peut-être. Sur le bec du vent ou bien pendant mon sommeil.            

Elle viendra me toucher. Me touchera à tue-tête. Obstinée. Sûre d’elle. Déjà elle crible de taches brunes mes mains parcellaires.            

Elle viendra me donner le dernier baiser. Épuiser la veillée. Me distraire du monde des couteaux et des courbes. Des livres, des saints et des chats.

Elle viendra tout murer. Prendra toute la place.

De Catherine M

C’est l’histoire de Gabriel

Tout le monde le connaît en ville.

Il s’installe tous les week-ends sur le parvis de l’église St Eustache. On le voit de loin avec ses cheveux roux comme un incendie qui aurait fait rage au-dessus de sa tête. Une à une, il sort ses marionnettes d’une improbable valise en carton, met en route sa drôle de boîte à musique et commence à raconter des histoires aux passants.

Les enfants lui réclament la suite de contes mille fois entendus, les jeunes gens le début d’histoires d’amour qui font rêver, les vieilles dames la fin heureuse d’histoires passées.

Parfois Gabriel lance un mot à l’auditoire qui s’en empare et commence à fabuler. Gabriel rebondit, ajoute des péripéties, les marionnettes s’emballent, le public ravi renchérit …

Un jour, une passante a lancé un mot à son tour, un prénom féminin …le sien ? Gabriel a soudain blêmi, remballé son matériel et quitté les lieux sur-le-champ.

Qui, pour raconter l’histoire de ces deux-là ?

De Claude

LA PREMIÈRE FOIS…

Pour tout vous dire, je n’ai pas mis longtemps à trouver un texte parmi ceux qui dormaient à points (je maintiens !) fermés dans une malle au grenier. « Je me souviens de la première fois où… » a immédiatement retenu mon attention. Ainsi, je me suis souvenu de la première fois où je me suis gavé de pruneaux, un écrit qui certes, ne justifiait pas une parution dans les annales, mais qui aurait cependant mérité un prolongement bien torché. Pas plus d’ailleurs que : « Je me souviens de la première fois où j’ai découvert les tableaux de Picasso ; j’ai aussitôt adoré tous les autres peintres. Non que je ne puisse voir ce Pablo en peinture, mais il me semble qu’il ne peint que l’enfer du décor.

J’ai également repensé avec plaisir à la première fois où j’ai lu, et même dévoré, Sacha Guitry, Jules Renard, Oscar Wilde ou Alphonse Allais, entre autres.

J’en ai lu des tomes et j’ai ri. Beaucoup ri.

La puissance du mot, la force du verbe me sont apparues comme des révélations. Faire rire en provoquant un sourire complice, ou l’hilarité générale me renseigne aussitôt sur les personnes que je côtoie : sont-elles timides, anglo-saxonnes, voire les deux, ou joviales et épicuriennes ?

Moi, je ris, par exemple, quand mon coiffeur me fait ma raie. Mais aussi, et je m’en délecte sans jamais m’enlacer m’en lasser, quand je dis que j’aime manger épicé – pas en même temps, bien sûr ! – . (Je demande pardon au lecteur pour ce récit pissé.)

Pour être dans l’actualité, j’adore cette phrase d’un humoriste américain qui dit : « Je n’ai pas peur du terrorisme, j’ai été marié pendant deux ans », ou celle de G.B Shaw qui affirme que « c’est une erreur de considérer le mariage comme une loterie. A la loterie, on peut parfois gagner ».

Ainsi, le mot, comme le gaz, peut être hilarant.

Je me demande même parfois si les langues n’ont pas été créées de telle façon qu’on puisse assembler les syllabes, selon l’occasion, de façon drôle ou grave.

Prenez par exemple, dans la langue française, les mots : « consacré », « concupiscent » ou encore « estafette », pour ne citer que ceux-là !

Il y a des mots courants, ceux qu’on appelle les mots passants, et il y a les mots acrobatiques, les mots-lierre. Mais parmi les plus populaires, on ne trouve que des mots graphiques.

J’adore les Robert (je parle des dictionnaires, évidemment ! qu’allez-vous imaginer ?), que je lis très souvent comme de bons romans. L’avantage, c’est qu’on peut les ouvrir à n’importe quel endroit, on est toujours à la page. Dans un dictionnaire, les mots clopinent ; parfois, les mots filent, mais je le sens bien, les mots râlent quand je me mets leur recherche, surtout quand je les ai sur le bout de la langue.  Tenez, moi, quand il fait froid, je parle à mots couverts, et en été, je fais une cure d’exquis mots.

J’aime les mots roses de la langue française, mais celui que je préfère, c’est le mot : « cœur ».

De Jacques

Peur

J’ai regardé dormir

Encore et encore et aujourd’hui aussi

De l’éveil au sommeil

De la douceur au sommeil

À la douleur du réveil

La peur dans ses yeux

Ma peur au coeur

J’aimerais lui donner de grands bouts de nous

Qui garderait en elle de grands bouts de nous

Je l’aime, je l’aime et je l’aimerai

Elle est démunie, elle est nue d’elle

Ma peur est mutuelle

Elle est forte, elle a le sept et le huit

La petite fille qu’elle fut s’ennuie

Elle oublie

Affligée encore une fois

Ses si beaux yeux bleus

S’égarent et s’endorment dans la douleur confuse

De l’éveil

J’ai eu peur qu’elle émigre ailleurs

Comme ces oiseaux qui s’envolent le moment venu

Épuisés déjà.

D’Agnès

On peut peut-être se tutoyer ?

—Je ne sais pas si nous n’allons pas trop vite. Il me semble que c’est un peu tôt.

Je me suis déjà permis depuis notre rencontre, de passer de « Monsieur » à votre prénom assorti du vouvoiement lorsque je m’adresse à vous. J’ai déjà la sensation d’avoir franchi des étapes depuis quelques mois. De là, à les brûler maintenant…

—Nous allons être amenés d’ici quelques jours à travailler ensemble, à devenir collègues. Et que font les collègues dans un cadre professionnel quand ils travaillent ensemble ? Ils se tutoient tout simplement. Cela simplifie la relation, n’est-ce pas ?

—À vrai dire, je n’ose pas, j’ai le sentiment de m’insérer brusquement dans votre cercle privé, dans votre intimité sans préavis, de m’octroyer des familiarités inadaptées comme si nous étions subitement devenus amis ou davantage si vous voyez ce que je veux dire …

—Mais l’un n’empêche pas l’autre ! Cassons les codes, et les idées reçues. Permettez-moi de vous dire que ce sont des pensées limitantes dont il faut se libérer ! Je ne vous dis pas présentement que le destin nous a réunis intimement mais que le tutoiement est une pratique courante dans une entreprise, et de grâce, acceptez ce tutoiement professionnel que je vous offre.

—Cependant, je me permets d’insister, le vouvoiement me semble être une marque de respect et de bonnes manières, et je ne voudrais pas vous manquer de respect. N’oubliez pas que nous nous connaissons depuis peu, deux mois tout au plus si ma mémoire ne me fait pas défaut.

—Alors non seulement je vais me permettre de te tutoyer mais aussi de faire trois bises de bienvenue comme pour sceller ce nouveau pacte professionnel car chez nous en Charente-Maritime c’est trois !

De Louisiane

LE GERANIUM

C’était une rue comme une autre, ni longue ni courte, ni large ni étroite, sans verdure. La maison n’était pas plus que cossue que ses voisines, mais au second étage, il y avait cette jardinière prévue pour quatre plants, qui contenait un seul géranium, rouge pimpant. En face, côtoyant une supérette, un banal café surmonté d’un néon rose.

Ce rouge-orangé, velouté opaque spécifique au géranium, ce ton que je trouve agressif et ordinaire, m’a semblé de bon augure pour écrire ce livre qui s’ébauchait depuis un moment. C’est ainsi que je louai pour deux mois mais sans m’installer, ce studio chichement meublé et sans goût.

Aucun grain de sable pour me retarder. Ni pour me détourner de mon but.

Rien pour étayer mes procédés d’évitement habituels.

Une fois accomplies mes indispensables routines disciplinées, je m’asseyais, j’écrivais.

Je me dégourdissais le corps en allant de ma table au balcon. De là un regard tranquille à mon unique compagnon, que j’arrosais deux fois la semaine.

Il perdait quelques pétales tandis que des boutons apparaissaient de ci de là, puis une fleur apparaissait.

J’ajoutais chapitre après chapitre. Aprement. Lentement. Comme un grimpeur cherchant les fissures pour s’assurer. Ma progression pour saisir le mot exact, trouver le ton, rythmer mes phrases, ciseler les mots, était gratifiante. Ma production allait de pair, avec le géranium pour seul témoin.

J’étais devenu sourd aux bruits. Je ressentais la faim de temps à autre. S’il m’arrivait d’écrire la nuit, le néon du bar d’en face figeait le contour du géranium. J’y voyais une vigie de proue, muette, qui, du balcon veillait.

Un mois, puis deux s’écoulèrent à ce rythme lent, régulier.

Lorsque je tapai le mot FIN, j’eus une pensée puis un regard au géranium toujours dressé, toujours pimpant.

Chacun sa route Vieux, pensais-je.

J’ai fait mon bagage et laissé la clé comme convenu avec la logeuse, sur la table. En refermant la porte avec un regard à la plante j’ai dit ” Salut mon pote !” C’était les premiers mots que je prononçais depuis deux mois.

De Baya

Des Vigies dans la ville

Kamila se prépara une tasse de café, sa boisson favorite. Presque une amie, l’accompagnant dans ses moments de partage, de réflexion, de joie, de peine….

Assise à sa table de jardin, dans son minuscule balcon, elle savourait son plaisir de vivre ce moment, sans attente, sans but particulier.

Son regard, un peu vague, aperçut là-bas, entre les toits de la ville, un arbre émergé, laissant voir le haut de son feuillage.

Citadine indécrottable, comme elle aime se qualifier, Kamila ne pouvait dire le nom de l’arbre. Puis ses yeux se posèrent sur d’autres bouquets d’arbres, un deuxième, un troisième, un quatrième…

En ce début d’été pluvieux, tous ces arbres restaient bien verts. Ces tonalités de vert étaient très différentes, du vert profond au vert tendre. Sont-ce des signes de l’âge de ces arbres, de l’arbre mûr, fier de sa puissance, offrant son feuillage généreux et ombrageant à l’arbre adolescent, tout en longueur, oscillant au gré de la brise ?

Un peu plus loin, elle vit d’autres arbres, plutôt chétifs, plantés sur les terrasses des résidences, à quelques pâtés de maison de là.  Son attention revint dans sa rue où trônait un magnifique tilleul au tronc imposant dont les cimes montaient à hauteur du 5e étage.

Son ombre précieuse offrait refuge aux clients installés à la terrasse du café dont les tables étaient disposées de part et d’autre de son tronc.

Elle prit une nouvelle gorgée de café et se dit : “c’est bien la première fois que je me rends compte que je suis dans un quartier très urbanisé mais où néanmoins les arbres, tels des compagnons silencieux ou des vigies, restent nombreux.”

Elle continua à observer ce tableau où le béton triomphant n’avait pu avoir raison des quelques poches de résistance et de respiration.

Était-elle écolo ? Pas vraiment. Mais elle savait que les arbres étaient sinon nos frères du moins nos doubles sans lesquels l’homme perdrait une part de lui-même.

Puis elle leva les yeux vers le ciel. Les nuages étaient immobiles et présentaient un camaïeu de gris étonnant en cette mi-juillet. Son regard se perdit dans le lointain. En discontinu, derrière les immeubles de la ville, apparaissaient les Pyrénées, boisées ou pelées selon leur orientation. Plongée dans ses réflexions, elle n’entendait plus les bruits de la rue ni ceux des avions qui passaient, à intervalle régulier, au-dessus de son immeuble pour atterrir dans un aéroport quelques kilomètres plus loin.

Elle se souvint avoir lu quelque part, que les arbres communiquaient entre eux et se portaient assistance. Ces êtres que nous pensons de “simples morceaux de bois” car dépourvus de cerveau ou même de système nerveux, ont une vie sociale faite de communication et d’entraide. Certains chercheurs avancent l’hypothèse d’un « altruisme des arbres » allant du partage de leur réserve d’eau et de nutriments au sacrifice de soi pour permettre la survie du groupe.

Ses réflexions la laissèrent songeuse. Elle reprit une gorgée de son café, refroidi maintenant. Elle était en train de réaliser que tout être vivant n’était en réalité jamais seul, toujours pris dans un réseau.

Pour son plus grand bien. Ou parfois, hélas, pour son plus grand malheur. Nos sociétés modernes prônant l’autonomie des individus, ne les ont-elles souvent poussés à l’isolement ?

Elle repensa aux arbres, présences majestueuses ou fragiles dans nos villes. Comme les humains, dans des villes parfois déshumanisées. Décidément, son café était trop froid. Elle décida de s’en refaire une tasse. Elle le huma et le dégusta avec plaisir. La ville fut tirée de sa torpeur par un défilé de motards faisant vrombir leurs engins. Elle ne put s’empêcher de faire un parallèle entre le bruit des moteurs, les effluves de carburant qui montèrent jusqu’à elle, et la présence silencieuse et bienfaisante des arbres.

“Non, non, tu ne vas pas te mettre à préférer les arbres aux humains maintenant !” se moqua-t-elle d’elle-même.

“Non je ne vais pas devenir une militante sylvestre mais je vais quand même me documenter et essayer de comprendre leur fonctionnement. Peut-être y a-t-il quelque enseignement à y puiser.”

En se levant pour rentrer, elle vit, amusée, qu’un oiseau empruntait le même couloir que les avions, même si elle savait pertinemment que c’était juste une question de perspective. Elle y voyait un clin d’œil complice, un encouragement des “arbres-citadins”…

De Christophe

La conversation

Leur conversation s’était éteinte sur ces mots-là. Un homme et une femme, jeunes tous deux, parlaient ou plutôt avaient parlé. C’étaient ses mots à lui qui avaient conclu l’échange de manière péremptoire, presque agressive.

« Soit tu t’arrêtes maintenant, soit tu continues.  Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est pour arriver à quoi ?  A rien !  C’est aussi simple que ça ! »

Elle ne répondit rien. Qu’y avait-il à répondre ? Il aurait pu prendre des heures pour lui démontrer son erreur : cela lui avait pris dix minutes. C.Q.F.D. 

Le métro filait dans les rames souterraines, chargé par paquets d’hommes et de femmes. Parmi lesquelles ces deux-là. Lui qui parlait, qui s’exprimait d’ailleurs avec passion, avec vigueur, mais quand-même un peu misérablement. Elle qui l’écoutait, qui hochait la tête, l’air triste mais résignée. Il disait que c’était ainsi, qu’on n’y pouvait rien.  La vérité la blessait, fallait voir ! Il savait qu’il avait raison. Pour son malheur, elle le savait aussi.  Il s’acharnait pourtant, inutilement d’ailleurs : elle s’était déjà rendue à ses arguments, quoi qu’elle dût en souffrir.  Il fallait bien !  Est-ce qu’on peut choisir d’avoir tort ou raison en ce monde ?  Est-ce qu’on peut changer de vérité ?  Alors elle se taisait, et lui parlait pour deux.

Ses yeux à elle parlaient tout de même, en silence, ainsi qu’il sied à une paire de globes oculaires.  Il avait emporté la partie parce qu’il s’était rendu maître de l’évidence. Pas de quoi en faire un plat, suppose un peu.  Mais ses yeux à elle réclamaient un répit.  Ils disaient : « Minute ! Ménage-moi. Laisse-moi le temps d’encaisser le coup, d’admettre que j’ai eu tort, alors que je croyais tellement ne pas me tromper.  Tu n’as plus besoin d’essayer de me convaincre… »

Ses yeux ne prononçaient pas ces mots mais les exprimaient. Ils auraient tout aussi bien pu résumer leur propos de la sorte : « C’est bon, j’ai compris. Ferme-la maintenant. »

Intérieurement, il peut s’en passer et s’en dire, des choses. Des fois, on peut même arriver à les entendre sans qu’elles soient énoncées. Mais pas cette fois, parce que lui n’écoutait pas ou n’aurait pas entendu.  En fait, le jeune homme et la jeune femme parlaient chacun de son côté, chacun l’un à part de l’autre, l’un à côté de l’autre et, en dépit de tout, l’un à l’autre aussi : lui avec un brin de redondance qui, oui, décidément, aurait pu finir par devenir agaçante, et elle, dont le silence s’adressait à lui mais peut-être aussi au monde entier.  Tous deux regardaient ailleurs.  Lui, son sac, elle, le sol, ou bien dehors, ou bien rien du tout peut-être. Á la station « Château d’eau », ils descendirent de la rame, empruntèrent un escalator et quittèrent le dédale du réseau suburbain.

Ils avaient ensuite dû s’acquitter de quelques tâches plus ou moins routinières, effectuer l’une ou l’autre activité sans importance, ou de peu de prix.  De ces choses qui vous remplissent le quotidien et l’occupent irrémédiablement.  En tout cas, la conversation, le trajet et les mots prononcés quelques heures auparavant semblaient, à cette heure, assez proches d’être oubliés.  Reconnaissons donc au moins une vertu salutaire à ces occupations banales, puisqu’elles nous autorisent à tourner la page et à poursuivre le récit de nos existences.

Puis la nuit était tombée.

Ils marchaient à présent côte à côte, en silence, dans le voisinage de Saint-***.  Il faisait sombre et la rue était déserte – ce qui, d’un point-de-vue littéraire, s’avère d’une platitude vertigineuse mais, du point-de-vue de la sociologie urbanistique, si l’on peut dire, assez inhabituel, voire surprenant, même à cette heure et dans ce quartier, et surtout à P***, capitale, tout-de-même, de la F*** !  Le chiche éclairage réservait, il est vrai, quelques zones d’ombre, parmi les encoignures, portes cochères et autres porches.  La rue, telle l’allée d’un temple antique, flanquée de part et d’autre d’une haie honorifique constituée d’automobiles parquées à la queue leu leu (ça, ce n’est pas plat, c’est trivial !), avec ses deux travées latérales destinées aux officiants ordinaires du culte piétonnier, autrement dit : ses trottoirs, illuminée de ces modernes flambeaux solennels que sont les lampadaires de rue, la rue, donc, était vide, si l’on excepte le présence des deux individus, l’un mâle, l’autre, femelle, dont nous avons exécuté ci-dessus l’abrégé de la journée. 

Pourtant, chacun pour soi, nos deux protagonistes sentirent, confusément d’abord, puis de plus en plus précisément, une présence.  Soudain, et au même instant, leurs yeux se posèrent sur ce qu’ils auraient pu prendre pour un produit de leur imagination. En jeunes gens cultivés, férus de littérature fantastique, et belge de surcroît, ils auraient pu reprendre à leur compte cette réflexion de Jean-Jacques, le héros du roman Malpertuis : « Je le vis en effet, si toutefois on peut dire qu’on voit l’ombre se profiler sur l’ombre. »  Mais ils n’en firent rien, pas plus qu’ils n’évoquèrent Molière ni Mozart, ce qui se fût avéré judicieux, puisque, de l’être en présence de qui ou de quoi ils se trouvaient, émanait pareille puissance d’intimidation, on se doute, que de la Statue du Commandeur soi-même. 

Plus grand encore qu’un homme de taille supérieure à la moyenne, d’une noirceur pour ainsi dire flamboyante, bien que ce fût le contraire d’un flamboiement : sorte de « trou noir » d’apparence humaine, absorbant tout rayonnement, toute clarté, d’une clarté ténébreuse oserait-on dire, pour peu que l’on soit exercé à l’usage assidu du paradoxe et de l’oxymore, une sorte de colosse, un « ange » nocturne, un messager donc, selon l’étymologie, se tenait debout, immobile, à quelques mètres d’eux, sur le rebord d’une haute fenêtre.  Son allure imposait l’aphasie la plus stricte, car quelque chose de sa réalité échappait à l’entendement.  Un bloc de basalte arraché à un ciel de nuit. Son immobilité s’apparentait, en condensé, à celle des pyramides d’Egypte. Il paraissait avoir été prévu de toute éternité qu’il se trouvât en cet endroit, à ce moment précis, et qu’il n’eût absolument pas pu en aller autrement.

Tout-à-coup, la créature sauta au sol, avec une souplesse plus que féline, presque déjà surnaturelle, s’avança vers eux, puis s’immobilisa et, semblant s’adresser à lui en particulier, prononça très distinctement ces mots, non sans une pointe d’ironie mais aussi une lenteur et une gravité souveraines :

– « Croyez-vous que les choses soient si simples ? »

Puis elle s’envola dans le ciel.

De Catherine G

Émotion…Admiration… Émotion et admiration, encore et toujours ! Ces deux mots symbolisent la puissance des Jeux Olympiques de Paris, mais aussi Paralympiques. Ces derniers démultiplient la force de ces deux vocables. La cérémonie d’ouverture fut pleine de symboles forts et ne pouvait que forcer le respect, prémisses impressionnantes du spectacle non moins exceptionnel à venir sur le terrain.

Émotion, admiration et respect pour ces mutilés de la vie, qui, par la force de leur immense résilience, donnent une non moins immense leçon de vie à nous autres, les valides, qui nous plaignons de tout et de rien, et qui n’avons pas le dixième de leur talent et de leur détermination.

Chapeau bas à vous, Mesdames et Messieurs les athlètes paralympiques, de nous offrir le spectacle de vos prestations sportives, qu’elles soient ou non couronnées de succès. Vous êtes tous des champions à nos yeux et nous vous assurons de notre plus profond respect. Vos performances sont hors-normes et bluffantes. Quelle maîtrise du corps, aussi hors norme soit-il ! Votre courage et votre ténacité sont exemplaires et mettent vos exploits dans l’incroyable champ de tous les possibles. Au-delà de vos performances exceptionnelles, vous insufflez tant de joies et tant d’intenses émotions que cela occulte les souffrances passées dont vous n’en racontez que le positif à retenir.

Merci à vous de nous remettre au cœur de l’Humanité, tant vous rayonnez dans la fraternité et le respect les uns des autres. Chapeau bas et un immense merci pour toutes ces émotions qui nous ramènent au cœur de l’humain.

De Brigitte

Le pouvoir personnel

Le pouvoir peut provoquer fascination ou répulsion, libération ou oppression, création ou destruction. Le pouvoir est-il une fin en soi, ou un moyen au service d’une cause ? Le pouvoir est-il une force positive, qui permet de réaliser ses rêves et de changer le monde, ou une force négative, qui corrompt et aliène ceux qui le détiennent ? Le pouvoir est-il compatible avec la liberté, la justice et la démocratie, ou est-il nécessairement tyrannique et arbitraire ?

Les leaders, les influenceurs, les entrepreneurs, les journalistes, les politiciens sont des exemples de personnes détenant un pouvoir. Les écrivains, les artistes, les philosophes sont d’autres expressions, éventuellement contestataires, du pouvoir. La richesse, la puissance, la médiatisation entraînent de plus grandes responsabilités. Selon Friedrich Nietzsche, le pouvoir est une illusion car il est souvent basé sur des perceptions plus que sur des faits concrets.

Le pouvoir peut devenir addictif et exige responsabilité et intégrité de la part de ceux qui le détiennent. Le pouvoir doit être utilisé de manière juste, équitable, honnête et ceux qui le détiennent doivent rester humbles. Le pouvoir ne doit pas servir à obtenir ce que nous n’arrivons pas à réaliser. Trop de pouvoir corrompt.

Le management est un bon exemple d’exercice du pouvoir. Il y a le management directif et autoritaire, le management consultatif mais qui conserve le pouvoir de décision dans une seule personne, le management qui délègue et supervise l’avancée des taches et enfin le management coopératif où plusieurs personnes détiennent le même pouvoir.

Selon Julius Caesar “Le pouvoir est un miroir qui reflète l’homme qui le porte.”

Tout le monde possède le pouvoir que lui donne sa confiance, ses décisions, ses actions, ses pensées son assurance, ses compétences et ses relations.

Nous avons tous le pouvoir d’accepter ou de contester, de consommer ou non un produit, de suivre ou non une influence, de croire ou non une information. Nous avons aussi le pouvoir d’attribuer notre attention, de donner notre temps et notre savoir à quelqu’un ou à une cause. Nous avons le pouvoir que nous nous donnons.

La non-résistance à la vie telle qu’elle est donne accès à un grand pouvoir et cela ne signifie pas ne pas agir. De même nous pardonner nos erreurs passées et pardonner aussi celles des autres est aussi un pouvoir et une force.

Notre pouvoir relève de nos ressources personnelles et de notre énergie qui est notre ressource primordiale avec celui du temps.

De Lisa

La perte d’un enfant

Voici le deuxième anniversaire du décès de son bébé, parti le jour même, seul dans sa chambre, il décide de prendre une feuille et un crayon. Il veut avoir l’impression qu’elle est près d’elle. Il paraît que l’écriture est une bonne thérapie.

Voici sa lettre :

J’ai l’illusion que tu viendras dans mes rêves

J’ai l’illusion que dans le noir, te voir, ma fée

Mais le chagrin est plus fort que moi

J’ai l’illusion que tu m’appelles papa

J’ai l’illusion que tu sois mon ange-gardien

Mais le chagrin est plus fort que moi

Tu m’as laissé imaginer un futur de paternité

Où nous sommes complices mais la vie a coupé le fil

Mais le chagrin est plus fort que moi

Tu m’as laissé sombrer dans le boulot en vérité

Mais ton corps est dans le cimetière de Pépé et Mémé

C’est le seul endroit où je peux jouer le rôle de père

Tu es venu sur Terre qu’une journée

Où l’avenir n’est plus à notre portée

Où les battements de ton cœur ne sont pas au rendez-vous

Plus le temps passe et ton absence, me rend fou de toi

A ma petite Titi ne

Ton papa, qui tous les jours, pense à toi

De Francis

Un coin du voile

Les croyances populaires étaient nombreuses dans ma jeunesse après la Deuxième Guerre mondiale. Il était courant d’entendre parler de sorcière, de jeteur de sort.

Au nord de la France, là où j’habitais, la région a vu l’édification de cités de baraquements remplaçant les maisons détruites. Pas d’eau, pas d’électricité et les familles sont nombreuses, bonjour la promiscuité. La minceur des cloisons de séparation entre les logements fait que l’on vit également la vie des voisins. On partage leur quotidien, les naissances, les morts……….

Les croyances populaires sont nombreuses. La statue de Saint Joseph vogue de foyer en foyer. Il tourne le dos. Elle regarde le mur, appelant le facteur pour qu’il vienne bien vite avec les allocations. Il y a les commérages, les fausses nouvelles, la stigmatisation, c’est le quotidien.

J’habite une de ces cités et il y a des endroits où nous avons interdiction d’aller, par nos parents. Il faut éviter, la tuberculose, les mauvaises fréquentations de famille et bien d’autres choses.

Dans la cité, il y a un secteur qui nous fait peur, très peur, que nous évitons soigneusement. Lorsque l’on y passe, on baisse la tête, on presse le pas. Une rumeur court, se propage comme une ombre menaçante. Notre imagination d’enfant fait le reste : une sorcière y habite, nous en sommes convaincus. Elle réside à l’extrémité d’un baraquement, un lieu qui semble imprégné de mystère. Devant sa porte, une flaque d’eau est toujours présente, comme un reflet de sa présence inquiétante. Nous détournons notre chemin, marchant plus vite lorsque nous approchons, espérant échapper à quelque maléfice invisible.

Elle est mariée, mais décrire le couple est une tâche ardue, tant leurs apparitions sont fugaces. Leur discrétion intrigue, elle alimente les plus sombres suppositions. On ne les aperçoit à peine, rarement, presque jamais. Pourtant, je me souviens de lui, un homme grand, sec, aux cheveux gris, au regard éteint. Elle, elle est petite, voûtée, ses longs cheveux gris encadrant un visage qui semble sortir tout droit des pages de nos livres de contes, une sorcière incarnée.

Leur existence secrète attise les commentaires. Ils vivent cachés, en marge, leur mode de vie si différent du reste de la cité. Ils possèdent un chat noir, qui se chauffe souvent au soleil, nous observant d’un regard perçant à travers les carreaux. Il fait peur, ce chat, un véritable grigri, un être de l’ombre. On est certain qu’il est capable de jeter un sort en un simple regard. Alors, on accélère le pas, on baisse les yeux, évitant tout contact.

Personne ne sait vraiment ce qu’il en est, mais tout le monde parle, invente, fabule, affirme. La rumeur s’amplifie, chacun veut avoir l’information la plus sensationnelle sur ce couple mystérieux et sur les agissements supposés de la femme. Puis un jour, le mari décède. Les langues se délient, les esprits s’emballent. Personne ne sait dans quelles conditions il est mort, mais tout le monde est persuadé qu’elle l’a empoisonné. Elle ne pouvait plus le supporter, disent-ils. Les commentaires fusent, chacun y va de sa version, embellissant la légende. Qui pourrait imaginer qu’une sorcière ait du chagrin ? Non, une sorcière n’a pas de sentiments, elle ne pense qu’à nuire à son prochain. On ne se réjouit pas, mais c’est tout comme.

Le temps passe, et on la voit de moins en moins. On raconte qu’elle ne sort plus que la nuit, lorsque l’obscurité enveloppe tout, un moment propice à ses œuvres occultes. Si l’on croise son chemin, il faut l’ignorer, disent les anciens. Elle est sournoise, elle pourrait vous manipuler par un simple regard, tout comme son chat. Certains affirment qu’elle pourrait jeter un sort, une incantation secrète qui détruirait votre vie en un instant. Alors, si les couples se disputent, si les enfants tombent malades, si les chiens hurlent à la mort, c’est forcément qu’elle est passée par là, ou qu’elle n’est pas loin.

Nous y croyons, mais fallait-il vraiment y croire ? Certainement pas. Tout ce qui se dit sur Noémie – car elle s’appelle Noémie – ne sont que racontars, inventions de commères en quête de sensations pour échapper à leur morne quotidien. Elles sont les premières à murmurer sur ses pouvoirs supposés, à parler de ses talents de manipulatrice d’esprits. Pourtant, ce sont elles qui, dès que quelque chose tourne mal, viennent frapper discrètement à sa porte, cherchant son aide, ses grigris, ses prières, et ses incantations secrètes. Elles oublient vite leurs ragots lorsque l’un de leurs enfants tombe malade ou lorsque la discorde s’installe dans leur foyer. Elles sont prêtes à tout, prêtes à oublier leurs préjugés pour s’attacher aux bribes d’espoir qu’elle leur offre.

Au cœur du village se dresse un calvaire, au pied duquel coule un mince filet d’eau, le Kruysbellaert, “le bélier du Christ”. La légende raconte qu’un bélier y aurait déterré un morceau de la croix sacrée. C’est là que Noémie se rend fréquemment, au lever du soleil. À chaque visite, elle semble pratiquer un rituel mystérieux. Elle s’agenouille, se recueille en silence, son corps presque immobile. On dit que sa silhouette devient lumineuse, enveloppée d’une étrange aura. Puis, elle dépose des morceaux de papier sous des cailloux, accroche des fils de laine et des bribes de tissu, des offrandes énigmatiques, des talismans peut-être. Ce rituel, observé par quelques curieux, a rapidement alimenté les récits, renforçant encore sa réputation de sorcière, liée à des forces invisibles, peut-être même à l’au-delà.

Personne dans la cité n’avouerait jamais avoir recours aux services de Noémie, mais les messages se multiplient discrètement à sa porte. Chacun espère que, grâce à ses pouvoirs, elle pourrait manipuler le destin, influencer les esprits, apaiser les douleurs cachées, ou simplement apporter un peu de lumière dans la noirceur de leur quotidien.

Au début des années soixante, la cité de baraquements a été rasée et a fait place à un lotissement. Le bruit a couru que des petits morceaux de bois des cloisons du logement de Noémie ont été récupérés par des initiés. J’ai appris qu’elle a fini ses jours dans l’anonymat à l’hospice. Personne ne s’est manifesté à l’occasion de son enterrement.

Il est possible de repérer l’emplacement de son logement, car bizarrement, seul, un saule noueux a réussi à pousser dans le jardin du pavillon construit sur l’emplacement de l’ancien baraquement.

 Nous avons grandi dans cette ambiance bizarre, folklorique. C’était ainsi, c’était notre quotidien et nous trouvions cela normal.  Notre personnalité a été forgée à partir de là. Nous étions des gamins, nous n’avions rien connu d’autre. Nous étions confrontés à nos problèmes d’enfants et obligés de partager les problèmes des adultes. C’est ce qui nous a construit et permis de traverser la vie avec une force de caractère que l’on ne retrouve plus de nos jours.

Petit à petit, le cours normal des choses a repris. La reconstruction des villes a eu lieu. Toutes ces familles ont retrouvé un logement décent. Nous avons tous évolué dans la modernité. Néanmoins, il reste toujours dans les mémoires un fonds de croyances populaires.

Le temps a passé, l’eau a coulé sous les ponts, les mentalités ont évolué. D’autres croyances sont arrivées, mais malheureusement, la discrimination, la stigmatisation et le racisme sont toujours présents. Ils ont survécu. Et continuent à faire souffrir.

De Sylvie

Ce matin, il fait gris dehors, le vent souffle, la pluie tombe doucement, on dirait que la Terre nous fait un signe pour nous dire « Regarde-moi ! Écoute mon cri ! Écoute mes pleurs ! Protège-moi ! Aime-moi ! »

Alors, je prends le temps.

Aujourd’hui, c’est la fête des Pères. Je me demande ce qui te ferait plaisir. Je me demande ce que j’aimerais t’offrir. J’ai envie de te dire que je t’aime.

Je t’aime Papa.

Ce matin, au petit-déjeuner, je prends une fraise de ton jardin. Elle est belle. Elle est rouge. Elle brille comme le cœur qui bat. Ce fruit nous offre ses graines, toutes bien organisées et harmonieuses comme dans tes plans que tu aimes tant dessiner. Chaque point, chaque trait est pensé dans un tout. Pas de place à la fantaisie. De l’harmonie et de la rigueur. Cette fraise te ressemble.

Et je ferme les yeux et mets le fruit à ma bouche, je croque doucement. Le jus coule sur ma langue. Le fruit cireux est moelleux et ferme en même temps. Un film déferle dans mon esprit comme la vague vive qui vient déposer son butin sur la plage. Je te vois réfléchir à ton jardin. A quel endroit vas-tu planter tes pieds de fraisiers ? Ils doivent être au soleil et à l’abri aussi. Et toi que je n’ai jamais vu ouvrir un roman, tu sors tes magasines jardins et potagers, tu ouvres Google sur l’ordinateur. Et tu lis et lis encore car tu dois choisir la variété qui aura le plus de qualités à tes yeux. Elle doit avoir le goût des fraises de ton enfance, elle doit être sucrée. Elle doit être ni trop petite, ni trop grosse. Elle doit être adapté à notre climat si changeant. Probablement que tu as demandé son avis à Jean-Marc et que tu as aimé ce temps passé avec lui.

Et puis, il y a la terre que tu as préparée, bêchée, aérée, émiettée, ratissée.

Les pieds de fraisiers, tu les as plantés seuls ou avec Maman. Chaque jour, tu les as arrosés, tu les as protégés, comme on aide les enfants à grandir. Maman a ôté les mauvaises herbes pour leur laisser de la place pour grandir.

Avec Maman, vous avez regardé les premières fleurs se former. Vous avez imaginé la récolte à venir. Chaque fraisier a développé ses racines pour être ancré, pour être plus fort, pour aller puiser l’eau et les nutriments dans ta terre. Celle que tu soignes pour eux, pour nous, pour toi. Au printemps, comme pour te dire merci de leur avoir donné la vie, les fraisiers ont offert leurs fleurs au petit cœur de pistils jaunes avec leurs jupes de pétales blancs. De petites coupes ouvertes pour accueillir le vent, les abeilles et autres insectes butineurs.

As-tu écouté et regardé cette vie d’amour et de plaisir s’épanouir au cœur de ton jardin ? Ou, étais-tu au milieu de tes tomates, à les greffer comme on met un enfant au sein de sa nourrice ?… Tu aimes ton jardin comme tu aimes tes enfants, en essayant de leur offrir le plus de douceur possible pour qu’ils puissent grandir et s’épanouir dans le Monde qui les entoure, en les protégeant.

Au cœur des plants, les fraises sont apparues abondantes et généreuses comme pour te remercier. Maman, toujours là pour te mettre en valeur, prends le temps de les cueillir car on ne gaspille pas l’Amour, il est trop précieux. Et elle offrira à table les fruits de votre travail et de la vie que vous avez construit ensemble.

Papa, que j’aime tes fraises, elles ont le meilleur goût du monde car elles ont le goût de l’Amour.

Bonne fête Papa

De Claudine

Le barbecue

Vendredi soir, comme chaque fin de semaine, je suis en roue libre me demandant ce que je vais pouvoir faire de toutes ces heures inutiles. Je me pose souvent la question pour savoir si je suis normale. Mes collègues ont des projets à foison ; à croire qu’il leur faudrait plusieurs weekends en un pour concrétiser leurs projets.
Mon appartement cossu et mon adorable Minette m’attendent ainsi que ma pile de romans et cet écran noir qui occupe un angle du salon. Je vais passer des heures à lire les copies de mes élèves. Quelle vie trépidante !
Le téléphone sonne, c’est ma mère qui m’invite à l’anniversaire de l’une de mes nièces ; je n’ai rien prévu comme cadeau. Comme d’habitude elle me serine.

« Quand vas-tu enfin avoir l’esprit de famille ? »
L’esprit de famille ? mais je l’ai cet esprit, il faut simplement qu’il colle à
mes désirs. Je lui réponds que de toute façon, ce n’est pas possible car j’ai un stage de yoga.
« Tu fais du yoga » me demande-t-elle.
« Depuis cinq ans ».
La conversation s’éternise en banalités et enfin je me retrouve face à …rien.
A nouveau, le téléphone envoie sa sonnerie stridente. Je pense que c’est ma
sœur qui me relance ; c’est son habitude, elle n’aime pas que l’on oublie sa
progéniture.
Ce n’est pas elle. C’est Josy, une amie de fac qui de temps en temps se rappelle
que j’existe. Elle aussi me convie à une fête ; d’après la description c’est nettement plus attrayant que celle organisée par ma sœur. Je l’écoute et je me dis que je ne perds pas grand-chose à me déplacer chez elle qui habite Rueil Malmaison, à deux pas de chez moi.
Sa maison est vaste, avec un grand jardin et une piscine. Si c’est trop barbant,
il y aura au moins l’eau pour me détendre.
« Tu verras, il y aura des gens charmants et pas mal d’hommes célibataires ».
« Dis donc, tu n’aurais pas des idées derrière la tête ? »
« Pourquoi pas, il faut bien que l’on s’occupe de ton cas ; à 28 ans être encore
seule, c’est malsain. »
Ca, c’est du Josy tout craché, vouloir le bonheur de l’humanité. Ces lectures ce
sont des romans à l’eau de rose ou amour rime avec toujours
Un barbecue c’est sympa avec quelques connaissances anciennes à retrouver. Je me dis pour la forme que ce n’est pas forcément une bonne idée, car en fait, je connais peu de monde. J’ai peur de m’ennuyer et d’être mal à l’aise avec les
personnes que Josy m’a citées. Je me réfugie derrière mes soucis, les dossiers
que je dois préparer à la maison, mes obligations, toutes ces choses qui
m’accaparent et à la fois me servent de prétexte pour m’isoler de plus en plus.
Josy n’est pas dupe.

Elle insiste. Elle plaisante sur cette façon que j’ai de toujours me cacher derrière des broutilles.
« Hé ma belle, nous n’en sommes pas encore à la mairie ! »
J’arrive quelques minutes après l’heure convenue, vêtue d’une tenue très sexy et printanière. L’effet est immédiat ; je soupçonne Josy d’avoir donné le mot à
certains pour embellir ma soirée. Ça commence mal ! Je vais de ci de là, entre des personnes connues et d’autres totalement étrangères.
Assise sur la terrasse, je regarde ce beau jardin qui invite à la détente ; une
fine pluie distillée par les arroseurs donne de la fraicheur au jardin ; quelques invités sont déjà dans la piscine.
Et tout à coup, je le repère, seul, un verre à la main, regardant, comme moi,
les arbres et les fleurs du jardin. Il s’approche discrètement.
* Bonsoir, je m’appelle Julien.
* Moi, c’est Aurore.
* Quel prénom charmant !
La conversation s’engage en toute simplicité. Avec une joie communicative, une envie de partager, d’échanger, d’amener du positif dans chacun de nos mots. Entre nous, un son vibratoire, une harmonie amènent au rire et surtout au laisser faire les choses naturellement.
Nous nous asseyons sur un banc à l’écart ; le chien de Josy se couche à nos
pieds, comme un protecteur heureux de se détendre et d’échapper à la cohue. Dès qu’il va sentir l’odeur de la viande, il va filer vers le lieu des agapes. Je
n’ai jamais vu un chien aussi vorace ; il est capable de s’enfiler plusieurs
hamburgers à la suite.
Je reviens à la conversation avec Julien. Rien ne me prédestinait à rencontrer cet homme, je n’ai pas cherché un contact particulier. Il m’est apparu comme une évidence.
* Allons rejoindre nos hôtes si vous le voulez bien, me propose-t-il.
* Je crois que Josy nous pointe du regard depuis un petit moment.
* Ha, Josy et son désir de former des couples.
* Vous aussi vous êtes dans son collimateur ?
* Hé oui, depuis plusieurs mois. C’est chronique chez elle, elle croit que la
vie de célibataire est triste à mourir.
Nous rions tous les deux comme deux ados heureux. Nous naviguons à nouveau parmi les groupes, séparément. Nos regards se cherchent. Je ne prends pas ceci bien au sérieux, ce type d’aventure m’est déjà arrivé plusieurs fois, pour se terminer au matin sur d’amers regrets.
Julien n’a pas cherché à me séduire et je crois que c’est ce que j’ai le plus
apprécié chez lui, ce naturel qui crée une familiarité d’emblée, qui met en
confiance. La soirée se termine et nous repartons chacun de notre côté.
Josy, fine mouche, a pris soin de glisser dans mon sac le numéro de téléphone de Julien. Je vais le garder précieusement. Je pressens que la vie vient de me
jouer un joli tour.

De Danielle

Compte à rebours 

Sur mon visage, le temps, peu à peu, me dévisage. Il a posé des lignes sur mon front, mes joues, pour tracer l’espace des années. Sans crier gare, tout s’enfuit, se retire sur la pointe des pieds. 

Parfois, il m’arrive de retrouver d’anciens carnets d’adresses, portant des ratures ou des noms oubliés. Parfois, il m’arrive de me redécouvrir sur une photo jaunie d’un instant égaré. 

Tout au fond de mon coeur, je le sais, je le sens, rien n’a vraiment changé, il n’est pas transformé, il s’est juste recroquevillé un peu plus, à chaque départ pour de vrai, à chaque désillusion qu’il n’a pas voulu accepter.

Aujourd’hui, je ne compte ni mes rides, ni mes années. Je suis comme je suis, avec un sentiment époustouflant de gratitude pour tout ce qui m’a construit, petit à petit. Comme tout le monde, je connais la joie, la tristesse, la peine et la peur. J’ai déjà affronté le vide, l’absence, le manque, cherchant à m’extirper à chaque fois de mes luttes intérieures. J’ai appris que le temps, en chaque chose, fait son oeuvre. J’ai compris que l’imperfection fait partie de la juste compréhension mais que nous affrontons à l’envi ce mystère inouï de notre présence sur terre. 

Seule la puissance de nos sentiments peut résister au naufrage temporel.

Alors qu’un nouveau cap, le soixante-sixième, se rapproche et que chaque jour se détache, je mesure, étourdie, l’envol des années au-delà de mes épaules. J’ai cru comprendre, je ne sais rien. Tout reste à apprendre … Ce qui est sûr, c’est que j’ai au fond de moi un trésor inestimable : tous ces coeurs, battant dans le même unisson que le mien, tous ces visages aimés que l’amour envisage.

De Marie-Josée

Jour d’été

Le soleil brille haut dans le ciel bleu azur,

Grands et petits sortent des masures.

Un temps rêvé pour faire des grillades,

Les enfants invitent leurs camarades.

L’ami Gaston ne se fait pas prier,

Tonton Émile et tatie Alice sont aussi conviés.

Tout ce beau monde se retrouve au verger,

Où les saucisses sont déjà en train de griller.

Les chats des alentours dressent les moustaches

Tito en maître des lieux, les chasse.

Une équipe de foot improvisée

Fait valser les saucisses par un but ciblé.

Tito et consorts se sont précipités,

Se brulent le museau et s’éclipsent dépités.

Le repas est retardé, l’apéro prolongé.

En attendant les retardataires,

Merles et pinsons improvisent un concert.

Tonton Émile a oublié son chapeau,

Sa tête devient la cible des oiseaux.

Les guêpes sont aussi de la fête,

La tarte aux quetsches est l’objet de leur quête

Tonton Émile renverse son café

Sa nouvelle chemise en fait les frais.

Tante Alice finit par s’énerver,

Pour la calmer, Gaston a une brillante idée :

Il propose une sieste bien méritée.

Des couvertures sont dépliées,

Sous le pommier, il fait bon se reposer.

Au soleil ou à l’ombre, chacun trouve son bonheur,

Mais le bruit d’un moteur, les tire de leur torpeur.

Le voisin tond le gazon avec conviction

Et Gaston est à la recherche d’un buisson.

À son grand désespoir pas de papier à disposition,

Il se contente des feuilles d’un prunier à profusion.

Mais le temps file à toute allure,

Tante Alice n’en peut plus de la verdure,

Les moustiques sont en train de danser,

Ils ne savent plus comment s’en protéger.

Gaston scrute les nuages,

Les festivités se terminent sous l’orage

Trempés jusqu’aux os, ils plient bagages.

Gaston déclare : c’est fantastique la nature

Tandis qu’Alice compte les piqures.

Rien de mieux pour vous requinquer

Qu’une journée au verger.

De Nicole

1-HOMMAGE à  – AUX FEMME (S)

Hommage à toi femme.

Pour tes talents si souvent tus.

Pour le soin que tu prends des autres depuis si longtemps et parfois lassants.

Petite fille tu te conformais à te tenir bien comme il faut, à la maison, à l’école.

Ta fantaisie mise à l’écart, tes mots étaient du bavardage inutile.

Jeune fille tu voulais plaire, tu te déguisais d’habits plus sexy.

Peut-être cherchais-tu l’amour, un mari.

Hommage à toi femme.

Mariée avec enfants. Parfois la pénitence d’une vie sans temps pour toi, de temps pour te trouver, puisque tu donnais tout.

Et puis, tu te libères et les choses changent.

2- Les hommes oublient tout. Les femmes se souviennent de tout

L’armoire de l’homme contient des tiroirs fermés avec tous leurs oublis.

Ils sont oublieux de leurs erreurs, des disputes qu’ils ont engendrées, de leur mauvais foi après.

Par contre pour leur gloriole, leurs mensonges ils se souviennent.

L’armoire des femmes s’ouvrent sur tout ce qui fait leurs vies.

Alors, elles se souviennent facilement de tous ces instants additionnés.

Des bonheurs, des malheurs, des fous-rire, de tout et plus encore.

3- Les hommes et les femmes pourront-ils un jour se rencontrer

Les hommes et les femmes ne sont pas faits pour vivre ensemble.

Pourtant elles, ils essaient encore et encore.

Dans le Banquet de Platon, chacune, chacun cherchait sa moitié d’orange.

Etait-ce un vœu, une invention intellectuelle ?

Faut-il courir le monde, les esprits pour la trouver cette moitié d’orange,

comme l’inaccessible étoile…

De Roselyne

Indifférence ou inconscience

Tu es pauvre et moi je ne ni pauvre ni riche, mais Toi, tu as chaviré dans une pauvreté de misère indescriptible à laquelle vient se greffer, comme une plante parasite la famine, la guerre, l’extermination des races, comme cela se passe en Bosnie. Famine de tous les noms en Somalie, spectres d’enfants qui tentent vainement de s’accrocher à la vie. Mais quelle vie !

Vie de profonde misère, de décharnement, de profond désespoir, de regards éplorés, de petites mains tendues vers un espoir… vain, peut-être ! Nous « Hommes de bonne volonté » saurons-nous porter secours à ces peuples, car il ne faut pas oublier que ce sont des hommes qui sont nés pour être libres, pour vivre et atteindre leur destin.
Je ne peux penser, que le leur était celui d’esclave des peuples riches, développés, croulant sous des tonnes « de bouffe ». Ne préfère-t-on pas jeter aux détritus le surplus, le faire brûler en ayant soin auparavant de l’asperger d’essence, afin que nul ne puisse consommer ces excédents ?

Non, nous sommes des égoïstes au plus profond de nous-mêmes, seuls quelques élans de générosité viennent éclairer le ciel obscurci de tant de misère.  Mais que de palabres, de réunions pour que quelques tonnes de riz puissent être acheminées et combien arriveront puisque les tribus rivales se font la guerre entre elles.

Toi, tu continues d’attendre qu’une main charitable se tende, te prennes dans les bras et t’emmène loin de cette misère noire, mais au fait est-ce ton souhait ? Je ne sais pas, et tu ne le sais d’ailleurs pas non plus ! Tu ne veux que manger, boire aussi, t’alimenter d’une façon raisonnable qui puisse, que tu retrouves ta dignité d’homme, d’être humain. Que tu puisses abandonner pour toujours cette existence de bête errante, car tu es devenu comme ce chacal affamé qui rôde autour des villes pour trouver sa nourriture. La seule différence est qu’il a encore la force de s’approprier une proie.

Alors, que Toi pauvre moribond, tu ne peux plus porter ta main à ta bouche, tellement cette cruelle famine a enfoncé ses griffes dans ton corps pour en dévorer le peu de force qu’il te reste. Combien de temps sauras-tu tenir encore avant que la mort ne t’emmène dans un monde meilleur. A moins que tu n’attendes avant de partir, que les hommes les autres, ceux dont la nourriture ne fait pas défaut volent à ton secours pour éviter l’extermination de ton peuple.

Tu sais, ce n’est pas facile, je t’avoue de regarder les images qui sont diffusées par « notre satané écran » qui nous ouvre tout de même au monde extérieur, de voir ces enfants, tes enfants qui se traînent comme des bêtes, chaque mouvement demande un tel effort pour se déplacer, que le peu de vigueur qu’ils peuvent encore avoir s’amenuise de jour en jour.

Tu sais, c’est vrai que lorsque l’on découvre une telle misère on a envie de prendre tous ses gosses chez soi, de les rendre heureux comme les siens, sinon plus, mais tu te trouves impuissant devant une telle hécatombe, devant une telle souffrance. Puis, il faut l’avouer la vie reprend le dessus, tu oublies les visages même si intérieurement tu y penses, tout en te disant que tu n’y peux pas grand-chose. Tu sais, je crois sincèrement et c’est ce qui m’attriste, que nous en sommes arrivés à une indifférence quasi-totale. Est-ce une indifférence ou une espèce de sentiment d’impuissance, de découragement aussi face à un des problèmes qui paraissent insurmontables ?

Nos politiques prennent des décisions, mais qu’apportent-elles ? Il y a toujours un frein, soit des peuples que l’on veut sauver, tout au moins, des autorités dirigeantes, des querelles de villages toujours à se mêler aux actes qui semblent aller dans le bon sens.

La politique, l’argent, le pouvoir entravent toujours tout. Vois-tu, il faudrait que chaque être vivant sur cette terre se donne la main, partage ce qu’il a avec l’autre, que l’amitié soit le cordon ombilical qui relie tous les continents, que celui-ci transmettre la paix, la sérénité, le sourire perdu, l’espérance, la joie de vivre, la pluie, les récoltes abondantes pour remplir les greniers vides pour pourvoir au bien-être de tous.

A côté de cela, nous nous battons pour le pouvoir, l’argent, un esprit de velléité règne, la lâcheté et l’hypocrisie sont aussi des armes auxquelles nous aimons bien nous rallier. Nous sommes de piètres individus, prêts à nous battre pour obtenir le pouvoir. Notre infamie, notre abjection vis-à-vis de certains humains font de nous des « sous hommes », je n’ai pas peur de te le dire et je ne suis pas meilleure que les autres.

Mais Toi, malgré ton immense désespoir, ta vie de miséreux, de déchéance humaine, malgré tes grands yeux éplorés, tes mains tendues, tu as su conserver, ô suprême ironie, une certaine dignité alors, que tout était fait pour que justement tu la perdes. Comment as-tu fait ? Les souffrances répétées, les coups du sort auraient dû te rendre à un avilissement total. Mais non, Toi tu as décidé de relever la tête, de garder espoir, espoir en l’autre, même si celui-ci tarde un peu à se mettre en route.

 Mais, fais-moi confiance, le bon sens reprendra le dessus, la générosité amènera à nouveau, sur Ton, vos visages le sourire de la renaissance de l’homme par l’homme.
Alors, guerres, famines, catastrophes ne seront plus que des souvenirs mauvais. On ne parlera plus de Somalie, d’Ethiopie, de Bosnie, de Yougoslavie et que sais-je encore ! Enfin, le désert refleurira et chantera des chants de bonheur et de joie, celui de la Paix ou tout être vivra en bonne intelligence avec les autres, main dans la main.

Merci à Toi, d’avoir conversé avec moi, je ne t’oublie pas.

Le 11 janvier 1993

Si, je fais une analyse humoristique de ce que j’écrivais en 1993, je m’aperçois qu’aujourd’hui il sévit toujours des conflits, la famine, des libertés bafouées, des guerres de pouvoirs, des enfants qui toujours travaillent, dans certains pays très jeunes. Certes, des avancées ont été faites, mais combien sont encore à réalisées, à obtenir par des combats qui laisseront des traces, les cris pour la Paix sont loin de s’éteindre. La farandole du monde est en route, mais combien de décennies seront nécessaires pour l’atteindre ?

De Magali

Ce fut au moment où Julia tendit la main pour saluer l’homme entre deux âges qui se tenait devant elle que le virage s’amorça.

En cette après-midi de début d’automne encore chaude, elle devait rencontrer celui qui lui avait apporté son entière collaboration pour obtenir la réhabilitation de son arrière-grand-oncle, Poilu oublié de l’Histoire. Attentif, disponible, et plein de ressources, il avait été pour elle d’une aide et d’un soutien considérables, pour lesquels elle lui serait toujours reconnaissante. Après ces mois de correspondances et échanges téléphoniques, il était là, en chair et en os devant elle, à sa demande, car elle avait tenu à rencontrer en personne tous ceux qui avaient apporté leur pierre à l’édifice dans cette aventure extraordinaire.

Il accueillit chaleureusement Julia, souriant, l’invita à entrer dans son bureau, tout en s’excusant du léger désordre qui y régnait, en raison d’un imminent déménagement. Comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle au monde, il cassa les codes en saisissant sa chaise, la plaçant au beau milieu de la pièce de travail, l’invitant à en faire autant, car le gabarit du bureau et surtout celui de l’écran d’ordinateur aux proportions hallucinantes entravaient, disait-il, une bonne vision de l’interlocuteur.

Assise en face de lui, Julia, fascinée, observa l’air de rien le directeur de l’Association régionale des Anciens Combattants. De taille moyenne, vêtu d’une simple chemise en coton à carreaux, d’un pantalon de toile, des lunettes rondes sur un regard sombre d’une grande intensité et d’une non moins grande bienveillance, il paraissait ravi d’avoir en face de lui la personne qui avait parcouru un si long chemin symbolique pour remonter à son ancêtre et lui redonner toute dignité, le tirant de l’oubli éternel. Il lui fit toutes sortes de demandes sur ses recherches, passionné à juste titre par les questions historiques et le devoir de mémoire, la regardant bien en face, lui accordant une attention que l’on devinait sincère.

Julia, non sans une surprise croissante, s’entendit répondre aux questions avec aisance et fluidité – chose hautement inhabituelle – et un échange très agréable s’ensuivit pendant une heure et demie, au cours de laquelle elle ne vit pas le temps passer.

Vint le moment de prendre congé, à son grand regret. Elle serra la main du monsieur – oui, pour elle, c’était un « monsieur » et pas un homme -, le remercia vivement, lui sourit une dernière fois, et partit. L’ascenseur la conduisit au rez-de-chaussée de l’établissement, et ce fut dans un état hypnotique qu’elle traversa, tel un automate, la cour de la bâtisse avant de regagner l’arrêt de bus. Elle s’arrêta net un instant, avant de prononcer à haute voix :

 « Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ? »

Elle respira un bon coup, ne s’expliquant en aucun cas l’état dans lequel elle était plongée. Elle réalisa alors qu’elle n’avait jamais fait de rencontre aussi percutante, au cours de laquelle elle avait eu la sensation d’avoir toujours connu son interlocuteur alors qu’elle le voyait pour la première fois, où elle avait fait abstraction complète de sa tendance timide et réservée, pour se sentir totalement à l’aise, désinhibée, et en connexion limpide et forte avec son allocutaire.

Pendant des semaines, elle s’interrogea sur le sens de cette rencontre inédite, survenue – hasard ou pas du calendrier – le jour anniversaire de son arrière-grand-oncle. Y voir un signe du destin ? Que croire ? On lui parla de rencontre karmique, de connexion d’âmes, autant de notions un peu abstraites, pas forcément toutes compatibles avec son esprit plutôt cartésien.

Un an s’est écoulé depuis cette rencontre, d’autres occasions de se croiser leur ont été offertes, toujours agréablement, mais dans le respect et la retenue. Un an s’est écoulé depuis cette rencontre, mais Julia sait au fond d’elle qu’elle n’est en aucun cas comme les autres, et que l’histoire ne fait peut-être que… commencer.

De Pierre

Sur le thème du temps qui court et qui nous pousse, je fais divaguer mes pensées en cette fin d’été. Le mois de septembre est un moment de renouveau où tout repart après la pause estivale, mais il ne reste que quatre mois pour franchir la frontière vers une autre année, donc pas de temps à perdre.

Le temps, machine infernale nous broie à l’instar des anciens, les vieux dirons-nous, qui subissent son accélération au fil des ans ou du temps qui leur reste…

L’automne approche. J’aime cette saison, je fuis l’été et ses plages encombrées, ces corps luisants allongés sur le sable, tuant le temps. Rien d’anormal, c’est le temps des loisirs mérités pour tous les travailleurs. Le vieux que je suis étant de facto en vacances toute l’année ne se sent pas concerné par ces transhumances et chassés croisés de juilletistes et d’aoûtiens.

Le temps court trop vite, certains ont essayé de le domestiquer, un auteur Russe mort il y a longtemps a même imaginé une machine permettant de fuir le temps présent, qui en fait n’existe pas, et d’aller vers le futur ou de retrouver le temps d’avant. 

Selon les référentiels, le temps est un mouvement ininterrompu, indéfini par lequel le présent devient passé.

J’arrête là ces réflexions un peu “tortueuses”, de toute façon, nous sommes irrémédiablement condamnés à subir le diktat du temps.

De Manuela

Meurtre sur l’île Madame

Yes, c’est génial. Finished class, Finished director, Finished students, Finished english word and expression, finished conjugaison. Finally, all my holidays will be only in French. Banned English – banni l’anglais…

Il fait « grand soleil » aujourd’hui, un ciel bleu, un ciel français loin du gris anglais, aucun nuage à l’horizon, le ciel idéal pour un premier jour de vacances scolaires, peu de vent, température parfaite ni trop chaude, ni trop fraiche. Les vacances débutent bien. Je prépare dans la hâte un sac à dos glacière, j’enfile mon maillot fétiche « le bleu turquoise avec des mouettes », une casquette assortie et un drap de bain. Je suis parée pour une bonne journée de vacances.

L’année scolaire a été difficile cette année encore : classe surchargée, élèves bavards et turbulents pour la grande majorité. Mais, c’est fini. Je dois oublier, je dois enfouir bien loin au fond de mon cerveau, ces longs mois compliqués. Je me rends sur mon île adorée, avec mon nouveau vélo. Tous les ans, je me fais un cadeau pour arroser cette fin d’année tant espérée, cette année une nouvelle bicyclette bleue. L’autre n’avait plus rien de beau ni de bon : vieille, moche et rouillée. Elle a vécu de longue année au fond de la grange de la maison de vacances de mes parents. Ils sont maintenant âgés et ne se déplacent plus. C’est à moi que revient l’entretien et le paiement des factures pour pouvoir la conserver. Le jeu en vaut bien la chandelle.

Départ 11 heures, temps de trajet 45 minutes environ. Je fonce pour arriver au plus vite sur le site. Je me mets en quête d’un rocher, un beau et gros rocher pour m’installer, le même beau et gros rocher que les autres années : hauteur parfaite pour mes jambes, bien plat sur le dessus, le rocher parfait.

Peu de monde aujourd’hui sur ma plage, plutôt la plage. Un groupe de marcheurs accompagné de leur guide s’arrête à ma hauteur. Ils sont joyeux et ça me fait sourire « la joie est sur la plage ». Après quelques explications sur cette partie de l’île, tous repartent. Je souffle un peu fort sans doute. Une dame âgée se retourne vers moi, elle me sourit. Elle semble soulagée elle aussi. Elle attrape quelque chose sur ses genoux, peut-être un bloc note et semble écrire sur celui-ci. Que peut-elle écrire ? Est-ce une romancière ? Une auteure ou une autrice, sans doute ? Qui d’autre peut écrire sans but ?

La journée se termine à 17 heures tapante. La passe qui relie l’île Madame au continent n’est ouverte que deux fois par jour, à marée basse et plus ou moins longtemps en fonction des coefficients. Je reprends ma bicyclette et retour à la maison. Nous échangeons un sourire et « une bonne fin de journée ». Je suis heureuse de ce bon moment sur la côte. Je me promets de revenir, demain et les tous les autres jours en fonction de la météo et des horaires de passage de la passe aux bœufs. Le retour est beaucoup plus lent que l’aller. Je pense à cette dame à côté de moi, qu’écrit-elle ? sur quel sujet ? cette personne est élégamment vêtue, elle est polie et souriante. Elle m’intrigue. Sera-t-elle là demain ? Je l’espère.

Je dors profondément, cette nuit-là en songeant à cette inconnue apparue pour la première fois sur cette étendue de sable. Était-ce un rêve ou un cauchemar ? Je me réveille en sueur, vers 10 heures. Une bonne douche, un succulent petit déjeuner et enfin préparation de mon sac de plage : repas, naturellement, nécessaire pour la baignade et j’y ajoute une paire de jumelles ainsi qu’un bloc note avec crayon intégré. Je suis prête. Je me rends sur l’île, toujours avec mon vélo neuf. Peu de monde mais aucune trace de ma charmante voisine d’hier assise sur son fauteuil vert pomme. Quelle déception ! J’engloutis vite fait mon sandwich et ma compote de pomme. Je sors mon bloc note et mes jumelles. Les mots ne me viennent pas.  Je suis trop inquiète pour écrire. N’était-elle là que pour la journée, sera-t-elle de retour demain ou les jours à venir ?

Non, Iris, ne soit pas triste, tu es là pour deux mois de vacances, me dit ma petite voix intérieure, profite du ciel bleu, du paysage féérique. C’est l’été, les humains sont heureux, ils se reposent, ils se promènent. Profite Iris ».

Je me suis assoupie un court instant. Cette petite voix était-elle aussi un rêve ? Je reste là, mon regard fixé sur le lointain, sur Fort Boyard. Il était chouette mon rêve, j’ai bien aimé. Je reviendrai demain, même endroit, même heure.

Mercredi, toujours ciel bleu et température agréable. J’arrive sur le bout de terre ensablé que j’appelle plage. L’élégante dame est là, toujours assise dans son fauteuil vert pomme. Elle me sourit, je la salue. J’ai bien envie d’engager la conversation, mais j’hésite car je ne la connais à peine. Ça ne se fait pas, Iris ! C’est ce que l’on apprend aux enfants « ne parle pas avec des inconnus ». C’est bien idiot comme expression. Le monde devient de plus en plus inquiet, les humains s’éloignent les uns des autres. Décision prise : je me tourne vers elle:

        -Bonjour, Madame ! comment allez-vous aujourd’hui ?

       -Bonjour jeune fille, ma santé est bonne, merci de vous en souciez. Etes-vous   en vacances ?

  • Non, j’habite ici toute l’année. Je vis dans l’ancienne résidence secondaire de mes parents. Ils sont âgés et ne peuvent plus y venir.
  • Quel est votre prénom, Mademoiselle ou peut-être Madame ?
  • Je m’appelle Iris et vous ?
  • Moi, c’est Sidonie. Je suis à la retraite et avec mon mari Marcel, nous aimons venir en Charente-Maritime, lui pour la pêche et moi, je l’accompagne. Permettez-moi de vous appeler par votre prénom ?
  • Bien-sûr. Je ne suis pas mariée donc Mademoiselle même si les convenances ont changé.
  • Je vois à votre regard votre surprise. Je ne vais pas à la pêche, je reste là à lire, à écrire ou parfois à somnoler quand le temps le permet.
  • Je vous ai observé l’autre jour, assise sur votre fauteuil de camping pliant, vous regardiez au loin, sur les rochers ou sur le sable et vous sembliez prendre des notes. Ça m’a intrigué !
  • J’aime prendre des notes, notes inutiles certes mais notes qui me permettent de passer le temps. Mon mari aime ma présence à ses côtés quand il pêche. Il aime surtout me montrer ses trésors et s’il est heureux, j’en suis aussi heureuse. Tiens ? Iris, regardez en direction de Fort Boyard, vous verrez un homme avec un tee short rouge et bien, c’est lui qui rentre de sa pêche.

Il n’est pas resté longtemps : mauvaise pêche ou fatigue. On va bientôt le savoir !

Il rentre avec son nouvel ami de pêche, rencontré en début de semaine.

  • Bonjour, ma chérie. Qui est cette jeune personne à côté de toi ?
  • C’est Iris qui habite ici et qui aime venir sur la plage pendant les vacances scolaires. Nous avons échangé quelques mots…
  • Quelques mots… enfin vous n’avez pas arrêter de papoter donc vous ne vous êtes pas ennuyées, tant mieux. Tu n’as pris aucune note sur ton cahier ?
  • Bonjour Monsieur Marcel, heureuse de vous rencontrer. Ah ! j’ai oublié : j’ai un cadeau pour vous Sidonie. N’avez-vous pas perdu ces derniers jours un livre ?
  • Avez-vous trouvé mon « Livre » ?
  • Je crois bien, en effet avoir mis la main dessus. Il était bien coincé derrière les rochers « Meurtre sur l’Ile Madame ». A l’intérieur, une dédicace :

« A ma très chère sœur Sidonie

Cette dédicace et ce livre sont pour toi

Reste toujours tel que tu es

Reste toujours tel que nous t’aimons

Sylvain, ton petit frère.

Sidonie me prend la main, m’embrasse et me remercie. Son cher livre est retrouvé.

De Saxof

AH CESAR !


Henri va fêter ses 47 ans. Il a les boules, ses projets sont tombés à l’eau mais pas à cause de cette pluie discontinue qui envahit son univers normand. Son horizon est bouché depuis son accident complètement idiot où après avoir perdu l’équilibre, il est resté accroché à une branche par son slip pendant quelques secondes, avant de s’écraser lamentablement sur le sol boueux de sa cour.
Un craquement sinistre a accompagné la chute, et il n’avait plus aucune faculté à penser, réfléchir et même ressentir.

Meurtri et assommé il est resté un bon moment dans cette position désagréablement humide jusqu’à l’arrivée des pompiers, appelés par Jonas son voisin qui avait essayé, en vain, de le faire parler en attendant les secours.
Henri devait prendre de l’altitude le mois suivant, non pas dans son arbre, mais dans un trek avec Julien son meilleur ami. Ils devaient aborder l’ascension du glacier blanc des Ecrins, après une nuit au pré de Madame Carles. Ils préparaient leur excursion depuis presque un an, et vlan, il s’est écrasé en même temps que son projet, pour essayer de sauver le chat césar qui miaulait comme un fauve du haut du tilleul.
Quelle connerie!
Ne dit-on pas que la cause des accidents est souvent une bêtise, mais le résultat aurait pu être plus grave.
Il s’est retrouvé avec une épaule brochée et bloquée momentanément ainsi qu’une attelle bien encombrante à la jambe du même côté gauche et qu’il doit garder presque trois mois.
Sa seule pensée positive est qu’il est droitier mais ne peut utiliser qu’une seule béquille.
Sa montre indique 11h34, dans moins de trente minutes Lina, son auxiliaire de vie, viendra l’aider trois heures, deux fois par jour pendant la durée de son handicap.
César vient se frotter contre sa jambe valide. Il le regarde en souriant, il ne peut lui en vouloir, mais il envie sa liberté de mouvements que lui, Henri, a perdu pour l’instant « à cause de toi, lui murmure t’il en le caressant “.
L’électricité s’est soudainement coupée, un gros éclair a fendu violemment le ciel avec un grondement presque simultané. ” La foudre n’est pas tombée loin pense t’il “. Il lui faut prévoir de sortir sa grosse torche pour la nuit et une ou deux bougies, pour un pseudo repas aux chandelles. Il est content de ressentir cette pointe d’humour.

Pour ce midi, Lina utilisera le gaz.
Il se sent comme un ours en cage, lui qui sortait beaucoup et acceptait de nombreuses invitations. En ce moment, ce sont quelques visites de-ci de-là. Il a repris la lecture avec plaisir et regarde beaucoup de films grâce à son abonnement à Netflix.
Il a envie d’un carré de chocolat, comme pour se rassurer, mais est-ce raisonn…. dring dring..
Il n’a pas le temps de terminer sa réflexion que Lina, possédant une clé, est déjà devant lui tout sourire « comment allez-vous Henri? Je vous apporte une cuisse de poulet aux petits légumes, riz et une mousse au chocolat ».
Henri tout à coup, rayonne, il a faim !

De Dominique

On ne trompe pas le nez d’un chien.

Dehors la nuit froide, le vent qui souffle, l’hiver dans le Nord. Cette histoire que je n’oublierais jamais a plus de trente ans.

Qu’il faisait bon chez nous près du feu. Diane, ma petite chienne « bâtard » de douze ans, sommeillait devant le four où cuisaient les pommes de terre que l’on accompagnera de charcuterie et d’oignons. Ce repas simple faisait l’ordinaire de ces familles de mineurs. Papa était l’un d’eux.

Pour lui, après la mine, la journée n’était pas terminée. Il fallait encore couper le bois détrempé par la neige, le rentrer, le faire sécher. Un geste routinier qui, sans la présence de ma chienne, aurait pu nous coûter la vie.

De pratique courante chez nous, ce bois était rassemblé dans une boîte métallique et posé à même la plaque du foyer. Le matin venu, il suffisait d’enfourner ces bûchettes pour raviver les cendres matinales. Ce travail accompli nous pouvions prendre le repas et goûter à la vie de famille.

Mes parents, soucieux de notre confort, nous laissaient la chambre près de l’escalier car c’est elle qui recevait le plus la chaleur du poêle. Diane, dormait en bas selon sa fantaisie du moment, sous la table ou près du convecteur à charbon. Dans mon lit, j’entendais la plainte du vent qui me berçait et je m’endormais tranquille.

Malheureusement, sous l’effet de la bise hivernale, le chauffage s’emballa, la plaque de fonte vira au rouge et communiqua sa chaleur à la boîte de laquelle ne tarda point à s’échapper une épaisse fumée blanche. Les bûches se consumaient lentement. En éternuant, Diane se mit à gémir, son flair sensibilisé par l’oxygène se raréfiant et la fumée toxique l’incita à agir. Elle émit une première plainte, puis une autre mais, personne ne se réveillait. Il fallut qu’elle agisse plus énergiquement.

Quatre à quatre, elle gravit l’escalier et sauta dans mon lit. Gémissant, aboyant, elle réussit à donner l’alerte. Je me suis réveillé le premier. La fumée m’irritait les yeux. Je toussais et pleurais toutes les larmes de mon corps. Diane continuait d’aboyer, je déclenchais alors le branle-bas de combat.

Rapidement, papa prit les choses en mains en évacuant la boîte rougeoyante.

Il ouvrit les portes et les fenêtres et l’air frais pénétra dans la maison, nous étions tirés d’affaire.

Diane aujourd’hui n’est plus là, la vieillesse l’a emportée. Un autre chien l’a remplacé mais son souvenir me reste dans le cœur pour toujours car sans elle, je ne serais peut-être pas là pour raconter mon histoire.

Depuis lors les choses ont changé. Les mines ont fermé, les corons sont pour la plupart rasés et on ne se chauffe plus au charbon mais, le chien est toujours l’un de nos meilleurs amis prêts à tout pour l’amour de son maître.

De Anne-Françoise

                  Reminiscence

             « Á m’asseoir sur un banc, 5 minutes avec toi, et r’garder les gens tant qu’y en a…                                     Te parler du bon temps qu’est mort ou qui r’viendra, en serrant dans ma main tes p’tits doigts…  Pi donner à bouffer à des pigeons idiots, leur donner des coups de pied pour de faux… Et entendre ton rire qui lézarde les murs, qui sait surtout guérir mes blessures… »

     La voix de Renaud résonne dans mes écouteurs tandis que je remonte l’allée du parc.             J’aime cet endroit de verdure au centre de la ville. J’y viens depuis toujours. Depuis que je sais marcher. C’est un refuge. Un lieu où l’on vient courir, enfant, et admirer les animaux du zoo. Puis l’on y vient ado, rire et chahuter avec les copains sur les pelouses. Jouer à se faire peur à la tombée du jour. Ou réviser pour le bac. C’est le lieu des balades en amoureux dans les allées secrètes quand on peut s’embrasser encore et encore, sentir son cœur éclater…                       

Les futurs mariés viennent souvent immortaliser leur « jour-J» devant les roses.                                                                                                                                                     Puis vient le temps où l’on y emmène ses propres enfants, heureux et nostalgique…

Et l’on y revient, seule, un a-midi d’automne.                                                                                     Le temps est doux, les couleurs somptueuses. Les feuillages entre jaune et rouge bougent doucement dans l’air calme.

Je m’assieds sur un banc le long de la grande pelouse, dans l’odeur puissante et sensuelle de la terre humide.

« Á m’asseoir sur un banc, 5 minutes avec toi, regarder le soleil qui s’en va… Te parler du bon temps qu’est mort et je m’en fous, te dire que les méchants c’est pas nous…»

La chanson, tendre et mélancolique s’accorde parfaitement au cadre qui m’entoure, exacte illustration sonore du paysage. Synchronicité…

Á quelques pas de moi, une fillette est assise sur son manteau, dans l’herbe, un peu à l’écart d’un groupe d’enfants. Elle a un livre sur les genoux. Lorsqu’un des autres enfants lui parle, elle lève les yeux, répond, sourit, sans bouger. Ses yeux gris se perdent souvent au loin. Elle est comme absente. Elle sourit comme on donne le change…

Il me vient soudain à l’esprit que cette fillette ressemble à l’enfant que j’étais et un flot d’émotions m’envahit.                                                                                                               Pourquoi ne partage-t-elle pas les jeux de ses amis ? Se sent-elle seule ? Triste ? Perdue ? Déçue ? Quel est ce monde intérieur qui la paralyse, l’englue dans ses peurs et sa certitude de n’être jamais à la hauteur de ce que l’on attend d’elle… ou de ses propres rêves ?                                                                                                                                     Pourquoi reste-t-elle figée, spectatrice de la vie des autres? Pourquoi ne partage- t-elle pas les rires et les cris des autres ?                                                                                                             Pourquoi lit-elle au lieu de vivre ?

J’imagine qu’elle voudrait être déjà adulte. Elle les croit tout-puissants et infaillibles.             Elle pense qu’une fois adulte elle « saura» ce qu’il faut faire pour ‘maîtriser’ les choses.                  Les adultes sont tellement exigeants, ses rêves sont si absolus, et elle se sent si sotte. Apprendre, comprendre, faire des hypothèses, sans rien oser demander, c’est fatigant.              Les livres, eux, sont bienveillants et proposent tellement de vies, de trajectoires, d’issues.        Et quand on n’aime pas ce qu’on lit, il suffit de fermer l’ouvrage.

Tant pis si, pour cela, il faut renoncer à rire, à pleurer, à se colleter avec le monde……    

Il reste des moments solitaires pour goûter au vent, à l’air glacé des jours de neige ou à la caresse de l’eau froide de la rivière. Seule.

« Non, ma chérie, ne fais pas ça ! Ne t’enferme pas ! Ne te punis pas ainsi ! Ose !             

Sois légère et futile, la vie est un jeu sans grande importance. Tu n’es pas responsable de tout. Tu n’es coupable de rien. Tu seras souvent payée de mots, mais à ce jeu-là tu peux aussi devenir la meilleure. Cette vie-là n’est qu’une possibilité parmi d’autres…

Attrape le bonheur quand il passe ma chérie, il ne reste jamais longtemps ».

« Tu es intelligente, tu es importante, tu es gentille »

 Je voudrais lui dire les mots d’Aibileen à la petite Mae Moebley (‘La couleur des sentiments’ K Stockett). Mots que j’aurais tellement voulu entendre… et que je dis à ma petite-fille, depuis qu’elle est née. Souvent. Il est des mots, quand on les dit, qui vous réparent.  Un peu.  Mais guérit-on jamais des blessures de son enfance ?

Tous ces mots, je les lui crie en silence. Cette petite fille est trop loin…

Elle lève à nouveau les yeux. Elle a le regard qu’avait mon père. Pas ses yeux bleus, non – les siens sont gris-  mais la même façon de regarder que lui. Au loin, un peu au-dessus de son interlocuteur. Regard pénétrant et perdu à la fois. Un regard de rêveur, un peu désenchanté.                                                                                                                                       

Renaud chante et je frissonne.

«Que si moi je suis barge, ce n’est que de tes yeux, car ils ont l’avantage d’être deux,                      Et d’entendre ton rire s’envoler aussi haut que s’envolent les cris des oiseaux, Te raconter enfin qu’il faut aimer la vie et l’aimer même si, Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants, et les mistrals gagnants…»

Un vertige me saisit. La musique, le temps, les vies s’entremêlent. J’ai la certitude, tout à coup, que c’est la même force de vie qui traverse les corps et les générations. Je suis elle, elle est moi, et mon père à la fois.  On ne guérit sans doute pas des blessures de son enfance, mais qu’importe. La vie passe, nous traverse, nous bouscule, nous brise et nous répare. Il faut juste la laisser passer. Oser. Peurs, douleurs, solitude, mais aussi instants de grâce infinie qui lui donnent son sens…

La musique a changé dans mon casque. Dylan a pris le relais. L’air semble plus léger.

«Don’t think twice, it’s alright…» 

La fillette se relève, s’étire, brosse son manteau, ramasse son livre. Avant de s’éloigner, elle me fait un petit signe de la main. Je lui réponds et lui souris, comme on donne le change.

Poème de Laurence Vielle, « Asile poétique », proposé par Françoise T (hors proposition d’écriture)

À toi qui crois pouvoir décider
dans notre pays
le cours des migrations
qui reste qui entre qui sort
je désire te dire
qu’un vaste mouvement de poésie
doux et indéfectible
vague sismique
déferle sur la Belgique;
nous sommes de plus en plus nombreux
à réveiller nos êtres
par la force du poème.
Nous sommes bientôt 10 millions
nous les poètes de ce pays;
les mots désir accueil et impulsion
présence ouverture insurrection
vibrent dans nos langues
pour lever une constituante;
nous remplaçons le mot frontière
par ligne de bienvenue,
nous désirons que les écoles du pays
soient joyeusement multilingues
et que chaque enfant d’ici
apprenne l’art de la paix et de la poésie;
nous désirons
que tu descendes dans la cité
écouter la parole du passant
du marcheur du voyageur de l’arpenteur;
nous désirons qu’aucun habitant ici
ne souffre du froid et de la faim,
nous désirons que le vent qui nous traverse
soit l’énergie de nos lumières;
nous, les 10 millions de poètes,
désirons cela ardemment.
Je désire te dire
que rien ne nous arrête
dans notre désir de désirer
la vie;
notre vague sismique
douce et indéfectible
est une langue de feu plus forte chaque jour
des nombreux voyageurs arrivés d’autres terres;
et nous désirons
que chaque habitant du pays
sur la porte de son logis
maison arbre appartement
bagnole tente ou cabane
pose l’enseigne
DOMO DE POEZIA
Au moins une fois par an
s’y dit la parole d’un poète
fenêtre ouverte
rage essentielle
contre la mort de la lumière.

Poème de Laurence Andrivon, « Les mots envolés », proposé par Françoise T (hors proposition d’écriture)

Les mots s’envolent
sortent du livre et s’étirent
comme des fils de soie
qui tissent dans l’air
des rêves et des espoirs.

Chaque lettre murmure
des secrets anciens,
des histoires enfouies
dans les plis du temps.

Les pages frémissent,
sous les doigts attentifs,
révélant doucement,
les trésors cachés
d’une  âme en voyage.

Et le cœur s’épanouit,
emporté par ce souffle
doux et sensible,
qui réchauffe l’esprit
et apaise les blessures.

Les mots s’envolent,
se posent comme des plumes,
sur  l’âme rêveuse,
pour la conduire doucement
vers des rivages inconnus.

J’ai fait une bonne rentrée et je remercie toutes celles et tous ceux qui me l’ont souhaité ou demandé. Je dois avouer que j’ai écouté les discours et les divers blablabla du matin d’une oreille distraite, n’ayant à mes yeux de presque bientôt retraitée qu’une importance toute relative. Ce fut plutôt du temps de perdu et je ne suis même pas allée aux réunions l’après-midi. Ma collègue m’a dit que je n’avais rien perdu. Alors, j’ai bien fait de faire une sieste dans mon hamac!

Ce n’est pas que j’ai fait l’école buissonnière, mais le matin même de la rentrée, j’ai appris le décès de mon dernier oncle, mort la veille de la même maladie foudroyante que ma mère 2 ans plus tôt.

J’étais déjà chagrinée parce que cela faisait deux ans que ma mère était décédée et mon oncle est mort ce jour-là. 

J’ai été très chagrinée car j’aimais bien mon oncle. J’ai eu la chance de le revoir en octobre dernier quand je suis retournée sur mes terres natales en Picardie.

Ainsi va la vie…on perd tous ceux qu’on aime peu à peu. Ma famille du côté de ma mère est décimée depuis deux ans. Nous subissons un ou deux décès par an. 

La rentrée, dans ma région, on l’a subie de plein fouet à cause de la météo. On était en été et on est passés directement en automne! Je n’ai rien compris. C’est dur de se lever quand il fait noir, frais et qu’il pleut parfois! J’ai tellement envie de rester sous ma couette!

Je vous souhaite un weekend merveilleux, avec des senteurs encore estivales!

Portez-vous bien, prenez soin de vous et profitez des derniers instants de l’été!

Créativement vôtre,


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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