Pour cette proposition d’écriture N° 37, vous aviez le nez collé derrière une vitre. Vous nous avez emmenés jouer avec les Playmobil, ou longer un fleuve du Nord, ou guigner chez les gens, ou découvrir encore un paysage hivernal enchanté.
Comment un fleuve peut raviver l’amour perdu, comment des souvenirs d’enfance reviennent à la surface, comment on peut tromper l’attente dans un aéroport, comment on peut vivre heureux en compagnie de la neige.
Je vous souhaite une belle lecture.

 

Voici vos textes:

 

De Catherine de France

 

Le chantier de Playmobil

Ça y est, c’est le grand jour : aujourd’hui, on s’envole pour New-York ! Nous venons d’arriver à Orly, avec trois heures d’avance sur notre vol. Il va falloir tuer le temps ! Nous prenons un petit-déjeuner, puis repérons des sièges, à proximité du contrôle douanier, face à une très large baie vitrée qui donne côté parking, à l’opposé des pistes.
Et là, à nos pieds, s’étale un très vaste chantier, aux dénivelés inégaux, grouillant d’engins divers et d’ouvriers non moins divers. À voir comme ça, on ne comprend rien à ce qui se prépare ici. Un nouveau terminal en construction ? Des parkings à étages ? Un aménagement gigantesque dans le cadre du Grand Paris ? Rien n’est inscrit nulle part, et donc, tout est possible !
Nous sommes comme deux enfants face à un chantier de Playmobil apporté par le Père Noël, à la différence près qu’ici, tout est mis en mouvement sans que l’on ait besoin de déplacer quoi que ce soit, ni de bruiter vocalement les engins. Tout se passe de manière autonome, ou magique, dans une valse qui semble bien réglée par le chorégraphe, car aucun déplacement n’en gêne un autre, ni aucun mouvement ne ressemble à un autre. Il y avait là des tractopelles, des grues, des pelleteuses, des foreuses, des toupies, des bulldozers, des tombereaux… et chacun semble avoir bien répété son rôle dans cette chorégraphie contemporaine, qui demande de pivoter, creuser, transporter, avancer, reculer, écraser, déverser… Tous les mouvements s’enchaînent à la perfection, chacun se sentant responsable de sa partie chorégraphique, au service d’une œuvre grandiose.
Les engins nous font penser à des insectes monstrueux, de part leur taille et l’impact qu’ils ont sur les matériaux et l’environnement. La pelleteuse, telle une mante religieuse géante, dévore les buttes de terre comme cet insecte femelle dévore son mâle après l’acte sexuel. Le tractopelle, tel un bousier gigantesque, pousse devant lui des tonnes de gravats. Les grues, sveltes mais robustes libellules, bien arrimées au sol, dominent la situation et entament des solos où elles virevoltent avec grâce, pourtant lestées d’une charge de béton à l’arrière lui permettant de déplacer des montagnes de matériaux de ci de là. Les toupies font leur travail de mâchouillage intestinal, mélangeant le ciment avant de le vomir dans des trous ferraillés, comme les petites abeilles qui mâchouillent le nectar des fleurs pour en faire un ciment doré et sucré à déverser dans des alvéoles de cire. Les camions toupies se relaient inlassablement, allant récolter les matériaux chez un fournisseur, mâchouillant en route, revenant à la ruche-chantier, pour repartir ensuite.
Et les fourmis, dans tout ça, sont tous ces petits bonshommes miniatures, en jaune, orange ou vert, zébrés de bandes réfléchissantes, qui ont un rôle de figurant dans cette entreprise où les monstres à moteur dominent et commandent. Elles se doivent d’être là au bon endroit, au bon moment, pour répondre aux besoins.
Il y a, semble-t-il, une hiérarchie parmi les fourmis. La couleur des vêtements indiquent-elles une échelle de grade, le jaune paraissant au-dessus des autres couleurs ? Ou ces couleurs désignent-elles les différents corps de métier ? En tous cas, celles qui n’ont pas de couleur, qui ne sont pas salies par la boue, qui portent des sacoches ou des documents à la main, et qui montrent du doigt tel ou tel endroit du chantier, sont sûrement des chefs, les chorégraphes qui ont écrit le scénario initial. Ils débarquent en groupe, suivis par quelques gilets jaunes bottés et crottés. Ces derniers doivent rendre des comptes aux fourmis en souliers, et écouter les consignes ou modifications à apporter à la danse. Puis les petits chefs s’éclipsent : ils n’ont pas interrompu le déroulement du ballet qui, imperturbable, n’a pas besoin d’eux pour fonctionner.
Au plus près de nous, une pelleteuse attaque une butte, plantant ses crocs dans la terre, remplissant son godet ras la gueule, pivotant sur lui-même pour cracher plus loin son contenu. Puis elle repivote dans l’autre sens pour recommencer. On entend d’ici les bips de son signal de recul. Dans la cabine, on voit l’homme s’exciter sur les manettes, avec la dextérité d’un joueur de baby-foot. Un personnage au gilet jaune lui fait signe de stopper, grimpe sur le marchepied, ouvre la portière vitrée et discute avec le conducteur. Ils ont l’air de s’apprécier… puis ils quittent l’engin de concert.
Alors, on regarde notre montre. Il est déjà midi ! On n’a pas vu le temps passer et nous allons bientôt embarquer.

De Lucette de France

 

Derrière une vitre…

Dans la campagne, une demeure isolée cache des secrets.
Avec mon frère, nous avons peur de passer devant cette maison, à chaque fois que nous approchons, nous nous mettons à courir. Pourquoi, parce que dans les campagnes, ça colporte des sous-entendus, qui sont loin d’être la vérité, mais qu’on apprend plus tard à relativiser …
Donc, notre curiosité nous a amenés un jour à regarder derrière les carreaux de la fenêtre, pour voir ce qui se passait à la tombée du jour.
On ne fait pas de bruit, car le « monsieur » n’a pas bonne réputation, et on veut percer ce mystère. Que voit-on ? Une dame âgée qui ne sortait jamais de chez elle, que personne (pratiquement) ne connaît, puisque c’était son mari qui allait se ravitailler tout seul au village. Il ne s’étend pas en bavardage, juste l’essentiel pour repartir avec ses provisions. Et là, cette femme est devant sa table de cuisine, avec devant elle, de la farine, du sucre, un saladier et des œufs. On a tout de suite pensé qu’elle allait faire un gâteau, un gâteau oui, mais quand même pas pour son mari si renfermé, si antipathique, à nos yeux d’enfants…
Elle s’affaire, casse ses œufs, ajoute les ingrédients un par un, nous, nous sommes là, à nous lécher les babines. Car chez nous, les gâteaux, on peut les compter sur les doigts d’une seule main, et encore, nous avons trop de doigts…
Tout est bien mélangé, le moule est prêt, elle le remplit, et hop au four. Quelques minutes plus tard, une odeur de vanille nous titille les narines, mais on attend toujours, il doit bien y avoir une suite avec ce gâteau.
D’un seul coup, le téléphone sonne, la dame va répondre, revient après quelques minutes avec un beau sourire sur les lèvres. Son mari, impassible, lit un journal, ne daigne même pas regarder vers elle, ne lui pose aucune question. Ses yeux sont rivés sur ce qu’il lit, comme pour fuir sa vie, fuir le monde, fuir sa femme ???
Tout à coup, on entend un chant qui vient du bout du chemin, on se cache, il ne faut pas se faire repérer. Une jolie jeune fille apparaît, elle s’appelle Adèle, ses boucles blondes volent au vent, sa robe est ravissante, faite par sa mère couturière. Tout le monde la connaît au village, tant elle est belle et gracieuse.  Elle toque à la porte, serre très fort sa mamie dans ses bras, et embrasse pudiquement son grand-père sans grande effusion. Elle s’installe face à sa grand-mère devant le gâteau qui sent si bon. On entend leurs rires, un moment de bonheur partagé. Adèle invite son papy à goûter une part de ce bon gâteau. A notre grande surprise, il approche avec un léger sourire, fait un « bisou » à Adèle en passant. On n’en revient pas. Mais alors, on ne comprend pas, il a la réputation d’être un « ours mal léché » C’est peut-être un « ours » mais il a un cœur ce papy, il aime sa petite-fille. Tous les trois papotent, rient. Tout à coup, un chant jaillit, tous les trois en chœur, on ne comprend pas les paroles. Plus tard, on saura que cette mamie était polonaise. De notre cachette, certes frustrés que ce gâteau nous soit passé sous le nez, de voir la belle union de cette famille nous a étonnés et ravis en même temps. Comme quoi, il faut toujours se méfier des commérages…
Adèle a grandi, elle vit dans le château du village. Certes, elle n’a pas de titre pompeux, elle est juste la fille d’une maman qui entretient le château avec un père qui est maçon. Adèle a été élue « reine de beauté » à un concours. Dans les bals on ne voit qu’elle, elle danse à merveille. Dans l’orchestre, il y a un accordéoniste « italien » qui avait un certain succès ; ils se sont aimés, et se sont mariés…
La châtelaine ayant pris ombrage du choix d’Adèle a mis toute la famille dehors : ses grands-parents, ses parents  qui étaient tous logés dans des logements de fonction.
Tous soudés, ils se sont construit une petite maison. Bien serrés, chacun a une petite place pour se tenir chaud. Trois générations vont vivre ainsi pendant deux ou trois ans, car un beau pavillon se bâtit tout près, doucement chaque weekend. Les manches retroussées, les trois hommes ne relèvent pas la tête pendant des mois et des mois…
Les années ont passé, on fait signe à Adèle derrière les carreaux de cette belle demeure. Toujours aussi belle, avec un visage illuminé par un beau sourire. On se parle, elle nous apprend que ses grands-parents sont décédés. Ses parents vieillissent à ses côtés, elle-même a agrandi sa famille…
Voilà quand on est curieux, et qu’on écoute derrière une fenêtre, on apprend qu’il ne faut surtout jamais écouter le quand dira-t-on…

 

De Nicole de Belgique

 

La mémoire d’un fleuve

 

Rose est une très vieille dame.
Maintenant, elle vit dans une belle maison face au fleuve industrieux du Pays Blanc, un pays de carrières rythmé d’explosions, de gros camions jaunes qui déboulent à toute allure dans le port fluvial où les hommes chargent les péniches qui transporteront l’or blanc vers la Mer du Nord.
Rose passe ses après-midi dans un fauteuil Voltaire devant le bow-window à contempler le chemin de halage. Une brume grise monte du fleuve. Un vent d’automne souffle dans la chevelure crépue des ronces le long du talus, telles des sorcières sifflant dans la colère d’un bruit continu leur sempiternelle damnation.
Elle se remémore les rendez-vous secrets avec Jules, son amoureux et futur mari.
Quelle allure il avait dans son costume de facteur, capote à galons dorés et casquette coquettement posée sur sa chevelure noire bouclée, et avec ça une moustache si fine qu’on aurait dit un trait de pinceau !
Il formait un beau couple, lui bien bâti, elle mince, blonde d’une légèreté aérienne.
Cinquante années de bonheur.
Jules, parti rejoindre le paradis des lettres d’amour, l’attend.
Rose n’est pas prête à se rendre à la camarde.
Son imagination la porte encore plus loin dans le temps, 18e et début 19e siècles, avant les bateaux à vapeur, le temps du halage terrestre des péniches et coches d’eau, transport fluvial des passagers.
Les hommes tractaient têtes baissées, les épaules blessées par la bricole, courroie de cuir, reliée au bateau par de solides lanières ou des chaînes.
Regard vide, dents serrées dans l’effort.
Par tous les temps, sous la pluie, le froid, le gel, sur les chemins boueux, ils trébuchaient, se redressaient, reprenaient le harnais.
En été, la chaleur, la transpiration, les piqures de taons.
Les plus chanceux des mariniers travaillaient avec des chevaux tirant les bateaux, chaque nuit logeant avec leurs bêtes dans des relais le long des voies d’eau et cela jusqu’en 1935…
Remontant du Nord des péniches de briquettes de charbon chargées à la main par des cafus, des femmes au teint hâve, fichus et vêtements de poussières noires.
Maintenant que l’on élargit le fleuve, on peut voir les grands transports fluviaux portant d’immenses containers superposés, dominos de couleurs, se partagent descentes et remontées d’une écluse à l’autre.
Fatiguée, Rose s’endort.
Des cris sur le chemin de halage soudain l’éveillent. 16H30, ses petites enfants de retour de l’école viennent prendre le goûter chez elle.
Chocolat chaud, tartines de cramique et chaleur au cœur.

 

De Laurence de France

 

Elle est là, dans son fauteuil en bois massif, seule chez elle, à siroter un thé bien chaud. C’est l’hiver, les sons de l’extérieur sont feutrés par la neige abondante tombée la veille. Tout est calme derrière la vitre de chez Elisa. Elle habite un chalet hérité de ses parents. Elle y a ses habitudes depuis son enfance. Elle ne voudrait pour rien au monde que sa vie change. Elle est bien là, au chaud, un plaid posé sur ses jambes, le chat qui ronronne sur ses genoux, bien à l’abri de la température glaciale.
Elle ne voit pas grand chose par la vitre de son salon, elle imagine le décor tout blanc du dehors, les gens pressés qui marchent vite, d’autres qui skient un peu plus loin, le va-et-vient en somme de la vie d’un village haut perché en hiver.
Elisa ne voit pas grand-monde, mais elle se contente de sa situation. Elle n’a pas d’enfants, ses parents sont décédés depuis quelques années déjà. Elle aime sa solitude, elle y est habituée de toute façon. Un rouge-gorge audacieux vient, tout à coup, frapper la vitre de son bec. Il a faim ; Elisa lui lance quelques miettes de gâteaux et quelques graines qu’elle avait préparées dans une coupelle à côté d’elle. Elle a toujours aimé les animaux ; ils offrent une compagnie chaleureuse et une tendresse réconfortante dans sa situation.
La neige tombe, Elisa la sent tomber. L’atmosphère se transforme, l’ambiance hivernale particulière prend place, feutrée, glaciale. On a l’impression d’être dans une carte postale des pays du Nord de l’Europe. Le Père Noël pourrait très bien vivre dans la région où vit Elisa ! Le silence est plus lourd, les couleurs sont ton sur ton, mais c’est joli. La nature revêt son beau manteau blanc pour quelques mois de pause. Elisa est heureuse de vivre dans ce beau coin de France, les paysages changent à chaque saison, magnifiques, auréolés d’une lumière changeante à couper le souffle. Elisa, c’est une vraie montagnarde ; elle sait qu’elle vit dans un cadre de rêve ! Soleil et poudreuse font souvent bon ménage en hiver dans les montagnes !
Tiens, Bernard, son voisin vient déneiger devant chez elle ; elle l’entend plus qu’elle ne le voit. Il est bienveillant ce cher Bernard, toujours prêt à lui rendre service en cas de besoin. Tous les jours, il déblaye son trottoir enneigé ; il lui amène son pain, l’aide à faire ses courses, lui donne son courrier.
Elisa ne participe à la liesse ni au tohu-bohu créés par les touristes venus skier en masse sur les pistes envahies. Elle, elle aime vivre au rythme des saisons, comme le faisaient ses ancêtres, poursuivre sa vie rurale à l’ancienne, isolée, calme, tranquille, en profitant du climat offert par la nature.
Elisa aimerait voir comment est la montagne, car elle ne l’a jamais vue. Elle l’a ressentie dans tout son corps, dans sa chair, sur sa peau, dans son âme. Elle se doute que c’est beau, grandiose. Elisa est comme le Petit Prince de Saint-Exupéry, elle voit avec son cœur. Elle imagine très bien, son cerveau est doté de pouvoirs extraordinaires qui lui envoient comme des images, des perceptions, des sensations que les autres ne peuvent pas ressentir ni comprendre.
Elisa est née prématurément. Son système oculaire n’était pas fini. Elisa est donc aveugle de naissance.
Les couleurs, Elisa ne sait pas ce que cela veut dire ; elle n’en a jamais vues. Le noir pour elle n’a aucun sens ; elle n’a aucune idée de ce que c’est. Pourtant, elle perçoit la lumière,  dans son sens à elle ; elle la perçoit forte, colorée, intense, changeante aussi. Dans son champ de vision, c’est comme un tintamarre visuel ; un charivari d’images colorées à sa façon.
Mais, derrière sa vitre, Elisa est heureuse, l’hiver est en place, elle va profiter pleinement de ce temps de repos de la nature.

 

 

Vous avez reçu une nouvelle proposition d’écriture autour de la neige avec des mots incongrus à insérer!

Laissez aller votre plume et votre créativité!
Ecrire est un jeu !
Tout le monde peut se mettre à créer et  à écrire!
Chaque semaine, je vous proposerai une accroche différente pour vous inciter à écrire dans le plaisir.

Je vous souhaite une bonne lecture, une belle semaine créative.

Pensez à visiter mon blog, La Plume de Laurence

Créativement vôtre,

 

LAURENCE SMITS, La Plume de Laurence

 

 

 


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

Suivez-Moi sur les réseaux

{"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}
>