Cette semaine, pour la proposition d’écriture N° 78, vous aurez des textes sur cette consigne, mais aussi sur d’autres, ainsi que de vibrants hommages aux instituteurs et professeurs.
C’est très émouvant. Merci à toutes celles et à tous ceux qui nous ont fait parvenir leurs textes hommages. Voici vos textes. Je vous souhaite une belle lecture.
De Lionel de France
Ça tapait dur dans la cuisine et les filles ne s’entendaient pas vraiment, il fallait qu’elles se parlent un peu fort , comme en boite de nuit, quand elles étaient encore ouvertes.
“Je n’ai vraiment plus rien à me mettre de correct, c’est la galère ! “
Julie sortait tout ce qui se trouvait dans son armoire et jupes, boléros, chemises, tailleurs, vestes, manteaux et robes s’envolaient dans la chambre pour finir par s’amonceler sur le lit en un tas informe.
“On n’a qu’à se connecter à Zal…
– Mais non Val, pas le temps, j’ai besoin de fringues nouvelles, un truc que je n’ai jamais porté quoi !
– Et bien, sors, et file dans les boutiques. Et tu reviens avec tes nouveaux trucs. Mais attention, hein !
– Quoi, quoi ? Attention à quoi ? fit Julie en regardant sa sœur avec les gros yeux.
– Bah, tu le sais bien. Maman a bien dit qu’on doit se tenir à carreaux sur les achats de fringues. Pas de surchauffe avec la carte bleue comme le mois dernier, promis ?
– Mff. Promis, pas de surchauffe, mais… tu m’accompagnes ?
– Avec plaisir sœurette, c’est parti.”
Les rues du centre-ville étaient vides, le reconfinement faisait son œuvre. Julie et Valérie trouvèrent malgré tout quelques boutiques ouvertes et à chaque fois qu’elles s’annonçaient sur le seuil des magasins, un accueil de la part des vendeurs et vendeuses plus que chaleureux les incitait à jeter un œil dans les rayonnages.
“Bonjour mesdemoiselles, que puis-je faire pour vous ? Que recherchez- vous ? une chose en particulier ?
– On vient juste regarder si vous avez des trucs intéressants.
– Alors, je vous laisse regarder. Appelez-moi si vous avez besoin d’aide.
– C’est ça, on vous appellera.”
Dans les rayons, les deux jeunes femmes étaient comme des enfants, regardant partout, soulevant des piles, écartant les cintres pour mieux voir, retournant tout pour apprécier la qualité.
“Eh, regarde ça, Juju, qu’est-ce que t’en dis ?
– Oh, non ! Les jupes à pois, ce n’est vraiment pas pour moi, trouve-moi autre chose.
– Bon, du Vichy ?
– Non, je ne suis pas BB moi.
– Pied-de-poule ?
– Non.
– Du cachemire, c’est bien le cachemire ?
– Sûrement pas, j’en ai déjà plein l’armoire.
– Alors des rayures, ça affine la silhouette si elles ne sont pas horizont…
– Non laisse tomber tes rayures, j’ai trouvé ce que je voulais, enfin !”
Le retour à la maison était joyeux. Dans le bus, les deux sœurs riaient doucement en fouinant dans les cinq sacs qu’elles portaient. Arrivées à la maison, c’est maman qui les accueillit les mains posées sur les hanches.
“Alors les filles, c’est fini votre lèche-vitrine, on peut reprendre la suite des travaux ?
– oui, oui, on range tout ça et on vient t’aider.
– Tant mieux, parce que… j’ai failli attendre.”
Julie et Valérie montèrent rapidement dans leur chambre pour se préparer à aider leur mère. Mais Julie ne put s’empêcher de redescendre vêtue de son dernier achat en ville.
“Alors, maman qu’est-ce que tu en penses ? Elle est bien cette robe, non ?
– Tiens tiens, répondit sa mère. Une nouvelle robe à motifs. Etonnant !
– Pourquoi étonnant ?
– oh et bien d’habitude, ce que tu choisis est toujours très… sobre.
– Et alors, se renfrogna Julie. J’ai le droit de changer un peu, non ?
– Oh, la ! Je ne veux pas te mettre en colère. tu as pris à carreaux, ça tombe à pic.
– Pourquoi, ça tombe à pique ?
– A pic ! Pile poil ! Il faut m’aider à poser le carrelage de la crédence de notre nouvelle cuisine si tu tiens à manger à midi.
De Catherine de France (proposition d’écriture N° 75)
Rendez-vous sur le banc
Comme chaque soir depuis six mois qu’ils vivaient ensemble dans cet appartement, Nadia et Slimane appréciaient de dîner ensemble. Elle était une excellente cuisinière et Slimane se disait qu’il aurait pu tomber plus mal. Ils avaient leurs petites habitudes après le repas, comme un rituel : ils éteignaient la lumière et plongeaient l’appartement dans l’obscurité, puis ils sortaient sur le balcon. Dans les autres appartements des immeubles d’en face, les gens regardaient la télévision, ou s’engueulaient, d’autres téléphonaient pendant qu’ailleurs, on couchait les enfants.
Du balcon de leur onzième étage, Nadia et Slimane scrutaient le monde de la nuit dans ce quartier chaud du nord de la ville. Ils savaient qu’à partir d’une certaine heure, ils entendraient des notes sifflées se relayer d’un endroit à l’autre, toujours les mêmes notes, sur le même tempo. En bas, tout en bas, dans le square, sur l’unique banc encore digne de cette appellation, rescapé des velléités destructrices d’une jeunesse à la dérive, en bas, tout en bas donc, des jeunes attendaient, affublés de la tenue de rigueur, marque de l’appartenance à un clan : le jogging Nike dernière mouture. Eux aussi avaient entendu le signal et se préparaient à accueillir la voiture qui se profilait au coin de la rue. Le chauffeur ralentissait toujours, puis s’arrêtait à la hauteur du banc. Un des jeunes s’avançait, se penchait à la portière, et nul dans le quartier n’ignorait ce qui se passait là, ni la nature du troc entre les ressortissants. Une tape sur le toit du véhicule intimait au conducteur l’ordre de se barrer, pour libérer la place au suivant, que les sifflets annonceraient à nouveau.
Nadiya et Slimane observaient chaque soir la valse des voitures, au rythme des alertes émises par des garçons bien trop jeunes pour être dehors à cette heure. Depuis six mois qu’ils assistaient à ce spectacle, le couple n’en revenait de la banalisation de ce système économique parallèle par les habitants du quartier, qui n’y attachaient pas plus d’importance que si les jeunes se retrouvaient pour jouer au ballon. En fait, ils avaient renoncé à s’offusquer, le rapport de force étant inégal, et ils avaient bien compris que fermer les yeux leur assurait la paix.
Quand Nadiya et Slimane avaient réussi à louer cet appartement, ils avaient pris toutes les précautions pour ne pas attirer le regard des maîtres du quartier. Pour s’intégrer rapidement sans susciter la méfiance, Slimane avait laissé pousser sa barbe à la mode d’ici, et sa femme voilée ne sortait jamais sans lui. Lui se payait parfois le luxe, ou le culot, de traîner en bas pour discuter avec ceux qui squattaient les lieux, et faire ami-ami, pour qu’on le considère comme un frère. Six mois, c’était long, mais c’était le prix à payer pour ne pas être perçu comme un danger potentiel pour les affaires. Il y avait eu quelques mises à l’épreuve, au début, pour le tester et savoir ce qu’il avait dans le ventre. Mais Slimane était issu d’un quartier similaire et en connaissait les codes. Pour Nadiya, c’était plus compliqué : elle devait réfréner le désir d’indépendance et le besoin d”action qui la caractérisaient : elle était une jeune épouse qui suivait tous les préceptes de son mari, selon la loi d’ici. Dans l’appartement, dès la porte franchie, elle jetait son voile pour reprendre des habitudes vestimentaires normales. Elle ne rechignait pas trop face à toutes les exigences, parce qu’elle avait foi en la réussite de ce qu’ils entreprenaient là. Six mois, c’était long, mais elle avait de la chance d’être avec Slimane en qui elle avait entièrement confiance.
Soudain, la valse des voitures cessa et les sifflements changèrent de registre, provoquant l’ébullition autour du banc, qui fut rapidement envahi par d’autres jeunes. C’était le signal que nos amoureux attendaient. Slimane saisit son téléphone et donna l’ordre à son interlocuteur de se tenir prêt à son signal, et il resta en ligne. Après six longs mois d’observation, il savait exactement quand et comment il faudrait foncer.
Le sifflet retentit à nouveau : l’arrivée des grosses berlines aux vitres teintées était imminente, comme tous les mois, mais cette fois, tout était calculé pour le plus gros coup de filet jamais vu : le préfet avait mis le paquet sur cette mission qui devait être un coup de maître politique, pour mettre fin aux trafics de stupéfiants dans cette ville. Et ce soir, le plus retord des dealers , surnommé « l’anguille » par tous les flics du secteur, et ses équipiers, n’échapperont pas à la grosse rafle au succès de laquelle Nadiya et Slimane auront largement contribué.
A la suite de ça, ils retrouveront leur vie d’avant, en tant que binôme expérimenté au service de la Police Nationale.
De Catherine de France (proposition d’écriture N° 76)
Mon syndrome de la page blanche
Un couple trentenaire… Une vieille Peugeot Break… Un chemin caillouteux à travers les vignes… Une paire de bottes dans le coffre… Une autre voiture… Un homme seul…
Et voilà !…
Et voilà voilà !…
Plusieurs jours que je tourne autour sans parvenir à orienter ma pensée dans un sens ou dans un autre… En fait, c’est très pénible de se sentir sèche, car c’est bien ça : je sèche ! J’ai déjà entendu parler du syndrome de la page blanche, donc ça existe et je ne suis pas la seule. A la différence qu’on parle de ça à propos d’un écrivain qui n’a aucune idée de départ! Moi, je ne suis pas écrivain, et je l’ai, l’idée de départ, en tous cas, j’ai un contexte imposé, mais qui ne me parle pas. Ce n’est pas que le sujet soit nul, c’est plutôt moi qui ne fonctionne plus ! Pourtant, d’habitude, j’aime et attends toujours avec impatience ce rendez-vous régulier avec l’écriture, et rien ne me bloque, mon esprit s’envole vite. Mais là, rien… plus rien !…
Un couple trentenaire … Cet adjectif résonne de manière perturbante en moi au vu de l’actualité familiale. Trentenaire : elle avait 34 ans, celle par qui la famille venait de se retrouver au cœur d’un drame, celui de sa fin de vie délibérée, dont elle a coupé le fil en en nouant un, plus gros et plus solide, à une branche. Peut-être que c’est de là que vient ma stérilité de pensée ! Pourtant, il aurait été aisé pour mon histoire de mettre un arbre au milieu des vignes pour tisser mon drame autour : la découverte d’un corps flottant au vent par une sœur alertée par son dernier appel téléphonique… Mais c’est tellement glauque que je n’ai pas du tout envie d’aller sur ce terrain-là.
Non, mais il me faut un événement central pour que mon histoire ait de l’intérêt. Alors, pour dénouer les liens et ne pas m’avouer vaincue, j’ai décidé de faire une carte heuristique qui me permettrait de tisser ma trame en investissant tous les champs des possibles :
– Cette histoire aurait-elle un lien direct avec la vigne ? Ça pourrait alors être une vengeance entre viticulteurs et les protagonistes iraient empoisonner le vignoble du voisin… Vu et revu! Ou alors, ils vont constater les dégâts causés par la grêle la veille … Peu d’intérêt !
– Peut-être que la vigne est anecdotique. Et si ça se passait à proximité d’une frontière ? Qui dit vieille Peugeot ramène aux années 60-70. Qui dit frontière dit fuite à l’étranger. Pourquoi mes personnages auraient-ils à fuir ? A-t ‘elle aidé son compagnon à s’évader de prison ? Est-ce que ce serait des terroristes en fuite après avoir commis des attentats ? L’homme seul serait-il alors un passeur ?
– Et si un meurtre avait été commis par l’un d’entre eux, pourquoi choisir les vignes pour cacher un corps ? Et l’homme seul alors ? Un flic ? Un détective ? Un complice ? Et les bottes dans tout ça ?
Pfffff!!!! Finalement, la carte heuristique ne m’est d’aucun secours. Aucune piste ne me satisfait. Si j’essaie d’en suivre une, l’impasse fait suite peu de temps après ! C’est une sensation horrible, comme un mauvais rêve dans lequel on n’arrive pas à avancer , malgré les efforts considérables pour mettre un pied devant l’autre.
Devant mon désarroi, mon compagnon essaie de m’aider et me propose une idée : celle d’un trésor gallo-romain déterré en labourant ; le couple serait embarrassé par cette trouvaille et donnerait rendez-vous, dans un lieu connu d’eux seuls, à leur cousin historien, spécialiste de cette époque, pour authentifier le trésor … Effectivement, cette histoire pourrait bien fonctionner, mais écrite par lui, pas par moi : impossible pour moi de l’investir à mon propre compte.
Ainsi, mon esprit est en panne sèche . Il m’est urgent de trouver une station-service pour remplir le réservoir de mes idées : peut-être le prochain sujet ou alors, il ne me reste plus qu’à mettre en mots mon impuissance à écrire et le désarroi qui en découle. J’ai tant hâte de retrouver le foisonnement habituel de mes pensées et de retrouver la joie de l’écriture… La prochaine fois peut-être !…
De Catherine de France (hommage à Samuel Paty)
Caricature
Caricature rime bien avec culture.
D’une vision du monde donne lecture,
Par le biais d’une satirique peinture,
Où le dessin rencontre l’écriture,
Et de son auteur porte signature.
D’une grande ouverture d’esprit elle augure,
Et va droit au but sans enluminures.
Traité avec humour et démesure,
Le sujet fait débat en conjoncture,
Et la liberté d’opinion assure,
Depuis les temps passés jusqu’au futur :
Contre l’obscurité elle est armure.
D’aucuns voudraient qu’on la censure,
Criant par inculture et dictature
A la salissure et à la souillure,
A la blessure, l’injure et la bavure,
Traitant les mécréants auteurs d’impurs.
Puis lâchement décrètent la mortelle rupture,
Cruellement, sauvagement, tuent et torturent.
Liberté d’expression à sépulture.
La caricature rime avec culture,
Et la pensée unique avec obscur.
L’obscur doit céder devant Dame Culture.
Hommage à Samuel Paty
Conjuguons-nous
Je respecte ma culture
Tu respectes ta culture
Je respecte ta culture
Tu respectes ma culture
Respectons nos cultures
Et en paix nous vivrons
Je t’apprends ma culture
Tu m’apprends ta culture
Nous nous apprenons nos cultures
Ainsi mieux nous nous comprendrons
Et en tolérance nous vivrons
Explique-moi ta culture
Je t’expliquerai ma culture
Nous nous expliquerons nos différences
Par nous rassembler elles finiront
Et en harmonie nous demeurerons
Raconte-moi tes peurs
Je te dirai les miennes
Débattons et confrontons nos pensées
Un monde riche de nos différences nous construirons
Les 3 petits cochons sont dans ma culture
Ils sont bannis dans ta culture
Je revendique mon droit à les raconter
Et le tien à ne pas les écouter ou à les railler
Que chacun accepte l’autre dans sa sensibilité
Et ensemble faisons barrage à l’obscurantisme
Qu’il vienne de ta culture ou de la mienne
Au-delà de nos différences on se ressemble
Au choc des cultures opposons la communion
De Marie de France
La partie de cartes
Comme chaque jeudi soir, le club de bridge du village organise un tournoi interne amical. D’habitude, dans la petite salle de la mairie, les quatre tables sont complètes. Tout le monde ici se connaît mais tous ne s’apprécient guère, loin s’en faut. Les deux seniors du club, l’ancien pharmacien et le père du boucher sont de joyeux lurons quelque peu mauvais joueurs malgré leurs quatre-vingts ans bien sonnés. Depuis quelques années, ils se sont forgé une réputation de tricheurs afin de gagner les petits prix mis en jeu à chaque tournoi. En effet, ils sont trop souvent vainqueurs.
Pendant les vacances, certains manquent à l’appel et cette semaine, ça tombe à pic, un nouveau couple en visite chez leurs enfants se propose de remplacer les absents. Ils ne semblent pas très sympathiques, un peu refrognés, ce sont peut-être leurs grosses lunettes en écailles aux verres épais à double foyers qui les rendent si peu avenants mais il ne faut pas faire de jugements hâtifs. Après tout, ils sont peut-être charmants.
Ce soir, les quatre tables à carreaux de céramique sont recouvertes de leur tapis de jeu en feutrine verte, les cartes sont déjà en place. Ce sont les nouveaux venus qui feront équipe avec nos deux seniors. Ces derniers malgré leur air bien-pensant n’ont pas très envie de se tenir à carreau, l’occasion est trop belle, ces deux myopes ignorent tout de leurs manigances.
Tout le monde est installé. Seul le brassage des cartes et les coupes vigoureuses rompent le silence, pas un mot ne doit fuser.
Les annoncent s’engagent. Nos deux anciens ignorent qu’ils ont à faire à plus malins qu’eux. Un carreau pour l’homme aux lunettes en écaille, un cœur à sa gauche pour le pharmacien qui mine de rien porte en même temps la main sur la poche avant de son veston côté cœur lorsque la femme du nouveau gratte son verres de lunettes comme pour dire à son partenaire « tu as pris du carreau, ça tombe à pic, j’ai presque tous les autres ». Le père du boucher qui fait semblant de chasser une mouche pour dire qu’il n’a pas de jeu est contraint de passer. Tout semble bien aller. Le mort de la partie d’à côté étale son jeu, il jette un coup d’œil à leur table, certains gestes lui ont semblé bizarres et il prévient discrètement l’organisateur de leurs supercheries.
Pas de chance pour nos deux compères, ils vont être exclus du club et dans le village les nouvelles vont vite. Quant aux deux nouveaux, ils sont priés de ne pas revenir. La réputation du club est sauvée.
D’Elisabeth de France
La grille s’ouvre sur l’extérieur, le soleil se lève à peine, une brise se pose sur mon visage encore endormi. Pas de longue étreinte, il n’y a que moi et un sac en plastique, en guise de valise, contenant mes effets. S’achèvent sept ans passés dans ce lieu lugubre. Jugé pour escroquerie en bande organisée. Suis-je soulagé de quitter cette prison ? Je n’en sais rien.
Assis au fond du bus, je repense à la dernière visite de mon avocat, au discours qu’il m’a servi, accompagné de son arrogance habituelle, et d’un ton paternaliste « Mr Valiseau, à présent, il va falloir vous réinsérer, la balle est dans votre camp. Rapprochez-vous de votre famille, il n’est pas bon de demeurer seul ».
« Rapprochez-vous de votre famille », c’est précisément cette phrase, qui m’a interpellé. Ma vie, mon histoire, je ne serai pas où débuter, tant il y a à conter. Les miens, je ne les ai jamais connus, orphelin, j’ai été trimballé d’une maison d’accueil à une autre, lorsque mon cas devenait trop difficile à gérer. Très tôt, l’absence de repère m’incita à fréquenter le monde de la nuit, à vagabonder dans les rues, sans espoir du lendemain. Un gouffre. Lors de ma première incarcération, je cohabitais dans la cellule avec un jeune homme du même gabarit que moi. De fil en aiguille, nous avons sympathisé et sommes restés en contact. Des potes de misère. Aujourd’hui, il m’offre le vivre et le couvert le temps nécessaire. Il habite un modeste studio, dans une ville assez éloignée. Sirotant une bonne bière fraîche, mon ami me narre sa nouvelle vie.
« Désormais, je gagne ma vie honnêtement, en travaillant, j’ai décidé d’aller de l’avant. Vois-tu, le temps est venu de se tenir à carreau ! Tiens, c’est un cadeau pour toi, ce n’est pas grand-chose…soit le bienvenu mec. Ouvre-le, ne sois pas timide « ajoutait-il.
J’ouvre le présent, et j’en sors un béret. Ému, je réagis « tu as pris à carreau, ça tombe à pic, avec l’hiver qui approche à grands pas, cela va me couvrir la tête, merci ».
Le ton de sa voix, son attitude sereine, me laisse percevoir une satisfaction pour ce renouveau dont il en fait l’expérience. Perdu quelques instants dans mes pensées, je songe, que peut-être a-t-il raison…Viendra le moment, pour moi également, de me réconcilier avec la vie, trouver ma paix intérieure.
De Catherine de France
En catimini
Johanna et Ludovic montèrent dans leur voiture et démarrèrent. Il faisait nuit depuis une heure, et ils sentaient malgré eux l’adrénaline les envahir : ils étaient un tantinet hors la loi, et s’ils se faisaient arrêter, ça leur coûterait à minima une sacrée amende. Mais cela en valait la peine, depuis le temps qu’ils attendaient ! Ils étaient inscrits depuis plus de deux mois, avec leur bande de copains, et cette semaine, ils étaient les heureux élus. Tant pis pour les risques, l’occasion leur était enfin donnée, et ils étaient au comble de l’excitation. Du coup, ils s’étaient mis sur leur 31, parce que cette soirée devait être mémorable, au risque d’amputer sérieusement leur budget.
Ludovic roulait prudemment à travers la ville quasi déserte. Ils filaient droit vers leur objectif, rue de la Passementerie, mais ils avaient consigne de se garer deux rues plus loin pour ne pas éveiller de soupçon. Johanna ne tenait pas en place sur le siège passager, toute excitée de retrouver enfin Céline et Fred, Natacha et Grégory, ainsi que Olivier et sa nouvelle copine Lola.
« Calme-toi, Johanna, tu es excitée comme une puce. Tu vas nous faire remarquer ! Je te rappelle qu’on est sensés aller au boulot à l’hôpital, alors, prends la mine de circonstance !
– Je sais, je sais ! répond Johanna, mais je suis tellement contente de les revoir tous, après tout ce temps ! ».
Grégory gara la voiture comme prévu, deux rues plus loin, et main dans la main, les amoureux longèrent les bâtiments pour s’éloigner le plus possible des réverbères. Tout en marchant très vite, Johanna interpela soudain Ludovic :
« Le mot de passe, tu l’as ? Dis, tu l’as ?
– Mais oui, ne t’inquiètes pas ! »
Arrivés rue de la Passementerie, qui d’ailleurs tenait plus de la ruelle ou de l’impasse que d’une véritable rue, ils s’arrêtèrent au numéro 7, et sonnèrent à la porte. Une petite ouverture carrée s’ouvrit sur le battant, laissant apparaître deux yeux veinés de rouge. Une voix virile se fit entendre :
« Tu as pris à carreau ?
– Ça tombe à pic », répondit prestement Ludovic, sûr de lui.
Il eut bien raison, car le type ouvrit la porte et s’effaça pour les laisser entrer. Ils se dirigèrent au bout d’un long couloir, jusqu’à une porte qui donnait sur un escalier semblant descendre dans une cave. Le couple descendit sans crainte, puis ouvrit une lourde porte, laissant subitement passage à une marée de lumières clignotantes et de musiques endiablées.
Ça y est, ils y étaient enfin ! Ils se jetèrent dans les bras de leurs amis, et se lancèrent dans la folie du lieu, dansant, chantant, criant, bavardant à haute voix et trinquant, bien décidés à profiter au maximum de cette aubaine, véritable bouffée d’oxygène dans l’univers sclérosant et pesant qu’était devenue leur vie de citoyens confinés depuis plusieurs mois.
Mais là, ce soir, exit le confinement et ce p…… de virus qui leur pourrissait la vie ! Ce soir, ils avaient le privilège d’avoir été à leur tour sélectionnés pour faire la fête dans cette boîte clandestine, au fond d’une cave, d’où aucun bruit ne s’échappait, et où ils pourront être insouciants jusqu’au petit matin.
Par contre, en ressortant à l’air libre, il leur faudra à nouveau se tenir à carreau et re-rentrer dans le rang, avec les souvenirs de la merveilleuse soirée au fond du cœur, pour les aider à survivre dans ce monde qui les coupait des autres, tout en nourrissant l’espoir de refaire bientôt partie des prochains élus. La liste d’attente était longue, et la cave ne pouvait accueillir que quinze personnes à la fois. Dès qu’ils seraient rentrés, ils s’empresseraient de renouveler leur inscription, pour que la fête recommence, avec un nouveau mot de passe.
De Lucette de France
Combien de fois n’ai-je pas entendu ma mère dire à l’un de ses enfants « tiens- toi à carreaux, sinon… ».
C’était au temps où les gifles tombaient plus facilement qu’une caresse ou qu’un mot gentil. Nous étions habitués « aux cris ». Beaucoup croient que pour faire obéir les enfants, il faut crier, voire hurler…
Je me rappelle les rares invitations où la nappe à carreaux rouge et blanc était de sortie. Là, c’est sûr que devant mon père, il fallait bien se tenir, pour donner une illusion aux autres de la famille unie, on se tenait à carreaux. Combien de fois, étant puni, je devais copier 100 fois des lignes sur un cahier en indiquant le pourquoi de sa punition. Ah ! ces cahiers à petits carreaux, je ne pouvais plus les voir….
Après le repas, c’était la sempiternelle partie de belote. Je dis à mon partenaire « tu as pris à carreaux, ça tombe à pic, car moi j’annonce « un 200 » avec les quatre valets. Nos voisins sont dépités, on voit leurs regards de perdants, qui n’ont plus qu’une envie claquer le jeu. Nous, bien sûr on jubile.
Les jupes ou pantalons à carreaux étaient jolis, et surtout, on était à la mode. Les jeunes coquettes que nous étions, peu habituées aux toilettes de luxe, se paraient de jolies robes vichy à carreaux roses, bleus ou rouges. Une fois apprêtées, on se tournait dans tous les sens afin de ne pas paraître fagotées comme l’as de pique.
Ayant des problèmes de vue, le jour où je me suis retrouvée avec des carreaux de lunettes, je l’ai mal vécu à travers les quolibets de mes voisins d’école. « Brochet à lunettes, bigleuse, cul de bouteille, l’intello » etc…Entre enfants, rien n’est épargné, plus ça fait mal, plus ils sont contents.
Dans ma période « jeune femme », j’étais devenue indépendante, et je m’arrangeais (souvent) pour tomber à pic au moment de l’apéro chez mes potes, en feignant la surprise. Eux aussi feignaient en m’accueillant, en ressentant qu’au fond, ils n’étaient pas dupes de mon culot. Un jour, je n’ai plus eu de leurs nouvelles, ils se sont lassés de la pique-assiette que j’étais. Une belle leçon à retenir…
Ce matin, j’aperçois le facteur derrière mes carreaux de fenêtres me faisant de grands signes. Aussitôt une sueur froide me parcourt le dos quand je vois « Trésor Public ». J’ouvre fébrilement l’enveloppe, la lettre m’indique un trop perçu, ça tombe à pic, mes comptes étaient dans le rouge.
Avec mon chéri, on aime se promener les soirs d’été, pour admirer le coucher de soleil qui tombe à pic derrière les falaises. Le ciel embrasé sous nos yeux, un spectacle magnifique. Derrière nos lunettes aux carreaux teintés, on cache beaucoup de choses, même une larme à l’œil, qui annonce toujours un évènement joyeux ou malheureux…
De Patrick de France (proposition d’écriture N° 75)
Passeurs de savoir, éclaireur de conscience
Terre 21e siècle, les hommes vont dans l’espace, les diverses techniques nous ouvrent des portails nous facilitant l’accès à la culture, à la connaissance et simplifient les communications entre les peuples du monde entier.
Mais, malgré tous ces progrès techniques, et la culture accessible à tous, il y a peu d’éveil des consciences et une sublimation de l’avenir bien terne.
L’obscurantisme, la négation du savoir sont toujours là présents comme une fièvre malsaine nous obligeant sans cesse à mettre nos manteaux de douleur et d’effroi.
Cette fois-ci, c’est un passeur de savoir, un éclaireur de consciences, un ouvreur de voie culturelle qui est tombé sous les coups de la bêtise, de l’ignorance, et de la haine envers les lumières du savoir.
Nous les avons tous côtoyés ces chevaliers de la connaissance, tentant jour après jour de bouter l’ignorance. En nous forgeant les armes du savoir pour mieux comprendre, analyser, respecter le monde qui nous entoure.
Toutes et tous dans la longue liste des institutrices, instituteurs ou professeurs qui pendant mon parcours scolaire m’ont fait profiter de leur pédagogie et du bienfait de l’instruction auraient mérité d’être cités dans ce texte en forme d’hommage, mais bon, il faut choisir quelques exemples, sinon ce texte sera trop long.
D’abord, ma grande tante « Alice », institutrice dans les petits villages de Charente autour de la ville de Mansle, elle a enseigné des années 1920 à la fin des années 50 et être instit dans ces années-là surtout dans un village, c’était une personne importante entre le maire et le curé.
L’institutrice ou l’instituteur étaient respectés et écoutés. Elle ou il dispensaient le savoir.
Petit, je me souviens de la liberté de gambader dans la campagne pendant les vacances d’été, mais il y avait une condition : travailler la lecture, le calcul et plus quelquefois au moins pendant une heure.
Adolescent, elle me fit découvrir la poésie de Villon aux Romantiques. D’ailleurs j’ai conservé le livre qu’elle m’avait offert, tiré de son impressionnante bibliothèque, c’était une personne très intéressante et cultivée avec qui il faisait bon discuter.
A l’école primaire, je me souviens surtout de Mr Maillard que j’ai eu pour ma dernière année scolaire en primaire. C’est le seul instituteur qui réussira à me faire travailler et sortir de ma flemme pour être dans les meilleurs élèves de la classe. Que dire de plus ; avec lui en classe, j’ai découvert la passion pour la musique et la guitare et les chansons de Brassens.
Au Lycée Technique, tous les professeurs ont eu un excellent enseignement envers le lycéen que j’étais, mais ma mémoire de cette époque se régale de ce souvenir de quelques-uns d’atypiques.
Mr Marti et son accent du midi alors quand nous étions en cours avec lui et que le sujet était « Les lettres de mon moulin ». Nous avions l’impression d’être en vacances en Provence.
Mais je le remercie surtout de nous avoir enseigné l’amour de la poésie et surtout deux superbes poèmes que tout le monde devrait lire dans ces temps troublés : « Un Songe » de Sully Prudhomme et « Liberté » de Paul Eluard.
Mr Yong, féru de montagne, mais surtout ses cours d’histoire –géographie, était théâtralement mis en scène.
Mr Legoff, professeur de Français, je lui dois beaucoup, c’est celui qui a décelé en moi cette envie d’écriture. Oui, il m’a aidé et poussé dans cette grande aventure du plaisir d’écrire, dissertation, exposés divers mais surtout mon meilleur souvenir, un exposé sur le jazz des origines à nos jours.
Alors, pour rendre hommage à tous ces passeurs de savoir, ces éclaireurs de conscience, nous devons préserver coûte que coûte cette lumière de la connaissance, du savoir, de la culture pour apprendre et comprendre .
Juste une petite chanson de JJ Goldman pour terminer ce petit texte en forme d’hommage :
« C’était un professeur un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir
Que l’école et le droit qu’a chacun pour s’instruire
Il y mettait du temps du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours des grandes théories
A sa tâche chaque jour on pourrait dire de lui »
« Il changeait nos vies « .
De Nicole de Belgique
LES ROIS DU CARREAU
César Rinaldi régnait en maître sur le boulodrome situé le long du fleuve.
Son surnom “Le Roi du Carreau” lui venait de sa spécialité “faire un carreau” – la boule qu’il tirait prenait pile la place d’une autre.
Ses commensaux criaient ” tu as pris à carreau, ça tombe à pic”.
Mais ce jour-là, César s’ennuyait, plus rien à prouver, gagner le lassait, mais perdre hors de question.
Aussi se promenait-il le long du chemin de halage.
Au loin, les terrils témoignaient du passé minier de la commune.
Son grand-père lui avait expliqué l’embauche du matin par un contremaître bourru qui désignait ceux qui descendraient dans la mine.
Lui, costaud, un brin enrobé restait souvent sur le carreau.
“carreau, carreaux” lui trottait dans la tête. La solution lui apparut, il fabriquerait du carrelage.
Ses aptitudes en dessin lui permirent la mise à carreau – le report de motifs permettant de reproduire des dessins sur des carreaux de terre cuite.
Il devint le premier Roi du carreau.
Sa réussite fut fulgurante, la richesse frappa à sa porte.
Son père, avec la restauration des maisons ouvrières et des fermettes, continua à plus grand échelle et augmenta l’opulence de la famille.
Et César héritait de tout. Dans sa tête trottait ” Tiens-toi à carreau des carreaux”.
Une envie d’autre chose, d’un challenge.
Pourquoi pas la peinture ? Les Beaux-Arts.
Une réussite encore.
Il devint célèbre grâce à son arlequin déstructuré.
Encore des carreaux, à l’envers, appelés losanges.
De Laurence de France
L’envie d’ailleurs
« Mince à la fin, ce n’est pas parce que ta mère est accro aux médocs et t’oblige à te tenir à carreau et que ton père aboie tout le temps, que tu dois les laisser tomber », dit Paulin à son voisin, et de surcroît, son meilleur ami.
« Oui, t’as raison, mais là, la situation, ça tombe à pic. Je veux me barrer moi ; j’en ai marre de mes vieux. Toujours sur mon dos. Flûte, j’ai quand même 25 ans et je peux décider de ma vie au lieu de vivre dans les traces de ma famille. J’peux rien faire sans en avoir un qui surveille tous mes faits et gestes. Comment veux-tu que j’trouve une femme dans ces conditions. Y’en a aucune qui voudra de moi ou alors elle m’obligera à vivre ailleurs. Et pis, ils vont être sur son dos tout le temps ; elle fera jamais rien de bien comme ils veulent. Paulin, j’vois pas de solution, je sais pas quoi faire », dit le pauvre Germain en pleine rumination.
Germain en était là de ses réflexions, qu’il ressassait tout le temps. Agriculteur de père en fils depuis des générations, il ne voyait pas comment se sortir de ce milieu qu’il ne supportait plus. Pas de copine, un seul ami, pas de sorties, rien, il ne connaissait rien de ce qu’on appelle communément « la vraie vie ». Il n’était jamais parti en vacances, ne savait pas ce que c’était qu’une boîte de nuit. D’ailleurs, il n’avait jamais vu une fille de près. Ses seules distractions se résumaient à ses tours de quad dans ses champs et à sa console de jeux vidéo. Il regardait bien des films pornos sur Internet de temps à autre, histoire de savoir comment c’était fabriquée une femme et comment on faisait le chose quoi. Il faut bien se distraire !
Germain n’avait jamais fait venir de copains d’école chez lui. Il ne savait plus trop pourquoi. L’école, pour lui, c’était le calvaire. Il était souvent le bouc émissaire des autres, se tenant toujours à l’écart. Sa mère avait bien essayé de l’intégrer et il avait fait du cheval quelque temps. Le cheval, ça allait, mais l’enfer, c’était les autres et la monitrice lui aboyait dessus parce qu’il faisait tout de travers.
Dans sa famille, on ne parlait pas. On beuglait, éventuellement on se tapait dessus, mais on n’utilisait pas de mots. Les mots, ça leur faisait peur à tous. Son grand-père se soulait tous les matins et soirs au café de la ville d’à côté. Il avait une voiture à son âge que pour aller au bistrot. Toujours bourré. Et bourru en plus.
Son père ne pensait pas, il n’aimait personne non plus, surtout pas les femmes du voisinage qui avaient osé acheter une maison seule. Il lui avait appris, depuis que Germain était tout gosse, à enquiquiner les voisines, juste pour le plaisir de leur nuire. Il était méchant comme une teigne. Un héritage de famille.
Il avait même tué des chiens avec des boulettes de viande empoisonnées avec les voisins d’avant. Sans compter les chats séquestrés et égorgés. Germain rigolait de tout ça tout gamin. Mais, maintenant, il n’en pouvait plus. Cette violence, ces mesquineries, ces non-dits. Il voyait bien que chez les autres, ça ne se passait pas comme ça.
Germain rêvait d’un ailleurs sans sa famille, loin de sa famille, mais c’était quasi impossible. Il ne pouvait pas laisser tomber ses vignes et ses champs ; c’était son héritage, un bel héritage de plusieurs hectares, mais il était bel et bien coincé.
Rêver, il ne lui restait plus que ça pour sortir la tête de l’eau. Il avait bien essayé de leur dire qu’il voulait louer un studio en ville. Ils ont hurlé au scandale dans sa famille, qu’il allait jeter l’argent par les fenêtres. Mais, à quoi bon garder tout cet argent alors qu’ils n’en faisaient rien ?
Les parents de Germain aimeraient avoir l’air, mais ils n’avaient pas l’air du tout. Ils ne vivaient pas, ils trichaient. Sa mère ne disait rien, elle fumait ses clopes pour compenser et se gavait de médicaments, de toutes les couleurs, qu’elle prenait au hasard dans un bocal. Le père s’abreuvait comme un idiot devant les infos en continu, n’en comprenant que la moitié. Il se foutait pas mal de qui se passait dans le monde. Il ne sortait jamais de son coin.
« Ouiais, » dit Germain, « j’suis bloqué dans mon trou, je peux rien y faire, j’ai pas tiré la bonne carte, que veux-tu ! C’est pas la peine que j’aille voir une voyante me tirer les cartes, je sais d’avance ce qu’elle va me dire. J’essaie de leur annoncer la couleur à mes vieux, ils comprennent rien et gueulent tout de suite. Tu sais Paulin, le jeu n’en vaut pas la chandelle en fin de compte. C’est toi qui as raison. Je suis sous la coupe de ma famille, je peux rien y changer mais je peux pas les laisser tomber comme ça. Je rentre à l’barraque, je suis grave à la bourre pour la soupe ! ».
« LIBERTE » de PAUL ELUARD
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)
Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit)
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