La proposition d’écriture N° 96 a fait ressurgir des souvenirs douloureux, où le passé a ressurgi avec force.
Entre souvenirs d’école, nouveaux souvenirs créés et combat d’idées, vous avez le choix.
Mais, reste que la France est un des seuls pays que je connaisse à sacraliser l’orthographe de cette façon. Que de souffrances cachées derrière cette matière, passées, présentes et à venir! C’est terrible!
Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture.
De Maddy
Souvenir d’école
A l’école ma sœur aînée, de deux ans, était une fille très douée, très sage très studieuse, avec beaucoup de facilités en orthographe …
Moi tout le contraire, oubliant toujours quelque chose n’arrivant pas à me concentrer, clown pour amuser la galerie. Tous les prétextes étaient bons pour éviter d’être interrogée.
Se cachait derrière cette désinvolture une cadette dévalorisée par sa mère .
Ses mots préférés : tu n’arriveras jamais à la cheville de ta sœur ,tu es une bonne à rien à part manger plus que ta part …
Souvent punie et à me farcir les corvées parce que ma sœur devait apprendre ; moi cela ne servait à rien. Les bêtises s’accumulaient …
J’étais donc régulièrement éloignée de la maison chez une tante, chez qui je me sentais bien ; une chambre était réservée aux livres , bandes dessinées , du choix à perte d’yeux ….
Ma famille ne me manquait pas …quand mon père rentrait de mer trois jours par mois, c’était pour me corriger, me mater, disait-il ! Et en son absence j’étais le souffre-douleur .
Et puis plus tard …
J’ai découvert un livre : « vipère au poing » .
Révélation !!! Quelqu’un écrivait qu’une mère pouvait être méchante et injuste !!!
Tout a changé pour moi. Ensuite, j’ai décidé ce jour-là que ma Falcoche à moi allait comprendre que je ne me laisserais plus faire. Je suis allée au CDI du collège, j’ai pris le livre et en rentrant, je l’ai mis sur la table de nuit de ma mère.
Je n’ai jamais eu de retour de sa part sauf une belle torgnole qui m’a fait valdinguer en bas de l’escalier. Pompiers, hôpital, bleus, bras cassé ….
J’avais mal mais je savais que j’avais gagné une bataille …
Je vous passe beaucoup d’épisodes douloureux .
J’ai pardonné ..
J’ai soixante-cinq ans, trois enfants ,quatre petits-enfants. Des livres oui, j’en ai , de l’amour, oui je en ai. J’aime l’orthographe. Oui, un livre m a sauvée
Elle est pas belle la vie ?????
De Nathalie
Oh combien cette matière me déplaisait
Régulier, irrégulier, quelle terminaison lui donner
Tréma, accent circonflexe, accent grave, accent aigu
Hibou, caillou, chou, genou
Oui tout se mélangeait dans ma tête
Grandir et apprendre, fut ensuite un plaisir
Relire, réfléchir, comprendre, étudier
Admettre que l’écriture contribue
Pour moi à transcrire, mes angoisses, mes pensées
Harmonieusement j’écris, je relate, je compose
Et pour la vie, écrire est mon désir
D’Isabelle
L’orthographe ? Jamais eu de problème !
Une professeure de français disait qu’on l’avait…ou pas, question de karma ? Une autre nous faisait faire chaque mois une séance de révisions et une dictée, question d’habitude !
En tout cas, mystère !
Le jour de la dictée télévisée ou radiodiffusée lue par Pivot, celle dite “de Mérimée”, nous étions nombreux assis autour de la table, grattant fébrilement. Un cousin avait tout écrit en phonétique – ou presque ! – une faute par mot. Les autres étaient à l’avenant. Mon grand-père et moi avions fait deux ou trois fautes chacun et à son air gêné, je savais qu’il en concevait, comme moi, grande honte. Honte d’avoir commis des erreurs, gêne extrême d’avoir écrasé le reste de la famille. D’ailleurs, nous fûmes copieusement raillés d’être si talentueux dans cette science des ânes. J’étais confuse, consumée par l’envie de n’avoir jamais participé à ce piège.
Depuis, j’ai appris à apprécier les ânes. Puis, j’ai rencontré le clavier et si je ne commets que très très rarement une faute d’orthographe, mes doigts hâtifs m’entraînent, je fais des fautes de frappe.
Un beau jour, j’ai lu “Eats, shoots and leaves”, de Lynne Truss, qui est une maniaque de la ponctuation. Je me suis sentie moins seule.
Certains pourraient croire que, comme les dents, la maîtrise de l’orthographe est un marqueur social. Rien n’est moins sûr, à mon avis.
De Lucette
Souvenir liés à l’orthographe
J’ai connu un homme analphabète, né au début du siècle dernier. Ainé d’une famille de onze enfants, pas question pour lui d’aller s’instruire à l’école.
Son père surveillait ses enfants comme un espion. A la moindre bêtise, la moindre erreur, c’était la bastonnade. Ce père-là était pépiniériste et maquignon, c’est-à-dire vendeur de chevaux, et aléatoirement de bœufs. Il était respecté, puisqu’il était fort et puissant. Si quelqu’un lui résistait, il n’avait aucun scrupule à l’écraser de quelque manière que ce soit…
Il s’enrichissait en traitant ses enfants en esclaves, beaucoup de travail, pas beaucoup de nourriture, et surtout pas d’école. Lui, mangeait à chaque repas des fruits récoltés dans ses champs, mais eux, il les surveillait tels des prisonniers. Il ne leur était pas permis de « voler un fruit » sinon ils recevaient une rafle de chevrotines dans les jambes ou les fesses.
Ses enfants bien sûr ont connu la guerre de 1914-1918, avec son lot de misère, je n’entrerai pas dans certains détails sordides. Donc, pas d’école…
Les années sont passées, ses enfants sont partis fonder leur propre famille, en gardant des séquelles dues à leur illettrisme. Chacun a eu un destin différent, mais tous ont eu beaucoup d’enfants. Ça s’appelle la transmission…
L’aîné dont je vous ai parlé plus haut, s’appelait Albert. Il s’était marié avec une jeune femme prénommée Jeanne. Dix enfants sont nés de cette union. Jeanne a voulu apprendre à lire et à écrire à son mari. Elle-même a eu une enfance terrible, elle a appris l’alphabet et à tenir un crayon quasiment toute seule. Donc, la voilà à lui tenir la main pour lui qu’il passe par-dessus les lettres écrites au crayon, il faisait de son mieux avec bien des difficultés. Pour lire, certainement que sa méthode n’était pas très efficace, car elle n’a absolument rien obtenu de lui. Il avait honte, mais la honte devait être pour son père, pas pour lui, mais ça il ne le savait pas à cette époque-là. Bref, un jour il a décidé de tout arrêter restant pour toujours dans l’ignorance. Il n’a jamais connu le bonheur de s’instruire en lisant et en écrivant.
Du coup, il était limité pour trouver du travail. Impossible d’accéder à un emploi enrichissant, ne comprenant rien à ce qui se passait autour de lui. Il a donc fini cantonnier, là, pas besoin de diplôme, c’était pour « les bas de classe » …
Ses propres enfants grandissaient, tous obligés de travailler dur dans les jardins pour nourrir la famille pendant l’hiver, et faire du bois pour l’hiver dans les forêts après autorisation bien sûr. Mais le plus dramatique, c’était qu’il reproduisait ce qu’il avait subi. Il ne voulait voir aucun de ses enfants avec un livre dans les mains. Pour lui, c’était de la fainéantise, ça ne servait à rien. Pourtant, plusieurs étaient brillants, mais rien à faire, ils ont tous quitté l’école à 14 ans, ils devaient ramener de l’argent. C’était son obsession, sa priorité, ramener de l’argent…
Toi l’horrible maquignon, tu étais mon grand-père. Toi Albert et toi Jeanne, je vous ai bien connus puisque vous étiez mes parents. Plus de grief contre vous maintenant. « Paix à vos âmes ». Mais nous « enfants des bas échelons », avons cassé cette chaîne contagieuse qui entraîne toujours vers le plus bas. Nous avons compris que les enfants ne doivent pas payer les erreurs des aînés. Nous nous sommes battus et avons combattu ce sort avec acharnement pour que vous, mes chers enfants vous ayez une vie moins lourde à porter que la nôtre.
Moi, j’adore le français grâce à Madame Léognany, ma maitresse qui restera à jamais dans mon cœur. Ma fille me signalait les fautes d’orthographe quand j’écrivais. Chaque fois, je luis disais, moi, j’ai quitté l’école malgré moi à 14 ans pour travailler en usine. Un véritable supplice, j’avais d’autres ambitions, je les aies donc mises au service de mes enfants.
Quel chemin parcouru quand on connait ses ascendants, la fille d’ouvrier, qui est ma fille, a réussi à étudier à la Sorbonne à Paris au prix de gros sacrifices pour nous ses parents.
Aujourd’hui elle a un blog. C’est une amoureuse de la langue française, elle aime lire, je la suis, j’aime ce qu’elle écrit, et je suis tout simplement fière d’elle, je dirai même très fière d’elle…Merci la vie !!!
De Laurence
Je n’ai pas pour habitude de régler mes comptes avec certaines catégories de personnes, mais pour cette proposition d’écriture autour de l’orthographe, je me permets de le faire. Il est des ergoteurs, des persiffleurs, des chicaneurs, des pinailleurs et des pointilleux qui montrent du doigt la moindre personne osant commettre une erreur (et non faute !) d’orthographe ! Oh, l’odieux crime que voilà ! Ceux-là (et celles-là !) se permettent d’agir en redresseurs de torts, en intolérants invétérés et s’élèvent en doctrinaires, en dogmatiques fermés, bornés et peu ouverts sur la réalité du monde et de leurs frères humains qui les entourent.
Sans doute, ceux-là ont-ils eu la CHANCE de poursuivre des études littéraires, d’acquérir les bases de la langue française, de contourner ses pièges et ses nombreuses difficultés souvent tordues. Sûrement, dans leur for intérieur, ceux-là se croient-ils supérieurs à tout le monde, au-dessus de la masse, considérant d’un air méprisant les pauvres gueux incapables de maîtriser le français et faisant de leur mieux pour tenter de surnager dans le marasme de l’orthographe dans lequel ils sont englués depuis si longtemps.
Sans doute ceux-là se persuadent que maîtriser la langue française est un don inné, offert par des fées au-dessus de leur berceau à leur naissance, tandis que d’autres ont été oubliés par les bontés divines. La naissance est une loterie et il arrive qu’on tire les mauvais numéros !
Evidemment, ceux-là ont oublié que leurs ancêtres ne savaient ni lire ni écrire en leur temps, et qu’ils ont appris ces compétences grâce à l’Ecole de la République, au prix d’efforts et de règles ressassées et apprises par le travail missionnaire de leurs institutrices et instituteurs.
Assurément, ceux-là considèrent que seuls les membres élus de l’Académie française ont raison et SAVENT ! Alors, ils auront accepté de leur plein gré la lente évolution, depuis sa création par Richelieu au XVIIe siècle, de la langue académique, qui n’a féminisé les noms de métiers, par exemple, que très récemment, en 2020 !
Je les entends d’ici ironiser sur mon pamphlet, se demandant pour qui je me prends. Et ceux-là, pour qui se prennent-ils ? Ils me font penser à la célèbre chanson de Jacques Brel, « Ces gens-là ». Ils ont l’esprit raide, ils ne pensent pas ceux-là, ce n’est pas possible, ils radotent, ils ergotent, ils chicotent, ils chipotent, ils ratiocinent, ils pinaillent, ils discutaillent, ils chinoisent, ils pérorent, ils font le beau et paradent, pensant être si savants! Dès qu’ils aperçoivent une erreur d’orthographe, on dirait que la foudre s’abat sur le (ou la) pauvre hère qui a osé semer le trouble ! Alors, tout bonnement, ils dégainent, surtout sur les réseaux sociaux, bien tapis derrière leurs écrans d’ordinateur, n’ayant que cela à faire apparemment, comme les personnes qui regardent derrière leurs rideaux lorsqu’on passe dans leur rue : ils ont le temps pour abattre les autres, les rabaisser, les critiquer, les juger, les railler de toute leur grande hauteur ! Mais, à l’inverse, on ne les voit jamais écrire eux-mêmes ceux-là : pour quelles raisons ? Craignent-ils des représailles ? Aux yeux de ceux-là, seule l’orthographe compte, érigée comme une déesse sur l’autel haut en couleurs de la langue française ! Ceux-là, ont-ils été élus par une divinité supérieure pour s’ériger en gardiens du temple de la Langue française ?
Il y a quelques mois, sur mon blog, une personne comme ceux-là du nom de M s’est permise de se faire redresseuse de torts à mon égard. J’avais commis une erreur, mais qui est en passe d’être largement utilisée à l’oral dans la langue courante. J’ai eu droit à un courriel de représailles aimables au départ. Puis, comme j’ai rétorqué que l’usage faisait aussi la règle, ne voilà-t-il pas qu’elle a demandé à son fils, ingénieur de surcroît, de scanner la règle concernant cette erreur en bonne et due forme et d’ergoter là-dessus. Il m’a fallu plusieurs courriels pour lui signifier que je n’avais pas de temps à perdre pour ce genre de persiflage. Par contre, elle n’envoyait pas de texte. A quoi bon tout de remue-méninges pour me signifier que c’était une honte pour un professeur comme moi de commettre un tel outrage à notre si belle langue? Pourquoi ceux-là qui montrent les impies de leurs dix doigts n’ont-ils pas un neurone sympathique parmi les milliards qu’ils possèdent normalement pour tolérer les semblables avec leurs défauts?
Je suis fière d’énoncer que je suis issue d’une lignée d’aïeux qui ne savaient ni lire ni écrire. Ma grand-mère maternelle, d’origine basque, ayant vécu une enfance épouvantable au début du XXe siècle, a appris à lire et à écrire adulte toute seule, sans l’aide de personne. J’étais heureuse, adolescente, qu’elle me prête des livres qu’elle avait lus, même si cela n’était pas de la grande « littérature » comme il est communément admis. C’était de la littérature !
J’éprouve de la compassion pour celles et ceux qui ont toutes les peines du monde à suivre les règles vicieuses parfois de la langue française, pour les dyslexiques et les dysorthographiques, pour qui le français est un labyrinthe nébuleux, pour ceux dont le milieu familial et les origines sociales modestes ne leur permettent pas de s’élever dans la hiérarchie de la langue, quand bien même ils adorent lire. Je sais que certains sont conscients des souffrances qui se cachent derrière certaines pathologies, faiblesses ou retards accumulés.
Je suis fière de vivre aux côtés d’un homme qui aurait voulu maîtriser les règles du français, mais pour des raisons aux facteurs multiples, il peine devant les remparts infranchissables que représentent les nombreuses règles et s’échine pourtant à vouloir bien faire. Il n’avait personne dans son entourage familial ou scolaire pour l’aider à s’améliorer. Par contre, c’est un as du bricolage et il retape toute notre maison. Ceux-là sont-ils capables d’exceller dans un domaine ou un autre sans s’en enorgueillir ?
Je suis fière aussi d’enseigner auprès d’élèves plus ou moins rejetés par le système scolaire qui a encore trop tendance, même de nos jours, à mettre dans des cases rigides ceux qui éprouvent plus de difficultés que les autres à apprendre et à comprendre. Ma priorité des priorités avec eux est de les faire réfléchir, de leur permettre d’exprimer une opinion, de s’ouvrir à la culture, de développer leur curiosité. Tout cela me paraît tellement plus important que d’entourer au rouge toutes les fautes commises à l’écrit, les stigmatisant encore plus, les décourageant au possible. Bien sûr, il est nécessaire de les faire progresser en français, mais avec bienveillance, en leur offrant la possibilité de reprendre confiance en eux pour avancer sur leur chemin de vie.
Je ne saurais terminer ici mon propos sans référer à mes parents, sans qui rien n’aurait été possible. Enfants eux-mêmes d’ouvriers analphabètes, illettrés ou peu lettrés, j’ai accompli, grâce à leur ténacité et leurs privations, les études de mon choix, qui a fait leur fierté et qui aura également été leur revanche sur leurs origines modestes. Ils ont fiers de moi et moi, je suis fière de leurs sacrifices, qui m’ont permis de m’élever quelque peu !
Pour conclure, je laisse donc ceux-là à leurs railleries, à leurs attaques absurdes d’un autre temps, à leur dédain méprisable, à leur gausserie maladive et à leurs affronts irrévérencieux et je leur tire ma révérence linguistique et orthographique avec un joli pied de nez, bien aussi long que celui qu’arbore notre véhément Cyrano de Bergerac!
De Nicole
En préambule
« Je préférerai toujours les gens qui s’expriment en faisant des fautes d’orthographe à ceux qui les jugent en faisant des fautes d’humanité », Claude Semal, chanteur.
Le besoin permanent de corriger les fautes d’orthographe de quelqu’un est un type de TOC.
Petite, à l’école primaire les fautes d’orthographe étaient très mal vues.
Préparation de dictées, copier les mots fautifs 20 fois…
Convaincue dès mon plus jeune âge, je lisais, je lisais, le soir après l’école une ou deux pages du Petit Larousse.
Petite fille laissée à elle-même, je fréquentais la Bibliothèque des enfants de ma ville, j’empruntais des livres, je les dévorais.
En Primaire, mes notes de français frôlaient le 9/10 et les TB écrits en rouge. J’en étais fière.
En Secondaire, pareil.
Pendant longtemps, j’eus peu de clémence envers les orthographes défaillantes, y compris avec mes enfants.
Vieille dame devenue, il m’arrive d’oublier les S du pluriel. Que dire des doutes sur l’accord des participes passés des verbes pronominaux, que de pièges dans la langue française !
Et quelle galère parfois avec les correcteurs qui nous mettent un mot pour un autre. Vigilance de mise.
Dernièrement, il m’est arrivé de faire les dictées vocales du magazine “Le Point” parfois bien difficiles, avec des tournures de phrases alambiquées, des mots rares…
Je me suis régalée malgré les immanquables fautes;
“mes qui invantera la gom qui efface les fôtes d’ortograf ?”
De Karine
Qui a eu cette idée folle,
Un jour d’inventer l’école
Chantait France Gall,
Pour ma part, je me demande plutôt
Qui n’avait rien dans le bocal,
Pour inventer la méthode globale !
À cinq ans, je suis allée à l’école, dans le village de mes grands-parents avec ma tante, elle était en CM2 et moi en classe enfantine. Cette année-là, c’était l’année des changements. En fin d’année scolaire en juillet, je savais lire. Pendant les vacances, j’ai appris à lire la musique avec Vincent, le nouvel amoureux de ma maman qui était musicien. Un joueur de flûte traversière qui allait devenir mon papa. J’ai déménagé dans une nouvelle maison, quittant le village de mes grands-parents. En route pour de nouvelles aventures !
Septembre est arrivé et me voilà en CP. Je savais lire et j’étais la seule de la classe. Je n’étais pas peu fière. Je reconnaissais tous les mots que j’avais appris l’année dernière. J’étais en avance sur les autres, ce qui me permettait de rêver, de regarder par la fenêtre et d’imaginer une multitude d’histoires. Je trouvais que j’avais un instituteur génial. Un instituteur qui ne donnait quasiment jamais de devoirs mis à part 5 mots à apprendre et une poésie une fois par mois… Un instituteur qui nous octroyait 1 h de récréation, voire plus chaque matin et chaque après-midi. On en profitait pour faire un petit match de foot de 60 minutes, à chaque récré… C’était vraiment génial !
J’ai connu « le lièvre et la tortue » de La Fontaine avant de l’apprendre, car j’en ai été actrice à ma façon. Eh oui, du fait que j’étais en avance, je me suis reposée sur mes lauriers, et mes camarades les tortues ont fini par doubler le lièvre que j’étais. Moi qui étais en avance, j’ai fini par être en retard. On était en pleine période de test de cette nouvelle méthode innovante, révolutionnaire, soi-disant géniale ! Elle a aboli le déchiffrage, la décomposition, la vieille méthode syllabique au profit d’elle-même ! Une magnifique méthode débile et inconsciente. Elle consistait à enseigner la lecture par la visualisation de mots sans passer par l’apprentissage des lettres et des syllabes. Un peu comme si, sans avoir appris les mouvements de base pour nager, on vous plongeait dans le grand bain d’une piscine. Cette méthode donnait à ceux qui l’ont pratiqué l’illusion de savoir lire parfaitement et surtout rapidement, mais au bout d’un moment une grande désillusion vous ramenait à la réalité…
Quand vous n’aviez pas appris un mot, il vous était impossible de le prononcer, puisque vous n’appreniez pas à lire en fait, mais à reconnaître les mots.
Pour mettre en image la méthode globale voici quelques exemples :
– la différence entre mouton et bouton n’est pas si évidente que cela. (Il n’y a que la première lettre qui change au final.)
– si vous avez appris les mots pluie et paramètre quand vous voyez le mot parapluie, vous êtes dans l’incapacité de lire ce mot. Vous n’avez appris que visuellement, vous ne connaissez pas les syllabes, ni le décorticage… Ça paraît fou, et pourtant, c’est vrai…
Le but est de visualiser un maximum de mots, pour pouvoir lire le plus normalement possible… Et quand on ne reconnaît pas un mot, on le saute. Mais ça va un temps, après on est vite dépassé…
Et c’est pour cela que je dis toujours que j’ai appris à lire la musique avant le français. Dieu merci, la méthode globale pure a été abolie. Fort heureusement, elle laisse sa place à la méthode syllabique qui a fait son grand retour ou à la méthode mixte, celle que mon fils a apprise.
J’ai cumulé à cette méthode idiote des petits problèmes psy, dûs au divorce de mes parents, à une absence totale de mon père, à un déménagement. À cela s’ajoute un enseignement footballistique plutôt que scolaire.
Il a fallu que j’apprenne moi-même la méthode syllabique pour avancer dans l’apprentissage de la langue écrite. Cette méthode, je ne l’ai jamais vraiment apprise. J’ai compris au fur et mesure que je demandais à mes parents : “c’est quoi ce mot-là ?”. Ils me montraient les syllabes en les prononçant comme pour le mot ‘pa-ra-pluie’. Je finis par lire, avec les syllabes, mais à la vitesse d’un escargot et le retard s’accumulait. La grammaire, la conjugaison, la tournure des phrases, et les autres matières se sont rajoutées et je me suis noyée.
À tout cela, s’ajoute le premier paradoxe de ma vie. Les livres et la lecture. D’un côté, un goût prononcé pour tous les livres, je trouve que c’est un objet magnifique, beau, respectable, chargé d’histoire en tous sens, voire magique. De l’autre, je n’ai jamais aimé lire, c’était une punition, une corvée interminable, je n’en voyais jamais la fin. Je préférais faire du vélo, jouer au ballon, aider mon grand-père à faire du bois, construire un mur en agglo pour poser du grillage, travailler dans le jardin ou faire des conserves avec ma grand-mère. Je me souviens d’avoir reçu des fessées, car je ne lisais pas pendant les vacances scolaires. J’avais pourtant une histoire et un livre que j’aimais : « la petite Dorite », ou « Jacquou le croquant »… Mais c’était une vraie torture.
Mes parents avaient discuté avec mon instituteur génial au sujet de la lecture, qui leur avait répondu que c’était normal, même sa fille avait des grosses difficultés, alors… Avec mon instituteur génial, je m’en suis sorti jusqu’en CM2 sans trop de problèmes, puisque notre occupation première était le foot, ou la balle au prisonnier… Mais en arrivant en sixième, là, c’était une autre paire de manches ! Je me souviens encore de ce que la prof principale nous avait dit le premier jour : “Ali, Karine vous venez de l’école Louis Blanc, ne vous inquiétez pas, vous allez redoubler, c’est normal. Vous êtes très bon en sport notamment au foot, mais vous ne savez presque pas lire, et vous avez plein de lacunes dans toutes les matières. Ce n’est pas de votre faute, on est habitués, mais il va falloir travailler très très dur pour avoir un redoublement utile.” Je venais de me prendre une douche froide, voir glaciale !
Je suis rentrée en pleurs à la maison expliquant à mon père ce qu’avait dit la prof principale. Le lendemain, il avait pris un rendez-vous pour s’expliquer avec elle. Il est rentré et m’a dit : “Il va falloir bosser. Fais ton maximum, t’occupe pas du redoublement.”
J’ai bossé, bossé, je n’ai rien lâché. J’ai continué à bosser jusqu’à la fin pour finir par redoubler, en sachant que cette année, j’avais à peine rattrapé le niveau que j’aurais dû avoir en début d’année scolaire. J’étais arrivée en sixième en ne sachant pas faire de division ni de multiplication, ni de géométrie, ni de vraie dictée, juste des dictées de mots préparés, ni de rédaction sauf celle où il fallait raconter les vacances d’été, très peu de science et guère plus d’histoire…Ali aussi a redoublé, comme tous les élèves de cette école, venus avant et après nous. C’était écrit, c’était notre destinée… Maintenant, quand j’y pense, pas du tout génial cet instituteur !
L’année suivante, j’ai continué à bosser pour essayer de remonter la pente, j’ai continué en y croyant tant que je pouvais. L’année de ma cinquième, avant le déménagement prévu pour un autre département, avant les vacances de la Toussaint, ma vie a basculé à 13 ans. Ce jour, où d’enfant, je suis devenue femme malgré moi par la force et sans mon consentement. J’ai caché à mes parents ce qui s’était passé et je me suis réfugiée dans l’école, les devoirs. L’école, les devoirs occupaient tout mon temps. J’essayais de rattraper le retard, mais en même temps, je n’étais pas très concentrée. J’ai continué à cumuler des problèmes psy, mais plus gros cette fois-ci. J’avais souvent la tête ailleurs, j’avais plus envie de mourir que d’exceller en orthographe. Je colmatais ma douleur, mon mal-être avec la musique de mon walkman dans les oreilles.
Mon manque d’attention, ma lenteur, pour lire m’ont joué des tours en français, mais aussi dans les autres matières. Je n’arrivais pas à tout lire par manque de temps, donc je ne répondais pas à toutes les questions, ou je n’avais pas le temps de faire le résumé ou la démonstration. La difficulté énorme à apprendre par cœur ne m’a pas facilité la tâche. Je me souviens des moins deux, moins cinq points ou plus sur les rédactions, à cause des fautes, ce qui entraînerait une moyenne basse. Je me souviens d’une année où j’avais à peine 11 de moyenne en expression écrite, mais la prof m’a rappelé que si je rajoutais les points supprimés pour les fautes, je serais à plus de 16 de moyenne, une des meilleures de la classe. Elle a cru bon d’ajouter : ” C’est dommage d’être si nulle en orthographe quand on sait écrire comme vous. Il serait peut-être temps de faire des efforts, mademoiselle ! Quel gâchis !”. Sa voix cinglante et froide résonne encore dans ma tête après toutes ces années.
Je me souviens d’avoir adoré l’année de seconde, juste parce que la dictée n’existait plus, enfin ! La note de zéro ne salissait plus mon carnet par la même occasion.
À un moment de ma vie, je voulais être journaliste ou avocate, mais je suis vite revenue à la réalité, mon handicap en français était un frein majeur, il fallait que je redescende sur terre, il fallait un métier avec moins d’écriture, quelque chose où l’on ne verrait pas trop mes lacunes. J’entendais souvent la même phrase “d’encouragement” marteler mon esprit. « Tu seras caissière à Carrefour si tu continues…”. L’année de ma terminale, j’ai tout abandonné, je voulais redoubler, me laisser du temps pour trouver quoi faire de ma vie, ou plutôt je voulais crever. Tout ce que je savais, c’est que je ne voulais pas être caissière à Carrefour, je voulais démontrer que je n’étais pas qu’une merde ! Sans trouver quoi faire, j’ai poursuivi tant bien que mal mes études jusqu’au BAC. Où peut-être que ce sont les études qui m’ont poursuivie… Bref, j’ai quand même eu mon BAC au rattrapage. N’ayant rien préparé, j’ai fait des petits boulots, puis quelques années après, j’ai passé un concours où le français n’était pas éliminatoire. Je suis rentrée à la Poste.
Plus tard, j’ai rencontré mon chéri, qui m’a toujours aidée pour corriger mes fautes d’orthographe, de grammaire ou de conjugaison… Puis, au fur et mesure, j’ai appris et j’apprends encore. J’ai relu des règles élémentaires, j’ai trouvé des sites d’exercices pour essayer de progresser, j’ai étudié quand mon fils est rentré à l’école, ça craint d’être moins bonne que son gamin. Je me suis forcée à lire pour lui au début et ensuite pour moi. J’ai fait quelques séances avec une orthophoniste en tant qu’adulte, j’ai appris qu’il y avait une légère dyslexie. Maintenant, tous les gosses vont chez l’orthophoniste, mais à mon époque, je ne sais même pas si ça existait, dommage…
J’ai évolué dans mon métier, avec des postes où j’écrivais de plus en plus, à des clients et des directeurs, des mails, des rapports, la pression était de plus en plus forte pour moi, car j’ai un deuxième paradoxe dans ma vie. J’ai toujours fait des fautes, parfois énormes, mais j’ai toujours eu horreur d’envoyer un mail ou une lettre bourrée de fautes. Je me souviens d’un cadre supérieur qui envoyait des mails même à la direction avec des fautes encore plus grosses qu’un éléphant assis sur un soleil en haut de la tour Eiffel… Il arrivait à me choquer, moi, mais lui ça ne le dérangeait pas. Je ne sais pas comment il faisait. Moi, j’essayais presque toujours de trouver quelqu’un pour relire avant d’envoyer. C’était inconcevable que j’envoie un texte truffé de fautes. Et quand, parfois, je ne trouvais personne, je relisais encore et encore, corrigeant une par une les fautes que je voyais, en espérant qu’il n’y en ait plus une seule au moment où j’envoyais ce maudit mail. C’est vrai qu’à 6 h 30, c’était plus difficile de trouver quelqu’un, on n’était pas nombreux à cette heure-là.
Je me souviens d’une fois, quelques instants plus tard après avoir envoyé un mail non relu par un tiers, j’ai vu Jean-Claude, mon patron qui passait en me disant :”Alors vous êtes fâchée avec le participe passé.” A ces mots, je savais que j’en avais laissé au moins une, j’étais gênée et vexée. J’avais les larmes aux yeux et un sentiment de honte m’envahissait. C’est pourquoi, la fois suivante, j’ai imprimé le mail, je suis allée voir Jean-Claude en lui disant :
– Je sais que je suis nulle, mais j’ai horreur d’envoyer un texte plein de fautes. Je n’ai personne pour relire, à part vous. Est-ce que vous voulez bien corriger avant que je passe pour une merde qui ne sait pas écrire sans faire de fautes ?
-Hé, ça va. Ce n’est pas grave, c’était juste pour vous taquiner, l’autre fois. Vous me connaissez, non ? Vous n’êtes pas la seule à faire des fautes, et sûrement pas la pire.
-Oui, je vous connais, je sais que ce n’était pas méchant. Mais moi, je me sens comme une moins-que-rien, une merde, quand ça m’arrive.
-Ok, je vais vous corriger ça. Aucune faute ! Parfait !
-Ok, je l’envoie à la direction. Merci, Monsieur.
J’étais fière de n’avoir fait aucune faute. J’étais contente d’avoir pu avouer mon handicap. J’étais heureuse d’avoir trouvé un correcteur hors pair pour les prochaines fois. Je me souviens encore de votre regard et de votre attitude bienveillante. Je voulais encore vous dire : Merci Jean-Claude !
Plusieurs années après, à la suite d’un burn out, j’ai intégré un atelier d’écriture en lien avec l’hôpital… On écrivait, puis on lisait nos textes devant les autres. C’est une chose difficile au début, surtout que j’avais honte de lire et de buter sur plus de la moitié des mots. Depuis la sixième, c’était une phobie, j’essayais toujours d’esquiver cette lecture à haute voix qui était pour moi une torture ! Une autre torture était la prise de notes, très difficile, trop rapide…On ne guérit pas, on apprend à faire semblant, pour faire bonne figure. Nous avons appris à poser notre voix, à prendre notre temps pour lire et avec les retours constructifs, c’est devenu plus facile, et même un plaisir. Dans cet atelier, il y avait tellement de bienveillance et le retour des autres après la lecture faisait tellement de bien que ce moment de partage me manque. C’est cette année-là, que j’ai compris que les mots libèrent des maux. Et la chanson “Les Mots” de Renaud est à mon sens une des plus belles chansons que je connaisse.
Cet atelier m’a fait progresser, car plus j’écrivais, plus je me relisais et essayais de corriger mes fautes. Je faisais cela avec mon chéri à mes côtés pour m’épauler, car ensemble, c’est mieux ! Il avait confiance en moi, il me soutenait, il aimait la façon dont j’écrivais. Il me disait de continuer d’écrire, que c’était beau, touchant, vrai, fort, même intense parfois. Souvent, il versait sa petite larme. Il m’encourageait, il était mon confident, mon correcteur, mon critique personnel. Je l’entends encore me dire que les fautes, ce n’était pas bien grave, qu’il serait toujours là pour les corriger, mais qu’il ne pourrait pas écrire à ma place. Mais aujourd’hui, je suis seule, je n’ai plus mon confident, mon critique personnel, car mon chéri est parti au pays des anges, il n’est plus là pour corriger, avec moi. Aujourd’hui, chaque texte que j’écris, je continue à les lire, à les partager comme avant avec mon fils et mon amour éternel. J’espère que de là où il est, il est toujours aussi fier, qu’il apprécie toujours autant l’écriture de sa grenouille d’amour.
Je remercie ma petite sœur à qui j’envoie mes textes maintenant, et qui prend le temps de les lire et de les corriger, mais pas toujours avant l’envoi du vendredi. J’ai hésité à faire partie de cet atelier d’écriture qui met les textes en ligne, à cause de mes fautes. Laurence m’a rassurée sur ce sujet quand elle m’a dit qu’elle effectuait les corrections avant la publication sur son blog. Merci à vous Laurence !
Avec le temps, j’ai appris que peu importe les problèmes que tu as, peu importe le handicap que tu te trimbales, et même s’il te pourrit la vie, il faut arriver à l’accepter, le surmonter, vivre avec, car de toute façon, la vie n’est pas un long fleuve tranquille.
De Catherine
La lettre à Papi
« bonjour papi Philippe
j’espaire que tu va bien
je técri tout seul
maman elle m’aide pas à phaire la lete
elle peu pa maidé passe quelle et au telaite (comprendre « toilettes ») ».
Quel bonheur, cet écrit spontané d’un enfant en début de CP et donc d’apprentissage de la lecture. Cette lettre truffée de fautes me comble néanmoins, moi, l’ex-enseignante : de par l’intention spontanée d’utiliser l’écrit pour communiquer, mais aussi de par son contenu puéril chargé d’un certain pouvoir sur les mots pour un enfant de cet âge, qui fait des tâtonnements sur la langue, avec ce qu’il sait déjà et ce qu’il ne sait pas encore. Pour exemple, « phaire » a perdu le f qu’il avait d’habitude, parce que c’était la semaine du son [f] de « éléphant » et de « téléphone » ! D’ailleurs, pourquoi existe-t-il plusieurs manières de faire le même son ? Mon petit-fils a dépassé la difficulté de l’acte d’écrire pour envoyer un message à son papi, et moi, ça m’émeut parce que je sais tout ce qu’il a mis de son énergie et de son savoir dans cette missive.
Quand je le garde, on s’amuse à faire des petites dictées à tour de rôle. Quand c’est son tour d’être la maîtresse, je m’applique à faire des fautes (exercice pas si facile que ça !) et je savoure le plaisir qu’il a de les corriger. J’ai tellement le souvenir des dictées-souffrances de certaines de mes camarades à l’école que j’ai envie que la dictée devienne un jeu pour s’interroger sur les mots et soit vecteur d’apprentissage, et non plus de sanction, comme cela le fut du temps de mes jeunes années. Moi, j’ai eu beaucoup de chance, car j’avais complètement, et sans peine, souscrit au Bled et ses règles d’orthographe. Je n’ai jamais vécu les douleurs causées par l’écrit, mais le zéro tombait comme un couperet castrateur pour celles qui n’avaient pas cette connivence avec la sacro-sainte Bible qui ouvrait les portes du bien écrire.
J’aimais tellement l’orthographe que, à la maison, dans le cellier familial qui devenait salle de classe, je devenais institutrice, enseignant les règles aux cageots et cartons, dont Martine, le cageot d’oranges ovale, cancre de ma classe, qui progressa de jour en jour pour , enfin, devenir la meilleure élève.
Mais revenons à mon émotion face aux écrits d’un petit garçon de six ans. Ce qui m’ennuie, c’est que je retrouve exactement la même chose dans ceux des réseaux sociaux, et là, je ne ris plus, car vraiment, ça pique les yeux ! Parce que ce sont des adultes qui écrivent. Oui, la langue française est compliquée, sans doute plus qu’aucune autre, mais que s’est-il passé pour que ce phénomène soit si répandu ? Qu’a raté l’école ? Quid du Bled ? A-t-on trop tôt axé les apprentissages sur des auteurs hors de portée ? A-t-on trop sanctionné jusqu’à dégoûter à jamais de tout effort ? A-t-on oublié de valoriser la lecture plaisir pour que les mots deviennent familiers ? A-t-on tué le plaisir d’apprendre ? Vraiment, je m’interroge et j’ai de la peine.
Certes, l’important, c’est d’écrire. Écrire pour soi-même tolère la défaillance orthographique. Mais écrire pour être lu demande plus de contrôle et plus d’attention. Dans ce monde de l’immédiateté, l’urgence de rester connecté aux autres domine. Mais les écrivants ont-ils conscience de leurs erreurs orthographiques ? Tous ne sont pas dyslexiques, ou alors, il faudrait vraiment repenser la manière d’enseigner pour s’adapter à ce public.
J’ai l’air de fustiger l’Ecole, mais non : j’en fus ! J’ai juste envie de comprendre par où notre enseignement a pu pêcher pour arriver à un phénomène de cette ampleur. Et me revient en mémoire un livre que j’avais trouvé admirable de pédagogie : « La grammaire est une chanson douce » de Erik Orsenna. Quand j’ai lu ce livre, je me suis dit que c’était comme ça qu’on pouvait donner envie d’entrer dans les mystères de notre langue. Alors, transposons cet ouvrage et écrivons : « L’orthographe est une chanson douce », pour amener au plaisir de jouer avec les mots et leurs interactions.
De Jacques
Coups
L’ailleurs qui couvre les yeux
L’œil hagard
Par la mer du corps
Et les cris contre la guerre
La violence infinie
Face au lac, sous les arbres
Ou tout près du ciel
Elle n’est pas la différence,
Mais l’une de plus
Où le maintenant n’a plus d’avenir
Et où le passé a des bleus de plus
Les gestes n’ont pas de fondements
Essentiellement contre la mère
Contre la mère seulement
En un calendrier contre elles
Par à-coups, car la violence ne violente pas la violence
Une de plus
Par le verre brisé et la porte éclatée
Que les coups meurtris
Sans commisération
Pour que la frappe s’abatte
Amener la souffrance, la peur
Comme défoulement, ce cri
Ce murmure : « tu vas mourir »
Parce que l’équinoxe d’hiver est maître
Se vanter maître
En basculant vers la géhenne, à la mort
Les yeux ne voient plus
Le sang de la couleur
Couvre et tapisse le réel
La haine est la voix
La haine est la voie
Psyché et sa rudesse
Combien sont-ils?
Cachés comme embuscade
L’enjôleur, blanc sourire
D’absurdes idées
Restent les séquelles
Ce vert regard effrayé
Caché, submergée par la peur
L’effroi et le désespoir
Parce que la prochaine elle sera
Caché en ressource
La survie est voulue
Car la rupture est signée
Mais reste le danger
Tant et pourtant
Que les feuilles s’éternisent aux arbres
Pour qu’ils se tapissent d’avenir
Dans un tourbillon d’amour
Seule et grandiose
Poème « Métacuisine » de Nicol Laurence Catrice proposé par Françoise T
J’écris sur les tables de cuisine
c’est mon domaine.
Les sortilèges culinaires
n’ont plus de secret pour moi.
Je puise à la louche
dans mon chaudron magique
pour vous servir ma soupe.
Certains font la grimace:
elle est un peu forte pour eux sans doute.
Ils craignent la migraine.
C’est qu’ils mangent avec leur tête
non avec l’estomac.
Pourtant elle vous tiendrait bien au ventre
vous nourrissant de ses subtiles substances.
L’art des épices est délicat
mais il y faut aussi la science de nutrition,
mêler la céréale à la légumineuse,
la fibre avec les sels.
Goûtez-la, savourez lentement.
Alors vous serez saisis d’une puissante alchimie
et à votre tour
vous découperez sur les tables de cuisine
votre chair
pour nourrir vos enfants.
« Pour apprendre à marcher » de Montserrat Alvarez
Marche comme marche le maître
le maître de la marche
Évite de montrer ta chaste langue
Marche comme marche le maître
ne baisse la tête devant rien ni personne
Marche comme marche le maître
Garde tes paroles autant que tu peux
Si tu ne le fais pas, avance quand même sans faiblir
Que la peur et la rage ne t’arrêtent pas
front haut, jambes légères
Regarde vers l’avenir, et ne te courbe pas
La haine te souriras si tu lui souris
Les hommes ont besoin de beauté
Marche comme marche le maître
Que ne te fasse faiblir nulle offense
Marche comme marche le maître
Le maître de la marche,
Ne laisse personne te piétiner
mais n’ai jamais de haine.
Voici le lien vers la chanson magnifique de Renaud: “Les mots”
Voici le sketch désopilant mais tellement vrai de Jérôme Prion et Arnaud Hoedt: “La faute à l’orthographe”
J’espère que vous aurez été touchés comme moi par tous ces textes, si beaux et si sincères!
Je vous souhaite une belle semaine d’écriture.
Gardez le moral en dépit des conditions.
Portez-vous bien et surtout prenez soin de vous!
Créativement vôtre,
Laurence Smits , LA PLUME DE LAURENCE