Les mots sont bien présents dans notre langue. D’autres que nous les ont inventés avant nous. Nous les avons appris, nous en avons modifié certains et créé d’autres, au fil du temps. Nous ne connaissons qu’une faible quantité des mots existant en français par rapport à la quantité disponible. Qui se peut se targuer de connaître tous les mots du dictionnaire?
Les mots ont un sens ou plusieurs. Ils nous permettent de mettre de l’ordre dans le monde, si confus à première vue. Nous pouvons désigner toute chose. Chaque chose a un mot pour la définir. Chaque mot, lui, est bien sagement rangé dans un dictionnaire, dans un ordre alphabétique immuable.
Mais, les mots ne paraissent pas aussi bien rangés dans notre tête. A nous les lapsus, révélateurs ou pas, les confusions, les mots vulgaires, les mots hésitants. Nous prenons souvent un mot pour un autre. Nous jouons avec les mots. Bref, que ferions-nous sans les mots qui nous accompagnent toute notre vie durant?
Pour rédiger cet article, je me base sur le livre “Pour tout l’or des mots” de Claude Gagnière, publié en 1996 aux éditions Robert Laffont.
C’est quoi ce livre?
Ce livre de Claude Gagnière est conçu comme un dictionnaire et recense 150 entrées, plus ou moins insolites, plus ou moins amusantes, qui excitent l’esprit et provoquent des éclats de rire. L’auteur a choisi des mots plus savoureux les uns que les autres, en y ajoutant un brin de cynisme.
Claude Gagnière était un spécialiste de la langue française. Alphonse Allais, Tristan Corbière, Tristan Bernard, Sacha Guitry, Jules Renard, Oscar Wilde ou Vialatte étaient ses maîtres. Il a participé à la création de France Loisirs, dont il était le directeur littéraire, après des études de droit et de science politique. Il a publié plusieurs ouvrages sur la langue française, ses sources et ses ressources.
Claude Gagnière est né en 1928 à Alès. Il est décédé en 2003. Il a reçu, à titre posthume, le Prix des Bouquinistes pour l’ensemble de son oeuvre en 2004.
Il fonctionne comment ce livre?
Le livre de Claude Gagnière fonctionne comme un dictionnaire. L’écrivain a choisi certains mots pour chaque lettre. Par exemple, pour la lettre A, voici les mots choisis:
- la lettre A elle-même
- Académie française
- académie Goncourt
- acrobaties poétiques
- acrostiches
- âge
- alexandrins
- Allais Alphonse
- amour
- anagrammes
- annonces (petites)
- à-peu-près
- aphorismes
- argent
- autographes
- avenir
Allons du côté de l’Amour
Claude Gagnière pose la question suivante: qu’est-ce au juste que l’Amour lorsqu’on l’écrit avec un A majuscule? Alors, ce peut être ce grand fleuve interminable (plus de 4000 kms) qui dresse la frontière entre la Sibérie et la Chine. L’Amour, ce pourrait être aussi Eros ou Cupidon. Il écrit qu’avec toutes les phrases inspirées par l’amour, on remplirait la plus grande bibliothèque du monde. Tous les romanciers ont parlé de l’amour, pour s’en moquer ou pour le sublimer. Toutes les chansons, tous les opéras ont mis l’amour en musique.
Alors, pour définir l’amour, l’auteur propose des citations de différents écrivains. Il s’appuie sur la littérature pour définir les mots qu’il a sélectionnés. Il propose des citations autour de:
- faire l’amour
- à quoi ça sert l’amour?
- quand l’amour meurt
- l’amour médecin
- l’amour en toutes lettres
L’auteur précise aussi que le baiser doit être considéré comme une épreuve sportive. A chaque fois, chaque baiser met en oeuvre 29 muscles, augmente l’activité de la thyroïde, fait perdre 12 calories et fait passer les pulsations du coeur de 75 à 150 par minute. Ce n’est pas fini: dans un baiser, on échange 0.7 milligramme d’albumine et 0.45 grammes de sel. Qui a dit déjà que le baiser était romantique?
L’amour a toujours fait couler beaucoup d’encre. L’amour a donné du génie aux écrivains.
L’acrostiche
L’acrostiche est un jeu littéraire vieux comme le monde. On en trouve même dans la Bible. C’est donc un poème dont les initiales de chaque vers, lues dans le sens vertical, composent un nom. C’est tout sauf un poème anonyme puisque le prénom ou le nom de l’auteur y figurent.
Par son côté mystérieux, l’acrostiche est une forme poétique en faveur auprès des amoureux. Il permet au poète épris de déclarer sa flamme à l’objet aimé tout en dissimulant son nom aux indiscrets. Guillaume Apollinaire ne cessa d’adresser des acrostiches enflammés à ses amoureuses.
Le plus bel acrostiche qu’Apollinaire écrivit à son grand amour, Lou, est aussi le plus court.
On peut aussi écrire un “portrait-acrostiche”, qui peut alors devenir un jeu de société. Il s’agit de composer une phrase sur le nom d’un personnage choisi par l’assistance. Voici un exemple de “portrait-acrostiche” sur le nom de Racine:
“Rivalisant Avec Corneille, Il Nous Etonna”.
En voici un qui rassemble plusieurs noms d’écrivains français célèbres:
Zut! On L‘Accuse! = Zola
L‘Orientale T‘Intéresse. = Loti
Gare, Idiot! Dieu Existe! = Gide
Sexe A Dure Epreuve. = Sade
Homme, Un Grand Oracle! = Hugo
Partons du côté des secrets
L’encre de la plume sur le papier livre la trace de ses secrets aux regards curieux, hostiles ou cupides. C’est pourquoi, de tout temps, les rois, les hommes d’Etat, les diplomates, les financiers, les militaires, les conspirateurs, les espions, les prisonniers et les amoureux, se sont efforcés de trouver un abri sûr à leurs messages compromettants.
D’où la fortune que connurent à travers les siècles les sceaux de cire, les serrures à combinaison, les malles à double fond, les coffres à mécanismes secrets, les cabinets à tiroirs invisibles, sans oublier les scribes, dont la vertu fut de savoir toujours …. les secrets…taire.
Et que dire de l’encre? Elle peut jouer les cachottières et se dissimuler à le vue des uns et des autres? L’encre peut être rendue invisible par un traitement spécial, et qui ne deviendra lisible qu’en présence d’un corps avec qui elle entrera en sympathie et grâce auquel elle consentira à livrer son secret.
Ceci dit, le jus de citron pourrait bien aider celles et ceux qui ont des secrets à cacher sur le papier. Si vous trempez votre plume dans ce jus de citron, vous pourrez rédiger une lettre dont le texte, une fois séché, sera devenu invisible. Il suffira d’approcher la dite lettre d’une source de chaleur pour que le message se dévoile à vos yeux intimes.
Conçu dès l’Antiquité, le cryptage des messages confidentiels n’a cessé de se perfectionner au fur et à mesure que les secrets militaires, bancaires, diplomatiques prenaient de l’importance. Des codes, de plus en plus élaborés, ont été conçus, en réinventant parfois des alphabets. Tous les codes ont fini par être percés, y compris ceux qui paraissaient inviolables pendant la Deuxième Guerre mondiale, que l’excellent film “Imitation Game” retrace.
Des jeux d’écriture
Dans son livre, Claude Gagnière traite de nombreux effets de style, dont voici la liste par ordre alphabétique:
- acrobaties poétiques
- acrostiches
- alexandrins
- anagrammes
- aphorismes
- barbarismes
- charabia
- chronogrammes
- contrepèteries
- distique
- épigrammes
- épitaphes
- fausses rimes
- graffiti
- holorimes
- nuances
- obsolètes (mots)
- Oulipo
- palindromes
- paradoxes
- parodies
- pastiches
- rhétorique
- rimes
- sonnets
- syllogismes
- tautogrammes
- vers
La francophonie selon Claude Gagnière
De-ci, de-là, nous entendons des discours alarmistes sur le déclin de la langue française à travers le monde. L’histoire d’une langue est une aventure sans fin, une guerre incessante que se livrent des armées dont les soldats sont des mots, une succession d’affrontements quotidiens entre des dialectes. Il faut attendre des siècles avant de connaître la langue qui parviendra à s’imposer au détriment des autres. Cette victoire ne sera que provisoire. Le langage est une longue patience…
Les langues s’imposent en fonction des conquêtes subies dans tel pays. Le français est une macédoine de différents parlers et de patois: c’est un “latin de caserne” amené par les troupes romaines d’occupation des Gaules qui s’est imposé peu à peu aux populations, parce que les Gaulois n’étaient guère portés sur l’écriture et par voie de conséquence, leur parler n’a laissé que peu de traces dans notre langue.
Le français est un doux mélange du dialecte des Francs, des Wisigoths, des Burgondes, des Alamans qui envahirent notre pays au cours du Ve siècle. Un idiome roman a émergé ainsi au fil des siècles. Au temps de Charlemagne, les gens parlaient du gallo-roman.
Rappelons-nous que la France avant le Xe siècle n’était qu’un minuscule territoire dont Paris était la capitale. On la surnommait “Ile-de-France” car elle était entourée d’eau de tous côtés (la Seine, l’Oise, la Marne). On y parlait un dialecte appelé le “francien” qui allait connaître un destin prodigieux. Au cours des années, le francien qu’on parlait à la cour s’étendit progressivement à d’autres régions, grâce notamment aux échanges commerciaux, aux chansons de troubadours ambulants et au prestige du parler de la capitale.
Le français actuel, notre langue, n’est, dans le fond, qu’un patois parmi tant d’autres, mais un patois qui a réussi à s’imposer. Dans la 2e moitié du XIe siècle, le français est devenu un produit d’exportation grâce à Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et vassal du roi de France, qui a conquis l’Angleterre en 1066, apportant son parler dans ses bagages et l’imposant à la cour anglaise. C’est ainsi que le français est devenu le langage aristocratique de l’Angleterre et qu’il l’est resté pendant des siècles. Quoi qu’en disent nos amis les Anglais, la devise de leur pays est écrite en français: “Dieu est mon droit”, ainsi que celle de l’ordre de la Jarretière, institué par Edouard III en 1347: “Honni soit qui mal y pense”.
Au cours de son historie, le français n’a jamais cessé d’emprunter des mots à d’autres langues:
- l’allemand (boulevard, espiègle, halte, trinquer, …)
- l’italien (citadin, brigand, canon, casque, congédier, moustache, loterie, …)
- l’espagnol (mascarade, bizarre, baroque, casque, camarade, …)
- l’arabe (plus de 1000 mots) (alcool, coton, algèbre, alchimie, …)
- le russe (bistrot, …)
- et l’anglais surtout (un juste retour des choses!).
Le français est une langue qui a vite assimilé et digéré tous ces mots venus de l’étranger qui sont venus enrichir notre langue. Qui est capable toutefois de reconnaître des mots français dans ces expressions anglaises:
- “riding-coat” vient de “redingote”
- “hand in cap” vient de “handicap”
- “packet-boat” vient de “paquebot”
- “bowling-green” vient de “boulingrin”
- etc.
Nous, Français, nous avons bien adopté les mots anglais dans notre quotidien et nous les prononçons à l’anglaise de surcroît! De nos jours, le langage suit la technologie. La langue anglaise ne cesse d’étendre son influence de par le monde et nous submerge par sa créativité, ses produits, sa technique ses ordinateurs, sa culture et sa musique.
En guise de conclusion
Vous l’aurez compris, “Tout l’or des mots” de Claude Gagnière est un ouvrage atypique et délicieux. C’est purement et simplement une invitation à la bonne humeur. Quoi de mieux pour passer l’été? Des 150 entrées de mots, insolites ou amusantes, une vague de “mots” plus savoureux les uns que les autres déferle.
Claude Gagnière affiche une culture gigantesque. Pour chaque entrée de mots, il cite des passages d’auteurs divers et variés. Il se décrivait comme “collectionneur de sourires”. Tel était son métier. Il aimait les traits d’esprit, les phrases inattendues, la petite littérature, les jeux sur la pointe des mots, les poésies fugitives sur la pointe des pieds, les acrobaties sur le bout de la langue ou les jongleries littéraires.
Les 50.000 mots recensés de la langue française sont un spectacle permanent. Ces mots offrent d’infinies possibilités pour élargir ses connaissances. Plonger dans la langue française est une aventure prodigieuse.
Collectionneur de sourires !! quel joli métier !! qui pourrait sembler incongru … et pourtant qui recèle tant d’ énergie vers l’autre, cette ouverture dont on a tant besoin en ce moment !
Encore et toujours un plaisir de lecture, des livres à lire.
Des apprentissages d’écriture.
Merci Laurence et bon courage.