Que vos textes de la proposition d’écriture N° 130 autour du handicap sont magnifiques!

La résilience est à l’honneur! Que du bonheur! une vraie leçon de vie!

Les handicapés, ce sont celles et ceux qui refusent la tolérance, qui rejettent la couleur de peau, qui rejettent les différences de toutes sortes, qui rejettent les étrangers, qui se situent dans les extrêmes, qui n’acceptent pas les autres tout simplement et qui ne vivent qu’à travers leurs préjugés …

Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture.

De Zouhair

Méfie-toi des préjugés

Elle était née comme ça.
Les noyaux gris centraux, une structure au cœur du cerveau qui permet la coordination des mouvements, était défaillante.
De ce fait, Mireille présentait des mouvements de la tête, des bras et des jambes complètement anarchiques, on aurait dit un pantin désarticulé.
La plupart des gens pensent que les personnes présentant ces symptômes sont également handicapés intellectuels.
En effet, la tête en perpétuel mouvement ne permet pas de fixer le regard sur son interlocuteur. Puis la bouche, en raison d’une hypotonie des muscles phonatoires, est tordue en permanence et, souvent, un filet de bave en dégouline.
Ne parlons pas du langage…la dysarthrie ou défaut de prononciation, en raison du déficit de programmation des phonèmes, fait que ce sont souvent des borborygmes que l’on entend ou des mots tellement déformés que l’on est obligé de faire répéter la personne plusieurs fois, au point de la fâcher ou de la désespérer.
J’étais étudiant et pour arrondir les fins de mois, je recherchais des petits jobs d’été.
C’est ainsi que je connus Mireille.
Je n’avais jamais connu de personne athétosique jusque-là. Elle était en fauteuil roulant et ses membres, s’agitant dans tous les sens, m’avaient impressionné. Je me demandais comment j’allais accompagner cette personne en train jusqu’en Bretagne où elle devait rejoindre une amie pour une semaine de vacances.
Pourrais-je comprendre ce qu’elle dirait ? Comprendrait-elle ce que je lui dirai ? Et pour la toilette et l’habillage, comment ferais-je ?
Le voyage en train se passa bien. Les contrôleurs et les personnes se trouvant dans le wagon étaient très aidants.
Nous arrivâmes sans encombre chez l’amie qui devait nous héberger. Je devrais préciser que cette dernière ne présentait aucun handicap, ni physique ni intellectuel.
Quelle ne fut pas ma surprise de voir que ces deux-là s’entendaient comme larronnes ( mot non valide au scrabble) en foire. Elles se comprenaient à demi-mot (même déformé) et riaient aux éclats.
Donc, elle n’est pas « débile » me disais-je.
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. Quand Mireille me demanda de sortir son ordinateur portable de son sac de voyage, je me demandai ce qu’elle allait pouvoir en faire !
Près de l’ordinateur, se trouvait une sorte de tige arquée en métal dont l’extrémité portait une petite boule de caoutchouc blanc. Cette tige était fixée sur un serre-tête métallique également.
Quand je lui sortis cet appareillage, elle me demanda de lui fixer sur sa tête, puis d’allumer son ordinateur.« Vâa …sû…cou…de…fisi… » me dit-elle.
Après lui avoir fait répéter trois fois, je compris enfin qu’il fallait aller sur l’onglet « cours de physique ».« main …nan…vâa…sû… co.i…gé…copi… »
Traduction : « maintenant va sur corriger copies » !

Oh miracle, Mireille était prof de physique ! Et moi (comme tant d’autres) qui la croyais « débile ».

Avec sa licorne (j’appris que c’était le nom de cet instrument qui permettait de taper sur les touches avec des mouvements de la tête), Mireille commença à corriger les copies de ses élèves.
Depuis, une tendre complicité commença à nous unir.
Mireille avait beaucoup d’humour et tournait en dérision son propre handicap.
Je passai une semaine merveilleuse et découvrit, de surcroît, la Bretagne que je ne connaissais pas.

De Joëlle

La vie de Donald

Il paraît que le corps (ou le cerveau) se souvient des dates qui ont marqué notre vie, notre corps. On est le 8 juillet. Donald, c’est bien son nom, se réveille, un peu déboussolé par le noir qui n’est pas le noir qui l’entoure. Ca fait pourtant déjà quelques années qu’il a perdu la vue et qu’il s’est habitué à l’absence de couleur et c’est le noir qui se rapproche le plus de la perception qu’il a.
Tandis qu’il chausse ses chaussons, un gros flash lui vient. On est le huit juillet et c’est un huit juillet que Donald est devenu aveugle (heu, non voyant…). Bon, cette petite morosité du réveil doit être liée à cette date, se dit Donald, alors, ce n’est pas grave. Maintenant qu’il en a conscience, il peut sourire de ce nouveau matin qui s’annonce.
Quand Donald a perdu la vue, les premiers mois ont été difficiles. Quatorze ans, c’est jeune et en même temps c’est peut-être cette jeunesse qui lui a permis d’avancer et de vivre avec son handicap comme compagnon et pas comme ennemi.
Apprendre à ne plus voir donc trouver comment remplacer la vue par les autres sens. L’aveugle de naissance n’a jamais vu et a donc dès le début perçu le monde autrement que la plupart d’entre nous. Mais Donald, lui, savait ce que c’est que voir les formes, les couleurs, les mouvements…
Les premiers mois de rééducation, Donald n’a fréquenté pratiquement que des aveugles mais très vite ses trois meilleurs potes ont franchi la barrière que Donald avait mis et l’ont réintégré, au début contre son gré, dans leur bande.
« Ok, tu ne peux plus faire du vélo tout seul, mais as-tu pensé au tandem ? »
Et c’est ainsi que chaque semaine, dès que le temps le permettait, Donald pédalait et écoutait Jules lui décrire ce qu’il voyait. C’est un bavard Jules et tout y passait, le paysage, l’état de la route, les véhicules croisés…Et Donald absorbait le vent, les soubresauts, les ombres, le soleil…
Et c’est ainsi que lors d’une balade, Donald s’écria : « Ce sont bien des platanes, les arbres le long de la route ». Son cerveau avait fait de nouvelles connections qui combinaient les nouvelles perceptions et celles que n’avaient pas oublié Donald. En effet, Donald s’était appliqué à ne pas oublier les images que sa mémoire avait enregistrées et conservées. Et c’est ainsi qu’il créait en permanence des images associées à ses nouvelles perceptions. Et puis, Donald découvrit qu’il avait des doigts qu’il pouvait exploiter et aujourd’hui, au toucher, il peut déterminer la nature de qu’il a sous la main. Ainsi sa rencontre avec le velours qu’il connaissait, le salon familial était en velours, révéla à Donald combien la matière était riche en sensations diverses. Il connaissait différents métaux mais alors qu’en les voyant, il se trompait facilement sur la nature de leur matériau, aujourd’hui, au toucher, il était imbattable sur la reconnaissance de l’alu, du fer blanc, de l’inox, du cuivre…
Et quand il obtint, au bout de quelques années un chien guide, il put se focaliser sur toutes ses nouvelles images qui habitaient le « noir » de sa vue. Alors, il entreprit de les écrire, ces images. Il avait essayé de les peindre mais devant les réactions de ses proches, il y avait renoncé mais s’était promis qu’il recommencerait un jour et saurait les peindre ses sensations.
Pour le moment, il les décrivait sur son PC qui traduisait le braille dans notre alphabet. Et un jour, Donald commença à rédiger, à partir de ces images, de petits récits, des petites histoires mais pour le moment, il ne voulait pas les partager. Il attendit ses 20 ans, les regroupa dans un recueil et décida de les faire éditer à compte d’auteur. En parallèle, il suivait un cursus classique d’études de psychologie. Donc pour l’anniversaire de ses 20 ans, il offrit à ses trois amis, à ses parents et à sa petite sœur qui l’avait tant épaulé le recueil de ces récits. Ce fut un de ces moments d’émotion joyeuse que nous accorde parfois la vie. Il fut savouré à sa juste valeur.
Un mois plus tard, Donald fut appelé par un éditeur. Jules, devant la richesse des récits, avait proposé le recueil à un éditeur qui fut emballé. Donald ne fut pas difficile à convaincre.
Aujourd’hui, c’est le 8 juillet. Cela fait douze ans que Donald ne voit plus mais en y repensant, suite à la petite bouffée de nostalgie du matin, Donald se plaît à croire que ce fut une chance et que la vie qu’il vit est peut-être plus belle que celle qu’il aurait vécue.
Amélia est prête à partir au travail. Elle se penche vers Donald qui caresse son ventre déjà bien rebondi. Oui, il aime bien sa vie.
Je sais, c’est une histoire un peu cul-cul mais forcément, quelque part, il existe un Donald, un Jules, une Amélia et c’est très bien ainsi.

De Lucette

Après le handicap…


Mon ami d’enfance se prénomme Fabien. Tous les deux passionnés de sport, de tous les sports. Impossible de trouver notre voie, nous avons tout testé avant de vraiment se diriger vers celui qui nous apportait le plus d’adrénaline, mais aussi, celui pour lequel nous étions les meilleurs.
Nous avions la gagne en nous, les défaites, nous les prenions comme des réussites, puisqu’on savait que nous ferions mieux la prochaine fois.
Nos parents nous conduisaient partout où nous devions être. Aujourd’hui encore je les remercie du fond du cœur, car maintenant je suis papa, et je comprends l’investissement physique, mental et financier par lesquels ils sont passés.
Une semaine, c’étaient les parents de Fabien qui nous conduisaient, l’autre c’étaient les miens.
A peine rentrés de l’école, j’avais rendez-vous presque chaque fin d’après-midi avec lui pour taper du ballon. Une fois par semaine c’était basket, natation, hand, sans oublier le tennis. Nous étions tellement pris par le sport, que les notes au collège et lycée n’étaient pas au rendez-vous Après quelques sermons, nous devenions plus assidus, car le sport était notre raison de vivre, et nous voulions en faire notre métier en faisant sports-études.
Bizarrement, moi j’ai intégré le basket, avec mes presque 1m98, je ne comptais plus mes paniers. J’étais une idole dans le club, et j’avoue que les regards des filles ne me laissaient pas indifférents…
Mon pote, mon frère de cœur, lui, a choisi la natation. Il faisait de bons chronos, et lui aussi était l’idole des piscines.
C’était un colosse « 1m96 », ses muscles étaient imposants, il n’était jamais fatigué. A défaut de devenir champion dans cette matière, lui, sa vocation était de devenir professeur de sports. Donner ce qu’il avait reçu aux enfants des cités en région parisienne dans lesquelles nous vivions tous les deux.
Chacun faisait son bout de chemin avec des hauts et bas, mais nous nous accrochions. Quand l’un perdait espoir, l’autre le réconfortait. Nous étions toujours l’un pour l’autre, amis pour la vie.
Nous voilà à 20 ans, jeunes adolescents, avec la fougue de la jeunesse, les défis à relever. « Tu n’es pas cap de faire ceci ou cela ». Sitôt le défi lancé, sitôt le défi assuré…
Fabien me donne rendez-vous à la piscine olympique de la grande ville à côté. Il veut me montrer ses progrès. Nous voilà prêts à sauter dans le bassin. On tope, et c’est lui qui plonge le premier. Magnifique saut, je l’admire en pensant qu’il est vraiment doué. Mais, quelque chose ne va pas. Fabien ne remonte pas. Aussitôt les maîtres-nageurs vont à son secours pour le sortir de l’eau. La situation est plus grave que prévue. On nous dit de quitter le bassin, les secours arrivent dans un tintamarre de pimpons. Après les premiers soins, mon Fabien part sur une civière… Je n’ai même pas réussi à lui parler puisqu’il était dans un état comateux.
Quelques jours plus tard, j’ai appris que Fabien était paraplégique. En sautant dans la piscine, il a entendu un grand « crac », il se savait touché à la colonne vertébrale. Y a -t- il eu erreur humaine ? En fait, il n’y avait pas assez d’eau vu sa grandeur, et la hauteur de laquelle il s’était élancé. Il a subi plusieurs opérations, mais jamais plus il ne remarchera, lui ont dit les chirurgiens…Après une grande dépression, la volonté lui est revenue. Il s’est dit « Je remarcherai un jour » Avec les Kinés, il en faisait toujours plus qu’on lui demandait. Petits pas après petits pas, il s’est tenu droit après maintes souffrances et des années de rééducation…
Aujourd’hui il marche avec une canne, il a transformé cet accident en résilience. Un concours de circonstance l’a amené dans un café-concert, il a entendu et compris ce qu’il allait faire de sa nouvelle vie…
Il s’appelle Fabien Marsaud, dit Grand Corps Malade, excusez du peu. C’est un géant dans le slam que j’adore. Il écrit des textes de chansons pour les autres. Il a écrit et réalisé un film très émouvant « Patients » qui raconte toute sa vie.
C’est un exemple pour tous, il ne faut jamais baisser les bras face à la maladie ou les accidents de la vie.
Tous ses mots viennent sous sa plume, grâce à son accident. A méditer…

De Lisa

Près du terril, il sourit à la vie
Il profite de ses envies près du terril aujourd’hui
Près du terril, il sourit à la vie
Il profite de ses envies avec ses tous petits
On est à la mine près des corons où est logé mon grand-père
Il apprend qu’il est atteint d’une scoliose, rien à voir avec la maladie des mineurs
Il s’est fait une promesse d’être une tête de mule
De profiter de ses petits-enfants par rapport à son père

Sa femme et ses petits animaux lui remplissent le coeur d’amour
Il ne veut pas partir car un jour la mort lui fera la cour
Il veut profiter de chaque instant comme sa passion
Transmettre à de nouvelles générations l’histoire du chevalement
Le travail au charbon prend tes poumons
Mais pas cette peste qui ne t’empêche pas de vivre
Il fait beaucoup d’activités car la retraite en est amoureuse

Car la retraite en est amoureuse

Il veut rester pour chanter et l’accordéon à ses pieds
Chanter à pleins poumons et dire merci tout simplement
Terre du mineur où le seul handicap est le repli de soi
Alors place aux corons et la famille est là !

« Le handicap, quand l’amour est là, tout le reste s’en va »

De Françoise V


Elle avait 22 ans. L’année de son mariage. Juste après l’été, en septembre, elle fut admise en clinique, et prise en charge par le meilleur chirurgien orthopédique de la ville et de l’époque.
Les problèmes ont commencé dès lors où il fallut la réanimer. Des difficultés , mais pourquoi, que s’était-il passé ? Elle ne le sut pas tout de suite. Ce n’est que 30 ans plus tard après maintes et maintes interrogations auprès de médecins anesthésistes de son entourage que cette question fut élucidée . Elle avait été victime d’une erreur de dosage au curare.
Mais là n’était pas le pire résultat du geste opératoire. Elle était rentrée à la clinique en forme, sans boiter, sans souffrir à chaque pas. Le diagnostic préopératoire était : pied creux, à « réparer ». Le bistouri avait remanié les os du pied et toute la chaîne osseuse depuis le premier orteil jusqu’aux cervicales. Elle ne retrouva jamais son premier pied, sa démarche, sa statique. Le geste chirurgical fut irréversible. On lui avait créé un handicap. Étant donné que l’ostéotomie lui avait faire perdre une pointure de chaussure au pied gauche, il fallait bien faire la même intervention ou presque au pied droit. Ce qui fut fait deux ans plus tard, à peine remise de la première intervention.

Quatre années se déroulent. Le jeune couple a envie d’un enfant. La jeune femme s’engage à être mère. Elle décide que sa vie ne sera pas contrariée du fait du mauvais diagnostic du médecin généraliste, puis du chirurgien. Volontaire, elle prétend qu’elle fera comme si tout allait bien. Ce sera sa famille d’abord. Ne pas s’arrêter aux béquilles, aux souffrances. Son chemin de handicap se poursuit avec rééducation inadaptée et stérile menant à l’avortement des résultats espérés. Les douleurs sont soumises aux traitements médicamenteux agressifs et inefficaces. Elle veut trois enfants en bonne santé. C’est ainsi qu’elle décide de ne plus prendre d’anti-inflammatoire pour ne pas « polluer » sa santé et la santé des fœtus. Son corps est fatigué de lutter contre les souffrances chroniques. Mais sa décision ne change pas : accomplir sa vie et faire avancer ce qu’elle a construit, c’est maintenant, plus tard sera trop tard.
Son métier est mis entre parenthèse. De toute façon elle se sent incapable de mener un combat contre la maladie et un combat pour évoluer sur son poste de travail. « On se contente de ce que l’on a » dit-elle. Ce n’est qu’après la naissance du troisième enfant qu’elle accepte les traitements médicaux. Mais ils sont aussi inefficaces que les précédents, ne lui accordant qu’un court temps de répit. Le corps médical a oublié qu’elle pouvait manquer de calcium, de vitamine D, de suivi minutieux pour que son corps consolide ses os. Des examens de toutes sortes lui sont prescrits. Elle ne baisse pas les bras et continue à chercher comment s’en sortir. Une greffe lui est proposée pour palier à la non-consolidation des os de l’avant pied, puis l’opération est refusée car trop risquée. On lui explique que tous les traitements précédents n’ont servi à rien. Elle est donc heureuse d’avoir refusé le superflu, fière d’avoir écouté son cœur, sa conscience, et son esprit d’analyse et surtout son bon sens face « aux sourds » du corps médical.
Puis un petit miracle dans son existence. La rencontre d’un médecin sincère, à l’écoute, prévenant. Bref, un médecin intelligent. Ce médecin qui a décidé de l’aider va la conduire, la soutenir pour se battre et se battre encore jusqu’à ce que ses souffrances disparaissent. On lui accorde une carte de handicapée à la MDPH pour lui faciliter ses déplacements. De longs mois de reconstruction se font pour marcher normalement grâce à de bonnes prothèses, de bonnes chaussures, du sport adapté, des séances de rééducation intelligente, des massages efficaces, des anti-douleurs et des vitamines pour redresser le « p’tit bout de femme ».
Enfin, elle range ses « béquilles des fins de journée », et sa canne siège. Elle peut écouter des conférences au musée en restant debout, tout comme bavarder dans la rue avec les connaissances qu’elle croise. Elle souffre moins de solitude, de retrait, de mise à l’écart. Le « debout » ne la fait plus souffrir, elle peut se mélanger aux autres personnes pour parler en groupe. Elle vit normalement ou presque.
Mais pendant toutes ces longues années, le corps s’est déformé. Il faut le muscler, le prendre avec douceur, le redresser, le consolider. C’est un autre chapitre qui s’ouvre. Un long travail qui l’accompagne au quotidien. Elle rêve de pouvoir randonner, de marcher dans la nature, de respirer. Elle rêve, elle espère… et ses ambitions aboutissent. Grâce à sa persévérance, sa ténacité, elle enfile enfin ses chaussures de marche, et rejoint un groupe de randonneurs, ce qui lui était impossible autrefois. La vie commence…. Cela fait 40 ans qu’elle attendait cela.
Alors elle se lance pour écrire, raconter, poétiser, s’ouvrir à une vie sociale, peindre, faire de la musique.
VIVA LA VIE ! Pourvu que cela dure encore QUARANTE ans !!

De Dominique

Le fils de Napoléon. (En hommage à mon ami Dany)

Les dés de la vie sont capricieux. Maria vivait une grossesse heureuse et attendait avec impatience son enfant à naître. Quand les premières douleurs sont apparues, on fit chercher la “sage-femme” Josette. Elle avait accouché la presque totalité du petit village et elle connaissait bien son métier. Autrefois, les femmes mettaient au monde les enfants à la maison, pas besoin de médecin pour un acte, somme toute bien naturel. Très vite Josette comprit que la délivrance ne se passerait pas comme toutes les autres fois. Le bébé avait de la peine à venir au monde. La matrone demanda qu’on aille réveiller le médecin, le petit risquait de s’asphyxier s’il n’intervenait pas dans la minute. Très rapidement, Le praticien fut au chevet de Maria et devant l’urgence, se trouva dans l’obligation d’utiliser les “forceps”.
Le petit garçon, car c’était un petit garçon, vint au monde avec un important “œdème” cérébral mais, le plus difficile fut réussi ; sauver le petit et sa maman.
« Ne vous faites pas de souci c’est un beau garçon et l’œdème va se résorber de lui-même. »
Sauf que, le sort en avait décidé autrement ; Daniel est devenu IMC, comprenez infirme moteur cérébral.
Malgré ses troubles, « Dany » pour les intimes, vécut son enfance auprès de ses parents doux et aimants. Une assistante sociale leur venait en aide car un enfant handicapé ce n’est pas facile tous les jours. De fil en aiguille, le corps médical, les parents, la société l’envoyèrent en centre de rééducation spécialisé au bord de la mer, ça serait mieux pour lui. Le petit garçon suivait du mieux qu’il le pouvait les cours spéciaux qu’on lui donnait.
Un jour, l’instituteur attentionné qui corrigeait sa rédaction lui dit : « c’est beau ce que tu as écrit Dany, on dirait un poème ».
Après le repas du soir, le jeune adolescent est allé s’asseoir face à la mer et s’est mis à écrire de sa main maladroite :
Assis seul devant la lune,
La tête dans les étoiles, l’enfant rêvait.
Hissons la grand-voile, en avant pour la lune.
Larguons les amarres, un poète est né !

C’est décidé, plus tard je serais « poète ». Plus rien alors n’eut de grâce à ses yeux, il voulait jouer avec les mots ; les mots durs, les mots tendres, les mots naïfs, les mots doux qu’on susurre à sa bien-aimée, tous les mots de l’âme. Les mots qu’on « gueule » pour se battre et affirmer sa différence. Mais la raison des grands s’imposa bientôt à lui et après maintes réflexions, on lui conseilla le CAT : le centre d’aide pour le travail.
Dany s’y est présenté ; barbu, chevelu hirsute, sans se départir de son allure de « barde » qu’il avait adoptée depuis. Ainsi, à longueur de journée il dut scier, coller, étiqueter, agrafer des échantillons de tout et de rien. Son bateau poétique prenait l’eau et la lune s’assombrissait un peu plus à chaque nuit.
Avec ses premiers salaires, Dany s’acheta une machine à écrire plus adaptée à ses gestes maladroits. Chaque soir, chaque instant, chaque minute de liberté il les consacrait à l’écriture, elle affirmait son envie de vivre comme un individu à part entière.
« Comme un étrange automate, Je déambule en ville,
À ma vue les gens se hâtent, ils me prennent pour un débile !
Oui, le corps bancal mais un homme ni dans la marge ni dans vos normes ».

Un soir, après une journée de travail épuisante, il s’est mis à écrire avec des mots sans doute choquants mais, des mots qui lui venaient des « tripes ».

— C.A.T ; facho, C.A.T zéro, C.A.T ghetto.
Le directeur, un peu courroucé, le pria d’aller voir ailleurs en sermonnant ses propos trop virulents.
Dany s’exécuta sans se faire prier.
Quand il revint à la maison, sa chambre d’enfant l’attendait pleine de ses rêves de « minot ».
Il enleva la housse de sa machine à écrire et se mit à inventer des poèmes, des poèmes encore, des poèmes toujours. Rimailleur de fortune, j’habite sur la lune !
La maison vint à déborder de bouts-rimés, de fascicules de rimes, de recueil de poésie. Dany, bien décidé à faire entendre ses odes et quatrains, s’en alla retrouver sa bande d’amis du foyer des jeunes qu’il avait fréquenté autrefois. Claude, l’animateur « paternaliste », lui offrit une tribune inattendue.
« Tes poèmes mon ami, tu viendras les réciter ici, chaque samedi. On va te mettre dans la programmation et à toi de les défendre ».
Au début, c’est un peu par curiosité que le public vint l’écouter. Voir ce pantin désarticulé, ce robot dégingandé dire à la cantonade :
« Je suis le fils de Napoléon, je reviens sur terre, j’ai perdu mes décorations et je cherche une maison ».
Les mots étaient malmenés, mal prononcés, parfois « avalés » mais, ils étaient dits avec une telle force de conviction et de foie ardente que peu à peu les gens succombèrent à son charme de troubadour. Dany jubilait ; enfin il existait.
Après le spectacle, il aimait rencontrer son auditoire à qui il vendait ses textes pour quelques sous. Arnaud le musicien lui proposa de venir accompagner ses compositions d’un fond de guitare puis, un autre instrumentiste vint compléter l’ensemble d’une basse.
Leurs réputations dépassèrent le cadre de la seule maison de jeunesse locale et le trio courut les salles de spectacle de la région. Bientôt l’image du “barde” fut vantée dans les journaux et le trouvère affirma sa place dans le cercle fermé des artistes locaux.
Les mots parfois ne sortaient pas de sa bouche, bloqués nets par cette fichue difficulté d’élocution mais, on lui pardonnait tout, bluffé par cette audace désarmante.
« Non ! Ne riez pas de moi,
Je ne vous mens pas,
Pourquoi ces rires moqueurs ?
Je suis le fils de l’Empereur ».

Dans les clameurs finales et sous les feux de la rampe, on entendit une voix l’affirmer, celle de Claude, l’animateur de quartier.
« On te croit Dany, on te croit, tu es bien le fils de Napoléon le conquérant ».
Cette histoire, chers amis lecteurs vous semblera peut-être irréelle ou trop “idéalisée” et pourtant :
Elle est…
(En hommage à mon ami Daniel LORIDON, aujourd’hui parti rejoindre le cercle des poètes disparus).
À toujours Dany.

De Claudine

LA RESURECTION

La fête de Pâques est devenue avec le temps une fête séculière. Une occasion de fêter la vie. La vie plus forte que la mort. La beauté du printemps après un long hiver. La naissance comme espérance. La joie de vivre malgré la dureté du travail, les tracas et les souffrances qui s’incrustent dans le quotidien et l’alourdissent. Les fleurs odorantes, douceur prégnante de l’amour, au-delà des peurs et des douleurs qui blessent notre existence.
Voici ce que pense Amélie en ce jour où, bien droite sur ses jambes, elle peut s’asseoir, se lever, se réasseoir pour suivre l’office en ce jour particulier.
Oh, non, Amélie n’est pas un pilier d’église comme disent certaines personnes dans certains villages. Elle est là pour fêter sa rédemption, la sienne, celle à laquelle elle ne croyait plus, il y a encore peu de mois.
Et pourtant elle est là, accompagnée par celui qui l’a aidée à revenir vers la vie, à sourire enfin au ciel et aux fleurs.
Elle se souvient de ce jour de Pâques il y a trois ans ; tout était prêt, la table fleurie, le gigot sentait bon , encore dans le four, les œufs avaient été disséminés dans le jardin. Une tradition qu’elle est son mari tenait à cœur de perpétuer pour le bonheur de leurs trois enfants, qui en pyjama, s’élançaient chaque année à l’assaut de cachettes multiples et variées ; que du bonheur de les voir s’activer avec leur panier.
La famille allait bientôt arriver, la joie était bien présente.
Et brusquement, Amélie ressent un épuisement intense, une douleur fulgurante dans la tête.

« Ce n’est rien, c’est l’une de mes migraines qui revient, dit-elle à Ludovic »
« Je pensais que c’était passé, il y a au moins cinq ans que tu n’as pas ressenti de douleurs ? »
Une façon de se rassurer, de donner à l’événement un caractère assez banal.
« Prends une aspirine et repose-toi un peu, tu n’as pas cessé de travailler pour préparer cette fête ».

Amélie obtempère mais rien n’y fait. Au contraire, arrivent les vertiges, la nausée et surtout une faiblesse qui l’oblige à s’allonger ; à ce moment, elle sent qu’une partie de son corps se fige, s’anesthésie dans sa partie droite.
Ludovic prend conscience que quelque chose ne va vraiment pas ; son père a présenté les mêmes symptômes il y quelques années. Mais lui, il avait soixante-cinq ans ; Amélie, elle, n’a que trente-deux ans. Non, ce n’est pas possible, pas ça, pas un AVC !
Devant les propos de plus en plus incohérents de sa femme, il doit se rendre à l’évidence et forme le numéro du SAMU.
L’IRM confirme l’impensable : AVC ischémique, caillot qui bouche une artère ; il faut faire vite et la transporter dans le service de neurologie. Il entend dans un brouillard, le mot : trois heures, trois heures pour agir.
« Oui, Docteur elle vient d’avoir les symptômes, oui…non, il n’y a pas trois heures… »
Le chariot vole à travers les couloirs de l’hôpital quasi désert.
Il faut injecter au plus vite pour dissoudre ce caillot. C’est rapidement fait.

Amélie sourit : tout va bien, je ne suis pas morte et elle replonge dans un brouillard confus.
Mais auparavant, elle a pensé à ses trois gaillards qui doivent être tétanisés devant son absence. Surtout à son petit dernier qui n’a que douze mois. A Ludovic, l’amour de sa vie, à ses parents.
« Je vais me battre croit -elle dire au chef de clinique qui la prend en charge ; aucun son ne sort de sa bouche, mais lui il comprend ; il a l’habitude, même si une si jeune femme, c’est
plutôt rare. Elle a son âge.
La bataille commence, pas de temps à perdre. L’équipe se met en place ; chacun a sa fonction et interviendra dès que la nécessité se fera jour.
Et pendant des semaines, Amélie va passer par toutes les étapes qui vont lui permettre de revenir vers une vie aussi normale que possible. C’est dur, très dur, il y a les moments de découragement, les temps d’espérance, la joie de pouvoir un jour se tenir presque debout, avec l’aide du kiné.
Elle est styliste et a demandé des crayons pour sa rééducation. Sa main droite ne veut pas la suivre, alors elle utilise, maladroitement, la gauche. Elle ne sait plus écrire, elle ne sait plus parler. Dans sa tête, tout est structuré, mais elle ne peut l’exprimer.
Elle s’efforce chaque jour de faire travailler les membres récalcitrants. Quel bonheur, lorsqu’elle peut enfin s’entendre dire : « moi vouloir marcher ». Une petite victoire, une éclaircie dans sa nuit.
Elle est épuisée, parfois anéantie, parfois remplie de lumière et de certitude. Ne jamais baisser la garde, regarder vers demain, faire de petits projets, oui voilà, c’est bien, lui dit la psychologue.
Le retour programmé chez elle est une joie immense, atténuée par les difficultés qui l’attendent. Si rien n’a changé dans sa maison, en fait tout a changé pour elle. L’assistante sociale a mis en place le nécessaire, sans tomber dans l’inutile.
Amélie est plus lente, tout est ardu. Elle s’amuse de constater qu’elle est au même niveau que son bébé Raphaël : il apprend à marcher, elle aussi ; il apprend à parler, elle aussi.
Il en faut de l’énergie à ce bout chou pour devenir un homme pense-t-elle.
La vie qui va, qui doit se retrouver dans tous les gestes du quotidien. Elle a décidé de prendre avec humour chacun de ses déficits, qu’elle veut provisoires. Sa fille de sept ans, la coiffe ! Que du bonheur d’être ensemble ; son fils de six ans l’aide à éplucher les légumes, maladroitement, qu’importe, ils sont ensemble et peuvent en rire.
Les jours passent, la rééducation continue avec les professionnels qui viennent à elle. Elle retrouve fréquemment les services de l’hôpital pour des examens ; quel soulagement envahit son corps lorsqu’elle entend lui dire :

« Madame Joyeux, vous êtes sur la bonne voie, vous êtes une battante ».

Elle pleure parfois, de tristesse, de joie. Mais elle va gagner, oui, elle va gagner.
Elle sait qu’il y aura quelques séquelles, mais de celles qui ne vont pas l’empêcher de vivre, d’être une maman disponible et attentive, d’être près de son chéri.
Et aujourd’hui, elle est là, parmi les fidèles. Elle ne demande rien, elle sait que sa rédemption à elle, elle l’a gagnée à la force de ténacité, à la force d’amour, à la force de son désir de continuer.
En rentrant, elle pourra gouter le gigot croustillant.
Et voir les paniers des enfants remplis des œufs qu’elle a aidés à cacher. Trois ans qu’elle en rêve.

De Catherine

Renaissance

Lucas est sur la ligne de départ pour réaliser un 400m de folie. Du moins, c’est ce qu’il s’est promis, parce que c’est important pour lui. Son cœur bat fort. Il lui faut le calmer avec la respiration. Il connaît bien cet emballement avant le grand calme de la concentration. Il avait déjà connu ça, il y avait cinq ans : même endroit, même statut de favori, même adrénaline …
Mais à l’époque, il avait encore ses deux jambes et il avait remporté l’épreuve haut la main. Puis, il y avait eu le terrible accident qui avait coûté la vie à son meilleur ami. Lui n’avait perdu qu’une jambe . Tout le reste était intact alors que Julien avait cumulé les dommages. Un long temps, il s’était senti si seul dans sa douleur, si imposteur dans une vie de peu d’intérêt sans son ami et sans l’athlétisme.
Condamné au fauteuil roulant ou aux béquilles à vie ? Impossible ! Une espèce de rage lui avait fait reprendre le dessus, et il s’était lancé corps et âme dans la rééducation au point que les soignants et les kinés avaient dû le tempérer, lui intimant de ralentir sous peine d’exploser en vol.
Ils avaient eu raison : qui va piano va sano, mais aussi devient plus fort au mental. Il avait commué sa rage en énergie vitale pour lui et sa famille, bien sûr, mais aussi pour Julien qui ne sera jamais le champion qu’il promettait d’être.
Il avait dû accepter la perte de sa jambe, mais aussi dompter la douleur du membre fantôme dont son cerveau avait du mal à se départir. Puis il avait fallu adopter sa prothèse « de ville » qui lui rendait une apparence normale en société. Mais son kiff le plus grand fut d’apprivoiser la lame souple dont la propulsion nécessite une certaine maîtrise. C’est dingue à dire, mais il se sentait beau et puissant avec cet ersatz musculaire qui lui donnait un air bionique. Pourtant, ce ne fut pas tous les jours facile et les chutes furent légion, sans compter les souffrances du début. Il avait fallu faire moults adaptations et réglages pour arriver à une communion parfaite entre elle et lui. Il avait tenu bon et maintenant, il faisait vraiment corps avec cette prothèse qu’il préférait à celle de la vie courante qui le mettait trop dans la norme.
Alors aujourd’hui, sur la ligne de départ, il se sent invincible. S’il ne gagne pas, il sait qu’il aura gagné quand même : sur lui-même, contre le sort, contre les épreuves, et avec la folle envie de recommencer. S’il gagne, ce sera une victoire en duo : la sienne et celle de Julien qui, de là-haut, a accompagné sa renaissance au sport. S’il gagne, il ira dans les centres de rééducation pour stimuler de nouveaux compagnons d’infortune et leur transmettre sa force de vie.
Il est prêt. Il a pris ses marques. Le coup de feu retentit. Dans son couloir, Lucas s’envole vers une absolue victoire.

De Laurance C

Bonjour, je m’appelle ELEA. Doux prénom, n’est-ce-pas ?
Ce prénom sonne comme un tintement d’espoir, d’amour… de vie tout simplement.
Quelle beauté dans les mots, quel optimisme, quel amour de soi, me direz-vous ! Quel égo démesuré aussi ? Et bien pour ce dernier point, détrompez-vous !!
Oui je m’aime, oui je suis une femme formidable, oui je sais à quel point je suis aimante, aimable, bienveillante, respectueuse de chaque être vivant etc… (la liste est longue). Mais cela, je le dois en grande partie à … moi-même, tout simplement et lucidement !
Car croyez-moi, je n’ai pas toujours tenu un tel discours à mon égard. Je reviens de loin effectivement…
Mais commençons par le début.

Je suis née comme la plupart d’entre vous, sans problèmes particuliers, en bonne santé, dans une famille aimante. J’étais une petite fille pleine de vie, de rêves, de papillons dans les yeux et dans le ventre : lorsque la vie m’offrait le bonheur de savourer un gâteau au chocolat, une glace, une balade en forêt avec ma famille, un premier baiser (cachée derrière la maison des voisins) …
Puis je suis devenue une jeune-fille, une jeune-femme, toujours pleine de rêves et d’ambition : j’ai obtenu mon bac avec brio, puis intégré une fac de droit, continué aussi à vivre avec passion mon amour de lycée… et surtout j’avais, ou je dis bien j’avais, une santé, oui une santé, et une forme physique qui me permettaient de faire toutes sortes de sports, dont la natation que j’affectionne depuis toujours.

Et LE jour est arrivé, ce jour qui a bouleversé ma vie, mes projets. Après plus de six mois à observer mon corps changer, ne plus me porter solidement, me faire défaut de plus en plus, les nombreux examens effectués çà et là ont diagnostiqué une maladie orpheline : ’’ la maladie du soleil couchant’’.
Quelle magnifique appellation n’est-ce-pas ?
Mais la réalité est bien moins … ‘’rayonnante’’…
« Très peu de cas dans le monde, pas de véritable traitement », m’a annoncé l’un des trop nombreux médecins que j’ai dû côtoyer. L’issue ? La chaise roulante, car rapidement les muscles de mes jambes ne pourraient plus me permettre de marcher et dans le pire des cas, la position allongée (d’où le nom de cette maladie, moins idyllique à présent, hein ?! Bel oxymore l’idée d’une maladie idyllique…).

Et effectivement, la chaise roulante est arrivée l’année qui a suivi.
J’aurais pu sombrer alors, me laisser aller… J’avoue que parfois, cela a été le cas, surtout lorsque mon petit ami, vous savez ‘’l’amour de lycée’’, m’a annoncé que tout était fini, car il ne supportait pas l’idée que tous nos projets s’effondrent (ce sont ces mots) : plus possible les courses à pied du dimanche matin en vue du Marathon de New York, la nuit de noces aux Maldives, les marches de la Tour Eiffel en courant… Mais je ne lui en ai jamais voulu. Jamais. Je l’ai remercié au contraire pour tous les merveilleux moments partagés ensemble, durant toutes ces années.
Ah oui, petite précision, le verdict est tombé à mes 22 ans… j’en ai 32 à présent.
Je disais donc que j’aurais pu sombrer, que c’est arrivé, parfois je l’avoue, mais que l’Amour qui régnait tout autour de moi à ce moment-là était trop fort. Mes parents, ma famille, mes amis, tout ce petit monde était là, POUR MOI, pour m’aider à surmonter cette épreuve. Car oui, l’annonce d’une telle maladie a été une épreuve.
Oui mais, l’Amour des autres ne suffit pas : il faut l’AMOUR DE SOI pour s’en sortir.

J’ai décidé un jour, un an environ après l’annonce de ma maladie, après une grosse crise de « j’en ai marre de tout, je ne peux plus rien faire, ma vie est foutue… » de faire la liste de tout ce que j’avais envie de faire, de voir, de vivre dans ma vie…
J’ai repris alors mes études de droit et suis avocate à présent, une brillante avocate d’ailleurs.
Je suis allée voir les chutes du Niagara (ce n’est pas simple de voyager lorsqu’on est en fauteuil, c’est certain, et cela demande beaucoup d’énergie et d’organisation !! Mais c’est possible).
Je suis allée en Israël, réaliser un rêve d’enfant : nager avec les dauphins (et oui, avec de l’aide, c’est tout à fait possible de s’immerger dans la mer et d’entrer en contact avec ces animaux si… sensibles et d’une extrême douceur).

La liste de mes réalisations est si longue… et ce n’est pas fini : j’ai envie de faire tant de choses encore… D’autant plus qu’une fois persuadée de tout ce que j’étais capable de faire dans ma vie ‘’avec’’ et non pas ‘’malgré’’ ma maladie, c’est-à-dire après l’avoir totalement acceptée et m’être rendue compte qu’elle ne me définissait pas, loin de là. Elle était là, oui c’est vrai, et je n’avais d’autre choix que d’en tenir compte. Mais elle ne changeait en rien l’essence même de celle que j’étais. Il fallait juste que je m’adapte.
A compter de ce jour, j’ai pris conscience de la force que j’avais développée, j’entends par là la force psychique. J’ai également pris conscience de mes compétences, de mes qualités, de cette femme merveilleuse que je suis.
Et c’est là, oui là, que j’ai rencontré l’Amour. Cet homme partage ma vie depuis 6 ans à présent ; quel Bonheur.
Il ne m’a connue qu’en fauteuil… et alors ? Il m’a connue plus resplendissante que jamais, une fois les blessures de la maladie refermées et l’acceptation de moi.
Peut-on être mieux dans sa vie que je ne l’étais au moment précis où j’ai décidé de m’accepter telle que j’étais, avec mes forces, mes faiblesses aussi.
Je ne souhaite à personne bien entendu de tomber malade pour réaliser à quel point la Vie est Merveilleuse et combien chacun d’entre nous est Formidable.
La vie est dure, ne nous en cachons pas, mais elle est si Belle.

Profitez de chaque instant, de chaque chant d’oiseau, de chaque rire d’enfant, de chaque lever, de chaque coucher de soleil, appréciez le souffle du vent sur votre peau, la douceur d’une soirée d’été, le bruit des vagues, souriez aux inconnus que vous croisez dans la rue, tenez la porte à cette vieille dame qui sort de la boulangerie, prenez le temps d’appeler vos proches, d’aller les voir, écouter ceux qui se confient à vous, chantez à tue-tête sous la douche si le cœur vous en dit, n’ayez pas peur de rire même si les autres ne comprennent pas pourquoi…
Osez, soyez vous-mêmes, aimez-vous !!!!
La joie, le bonheur, l’amour sont contagieux : vous les répandrez autour de vous comme une traînée d’étoiles filantes. Vous avez ce pouvoir, nous l’avons tous.

Voici mon message de Vie, d’Amour.

De Marie-Josée

L’accordéoniste

Ce samedi matin, la queue était longue à la superette du village, suite à un problème technique que tentait de résoudre depuis un bon quart d’heure la caissière. Prenant leur mal en patience, les conversations des clients allaient bon train. C’était l’occasion, pour moi, de papoter avec une copine que je n’avais pas vue depuis longtemps. Elle me demanda de but en blanc :
—Au fait, tu savais qu’Annabelle devient aveugle ?
La dame devant nous se retourna et sans me laisser le temps de répondre déclara :
—C’est ce qu’elle prétend. Moi, je vous dis, que c’est une simulatrice. Elle se promène tous les jours avec son chien, elle n’est pas plus aveugle que vous et moi. Encore une qui va toucher une allocation aux frais du contribuable !
Le cliquetis de la caisse enregistreuse qui fonctionnait à nouveau mit fin au brouhaha des conversations et chacun s’empressa de payer ses achats.
Passé notre tour, j’ai repris la conversation interrompue avec ma copine en lui disant que je ne savais pas qu’Annabelle devenait aveugle et que je savais encore moins qui elle était. J’appris seulement qu’elle était mariée et qu’elle avait un petit garçon de deux ans, ce qui ne m’avançait guère. J’étais triste pour elle et nous avons changé de sujet. A ce moment-là, j’étais loin de ne me douter que nos chemins allaient se croiser de façon inattendue quelques années plus tard.
La réunion de crise du comité de l’association théâtrale s’achevait et le problème n’était pas résolu pour autant, fallait-il maintenir la revue de l’année prochaine ? Le départ inopiné de l’accordéoniste nous avait mis dans l’embarras et le remplacer au pied levé s’avérait être mission impossible. Au fil des échanges, la trésorière nous suggéra de demander à sa voisine Annabelle si elle serait disposée à nous dépanner. Elle l’entendait souvent jouer mais quand bien même cela se ferait, il resterait un petit problème : elle était aveugle. Les délibérations reprirent et d’un commun accord, il fut décidé de la rencontrer, cela pourrait être une opportunité pour elle comme pour la troupe.
Le jour fixé, je me rendis au rendez-vous un peu en avance, je voulais échanger quelques mots avec la présidente avant, mais Annabelle m’avait devancée. Elle était déjà installée sur une chaise, l’accordéon posé à côté d’elle et un beau chien noir couché à ses pieds.
Ce n’était pas la première fois que je rencontrais quelqu’un qui souffrait de ce handicap. Au lycée, quatre élèves aveugles venaient nous rejoindre pendant le cours de philosophie et l’un d’eux s’asseyait toujours à côté de moi. J’étais admirative de la façon avec laquelle il venait à bout de son problème alors qu’à moi, il paraissait insurmontable, mais il était aveugle de naissance ce qui n’était pas le cas d’ Annabelle. Elle me fit pourtant la même impression.
Elle se présenta de manière désinvolte, admis volontiers qu’elle était curieuse et qu’elle posait toujours plein de questions aux personnes qu’elle n’avait pas connues avant sa maladie et que si cela me gênait, je ne devais surtout pas hésiter à le lui dire. Sa curiosité satisfaite, elle me proposa de jouer un petit air, histoire de s’échauffer avant ‘’ l’audition ‘’. Elle a réussi à nous convaincre et malgré quelques fausses notes, elle intégra la troupe.
Elle était consciente des efforts qu’elle devrait fournir pour améliorer son répertoire et vaincre sa peur de jouer en public. De notre côté, tous les membres du groupe se sont investis pour veiller à sa sécurité et au bien-être de Happy, son fidèle compagnon à quatre pattes. Au fil du temps, nous avons découvert une personne authentique qui n’avait pas la langue dans sa poche. Elle parlait volontiers du bouleversement que la cécité avait provoqué dans sa vie. Elle a dû faire face aux difficultés financières, aux médisances, à l’incompréhension de son entourage qui s’est soldé par un divorce et le rejet de certaines de ses copines. Elle ne s’est pas repliée sur elle-même pour autant, bien au contraire, elle a gardé la joie de vivre. Elle adore raconter des blagues et n’hésite pas à pratiquer l’autodérision.
Elle est bien consciente qu’il lui faut de l’aide et l’accepte volontiers à condition qu’elle soit sincère. Elle a réussi à s’entourer de personnes bienveillantes et se bat chaque jour pour garder et conquérir un maximum d’autonomie. Elle a appris le braille et à se servir des objets du quotidien adaptés à son handicap mais ils coutent chers et ses faibles revenus ne lui permettent souvent pas de les acheter. Une machine pour lire le courrier était l’un d’eux et pour lui permettre de l’acquérir, elle s’est adressée à la municipalité. Un appel aux dons fut lancé et c’est ainsi que le Maire et la Présidente de la troupe de théâtre ont pu jouer au Père Noël en lui remettant deux chèques dont les montants couvraient largement le prix de la machine.
Malheureusement, elle nous a annoncé récemment que la dégradation de sa santé ne lui permettrait plus d’assurer le ‘show’ à l’avenir. De membre actif, elle est passée au statut de membre de cœur et il y aura sûrement encore des moments de convivialité à partager, si sa maladie lui offre un peu de répit.
Même si le rideau s’est fermé pour Annabelle, elle n’a pas encore dit son dernier mot. Elle continue à participer à la vie locale par des interventions ponctuelles dans les écoles pour sensibiliser les enfants au handicap.
Pour elle comme pour nous, il y a toujours des défis à relever. La troupe est à nouveau à la recherche d’un musicien et Annabelle à la recherche d’un autre chien guide. Après 10 années de bons et loyaux services, Happy prendra sa retraite mais pour Annabelle, hors de question de s’en séparer, elle envisage de l’adopter.

D’Elisabeth

Travailleuse sociale depuis peu, j’ai en charge le dossier de la famille Edmond, pour un suivi de trois semaines. Une famille composée de quatre membres, Martine et Paul , les parents, âgés de quarante-cinq et cinquante ans, et leurs deux enfants, Karine , l’aînée , quinze ans, et son petit frère David, dix ans.
La particularité de cette lignée, c’est qu’ils sont tous atteints d’un handicap intellectuel. La prise en charge prend effet demain, à vrai dire j’appréhende un peu, c’est nouveau pour moi, jusqu’à présent, je n’ai eu à traiter que des cas simples. Néanmoins, j’ai tenu tout de même à mettre les pieds dans le plat. Car , c’est bien pour cela que j’exerce cette vocation, pour aider, ne léser personne, apporter ma maigre contribution.
Me voilà arrivée à l’adresse indiquée, un quartier fleuri, calme, accroché à leur porte un grand panneau, figurant « Nous sommes différents, l’assumons, mais, rassurez-vous, nous avons un cœur qui bat comme le vôtre. » Touchant ! Je sonne , la porte s’ouvre et derrière, se trouve une charmante Dame rousse, de taille moyenne, m’accueillant d’un magnifique sourire.
Je suis Martine, bienvenue, je vais vous présenter ma tribu, me lança-t-elle.
David , son époux, un homme d’une corpulence imposante, plutôt réservé, aux yeux marron, les cheveux châtains. Karine une adolescente pétillante, coquette, avec de longs cheveux frisés, le cadet David , a hérité du physique du père, mais d’un tempérament vif, comme une boule de feu.
J’observe, je prends la température de la maisonnée, qui sans aucun doute regorge de chaleur humaine. Mme Edmond m’explique leur quotidien, le parcours scolaire de leur progéniture ,leurs passions et autres. Cette femme est douce et agréable, très loquace, elle aime s’adonner à la marche et au Scrabble, et a horreur des fautes d’orthographe. Sa jeune fille adore la danse, d’ailleurs, elle participe souvent à des concours. Karine n’est pas une ado isolée. D’un ton fier, elle laisse échapper, « Ma fille croque la vie à pleines dents ».
D’un large sourire, j’acquiesce ! Monsieur, quant à lui, aime beaucoup jardiner, avoir les mains imprégnées de terre, sentir l’odeur du sol l’apaise. David, lui, sportif, pratique le judo, il en est à sa troisième année. Mais , ses parents, pensent qu’il serait bon pour leur fils, de compléter avec une autre activité, tant il a de l’énergie.
Ma première journée s’achève paisiblement, mes appréhensions envolées. Les journées défilent auprès des Edmond, chaque jour est une nouvelle expérience, ils me surprennent davantage. Arrivée à terme de ma « mission » et pas des moindres, séduite par cette belle famille. Ces trois semaines ont été riches des deux côtés, cela m’a fait grandir, et pour mes « protégés » , leur a procuré d’autant plus d’assurance. Que oui, il existe encore des gens vivants et humains. Dans la vie , nous ne cessons jamais d’apprendre, la nature nous enseigne constamment.

De Laurence D

Au début de ma carrière d’enseignante, je me souviens très bien de la visite dans une classe de malentendants. Lorsque je suis entrée dans la classe, le silence des mots était assourdissant et pourtant je n’ai jamais entendu autant de bruits parasites, claquements de tiroirs, raclements de chaises sur le plancher, livres et cahiers déposés sur les tables avec fracas. Mais personne ici ne semblait déranger par tout ce vacarme, à part moi, équipée d’oreilles de personne « entendante ».
Depuis, c’est moi qui ai de plus en plus de mal à entendre le monde extérieur avec ses paroles qui ne me livrent plus ses secrets. Lorsqu’il est nécessaire, je « m’équipe » afin de faire partie de la communauté qui entend et qui pourtant n’écoute pas. Car c’est là toute la différence : dès que je n’ai plus à écouter attentivement, je quitte tout ce matériel pour ne plus à avoir à entendre tous ces sons discordants qui m’agressent et me gênent. Mes yeux compenseront cette perte et m’offriront un autre regard sur cet environnement sonore mordant et parfois menaçant.
J’aime à retrouver cette bulle apaisante et détendue lorsque le bruit s’estompe et fait place à une douce tranquillité des sens. Certes, tout n’est pas bruit, bien évidemment, mais arrivée à l’âge que j’ai aujourd’hui, ce silence me permet de penser et de réfléchir plus sereinement afin d’obtenir, j’ose le croire, une meilleure compréhension du monde qui m’entoure.

Poème de Claudine Bertrand, extrait de « Emoi Afriques ( s ) 2017, proposé par Françoise T

La poésie s’abreuve
à la cruche trouée
en gouttelettes de vie
chaque seconde

vie et mort toujours
sur le même sentier
collant à chaque pas
comme sable aux semelles

les peaux saignent
sur terre orange brûlé
ne respirant plus
entre chair et air

un vieillard tire sa révérence
c’est une bibliothèque
qui disparaît de l’humanité
de toutes mémoires

chacun ses musiques
ses temps primitifs
odes abandonnées
pulsation de la marche

faire le guet
sur la potence
révélation des sages
offrant certains mots

qu’on laisse sécher
deux jours deux nuits
s’ils sont encore là
d’autres mots se déposent
pour un nouveau poème

confronté
à l’arbre fétiche
l’écrivain enfante
de grands bouleversements

Poème de Irène Schavelzon, « Mutisme », 1973, proposé par Françoise T

Voix berceuse. Voix prière.
Voix douce et mystérieuse des femmes. Voix étouffées au fond des chambres. Je suis muette. Mes mains sont ma seule parole, ma seule écriture. Elles plient le linge. Elles effacent la poussière. Elles caressent les visages. Elles s’attardent sur mon corps, y tracent des hiéroglyphes qu’ils ne savent pas déchiffrer. Parée comme une odalisque j’écoute sagement, immobile. Cependant mon corps parle. Il prend toutes les formes de la Lettre. Ma chair entière est un long discours ininterrompu. Je suis pleine d’exclamations, de soupirs, de pleurs, de cris, de maladies inexplicables. De peur de comprendre mon langage fait de violence et de désespoir. ILS me disent mélancolique ou hystérique et me condamnent au seul langage par eux permis : le mariage et la maternité. Ma voix devient celle du mari, des enfants. Ma voix, mon chant profond, moi seule l’entend. Elle est mon sang qui chaque mois me métamorphose.
Parfois j’enferme les mots dans des cahiers que je noue de faveurs comme des lettres d’amour. Je les cache dans des secrétaires. Je les enfouis dans des armoires sous des piles de mouchoirs. Ce langage que je vole, quand je suis découverte je le brûle. Je le regarde comme ILS ont regardé périr les sorcières au bûcher, devenir braises, cendres, s’élever autour de moi tel un chant de mort et je retourne au silence.
Je ne dis jamais JE. Je suis nous, la famille. Je suis les autres.
En tous lieux je suis interdite de séjour, poursuivie, bâillonnée, condamnée au mutisme.
Certains jours, raccommodeuse près des lampes, je perçois des cris de femmes révoltées. La nuit dans mes rêves ils sont forts, divers. Ces voix magiciennes sont ma voix. Elle acquiert une force nouvelle. Ses accents sont plus mûrs. Je peux jouer avec elle comme d’un instrument. Elle commence à couvrir leur voix. Elle retentit de tous côtés. Maintenant je sais que je parlerai jusqu’à ce que j’aie dit tout ce que j’ai à dire et si ILS essaient de m’en empêcher j’élèverai la voix de façon à parler plus fort qu’EUX.  

Avec le magnifique weekend qui arrive, je vous souhaite de très belles fêtes de Pâques, et pour celles et ceux qui prennent des vacances, de belles et reposantes vacances.

Je vous retrouve fin avril pour une nouvelle proposition d’écriture.

L’atelier d’écriture ferme mais le blog continue à publier un article chaque mardi, comme d’habitude.

Portez-vous bien et surtout prenez soin de vous!

Créativement vôtre,


Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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