On aurait toutes et tous voulu être des artistes. La vie en a décidé autrement. Les textes de la proposition d’écriture N° 143 révèlent des situations parfois douloureuses.

Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture.

De Misha

ARTISTE DEBOUSSOLÉ

Micaël Bale, 25ans.
J’ai toujours eu une passion pour la musique, en particulier les instruments à corde. La première fois que j’ai écouté de la musique classique, c’était certainement dans le ventre de ma mère. Elle en écoutait tout le temps.
Quand j’ai eu l’âge de 8ans, j’ai écouté pour la première – ou j’ai été conscient d’écouter – les 4 saisons de Antonio VIVALDI. Je ne me souviens pas de qui jouait de cette magnifique œuvre mais, je me rappelle que j’étais debout, devant le tourne-disque, je regardais l’aiguille qui semblait faire du sur place. On aurait dit que le temps s’était arrêté et qu’il n’y avait que cet appareil et moi dans le monde.
Je me sentais comme une partie de ce violon qui grinçait. On aurait dit que c’était avec mes vaisseaux sanguins que cette personne jouait ses notes.
A des moments, je ressentais de la joie, puis de la peur et même de la tristesse, en fonction de chaque mouvement de l’œuvre.
Quand la musique s’est arrêtée, je suis revenu à la réalité : il fallait faire mes devoirs !
Ma mère s’est aperçue de mon intérêt pour la musique, elle m’a inscrit au cours de piano. A cette époque dans mon pays, il n’y avait pas de violoniste ni de professeur de violon. En effet, chez nous, la musique classique est peu écoutée car n’étant pas notre culture.
Pour mon premier jour à l’académie, j’étais le seul élève à cette heure-là. On a commencé par des cours de solfège. J’apprenais à déchiffrer ces symboles que je trouvais déjà magnifiques à regarder et étais curieuse d’en comprendre le sens.
La première fois que j’ai touché au piano, j’avais l’impression d’établir une connexion avec cet instrument. C’était comme rencontrer un nouvel ami, ou mieux, comme me découvrir moi-même.
Quand j’ai frappé la première touche, c’était comme…électrique !
Comment pourrai-je l’expliquer, c’était ma partition, mon piano et moi. Oui, bien sûr que j’écoutais le professeur. Mais, c’est pour vous faire comprendre à quel point, je me suis sentie complète à cet instant précis.
A mon retour, j’ai supplié ma mère de m’offrir un piano. Elle m’en avait acheté un à la fin de l’année scolaire pour me récompenser de mes bons résultats scolaires.
Je regardais beaucoup d’émissions sur la musique classique et plusieurs concerts. Je voulais devenir une pianiste renommée et ouvrir une grande école de musique dans mon pays, en partenariat avec des musiciens du monde. Car, j’apprécie également les musiques des autres cultures. C’était mon plus grand rêve, en dehors de devenir cardiologue.
Je m’améliorais chaque jour, chaque année… A mes 17ans, j’ai eu un accident de circulation. J’ai été tellement choquée par cet accident que je me suis repliée sur moi-même, déjà que je n’étais pas très ouverte.
J’ai porté un plâtre pendant plusieurs mois et je ne pouvais plus toucher à mon piano. Je me suis sentie tellement vide, comme si on m’avait enlevé une partie de moi. Je n’avais plus de raison de vivre.
Cela m’a pris plusieurs années pour me remettre du choc de l’accident. Malheureusement, chaque fois que je venais près de mon piano, je me sentais indigne d’y retoucher. J’avais l’impression d’avoir abandonné mon enfant pendant tant d’années. J’avais perdu goût à la vie et par conséquent, je ne ressentais plus le droit de jouer du piano. Peut-être je suis juste trop dure envers moi.
Après ça, la réalité de la vie m’a obligée à chercher une autre voie pour survivre dans ce monde. Je n’arrête pas d’écouter de la musique classique et j’espère avoir le courage un jour de me réconcilier avec mon vieux piano.

De Zouhair

« J’aurais voulu être un artiste,
Pour pouvoir faire mon numéro,
J’aurais voulu être un chanteur,
Pour pouvoir crier qui je suis,
J’aurais voulu être un auteur,
Pour pouvoir inventer ma vie ».


Voilà, ces trois phrases résument parfaitement mes motivations pour être un artiste :
pouvoir faire son numéro, autrement dit être en vue et épater la galerie.
Pouvoir crier qui l’on est : oui, exprimer son être profond, ses désirs, ses souffrances, ses ambitions…
Être un auteur pour pouvoir inventer sa vie : c’est l’aspect création, dédoublement de soi…

Dès le départ, il ne fallait pas sortir du rang, se fondre dans le moule du creuset familial. Famille de notables très en vue dans la société, il fallait respecter l’étiquette et être irréprochable sur le plan moral. Les rôles et les comportements de chacun, fille ou garçon, étaient très codifiés.
Les filles devaient aider leur mère dans les tâches éducatives et ménagères, malgré le fait qu’elles soient scolarisées, en vue d’être de bonnes maîtresses de maison et de bonnes épouses.
Les garçons devaient se tenir hors du champ domestique et vaquer dans le jardin ou dans la rue, car ils devaient se préparer à être des « maîtres ».
Moi, j’étais un garçon et je voulais être « dedans ». Toutes les tâches ménagères m’intéressaient. Je voulais éplucher les légumes avec ma mère pendant que mes grandes sœurs étaient à l’école. Je grimpais sur un tabouret pour pouvoir mettre les légumes dans la casserole. Je voulais passer la serpillière…Évidemment, cela était mal vu et l’on me décourageait de suivre cette voie.
Un jour, je me suis fait repousser violemment par ma mère alors que je cherchais à l’aider à éplucher des légumes. Le sol était encore mouillé. Je glissai, me cognai la tête sur le sol et m’ouvrit le front. Pour me venger, j’enfermai ma mère dans le poulailler alors qu’elle ramassait les œufs. Elle ne dut son salut qu’à la domestique qui entendit ses cris et ses menaces depuis l’autre bout du jardin.
J’étais donc mal parti pour jouer le rôle du garçon qui m’était prédestiné.
Mais, j’amusais beaucoup la galerie avec mes manières un peu efféminées, surtout lorsque j’imitais ma mère en colère ou que je faisais semblant d’élever une bordée de bébés tous logés dans la babouche de mon père. Je sortais aussi le bon mot au bon moment, ce qui faisait s’esclaffer toute la famille.
J’avais donc déjà tout pour épater la galerie, mais je n’avais pas la capacité d’exprimer qui j’étais vraiment car les menaces du père de punir quiconque sortait du rang étaient suspendues comme une épée de Damoclès. On pouvait s’amuser mais il fallait rester conforme à ses principes éducatifs et moraux. Mes grands frères l’ont appris à leurs dépens lorsque, surpris en train de cueillir et de manger des fruits pas tout à fait mûrs sur l’arbre du jardin, ils furent soumis à la « falaqua ».
Cette pratique barbare, héritée des Turcs, consistait à attacher les pieds de l’individu qui avait fauté à une barre en bois, à soulever la barre jusqu’à ce que la plante des pieds soit parallèle au plafond, puis à fouetter la plante des pieds avec une corde ou des roseaux.
Mon père n’avait pas besoin d’une barre en bois : il faisait tenir les pieds du supplicié par son complice et inversement. De ce fait, l’humiliation était double car l’on devenait, à tour de rôle, complice du tortionnaire.
Devant cette menace, j’appris à devenir l’enfant sage et obéissant que je suis encore aujourd’hui. Mais, j’appris aussi à m’effacer et à effacer le côté original et atypique qui me caractérisait. Je me mis à porter un masque pour pouvoir plaire et satisfaire tout le monde. On me trouvait gentil et serviable. Je pouvais même céder ma place à quelque cousin à la table familiale et me retrouver à manger seul dans la cuisine.
A l’adolescence, je commençais à dessiner. Je me débrouillais pas mal. Mais, toujours selon le même principe familial, il ne fallait pas trop encourager un jeune à suivre une voie artistique. Pour preuve, quelques années auparavant, ma grande sœur s’était attiré les foudres paternelles lorsque ce dernier apprit qu’elle suivait en secret des cours de théâtre. Ma vocation de dessinateur s’arrêta donc là.
Ce qui était important dans ma famille, c’étaient les études. Il fallait les poursuivre le plus loin possible. C’est ainsi que je devins médecin, pour faire plaisir à mon père et avoir de la valeur à ses yeux.
Mais, après quarante années de pratique, je me rends compte aujourd’hui que, contrairement à l’artiste, je n’ai pas inventé ma vie. Je n’ai fait que suivre des procédures, appliquer des protocoles et répondre à des demandes.
C’est aujourd’hui que le fait de ne pas avoir pu devenir artiste me manque le plus.
Mais, je fais très souvent la cuisine chez moi et…je me suis inscrit à un cours de dessin.


De Roselyne

L’écriture, c’est pour moi un élément essentiel, c’est une ligne de vie salutaire et salvatrice. Elle happe celle ou celui qui, un jour, a pris la plume pour poser sur une feuille l’esquisse des premières lettres. Puis, petit à petit à attacher, lier les caractères les uns aux autres pour former un mot, des mots, des phrases.
La main qui tient la plume est vacillante, timide. Cette main doit apprendre à maîtriser, à apprivoiser le contour des lettres, à exécuter les pleins et les déliés. Aujourd’hui, bien sûr il en est tout autrement.
L’écriture peut glisser comme un frêle esquif sur les eaux tranquilles d’un lac, rugir comme un lion, être agressive, tempétueuse comme l’océan, rêveuse, poétique et douce comme une caresse.
Ecrire, c’est un jeu de piste. Il faut déchiffrer les calligraphies, les rondes, les saccadées, les nerveuses, celles qui sont illisibles, les gribouillis et j’en passe.
Ecrire, c’est comme une braise
Ecrire, l’esprit s’apaise
Ecrire fait prendre conscience
Ecrire donne confiance
Ecrire amenuise les peines
Ecrire, c’est une fontaine
Ecrire, c’est libérateur
Ecrire, c’est une douceur
Ecrire, c’est du bonheur
Ecrire, c’est comme une fleur.
Ecrire toujours et encore. Libérer ses sentiments et ressentiments. Poser les mots difficiles, ceux que l’on ne peut dire à l’autre. Ecrire ce qui fait mal, ce qui fait du bien. Pencher sur les pages d’un cahier totalement inanimées (Objets inanimés avez-vous donc une âme …) les émotions, les troubles, les bouleversements, les peines. Mais aussi les moments merveilleux, ceux qui font que la vie sur cette terre où nous ne faisons que passer soit la plus belle possible.
ECRIRE, ECRIRE ET ECRIRE ENCORE …

De Lisa

Il a du succès dans les affaires
Il a du succès auprès des filles
Il change souvent de partenaires
Il réalise ses rêves
Il présente plein de projets
Et il contrôle tout ce qu’il fait
Il passe la moitié de sa vie en l’air
Entre La France et le reste
Il voyage sous les honoraires
Il a sa résidence secondaire
Dans tous les hôtels de la Terre
Il ne peut plus supporter son ancienne vie d’enfer

Il n’est pas heureux mais il est fier
De montrer sa joie de vivre
Faire semblant, c’est son affaire
Il a réussi et en est fier
Au fond il n’a qu’un seul regret
La séparation de son père et de sa mère

Il veut être un artiste
Pour pouvoir faire un numéro
Et voir ses parents dans les pupitres
Et voir dans leurs yeux, leurs fils

Il veut être un acteur
Pour le suivre dans les réseaux
Pour inventer une nouvelle peau
Et au fond de lui, créer le mot vivre
Quitte a inventé une vie féerique
Quitte a inventé une vie féerique

Il veut être un chanteur
Pour voyager comme un égoïste
Et prouver qu’il existe
Et tourner le dos au solitaire
Et tourner le dos au solitaire

Il veut être un artiste
Pour inventer une nouvelle vie
Et surtout voir ses parents réunis
Le temps d’un spectacle
Et pour que l’enfance lui sourit

Et pour que l’enfance lui sourit

De Jacques

L’artiste

Je veux être un artiste, mais qui suis-je? Qu’ai-je fait? Qu’ai-je accompli? J’ai écrit une thèse de maîtrise. Durant ma carrière professionnelle, j’ai écrit des plans d’affaires (business plan en français de France), des mémoires au gouvernement, des documents officiels pour l’entreprise, des règlements, des politiques internes, etc. J’ai fait partie de plusieurs conseils d’administration, mais quel est mon talent, mon vrai talent? J’aime la photographie, mais je ne suis pas photographe, même si je l’ai fait professionnellement pendant quelques années. La chanson en tant qu’auteur, compositeur interprète? Je joue de la guitare, mais mes mains me font mal. Je chante faux comme une porte qui grince.
L’écriture me semble le véhicule par lequel je pourrais montrer mon talent. Je manque de méthode et de patience pour les nouvelles ou les romans. Il me reste la poésie, pourtant je me questionne. Après un refus d’une maison d’édition, je me suis dit que c’était la fin de mes tentatives de devenir un poète digne de ce nom. Qu’est-ce qu’un poète digne de ce nom? Celui qui est publié, qui peux montrer la couverture de son recueil avec un tout petit peu d’orgueil. En suis-je capable? Est-ce que ce que j’écris présentement est « publiable »?
Je n’ai que des doutes, mais il faut tenter ma chance encore une fois. À 67 ans, qu’ai-je à perdre?

De Laurence H

« J’aurais voulu être un artiste » mais m’a été imposé la reprise de la ferme familiale.
Mes rêves se sont envolés, vaches et tracteurs ont pris toute la place.
Levé tôt, couché tard, je suis une bête de somme. Mon père, robuste et autoritaire, ne me voit pas souffrir. Il ne voit personne. Son regard est dur et renfrogné.
A 50 ans passés, je suis toujours le p’tit. Il commande son monde et le mien.
Mon goût pour la musique n’était pas son goût.
Tête baissée, les yeux humides, ma mère me comprenait et m’aimait. Face aux colères du père, elle s’inclinait.
J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire mon numéro.
L’accordéon et moi aurions été sur la piste. Les regards émerveillés et les sourires des spectateurs m’auraient chauffé le cœur.
Mais aujourd’hui, les lumières du cirque n’illuminent que mes nuits sombres. Mon sommeil est lourd et mes rêves se sont évanouis.

De Gérard

—Papa, je sais ce que je veux faire plus tard, je serais artiste peintre.
Cette phrase, prononcée par mon oncle André en 1924, alors qu’il était dans sa quatorzième année, lui valut la réponse paternelle suivante :
—Artiste-peintre, c’est un métier de crève-la-faim ! Écoute-moi bien, tu aimes peindre et je reconnais que tu as un certain talent dans ce domaine. Seulement tu ne gagneras jamais ta vie avec ça, alors tu vas poursuivre tes études, choisir un métier dans lequel tu gagneras correctement ta vie. Et après, seulement après, pendant tes moments de loisirs, tu pourras peindre autant que tu en auras envie. Commence par avoir un bon métier ! La discussion est close.

Mon grand-père Lucien, père d’André, savait ce qu’était le combat pour « s’en sortir ».
Il dût quitter la ferme familiale ardennaise à 14 ans pour gagner sa vie seul « parce que la ferme ne pouvait pas tous nous nourrir ».
Il s’engagea jeune dans l’armée avec laquelle il parcourut et découvrit de 1900 à 1912 les colonies françaises, Madagascar, le Sénégal, le Tonkin…
De retour en France, il participa activement à la Grande Guerre, la soi-disant « der des ders », à la fin de laquelle il perdit son bras droit, emporté par un obus ennemi.
Invalide de son bras, l’armée lui proposa une reconversion originale, et il devint percepteur, fonctionnaire du Ministère des Finances.
La dureté et la cherté de la vie, il connaissait, il avait donné.
Lucien et Alix, son épouse, avaient quatre enfants, deux garçons et deux filles, dont ma mère.
Qu’André, l’aîné, veuille devenir artiste-peintre, il ne pouvait en être question !
André ne fit pas ses études aux Beaux-Arts, comme il le souhaitait.
Il entra dans la vie économique et connut une brillante et originale carrière dans l’import-export.
Arrivé à l’âge de la retraite, il se mit à peindre… juste pour le plaisir.

L’histoire d’André et de son père fit le tour de ma famille.
Quarante années plus tard, ma mère nous la rappelait.
Devenir artiste, il n’en était pas plus question dans la famille de mes grands-parents paternels, commerçants en tissus, que dans celle de mes grands-parents maternels, fonctionnaires.
Dans les années soixante, mes parents prévinrent leurs quatre enfants devenus grands de se méfier de la tentation artistique :
« Les artistes, on les admire, on va les voir, mais pas question d’imaginer gagner sa vie en exerçant son art ! »
De plus, il fallait éviter de convoler avec eux car « Les artistes sont des gens intéressants mais impossibles à vivre au quotidien ! »
Et mon père ou ma mère de citer quelques exemples familiaux d’unions conjugales avec des artistes qui toutes avaient mal fini. Enfin, l’art était une activité très injuste.
« Le peu d’entre eux qui réussissent gagnent des sommes indécentes, alors que l’immense majorité finit aigrie en tirant le diable par la queue toute sa vie ».
Avec une éducation aussi pragmatique, comme mes trois sœurs, je n’ai donc pas « voulu être un artiste », averti que le rêve risquait fort de virer au cauchemar.
Je me suis contenté d’admirer, de prendre plaisir à découvrir talents et œuvres, et d’applaudir.

De Marie-Laure

Elle aurait voulu être danseuse

Petite, elle aimait les robes qui volent. C’ était son grand plaisir de tourner et de voir le tissu virevolter autour d’elle. Mais ce mouvement laissait parfois apparaître sa petite culotte, alors on lui a dit que ce n ‘était pas bien, qu’il ne fallait pas faire ça, qu’il fallait qu’elle comprenne.
Un Noël, sa grand-mère lui a offert une boîte à bijoux, c’était tout simplement magique. En soulevant le couvercle, une petit ballerine tournait sur elle-même au rythme d’une douce musique.
Combien de temps a t ‘elle passé devant ce simple objet ? Nul ne peut le dire, mais pour sûr c’était son réconfort quotidien et dans le secret de sa chambre, elle aussi tournait face au miroir.
A ce moment-là dans les petits villages, il n ‘y avait pas d’activités « extra – scolaires », ni guère de loisirs d’ailleurs ! Une fois les devoirs finis, les filles aidaient aux tâches ménagères, après seulement elles pouvaient se retrouver pour jouer entre elles.
Si ses parents affichaient une profonde tristesse à l’ idée de quitter leur village natal pour rechercher du travail en ville, clandestinement, elle s’en réjouissait ! Elle a été insupportable, tenace, entêtée jusqu’à son inscription à un cours de danse à la MJC du quartier. Voilà, elle a dix ans la première fois qu’elle chausse des ballerines et que sa grand- mère lui offre son premier tutu ! Elle est heureuse, elle ne loupe aucun cours, s’entraîne dès que possible dans sa chambre. Il lui semble que tout lui sourit dans cette nouvelle vie, elle touche du doigt son rêve !
La prof de danse est exigeante et souvent crie sur les élèves, voire parfois les insulte, c’est difficile, c’est clair elle n’a pas le profil idéal ! Mais elle partage aussi sa passion en leur faisant découvrir des chorégraphes, elle leur prête des revues spécialisées et deux fois l’an les accompagne à un spectacle, moments magiques !
La petite découvre Martha Graham, Alicia Alonso, elle est subjuguée, tourne et retourne toutes les pages de la revue. Tellement de grâce émane de ces photos, elle admire ces danseuses ! Dans l’intimité de sa chambre, elle rêve et là seulement elle ose s’identifier à elles. Et si, un jour, elle pouvait devenir danseuse et à travers le corps et le mouvement exprimer avec autant de grâce et de légèreté tout ce qu’elle ressent ?
Elle est adolescente lorsque , pour la première fois, elle assiste à un ballet. Elle s’en souvient comme si c’était hier, c’était une représentation de la Carolyn Carlson Dance Company. Elle est subjuguée par les jeux d’ombres et de lumière, qui tout à la fois révèlent les corps mais posent aussi un voile de mystère sur le mouvement. Les portés où les corps ne semblent faire qu’un, pour ensuite fendre l’air et s’ élever, véhiculent chez elle une immense émotion. Entre confusion dans la dualité et émergence du singulier, il lui semble toucher du doigt l’ultime poésie du mouvement et de l’être. Tout cela vibre en son for intérieur, c’est comme une lecture en musique et en mouvement.
Elle pourrait disserter des heures et chercher le bon mot pour représenter au mieux chaque mouvement, il y en a mille qui lui viennent en tête, à ce moment une ultime poésie l’ habite !
Elle pourrait apprendre la couture et y mettre chacun de ses ressentis dans la moindre portion de drapé qui enveloppe, accompagne et dévoile le corps, à ce moment la légèreté est sienne !
Elle pourrait apprendre la photographie pour figer l’espace et tenter de saisir l’instant, l’infiniment fugace du présent, quête complexe s’il en est !
Elle est là, elle regarde par tous les pores de sa peau, elle s’imprègne de toute cette poésie, elle voudrait que rien ne lui échappe. Elle est là, complètement dans sa bulle et comme en osmose avec la dizaine de danseurs.
Elle est spectatrice, elle est à sa place et malgré ses rêves les plus fous et les heures passées à répéter les chorégraphies, elle restera spectatrice. Elle doit se faire à l’idée, elle n’a pas la physionomie adéquate, elle n’a pas assez de souplesse ni de grâce pour s’imaginer un jour être sur scène. Rêve d’enfant, désillusion, elle remise ses chaussons au fin fond de son armoire, c’est comme si elle verrouillait ce tiroir, à jamais.
Elle est maman et elle accompagne sa petite fille au cours de danse. Parfois, elles s’amusent ensemble devant le miroir, c’est un moment de grande complicité, de pur bonheur. Sa petite fait son premier gala de danse à sept ans, elle est émue, heureuse, de chaudes larmes se promènent sur son visage. Son enfant intérieur pleure.
A l’ aube des quarante ans, elle n’a rien à perdre, elle n’a plus le temps de rêves déçus, c’est décidé, elle va reprendre la danse. Quelques mois plus tard, fille et mère se retrouvent sur la scène du théâtre municipal pour le gala de fin d’année. Bonheur intense, complicité ultime, une fois dans sa vie, elle aura accompli un petit bout de son rêve d’enfant ! Dans les coulisses, son mari l ‘attend, un bouquet de quarante roses rouges dissimule son émotion profonde.
Elle est mamie, devant son ordinateur, à écrire une proposition d’ écriture, une larme perce au coin de son œil, un sourire illumine son visage, une extraordinaire vibration la traverse aujourd’hui encore.

De Dominique

L’envolée.

Mamie Angèle célèbre aujourd’hui ses 90 ans. Pour fêter l’événement, la famille réunie a organisé un après-midi récréatif. Chacun des invités a mis la main à la pâte et les plats qu’ils ont confectionnés sont installés sur les tréteaux.
Après quelques verres pour “réchauffer l’ambiance”, Jean-Paul sort son accordéon.
Valses, tangos, slow sont au menu. Les plus intrépides sont déjà sur la piste de danse.
Alain, qui s’accompagne à la guitare, entonne quelques succès d’autrefois, qu’Angèle reprend en cœur.
L’ambiance de fête fait monter une clameur qui s’amplifie ;
— Angèle au micro… Angèle une chanson !
Un peu réticente au début, mamie finit par consentir. Tous savent ce qu’elle va interpréter ; sa chanson fétiche, “Nuit de Chine” qui est au programme de toutes les réunions.
Elle entame son premier couplet, la famille complice et bon public l’écoute avec bonheur. Le refrain arrive et chacun le reprend avec elle.
— Nuit de chine nuit d’amour nuit d’ivresse, de tendresse… Mamie s’arrête et c’est le trou de mémoire. Angèle maugrée sur sa mémoire défaillante et se promet de faire mieux la prochaine fois. Les gens rient de bon cœur et félicitent Angèle.
Après avoir honoré le buffet, la cérémonie du gâteau d’anniversaire s’annonce. Chacun regagne sa place et reprend sa conversation suspendue.
Puis, profitant d’un instant de calme revenu, la salle est plongée dans le noir. Le diaporama que Pierre a préparé est lancé.
Quelques photos d’Angèle défilent et, de tendres souvenirs refont surface.
Un cliché sépia attire les regards. La photo se fige les gens s’interrogent ! Qui est donc cette jolie jeune fille apparaissant sur l’écran ? Elle doit avoir douze ans à peine. Elle est habillée d’un très joli collant et “tutu” d’un blanc immaculé. C’est une ballerine qui pose gracieusement dans une posture de danse classique.
Angèle, en fronçant les sourcils pour mieux détailler le cliché, essaye d’identifier l’inconnue sur l’écran.
L’image est de mauvaise qualité, mais on peut deviner les traits de la jeune Angèle en cette jolie danseuse. C’est ça, c’est Angèle…
Personne n’avait connaissance de la photo et encore moins de la pratique de la danse dans la vie d’Angèle. Le public, toujours sous le coup de la surprise, entend des notes de musique résonner dans la salle devenue silencieuse. Des lumières colorées viennent enjoliver l’espace. La musique du “lac des cygnes” vient caresser les oreilles des gens sous le charme. Des apprentis danseurs, comme sortis de l’écran, arrivent pour occuper la scène. Ils évoluent en majestueux déplacements. Angèle reçoit la chorégraphie jusqu’au plus profond de son âme. L’émotion la gagne, elle est émue. Puis doucement, les eaux du lac se referment sur son mauvais sort jeté, le ballet se termine. Le public, qui doucement prend conscience de cet état de grâce un instant vécu, applaudit à tout rompre.
Pierre, le petit-fils d’Angèle, est l’auteur de la surprise. Il a retrouvé dans le grenier de sa grand- mère le cliché dormant au fond d’une malle.
Il vient s’asseoir auprès d’elle et évoque la passion secrète pour la danse classique.
— Tu m’as fait une belle surprise, dit Angèle à Pierre. Tu sais, j’ai aimé la danse et je voulais me perfectionner avec Madame Leprince, la fondatrice de l’association “l’envolée”.
De nos jours, Madame Leprince doit être tout là-haut en compagnie d’Euterpe, mais son œuvre continue d’exister grâce aux bénévoles qui font vivre son école de danse.
C’est Madame Leprince qui m’avait repérée lors des répétitions que nous avions pour préparer les chorégraphies de la fête d’école. Après les séances, elle venait souvent à la maison pour essayer de convaincre mon père de me laisser danser avec eux.
Hélas, papa est resté intraitable.
— On ne quitte pas la maison quand on est fille d’agriculteur, estime-toi heureuse que je te laisse aller à l’école. Et qui va aider au ménage ? Qui va s’occuper des bêtes pendant que nous autres on est aux moissons, hein ? C’est ainsi que s’est envolé mon espoir fou de danser avec les étoiles ; comme celles qui s’affichent sur les murs de l’école de danse.
La Russe Anna Pavlova, Isadora Duncan l’Américaine et toutes mes idoles qui devenaient inaccessibles.
— Et pourquoi la danse mamie ?
– Pour les émotions que je ressentais si fort. Voler, bondir dans les airs, flotter dans l’espace. Ces vibrations venues de je ne sais où, ce saut, un instant suspendu et qui vient se poser en douceur dans l’exaltation réciproque du danseur et du public. Ce frisson, ce battement de cœur perceptible dans ma poitrine et qui devient celui du spectateur.
Tu sais Pierre, mes parents ne l’ont jamais su, mais j’allais encore voir Madame Leprince secrètement. J’observais envieuse les élèves à qui l’on demandait beaucoup de travail et de rigueur. Beaucoup d’entre elles ont abandonné, car l’art est difficile et demande beaucoup de sacrifices que j’étais prête à faire.
Se sentir sublimée en se donnant entièrement à sa passion pour le plus grand plaisir des gens venus la partager. J’avais cette ambition, j’en sais de plus grandes il est vrai mais, en existe-t-il de plus belle, dis-moi ? Merci à toi mon Pierrot pour ce beau cadeau que tu viens de me faire. Merci d’avoir fait renaître en moi ce rêve artistique que la vie m’a confisqué, mais c’est la vie. Viens que je t’embrasse mon grand !
Angèle et Pierrot s’enlacèrent alors pour la plus grande et la plus douce des étreintes.

De Claude

ART MÛR

On me disait, enfin, mon entourage, que j’avais le crayon (et même le stylo) habile. J’aimais croquer ma famille, mes professeurs et tous ceux qui me plaisaient, ou au contraire, ceux que je n’appréciais pas trop, sur le carnet de dessin que je transportais toujours avec moi.
Il me faut toutefois préciser qu’il ne s’agissait nullement de portraits flatteurs, détaillés et précis, mais de… caricatures, pas toujours brillantes, mais souvent féroces. A dessein !
D’ailleurs, la définition de « caricature » dans le dictionnaire correspond tout à fait à mes croquis : « Portrait en charge, le plus souvent schématique, dessiné ou peint, mettant exagérément l’accent dans une intention plaisante ou satirique sur un trait jugé caractéristique du sujet ».
En effet, je ne manquais jamais d’exagérer ici un menton en galoche, un nez bourbonnien, ou là des dents mal rangées ou des pommettes saillantes. On reconnaissait aussitôt mes personnages, ce qui faisait ma fierté, mais me valait aussi parfois quelques désagréments. J’ai ainsi récolté, de la part de mes professeurs, grâce à mon « talent », un nombre considérable d’heures de colle, avec pour motif unique : « Est absorbé par d’autres occupations que le cours de… » ; il n’y avait plus, après cela, qu’à indiquer la matière (le plus souvent « mathématiques » ou « sciences naturelles », disciplines qui m’ennuyaient prodigieusement. Vous avez compris que je préférais l’art aux maths). Je ne trouvais grâce qu’auprès du professeur d’arts plastiques qui m’encourageait vivement à poursuivre dans cette voie. Bien sûr, tous mes copains voulaient leur caricature, même si elle n’était pas toujours à leur avantage, et certains étaient même prêts à me payer pour l’obtenir, mais c’était pour moi un plaisir et cela faisait partie de mes hobbys préférés.
Cela ne m’a pas valu, hélas, que des succès. Alors que j’étais en terminale, j’étais amoureux d’Odile, une jolie brune de ma classe dont j’aurais volontiers été le chevalet servant. Mais, et je m’en veux encore aujourd’hui, j’avais eu la très mauvaise idée de la croquer à ma manière, – fallait-il que je croque Odile ? – ce qui a malheureusement mis fin rapidement à notre relation. C’est vrai, et avec le recul, je ne le nie pas, j’avais fait d’une belle jeune fille au port royal, (qu’on reconnaissait malgré tout), un boudin peu séduisant. Une truie, en fait !
Et il ne faut pas faire aux truies…
D’ailleurs, ceux qui avaient vu cette « œuvre » se demandaient si c’était de l’art ou du cochon.
C’est ce qui m’a toujours fasciné dans la caricature, c’est cette possibilité de transformer ce qui est beau en laid, et inversement. Sans que la ressemblance avec le modèle en pâtisse.
Plus tard, je me suis attaqué aux caricatures d’hommes et de femmes politiques. Mais la concurrence est rude dans ce domaine et avant de voir mes dessins figurer dans le Canard enchaîné ou dans Charlie hebdo, je pressentais que beaucoup d’eau coulerait sous les ponts.
La caricature est loin d’être un art triste. A défaut de déchaîner l’hilarité générale, elle peut susciter un sourire poli ou un rire franc et tonitruant, surtout si une légende drôle l’accompagne.
Les légendes, ça compte ! Et, je pense que c’était là mon point faible ! Je ne suis pas un homme de légendes, plutôt un « croque-monsieur » ou un « croque-madame ». Pas plus.
Certes, j’aurais voulu être un artiste, « voyager toujours en première, avoir ma résidence secondaire dans tous les Hilton de la Terre », comme le dit la chanson. Mais, par stupide orgueil, il faut bien l’avouer, je ne voulais pas être un artiste de seconde zone, un médiocre. J’ai toujours visé l’excellence.
Peut-être aurais-je dû persévérer, m’éloigner d’un art gothique et essayer d’atteindre un art raisonné.
Car je pense qu’il y a, bien sûr, les Beaux-arts, mais aussi, malheureusement, les Bas-arts, et surtout, (là, ce ne sont pas les exemples qui manquent), les Laids-arts.
Il existe peut-être un code de la croûte, que je ne possède pas mais qui permet de déchiffrer et d’apprécier de telles œuvres !
Il faut, c’est mon avis et je le partage, d’abord tordre le goût à ces doxas qui voudraient que la valeur d’un artiste se mesure avant tout à la valeur marchande de ses œuvres. (Vous avez dit « de l’art » ou « dollar » ?)
Il faut rendre à ces arts ce qui leur appartient. Percer dans ce domaine relève d’un génie créatif ou d’une chance insolente.
Heureusement, j’avais d’autres passions.

D’Elie

Thème : La volonté de s’appliquer dans l’un des domaines de l’art.

Un arbre planté sur une terre donne son ombrage et ses fruits aux êtres humains. Ils jouissent de toutes les vertus de cet arbre dans l’environnement dont il occupe la position de maître. J’ai observé et déduit la bonne leçon que même un arbre a une place prépondérante à la surface de la terre.
J’en ai résolu de faire valoir mes aptitudes et meilleurs talents au bonheur de l’homme. C’est bien à cela que je ne cesse de brûler de passion. C’est l’art de l’écrivain au service d’une population d’homme assoiffée de paix, de sécurité et le savoir vivre.
Je suis allé soumettre ma vision au Professeur Ligan Charles, une personnalité bien versée dans l’art de l’écrivain.

Ligan Charles :
Mon cher D… Elie, tu aspires à une vision noble mais elle est aussi absorbante car c’est le chemin d’un sacrifice excellent. A ce propos, tu voudras bien me donner les premières leçons de cet art.
Le Professeur afficha la volonté de m’accompagner. Il s’approcha de moi puis empoigna ma main droite comme pour me dire ‘courage’.
Professeur Ligan Charles : Je t’apporterai sans relâche mes soutiens d’ordre moral et technique pour que paraisse ton premier roman. Et je ne manquerai pas de partager avec toi cette vérité que tout aspirant à la vocation d’écrivain est sensé connaître.
Il me dit : la connaissance grandit lorsqu’elle est partagée. Je te demande de proposer le thème de ton premier roman et que tu émettes le premières ébauches de ton travail.
A l’écoute de cette phrase, je sentis une extase de l’onction d’écriture qui emplit mon cœur à l’instar d’un jet d’eau coulant de la surface aux entrailles de la terre.
D… Elie : C’est avec un cœur joyeux que je pris la manœuvre en main afin d’écrire l’autobiographie de ma tante, Xonoudé. Cette dernière avait été victime d’un mariage forcé jusqu’à vivre le martyr au sein de ses contemporaines. Elle a été victime du fléau social qu’est le mariage forcé qui se pratiquait dans le milieu. Trois, six et neuf mois s’écoulèrent sans la rédaction de cinq pages comme je le souhaitais.
Un après-midi du mois de décembre, au dixième jour de l’an 2018, pendant le soleil prenait sa hauteur par rapport à la terre, déjà brûlant nos pieds nus, le professeur Ligan Charles arriva dans notre maison.
Après les salutations et les courtoisies familières à la coutume Gun, au Sud-Est du Bénin, monsieur Ligan Charles chercha à voir mon évolution dans la rédaction de mon premier romain. Il constata que je n’avais pas évolué après trois mois de tentatives à revenir plusieurs fois à table pour écrire. Pourquoi n’avez-vous pas pu bien écrire ?
Avec un cœur serré d’angoisse et de découragement, je ruminais la pensée que le chemin de ma grâce n’est pas celui de l’écrivain.
D… Elie : Je répondis:
Le découragement s’est installé dans ma vie car le premier élan du projet de rédaction de l’autobiographie de ma tante s’est émoussé. Je n’ai pas pu disposer de temps pour la manœuvre car j’ai été assailli par des problèmes imprévus qui ne m’ont pas permis de faire des avancées dans la rédaction du livre. Pire, j’ai eu des assises de plusieurs heures au cours desquelles rien de concret n’aboutit à la bonne satisfaction de soi.

Le professeur m’instruisit sur quelques notions pour triompher du syndrome de la page blanche et m’informa qu’il était nécessaire de lire assez pendant que l’on s’activait à écrire un livre. C’est par un tel exercice que l’on y arrive aisément et sans entraves majeures.
Je lui promis de poursuivre le projet de la rédaction de mon premier roman, mais en réalité, la résolution d’abandonner cette manœuvre était déjà consommée.
Avant de me quitter ce jour le professeur, Ligan Charles, a lâché cette pensée philosophique à mes oreilles.
Ligan Charles :
Il me dit : Le héros d’une cause noble ne réussit que par la détermination et un sacrifice qui coûte à la vie. Il ne cesse de mener le combat jusqu’à ce qu’il saisisse la bannière de sa victoire.

De Catherine

Connivences

Sur le chemin du retour, Anita serrait dans sa main celle de sa petite-fille de dix ans. Elles s’éloignaient à petits pas, comme à regret, de la grand-place où les lumières du chapiteau allaient s’éteindre une à une, pour octroyer un repos mérité à des artistes d’exception.
Une bien jolie image que celle de ce duo dont les yeux pétillaient encore des mille étoiles allumées par un spectacle grandiose. Elles ne se parlaient pas, leur esprit resté là-bas sur la piste, mais leur plaisir était différent dans ce flashback sur ce qui les avait fascinées. Leurs centres d’intérêt divergeaient : Juliette revivait en marchant les numéros équestres, tandis qu’Anita virevoltait en pensée dans des prouesses aériennes où la grâce et l’agilité faisaient oublier la performance technique.
C’est qu’Anita était une habituée des cirques. Elle ne manquait jamais un spectacle quand des circassiens annonçaient leur passage. C’était sa Madeleine de Proust. Toute petite déjà, elle avait manifesté une attirance pour ce monde du spectacle itinérant qui faisait battre son cœur d’émotions diverses à chaque représentation. Ses parents, très occupés par leurs activités commerciales, lui offraient à chaque fois les billets, pour se faire pardonner leur manque de disponibilité. S’il y avait trois représentations, Anita s’y rendait trois fois et n’avait pas les yeux assez grands pour tout assimiler en même temps. Tout l’intéressait : des caravanes aux camions, jusqu’au montage du chapiteau, prémisses du spectacle…
Ce plaisir n’avait jamais faibli avec le temps. Elle se rêvait artiste de cirque alors que son destin la condamnait à suivre la voie de ses parents. Elle se voyait danser dans les airs, virevolter suspendue à un cerceau doré au-dessus du vide, multiplier de gracieuses arabesques enroulée dans ce long tissu bleu dont elle dégoulinerait brusquement, se jouant des lois de la gravité. Ah oui, ça lui aurait plu d’être une artiste de cirque, se nourrissant chaque soir des applaudissements du public, voyageant de ville en ville pour offrir un spectacle sans cesse renouvelé, ressentant l’adrénaline paralysante avant d’entrer en piste, puis celle stimulante qui lui donnait des ailes, pour enfin se délecter des oh admiratifs qui montaient des gradins.
« Tu sais, mamie, quand je serai grande, je voudrais travailler dans un cirque. Je serai écuyère ! »
Alors Anita, tout sourire, s’arrêta, regarda sa petite-fille, et dit : « Tu sais, moi aussi, j’aurais bien voulu être une artiste de cirque … »

De Françoise V

Lucie a du talent. C’est une créative. Pinceau ou crayon sont ses instruments préférés. Elle a appris en copiant les grands maître de la peinture, les dessinateurs de bandes dessinées. Elle passe des après-midis entiers à imiter, à remplir des pages de cahier de dessins. Son chevalet supporte toujours une toile en attente d’être terminée. Lucie est une artiste. Mais elle suit des études de techniques administratives. Rien à voir avec l’art. Au contraire ! Tout l’oppose. Elle aurait cependant tant aimé suivre des études aux Beaux-Arts. Elle aurait aimé être artiste peintre professionnelle. Mais son père lui a dit : « il faut bien manger, vivre, et un salaire ne peut pas se gagner avec tes créations . Apprends un métier et prends tes loisirs à côté. »
En réalité, son père n’avait aucune envie qu’elle fréquente l’école des Beaux-Arts : un a priori négatif, catégorique, une méconnaissance du parcours étudiant dans un monde qui ne le rassurait pas. Alors Lucie a dû rebondir. Son côté optimiste a pris le dessus.
C’est pas faux pense-t-elle. J’aurai deux casquettes : une pour vivre au quotidien, et une pour faire survivre mon âme, exprimer mes émotions, être moi-même, et mettre du piquant dans ma vie.
C’est ainsi que Lucie s’applique à poursuivre ses études de secrétaire tout en continuant à créer sur toile, et à remplir ses carnets de voyage. Quelques cours artistiques académiques la guident.
Le crayon est aussi un de ses outils préféré : il fait courir l’encre sur ses cahiers quand ses idées débordent d’imagination. Elle aime écrire. Pourquoi ne pas rédiger des poèmes et les illustrer de jolis dessins, se dit-elle. Ses œuvres se parent de couleurs aquarelles, de crayons à pointe sèche. C’est ainsi que Lucie voyage dans le temps, dans l’espace. Ses carnets de dessin la suivent partout. Dans la nature, elle s’installe face au « spectacle d’un paysage » et perpétue ses émotions sur son carnet. Un vrai journal illustré. Ses poèmes relatent ses émotions du moment. C’est aussi un exutoire. De temps en temps, elle expose ses toiles et les vends. Cela lui offre une vie bien remplie de projets, d’ambitions, et de plus très variée. Contourner les difficultés par la création, l’expression n’est-ce pas bâtir un peu de bonheur autour d’elle et pour elle ? Tout ce travail de création lui permet aussi d’échanger avec les autres qui s’intéressent à son activité artistique. Des liens se créent, des échanges l’aident à évoluer. Elle fait des connaissances, des rencontres, et se lie d’amitié quand le moment est venu. Elle offre en cadeau quelques-unes de ses œuvres aux personnes qu’elle apprécie. La pratique de son art lui ouvre des horizons et crée des liens, des rencontres . Elle n’est pourtant pas une professionnelle, juste une passionnée. Cet épanouissement la ravit. Elle n’en demande pas plus maintenant. Elle se sent libre de créer ce qu’elle veut, dans le temps qui lui plaît et sans aucune pression. Lucie peut exprimer ses émotions, ses humeurs, ses joies. Elle se sent artiste. Aurait-elle compris que c’est l’Art du Bonheur ?

De Martine

Éva est la benjamine d’une fratrie de quatre. Elle est aussi le vilain petit canard de la famille, du moins c’est ainsi qu’elle se juge. Ses deux sœurs et son frère sont beaux. Ils sont grands, minces, leurs traits sont harmonieux. Elle se trouve laide, affublée d’un nez très long, fin, qui ressort de son visage comme le fait une corne sur la tête d’une licorne. On peut aussi lui trouver un petit air de Pinocchio.
Petite, elle se montre rebelle, effrontée. Elle brave les consignes strictes de sa mère qui, disons-le, est obsédée du qu’en-dira-t-on. L’apparence prime pour cette femme rigide. Des règles de vie, aussi arbitraires que multiples, encadrent très sévèrement le quotidien des quatre enfants. Si les trois aînés se plient aux exigences de leur mère, non seulement la petite frondeuse, elle, les ignore mais de plus elle nargue, provoque dès qu’elle en a l’occasion.
Ainsi, elle se coupe les cheveux très court, elle ressemble alors à un poussin déplumé. Elle prend un malin plaisir à s’habiller de vêtements déchirés, à peine propres. Dans son désir de choquer, elle va jusqu’à descendre l’escalier intérieur de la maison dans le plus simple appareil alors qu’elle est déjà pubère et que des invités sont présents… Père et mère sont tellement abasourdis qu’ils en restent cois.
La sœur aînée semble pourvue de tous les dons. Son parcours scolaire est brillant ; dès l’enfance elle fait preuve d’une grand talent pour peindre ; elle coud aussi très bien. Et, elle est très belle.
La seconde et le frère, s’ils n’ont pas les talents éblouissants de leur aînée, avancent dans la vie sans encombre. Ils savent se conformer suffisamment aux exigences de leur mère pour gagner une certaine marge de liberté.
Adolescente, Éva exprime très tôt un besoin de créer. Elle ne sait pas encore quel sera le vecteur de sa créativité. Elle envisage le théâtre, le dessin, la peinture… Sa famille ne la prend pas au sérieux. L’aînée, Bérangère, parallèlement à de solides études scientifiques, poursuit ses activités de peintre et de couturière. Ses dons artistiques remportent d’autant plus l’admiration de ses parents qu’ils ne sont qu’un passe-temps. Ainsi Bérangère incarne aux yeux de sa famille la référence en matière d’art, Éva n’est qu’une tête brûlée qui papillonne, qui fait son intéressante.
Cependant, Éva est déterminée, si son entourage ne trouve aucune cohérence à son cheminement, à ses expériences, elle, elle avance. Elle s’inscrit aux Beaux-Arts dans sa ville natale et obtient un diplôme. Elle part à Paris, peu de monde sait comment elle y vit. On apprendra qu’elle est montée un temps sur les planches, qu’elle a cousu des costumes pour le théâtre, qu’elle a peint. Elle ne donne pas beaucoup de nouvelles à ses parents qui ont abandonné tout espoir, s’ils en ont eu un jour, de la voir adopter une vie conforme à leurs valeurs.
Quelques années plus tard, Éva, qui jusqu’alors, n’a pas montré grand intérêt pour ses cousins, ses oncles et tantes, vient se joindre à un regroupement familial.
Elle manifeste un plaisir à renouer avec chacun. Son assurance, nouvelle pour les siens, son aisance attire vers elle les regards et l’intérêt. Au cours de la journée, elle sortira d’une grand boîte de magnifiques tissus sur lesquels elle a dessiné et peint. Tous sont sensibles à la beauté de ces réalisations et aussi à leur histoire telle que la raconte Éva, passionnée, rayonnante. Tous l’écoutent subjugués et prennent conscience qu’ils sont entrés dans un univers riche, foisonnant, profond, celui d’une artiste, Éva.
Le vilain petit canard a obstinément cherché sa route et l’a trouvée.
Dans les années qui suivent, Éva poursuit sa quête. Couleurs, valeurs, matières, encres, collage, opacité, transparence… Elle expérimente, crée, détruit, recommence, autour d’un thème récurrent, celui de la ligne… Cet obstacle que sa mère avait mis sur son chemin et qu’elle a franchi avec détermination et persévérance ?
Le parcours d’Éva nous montre qu’elle est née artiste, qu’il lui a fallu une force considérable pour se réaliser. Elle a maintenant acquis une renommée, elle expose ses œuvres dans des lieux prestigieux.
Il est évident qu’elle continuera inlassablement de créer jusqu’à son dernier souffle. Créer, respirer, vivre, c’est pour elle la même chose.

Poème de Laura Vasquez, « Les mains bien noires », proposé par Françoise T (hors proposition d’écriture)

tu ne vas pas me laisser comme un arbre
tu ne peux pas me laisser comme un sac
je ne suis pas un arbre

mon ventre ne fait pas de miel, moi
mon ventre ne fait pas de bruit

quand tu viendras, tu pourras voir
je sais rouler les cigarettes
je sais m’endormir en bougeant

je m’ennuie quand je pense à tout
je voudrais être un château crevé
je voudrais être un cheval pourri

je voudrais être vraiment simple

je suis en train de me graver des tatouages partout sur les yeux
viens me toucher sur les yeux

Poème de Valérie Fiquet, « Louise », proposé par Françoise T (hors proposition d’écriture)

Dans son vieux fauteuil à bascule,
Elle se balance Louise,
Au gré du vent, au gré du temps.
Elle est belle Louise,
Avec son cou gracile et ses cheveux noués en catogan.
Belle, elle l’a toujours été, et bien plus encore.
Elle à eu ses heures de gloire Louise
Son tapis rouge.
Mais les années infidèles et cruelles Ont effacé sa mémoire.
Telle la fleur qui s’etiole,
Elle perd un à un les pétales de sa vie.
Parfois, un léger sourire effleure ses lèvres.
Un rire presque enfantin résonne.
Puis ce silence, cette absence.
Ce soudain voile noir dans son tendre regard.
Cette larme qui perle, cette mélancolie.
Qui es-tu Louise à cet instant précis ?
La timide petite fille, la jeune femme fragile,
L’amante passionnée, la mère adorée ?
Dans son vieux fauteuil à bascule,
Louise se balance,
Au gré du vent, Au gré du temps.

Peintures de Gérard à la retraite

Je suis convaincue que l’art, sous toutes ses formes, peut changer nos vies. Il procure tant d’émotions. On a parfaitement le droit d’être émue et ému devant une oeuvre d’art. C’est une chance de ressentir ce phénomène. 

A mes yeux, l’art est une thérapie qui nous procure des bienfaits infinis. En découvrant l’art, ne part-on pas à la recherche de nous-même?

Je vous souhaite une belle semaine créative et artistique.

Portez-vous bien et surtout prenez soin de vous!

Créativement vôtre,

Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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