Je peux dire que la proposition d’écriture N° 150 vous a plu. Vous avez été très nombreux et très inspirés cette semaine. 

Caser des mots dans une histoire est un très bon exercice pour développer l’imagination. C’est d’autant plus efficace que les mots n’ont aucun rapport entre eux. 

Voici vos textes. Je vous en souhaite une belle lecture.

Comme il fait froid (en France et dans d’autres pays), prenez une bonne tasse de chocolat chaud, un bon plaid et vous allez passer le temps au chaud avec toutes ces histoires magnifiques. 

De Gérard

Ta Mère !
Les keufs nous coursaient à donf, j’ai vu trop tard le tracteur rouge qui traversait, ma BENZ a décollé, s’est aplatie comme une crêpe, on aurait dit une crème brûlée !
On a couru à travers champs, sous le ciel étoilé est passée une comète, « c’est bon signe j’ai crié, on va s’en tirer ! ».
Avec ma poupée, on est tombé sur une gargote paumée à la lisière de la forêt, « Auberge de l’hiver clément » qu’elle s’appelait, un vrai nom de pièce de théâtre à l’ancienne, il ne manquait que Luis MARIANO derrière le bar !
On a réservé la meilleure chambre, j’avais du cash plein les poches, on était les seuls clients.
Ta mère ! La nuit de folie qu’on a passé !

D’Aline

Chaque matin au réveil, avant de me lever, j’aime bien prendre un moment au chaud dans mon lit, pour me souvenir des rêves de la nuit. Je vous raconte mon dernier rêve. Ce n’était pas un cauchemar, quoique… plutôt une véritable pièce de théâtre ou un film comique.
Tous les soirs, avant d’aller au lit, j’adore regarder le ciel. Hier au soir, la nuit était très noire et le ciel étoilé, magnifique. J’avais encore dans la bouche la douceur sucrée de la crème brûlée que maman avait préparée pour le dessert. Maman est une cuisinière exceptionnelle, surtout pour les sucreries. Mmmm….
Ma poupée de chiffons serrée contre mon cœur, je suis allée me coucher dans ma chambre. J’avais tellement joué, couru, sauté dans les près, qu’aussitôt les yeux fermés, je me suis endormie. Je n’ai même pas attendu que papa et maman viennent me faire un bisou.
Et là, c’était la folie !
Ma mère, sur un tracteur rouge, est passée devant la maison comme une comète. Elle tournait, tournait en rond dans la cour. Les chiens aboyaient, les poules et les canards, affolés, s’enfuyaient sous la grange. Et ma mère sur son tracteur rouge, tournait, tournait toujours. Mon père faisait des grands gestes en criant :

« Arrête, arrête Nicole. Tu es devenue folle ! »

Ma mère riait et debout sur le tracteur, conduisant d’une seule main, dansait dans un mouvement chaloupé des hanches et de son bras gauche, imitait les danseuses de flamenco. Elle ne disait rien, elle riait de bon cœur et il me semblait entendre :

« Je m’en fous ! Je m’en fous ! Je suis libre, moi ! »

C’est alors qu’elle a arrêté de tourner pour aller tout droit : elle est tombée dans la mare des canards, avec le tracteur rouge. Papa a poussé un cri. Moi, j’ai eu peur : peur qu’elle se noie, peur qu’elle meure.
Pas du tout !
Ma mère nageait tranquillement, sa robe bleue pervenche flottant dans l’eau sale et boueuse. Elle riait toujours. Mon père a couru vers la mare pour l’aider à sortir de l’eau.

« Même pas mal ! » disait-elle avec son beau sourire.
« Tu vas prendre froid » disait mon père en mettant son bras autour de ses épaules.

« Viens, rentrons ».
Heureusement, maman n’a pas été malade. Nous étions au mois de décembre, juste avant Noël, mais nous avions un hiver clément. La journée reprit son cours normal. C’est alors que je me suis réveillée. Il faisait jour. Le soleil était au rendez-vous. Une belle journée commençait. J’ai retrouvé papa et maman. Ils s’embrassaient dans la cuisine, en attendant que le café passe. Son odeur embaumait toute la pièce qui sentait bon aussi le pain grillé. Un rayon de soleil entrait par la fenêtre et venait caresser les bols sur la table et la corbeille de fruits avec des oranges, des kiwis, des mandarines. Un bol bleu pour maman. Vous remarquerez qu’elle aime le bleu, ma maman. Un bol vert pour papa, un beau vert sapin et mon bol, plus petit, avec des fleurs de toutes les couleurs, pour mon chocolat.
La maison du bonheur : le paradis de mon enfance, en même temps qu’une auberge ouverte aux pèlerins de Compostelle.
Ce n’était pas un rêve : c’était ma réalité.


De Myriam

Un hiver clément
Avait cédé la place
A un printemps bondissant

Mère Nature déployait
Sa pièce de théâtre
Aux excès fleurissants

Anne allait rêvant
Du temps qui passe
D’un avenir étourdissant

Tom allait riant
Du temps qui lasse
Des lendemains menaçants

Les jours grandissaient
La folie de l’été
Et ses désirs saisissants

Dans les champs
Le tracteur rouge
Allait fanant

Dans Carouge
Les deux amants
Allaient flânant

Elle aimait son rire
Et son teint hâlé
Il aimait ses rêves
Et ses crèmes brûlées

Il chérissait en elle
La poupée
Elle chérissait en lui
Le chaloupé

L’amour éployait
Ses ailes
Aux effets excitants

Pour leurs premiers baisers
Comme seule auberge
La tenture du ciel étoilé

Couchés dans l’herbe
Les yeux levés
En ce présent bouleversant

Sur la comète
Ils tiraient des plans
Eblouissants

De Françoise V

Ma mère avait vécu dans une partie du Château d’Amondans du XVIe siècle, en Franche-Comté. Il appartenait à l’époque à la famille Pommery, (le champagne Pommery). Son père était gestionnaire et jardinier, sa mère était concierge de cette demeure. Un parc immense agrémentait le site qui surplombait la vallée du ruisseau de Malans. Un lieu magique. Il m’est arrivé de visiter ce parc surplombant ce magnifique paysage qui m’a fait rêver plus d’une fois.
Mon grand-père avait un tracteur rouge pour entretenir les espaces verts immenses. Il invitait quelque fois ma mère à l’accompagner sur cet engin haut sur roues. « C’était une folie ! » me racontait-elle. Mais elle aimait cela. Tout comme elle aimait se recueillir le soir, et s’asseoir sur le mur qui servait de balcon à cette vallée large et pittoresque. Un chêne était planté là dominant le site grandiose. Elle se recueillait en soirée et admirait le ciel étoilé en été ou en période froide, lorsque l’hiver était clément. Elle adorait observer une comète qui filait, éclairant le noir de l’espace. A chaque fois, elle faisait un vœu pour son avenir. Elle m’avait confiée, un jour, qu’elle désirait tenir une auberge dans ce même village pour accueillir des touristes curieux de sa région natale. Mais point s’en fut, rien de tout cela dans la vie qu’elle a eue. C’était bien un rêve du moment.
Les après-midis d’été, elle invitait une amie et jouait avec sa poupée sous ce même chêne. Toutes les deux écrivaient une pièce théâtre, inspirées par le site majestueux, puis trouvaient des amis du village, afin d’interpréter leur histoire. Une occupation créatrice et remplie d’imagination. La pièce était jouée dans ce parc agrémenté de tentures colorées et de branchages divers. Une occupation saine et joyeuse durant les mois d’été.
Ma grand-mère leur proposait un délicieux goûter durant les répétitions théâtrales : la crème brûlée, le dessert préféré de ma mère. Cela lui a laissé de beaux souvenirs, elle m’en a souvent parlé.
Cette époque paraissait calme, sereine, détendue. Des souvenirs, les meilleurs, m’étaient racontés et j’adorais l’écouter. Elle avait cette nostalgie du passé qui m’a vraiment touchée.

D’Annie

Dans une pièce de théâtre
Vous pouvez tout imaginer.
Placer une mère acariâtre
Sous un joli ciel étoilé
Un tracteur rouge en fond d‘écran
Mettre des acteurs en folie.

Le premier rôle, un intrigant
Doit débarquer de la comète
Il dit : « Je viens voir Rosetta
La planète, pas la fillette »
Bref, c’est du n’importe quoi.
Le cocu fait un grand discours
Il disserte sur l’hiver clément.
L’intrigant parle de bravoure
La dame crie qu’elle a mal aux dents
La fillette veut sa poupée.

Soudain arrive la concierge
« Mesdames Messieurs ça sent le brûlé
Faut vite se rendre à l’auberge
Et téléphoner aux pompiers. »
Mais la servante imperturbable
Annonce : « Voici la crème brûlée ! »
Chacun se tait, arrête les fables
Et tout le monde vient saluer.

Vous avez voulu du théâtre ?
Vous êtes servi sur le boulevard.
Vous en sortez l’esprit saumâtre.
Vous auriez dû rester peinard
Devant la télé qui rabâche
Le même baratin tous les soirs.

De Francis

Bizarre. Vous avez dit bizarre

Dans la rubrique des faits divers du journal local, on apprend qu’une mère de famille de six enfants qui n’avait jamais attiré l’attention sur elle, a traversé, dans une crise de folie, notre village, telle une comète, au volant d’un tracteur rouge, qui était stationné devant l’auberge du GAI LABOUREUR. Par chance, aucune personne, aucun obstacle ne se trouvaient sur son chemin.
Aux gendarmes qui l’ont arrêtée, elle a fait un récit est invraisemblable. On croirait à une scène de cinéma, à une pièce de théâtre.
Elle se souvient, qu’après avoir pris son repas avec sa famille et qui s’est terminé au dessert par une crème brûlée, elle est sortie prendre l’air. Elle a marché un certain temps sous le ciel étoilé de cet hiver clément et a rencontré une femme tout de blanc vêtu. Elle ressemblait à une poupée. Au passage, elle lui avait souri. Cette femme était étrange. Elle était bizarre. Elle pense qu’elle l’a hypnotisée et que c’est elle qui lui a demandé de la ramener chez elle avec le tracteur.
Les gendarmes ont du mal à croire ses dires et continuent leur enquête.
Des traces de substance interdites ont été retrouvées sur les lieux. Ceci explique peut-être cela.


De Patricia

Cette année l’hiver était clément, aussi ma mère Carla allait rejoindre sa sœur dans une auberge avoisinante, au volant de son tracteur rouge, celui qu’elle utilisait pour parcourir ses champs. La nuit était tombée et c’est sous un ciel étoilé, parée de ses plus beaux habits, telle une poupée, qu’elle se dirigea tranquillement vers sa destination. « Ce n’est pas parce qu’on habite la campagne, que l’on doit négliger son apparence » pensait-t-elle.
Chemin faisant, elle eut la surprise de voir passer une comète. Quand elle allait raconter ça à sa sœur Pauline, elle ne la croirait sûrement pas. De toute façon, elle ne lui laisserait pas placer un mot.
Pauline se croyait toujours dans une pièce de théâtre, elle ne pouvait s’empêcher de parler avec force gestes pour impressionner son pseudo public, parfois c’était même à la limite de la folie. Outre sa gestuelle quelquefois désordonnée, son langage si volubile vous saoulait littéralement.
Par contre, sa gourmandise n’avait pas de limite, il suffisait de lui présenter une crème brûlée pour que son verbiage cessa.
Carla pensa à tous ces désagréments qui l’attendaient, même si c’était sa famille, elle n’était pas obligée de subir tout cela, elle réfléchit un instant, puis fit demi-tour.
Pauline trouverait de toute façon quelqu’un d’autre avec qui converser.

De Joëlle

L’auberge du tracteur rouge

Lorsque j’étais enfant, nous vivions dans une petite ferme familiale située dans les Hautes Fagnes. Bien que notre maison fût modeste, il y faisait bon vivre et sa rusticité lui conférait un charme tout particulier. Mon père était agriculteur. Responsable d’une exploitation agricole, il cultivait et récoltait les produits de notre petite terre, élevait des animaux et gérait toutes les activités liées à l’exploitation. Ma mère était une femme douce et travailleuse, elle ne rechignait pas à la tâche et n’hésitait pas à retrousser ses manches pour aider mon père du mieux qu’elle pouvait tout en veillant à mon éducation et aux tâches ménagères.
L’été de 1976 avait été très chaud et sec; notre ferme connaissait une tension économique préoccupante. Les récoltes de maïs avaient drastiquement chuté et l’herbe qui nourrissait nos ruminants ne poussait plus. Les nappes phréatiques se vidaient trop vite, l’eau se raréfiait faisant plonger les rendements et nous poussant à envoyer notre bétail à l’abattoir. Bien que nous espérions un hiver clément cette année-là, celui-ci fut très sec et froid, rendant la vie au quotidien particulièrement difficile. Nous dépendions toujours des cycles saisonniers, souvent déséquilibrés, lesquels avaient des répercussions immédiates mais aussi à plus long terme sur notre foyer.
Alors âgée de 6 ans, j’aimais cette vie avec mes parents que j’admirais pour leur courage et leur bienveillance. En toute insouciance et en dépit des difficultés qu’ils rencontraient, je profitais pleinement de mon enfance et ne manquait de rien. Je jouais au grand air, aimait côtoyer les animaux et moissonner les champs en compagnie de mon père qui conduisait son imposant tracteur rouge. Il avait fière allure ! Ces moments simples, partagés en toute complicité, s’apparentaient au bonheur. J’adorais courir dans les pâturages, faire du vélo et jouer au ballon, bien plus que de jouer à la poupée. Je me sentais bien et faisais assez peu attention à la manière dont je m’habillais par rapport aux autres filles de mon âge dont je partageais assez peu les goûts et les activités.
Ma mère m’avait confié à l’époque que cette vie parsemée d’embûches lui pesait. Excellente cuisinière, elle nourrissait le rêve d’ouvrir un restaurant avec mon père. Elle pensait que cette idée était pure folie et ne voyait pas comment la concrétiser. Rêvant à des jours meilleurs, elle se voyait déjà concocter de bons petits plats pour les voyageurs de passage et les habitants de la région. Elle s’imaginait tenancière d’une auberge qui arborerait fièrement sur sa façade : “l’Auberge du tracteur rouge”. Ce serait notre Olympia à nous disait-elle : les gens viendraient y savourer ma cuisine d’antan dont le point d’orgue serait ma crème brûlée à la cassonade. C’est vrai qu’il n’y avait qu’elle pour mettre autant d’amour dans ce dessert dont chaque bouchée était une vraie douceur pour le palais. Comme Charles, elle se voyait déjà en haut de l’affiche …. Elle plantait le décor et s’amusait à nous mettre en scène comme si nous jouions une pièce de théâtre. Toutes les deux, nous avions des étoiles plein les yeux et aimions tirer des plans sur la comète …
Aujourd’hui, mes parents ont quitté ce monde après une vie bien remplie d’amour et de courage. Ma mère n’a pas réalisé son rêve mais chaque fois que je regarde le ciel étoilé, je pense à eux et à tous les beaux souvenirs qu’ils m’ont légués.

De Magali


1916, quelque part sur le Front…

La nuit revêtait lentement de noir les grands espaces alentour, dissimulant enfin pour quelques heures le paysage désolé de no man’s land dépourvu de toute vie.
Les soldats savent que l’enfer est là devant eux, et qu’il peut s’ouvrir sous leurs pieds à chaque instant. Il est 20 heures. La soupe, sans goût, et ce qui tient lieu de dîner, ont été servis depuis longtemps, maintenant. Les hommes, sous une apparente sérénité, trompent l’angoisse et la peur en s’occupant comme ils peuvent. Marius s’allonge à même le sol de la tranchée et plonge son regard dans le ciel étoilé. La douceur de l’air et la beauté de cette nuit contrastent si brutalement avec l’ambiance faussement détendue, perceptible comme jamais. Demain aura lieu une grande offensive.
Le jeune homme espère tant voir une étoile filante, une comète, de la vie dans le ciel, comme pour compenser le néant ici-bas. Il fixe une étoile, et laisse ses pensées vagabonder, loin de la folie des hommes et de cette guerre, qui n’est autre pour lui qu’une pièce de théâtre où les Poilus jouent, contre leur gré, leur plus mauvais rôle.
Ses pensées le ramènent incontournablement vers sa famille, sa fiancée, sa maison, sa chambre, son univers, sa Provence bien-aimée. Les reverra-t-il, seulement ? Il songe à son frère Apollinaire, sa sœur Marie-Louise qui jouait avec sa poupée faite de chiffons assemblés, à l’auberge que tenaient ses grands-parents, à la crème brûlée jamais égalée dont seule sa mère avait le secret. Son esprit vif vagabonde à travers les souvenirs. Au Noël de ses huit ans, il n’y a pas si longtemps, durant cet hiver anormalement clément, où il avait reçu, outre l’orange rare et convoitée, un jouet en bois confectionné par son père, qu’on aurait pu aujourd’hui qualifier de tracteur rouge. Cet objet se trouve toujours dans sa chambre, il avait toujours catégoriquement refusé de s’en séparer. Marius se rend compte que son visage est trempé, bénit intérieurement la nuit et l’obscurité qui dissimulent ses pleurs.
A-t-on le droit de pleurer à vingt ans, de connaître un tel enfer sur terre à l’âge le plus beau ? D’être douloureusement conscient que tout peut finir à tout instant, peut-être même dès demain ? De ne plus s’appartenir ? Marius efface ses larmes d’un revers brusque de sa capote. Il n’ignore pas qu’il n’est pas le seul à pleurer, car plus d’un, à un moment ou un autre, s’est caché derrière tout ce qui était possible pour laisser libre cours aux torrents de leurs yeux rougis. Des hommes, redevenus pour quelques instants des enfants, que certains étaient presque encore.
Marius fixe des yeux une étoile, et lui donne silencieusement rendez-vous pour le lendemain.
A moins qu’il ne la rejoigne avant…

A la mémoire de mon grand-oncle, Marius.

De Jean-François


Pas sorti de l’auberge
Et puis ce goût amer
De la crème d’asperge
Préparée par ma mère

Mes plans sur la comète
Dans ce ciel étoilé
J’suis plus dans mon assiette
Trop de crème brûlée

Et puis le tracteur rouge
Au volant ma poupée
Qui jadis dans ce bouge,
M’aura souvent trompé

Par cet hiver clément
Peu de braises dans l’âtre
J’écris obstinément
Ma pièce de théâtre

Espérant l’embellie
Au fil de ma folie.

De Brigitte


Notre mère était décédée lorsque j’avais six ans. Mon petit frère et ma petite sœur étaient trop jeunes pour garder une image précise de son visage, peut être avaient -ils quand même la mémoire de son odeur, un subtil parfum de rose. Je me souviens de sa douceur, je me souviens aussi du choc de sa disparition, prise entre le désarroi et le devoir de les protéger pour atténuer ce trop grand chagrin. Je me voyais propulsée du jour au lendemain dans ce rôle de petite “maman”. Notre père faisait tout son possible malgré la charge qui lui incombait désormais.
Epuisé et débordé par son travail de pâtissier, la boutique à tenir et les soins à apporter quotidiennement à de très jeunes, trop jeunes enfants, il se trouva contraint de nous confier à une tante et son mari. Ceux-ci n’avaient pas d’enfants et nous prodiguaient une affection sans limite. Le couple avait, par ailleurs, une petite exploitation agricole et viticole à coté de Dijon. Nous découvrions les joies de la vie à la campagne et nous prenions très au sérieux les menus travaux que l’on nous confiait : aller chercher les œufs, donner à manger aux poules, câliner le chat et le chien, prendre le courrier dans la boite aux lettres au bout du chemin …
Notre oncle avait un vieux tracteur rouge et malgré les ” timides” protestations de notre tante, il nous installait tous les trois dans la minuscule cabine. On s’en fichait qu’il soit poussif et qu’il fumait comme un vieux tubar … Perchés là-haut, nous dominions une vaste vallée et admirions toute une petite faune : chevreuils, renards, lièvres… Les voisins, bien que taiseux, nous faisaient comprendre, par une furtive œillade, que c’était folie de monter à quatre dans ce tracteur (en réalité, nous étions cinq, car ma poupée, celle que papa m’avait offerte le jour de mes quatre ans était de toutes les sorties !). Quand on surprenait leur regard ahuri, nous partions d’un grand éclat de rire.
L’année de mes sept ans, l’hiver avait été particulièrement clément. Aussi, le soir, à la nuit tombée, nous enfilions manteaux cagoules et moufles. Notre oncle nous emmenait admirer le ciel étoilé, surprendre ici une étoile filante, là une comète. Imaginez le ravissement de ces trois petits citadins ! Il nous apprenait le nom des constellations et nous renouvelions ce plaisir en août quand la voie lactée brille de mille feux. Nous finissions par connaître sur le bout des doigts leurs noms.
Un soir d’été, notre tante et notre oncle nous firent une grande surprise : Nous nous rendîmes à l’auberge du village voisin où on donnait une pièce de théâtre. De joyeux éclats de voix se propageaient dans la grande pièce. Les tables avaient été repoussées dans un coin, les chaises alignées pour profiter du spectacle. Soudain, le silence, l’obscurité, les trois coups, le lever de rideau et la magie qui s’opérait devant nos yeux. Enfants de la ville, nous avions un peu connu le théâtre de marionnettes et les chevaux de bois mais jamais un tel spectacle avec de tels costumes ! Après la représentation, les aubergistes offrirent une tasse de chocolat chaud et la fameuse crème brulée, spécialité de la maison. Au plaisir de la magie du spectacle, s’ajoutait le plaisir du palais !

Ce court récit est un hommage à ma grand-mère paternelle dont les parents étaient artisans pâtissiers à Genève. Son père avait en réalité six enfants. Les trois plus jeunes furent confiés à la famille, un couple effectivement sans enfant, viticoles dans le Dijonnais qui se montrèrent très affectueux. De leur père, quelques trop rares visites… la raison ? Le travail peut être… De ma grand-mère, je me souviens de ce voile de tristesse dans ses yeux et d’une certaine dureté. Trop tôt orpheline, trop tôt responsabilisée, elle gardera toute sa vie sur son visage les stigmates de cette souffrance trop tôt infligée !

De Katia


Nous étions en plein pandémie lorsque ce jour-là. Je rentrai à la maison tout essoufflée après une longue journée de labour. Ma mère, une belle femme svelte et blonde, accourut vers l’entrée de la maison pour m’ouvrir la porte. Elle était en train de concocter une délicieuse crème brûlée comme elle savait si bien la faire.
Jade se changea les vêtements devant le grand miroir de la salle de bains. Elle ressemblait à sa mère comme deux gouttes d’eau, avec ses cheveux longs et bouclés.

Jade, ma fille, tu es toute pâle, qu’est-ce qui t’arrive ?
Aujourd’hui nous avons été débordés par le travail, toutes les urgences des hôpitaux sont débordées.
Et si tu prenais quelques jours de vacances à la campagne, ça te fera énormément de bien ! Justement, je viens de voir dans les magazines de publicité de belles auberges très attractives, et j’ai trouvé l’auberge « La Comète » qui n’est pas si mal, par exemple, qu’en penses-tu ?

Ces quelques mots émis par sa maman ne tombèrent pas dans l’oreille d’une sourde.
Tout de suite Jade prit quelques vêtements à la volée et prit la direction du village de Sarlat. Arrivée à l’auberge, une secrétaire d’un certain âge lui remit les clés de sa chambre avec un sourire narquois.

Je m’appelle Aurore, votre chambre Madame sera le numéro 13.

Jade crut entendre horreur au lieu d’aurore…Dubitative, elle prit ses clés et tourna le dos pour s’engager dans un petit couloir sombre. Mais avant qu’elle ne s’éloigne, la Secrétaire lui proféra :
-Madame, pour des raisons d’urgence, nous avons été obligés de réduire nos effectifs. Bref, vous aurez à votre disposition des poupées robot, qui seront à votre disposition pendant votre séjour.
Sur l’un des balcons de l’auberge, Jade se prélassait sur le long banc mis à sa disposition, regardant le ciel étoilé, et se dit que cet hiver était bien plus clément que toutes les années précédentes. L’horloge de minuit sonna ! Elle crut entendre des messes et des pas provenant du couloir, des voix basses chantaient laconiquement.

Nous, les comètes, guérissons les corps et âmes des pandémies.

Jade se leva pour regarder par son balcon et remarqua un tracteur rouge qui rodait aux alentours de l’hôtel en éjectant une multitude de comètes, qui avait la particularité de vaporiser une poussière blanche scintillante sur toute la ville . Elle décida de laisser ce si beau spectacle pour aller se rendormir. Tout d’un coup, des poupées rentrèrent dans sa chambre et se jetèrent sur elle pour la ligoter.
– On ne peut pas vous laisser partir, vous êtes trop dangereuse pour la population ….
À ce moment-là, Jade se rendit compte du piège où elle s’est mis les pieds. Soudain, la secrétaire s’introduisit dans sa chambre dans un grand éclat de rire.

Mais, Madame Jade, ce n’est qu’une pièce théâtrale, mais quelle folie de nous avoir crus !

De Nicole


Le coin de paradis de la Dame bleue

Ma mère, Suzon, a la folie du bleu, à tel point que l’on la surnomme « la dame bleue ».
Habits toujours bleus, mèches de cheveux bleutés.
Depuis vingt ans, elle est bleue dingue de mon père Arthur. Ensemble, ils ont ouvert une auberge dans un ancien moulin à eau situé à Houte Si Plou, tiré du wallon qui signifie écoute s’il pleut. L’auberge s’appelle « La Comète ».
Le plafond au ciel étoilé de la salle à manger invite au voyage des papilles gourmandes.
Charcuteries ardennaises, faisan, marcassin, filet américain/frites, truite aux amandes, tartines campagnardes au fromage de Herve et sirop de Liège…
En dessert, la spécialité de ma mère, crème brûlée au spéculoos.
Avec cet hiver clément, le chiffre d’affaires reste au beau fixe. Ce soir, dans la grande salle, se jouera une pièce de théâtre « La poupée Titanic ». Le visage d’une poupée de porcelaine retrouvée à 4000 mètres dans l’épave hante le souvenir d’une vieille dame rescapée du naufrage.
Dès le printemps arrivé, la plaine de jeux attenante au moulin rouvrira. Les enfants s’amuseront sur les agrès, balançoires, toboggan et pourront parcourir une ancienne piste de go-kart avec un petit tracteur rouge, un camion de pompier, une voiture de police, une décapotable sportive, une trottinette. Que de plaisir en perspective.
Quand on écoute la pluie, toute la poésie des lieux s’épanouit.


D’Elisabeth


C’était par une soirée d’hiver
Un hiver clément
Soit dit en passant
Tel qu’il en existe
Depuis quelque temps
Dans le jour finissant
La gloriette
Petite folie
Édifiée par un quelconque
Ancêtre folâtre
Adepte de rendez-vous galants
Découpait sa silhouette gracile
Sur le ciel crépusculaire
Elle accueillait
Lieu de théâtre de plein air
Les spectacles les plus divers
Et les plus incongrus
La nouvelle s’était répandue
Une mystérieuse comète
Faite de crème
Oui de crème
Pas de crème fouettée
Ni de crème brûlée
Encore moins chantilly
De la crème
Toute belle
Fraîche onctueuse
Soyeuse
Elle venait du fond des âges
Et de l’univers
Offrir son spectacle
Improbable et gratuit
Oui gratuit
Comme une pièce de théâtre
National et populaire
Quelle merveille
Venue chatouiller
Les étoiles de la terre
Avant de poursuivre
Son voyage irréel
Indifférente à l’intérêt
Que des Sapiens Sapiens
Pouvaient lui accorder
Elle filait son train
Dans un firmament
Allumant ses chandelles
Les humanoïdes
Tout en combinaisons
Quasi spatiales
Prêts à affronter la
Froidure hivernale
Sous un ciel étoilé
D’une rare beauté
S’installèrent
Qui dans une chaise longue
Qui dans un fauteuil
Aucun n’avait oublié
Sa gourde de boisson chaude
Ni même sa bouillotte
Tout s’enchaînait naturellement
Le froid pinçant
Le ciel d’un velours sombre
Les étoiles scintillantes
Au milieu desquelles
Comme en suspension
Dardait la tache rouge de Mars
Aussi rouge que le tracteur
Rouge du pré voisin
Un très jeune enfant
D’à peine dix ans
Finissait d’installer sa poupée
Sous sa couverture
Soucieux qu’elle ne prenne froid
Heureux qu’elle participe
Avec lui à cette aventure
Ainsi que sa mère
Petit à petit
Un silence
Aussi léger que les étoiles
Enveloppa la petite troupe
Qui savourait
Comme à l’auberge
Le menu de la nuit
Tout ne faisait que commencer


De Michel

Tracteur rouge et crème brûlée

Quand tu vois, par la fenêtre de la cuisine, passer le tracteur rouge du côté du pré Couderc, c’est signe d’un hiver clément. Ben oui, le rouge, c’est celui qui est équipé de roues larges pour la boue. Et sa cabine n’est pas fermée. Mais quand c’est le tracteur neuf, le moche, c’est que les terres sont bien gelées. Un vrai char d’assaut ! Le rouge, lui, quand tu le vois à travers les carreaux, ça fait comme dans un tableau. Comme encadrement, tu as d’abord le bois de la fenêtre, et sur son rebord dans l’angle toujours lumineux : la poupée en porcelaine de Mamie, installée dans un mini fauteuil. Dehors, le vieux tracteur, sur fond de paysage.
Sous un ciel étoilé, le tableau-fenêtre prend une autre dimension. Une fois, en été, j’ai vu des étoiles filantes, et peut-être une comète chevelue. Ce paysage de nuit m’a rappelé un décor d’une pièce de théâtre qu’on était allés voir, de Shakespeare je crois. Tout ce que j’ai retenu est la tristesse et la folie qui perturbent les hommes, tandis que l’univers, impassible, continue de déployer son infini. Dis donc, le théâtre et la fenêtre, ça m’inspire !
Je passerai des heures derrière ces vitres… je me fais parfois rappeler vertement à la réalité quand ma mère lance son cri de guerre : « à taaaable ! ». Elle aime qu’on respecte les horaires, c’est vrai que son emploi du temps est millimétré entre les activités domestiques et les trajets à l’hôpital. « C’est pas une auberge ici ! » Trop cool : mon nez en alerte reconnaît le dessert favori. Caramel, à nous deux ! On ne peut rien cacher à mes narines expertes, ni à mon sens de la déduction. Il y aura sûrement une injection douloureuse cet aprèm.
Je me sors du cadre enchanté, index en approche de la télécommande. Mon fauteuil- rouge -pivote puis avance docilement en direction de la table. Avant l’hosto, délice de crème brûlée.

D’Hervé

En ce beau jour d’hiver, j’aurais pu être à pied d’oeuvre à 15h30 selon mes prévisions d’itinéraire. A 16 heures, après avoir salué mes amis du jury, j’aurais très agréablement participé à la remise du prix de la poésie du Finistère au lauréat, une magnifique statue de Saint-Pol-Roux, spécialement sculptée pour la circonstance par un artiste local talentueux.
Mais, le sort en ayant décidé autrement, je me retrouve dans ce bled perdu du bout du monde à maugréer après le mauvais sort qui s’est impudemment acharné sur mon véhicule, celui-ci souffrant manifestement d’une panne excentrique et laconique…Toujours est-il que je suis face à ce bistrot qui se donnait des allures de restaurant et qui sait peut-être aussi d’hôtel…
N’ayant d’autre choix, je me risque à pénétrer dans les lieux. Un brave homme m’accueille le mégot accroché aux lèvres ; je lui explique mes déboires…il m’offre à boire ! Lesté malgré moi d’un ballon de blanc, je m’enquiers des ressources alentour aux fins de dépannage. En ce samedi après-midi, il m’apparait rapidement que je suis l’otage des fins de semaines arrimées aux 35 heures et que mon enthousiaste projet de rejoindre l’assemblée du prix de poésie est englouti dans les brumes bretonnantes…
A cet instant, j’entends dans la pièce contigüe une femme dont la voix criarde peu-à-peu emplit l’espace sonore. Tendant l’oreille, je reconnais immédiatement des vers de Racine que j’avais étudiés dans ma jeunesse : « Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j’attends », « Il faut se croire aimé pour se croire infidèle « (Andromaque), « Il n’est point de secret que le temps ne révèle » (Britannicus).
Interloqué et amusé, j’interroge du regard le patron. Il lève les yeux au ciel, sa femme est très fantasque, elle chérit la tragédie, la déclame en désordre et surtout quand elle fait le ménage… Mais c’est sa deuxième épouse, il ne veut pas la contrarier…
J’aperçois alors la présence d’un enfant d’une dizaine d’années sur le seuil menant au jardin. Derrière lui, ses jouets sont épars, une trottinette, un vermillon tracteur, des patins à roulette…Il me regarde avec insistance, comme s’il percevait chez moi un soutien fraternel et salvateur. Je comprends son désarroi. Je vais vers lui tandis que son père sert un client assoiffé qui vient d’entrer.
J’opine de la tête alors que le gosse ne m’a rien dit. Je lui compte en deux mots les ressorts de mon aventure, il se déride, semble intéressé par la poésie, béquille qui me constitue et dont j’essaie maladroitement de lui ouvrir des portes plus larges que les stances raciniennes de sa belle-mère.
Je lui fais toucher du doigt la capacité qu’à l’Art de sublimer nos piètres expériences, permettant de s’évader du réel et de conjuguer pensée et action en un seul geste. Il ouvre de grands yeux interrogateurs comme s’il était dubitatif et curieux d’en savoir plus. Alors, je lui demande dix minutes afin de tenter de faire, juste pour lui, un poème qui puisse lui ouvrir des portes et susciter son imaginaire.
Et c’est ainsi qu’au lieu de me mouvoir dans ce cénacle habituel de mes amis poètes, je me suis retrouvé à écrire en ce lieu incertain un sonnet improvisé et inspiré de l’ambiance particulière d’une taverne borgne.
A quelque-chose malheur est bon ! « Je finissais par trouver sacré le désordre de mon esprit » avait dit en substance Rimbaud. Moi, je finissais par trouver sacré le désordre de ce café et les découvertes que j’y avait faites étaient d’égale consistance que les bavardages prévisibles de mes collègues du jury.
Et puis il me restait un sonnet que je partage ici, point d’orgue de mon récit !


Poème d’Hervé

POUR UN GAMIN EPARS

Ta mère en sa folie, en rangeant son auberge
Avait considéré qu’un bel hiver clément
Etait un don du ciel. Et toi tu te goberges
De sa naïveté, sa passion des clients !

Et de cave au grenier, superbe marâtre,
Elle avait astiqué le moindre des recoins
Refusant de surseoir, un drôle de besoin,
A sa muette passion, la pièce de théâtre.

Un chiffon à la main, elle allait déclamant,
Se croyant la comète d’un ciel étoilé;
Sa face hallucinée dansait subitement

Ainsi qu’une poupée couleur crème brûlée.
Et toi, frêle avorton sur ton beau tracteur rouge,
Tu souris du destin de cet infâme bouge.


De Martine

Partir, partir d’ici… Ne pas penser…Remplir le sac de l’indispensable et fuir.
Les clés de la maison ne sont pas au clou, mais qu’importe, inutile de fermer. Bientôt tout brûlera ou sera éventré ou sera pulvérisé. Elle conjure sa mère de se hâter, pas de place, pas de temps pour la compassion, il leur faut fuir ce destin qui s’annonce, tirs, explosions, murs qui tombent, arbres qui brûlent, voisins qui fuient et les morts déjà nombreux, percés par les balles, écrasés sous des décombres, soufflés par une mine, réduits en cendre dans le brasier de leur demeure. Elle sait ce qui les attend si elles restent là.
Elle part devant, habillée de ses vêtements les plus chauds, sa mère suit, du moins c’est ce qu’elle attend d’elle, chargée elle aussi d’un sac, mais entravée dans sa marche par une canne et ses quatre-vingt-deux ans.
Elles vont jusqu’au carrefour, quelques quatre kilomètres plus au nord, dans la nuit de cet hiver glacial. Le ciel est d’un velours sombre épais, déserté par les étoiles. Elles ne voient leurs pieds qu’aux lueurs des tirs de barrage qui éventrent le silence et le tissu du ciel. L’auberge est détruite, il leur faut attendre, dans un décor de folie, un hypothétique salut. La mère vacille, seule la tient la détermination de sa fille.
Elles ne pensent pas, elles ne sont qu’ouïe et regards. Une explosion toute proche trace une comète qui file au-dessus de leur tête. Enfin, un bruit assourdi leur parvient tandis que se dessine la silhouette d’un vieux tracteur. Elles reconnaissent le maire de leur bourgade. Assise près de lui, une petite fille, serre une poupée dans ses bras. Le maire leur fait signe de monter dans la remorque dont il ne reste qu’un plateau aux planches disjointes, une ridelle qui n’est plus attachée à grand-chose et qui brinquebale à chaque ornière. Deux adolescents occupent déjà ce plateau, sans un mot, ils aident la vieille femme à grimper.
À l’aube, dans une terre boueuse, couleur de crème brûlée, comme un insecte géant, écrasé sous des pas, gît le tracteur, renversé sur le flanc. Le sang brunit déjà et fonce l’écarlate de l’engin. La poupée, étonnamment pimpante, catapultée sur une aubépine, veille les cadavres.


De Saxof

LE DRAME

Voilà des années que je fais chaque semaine, 30 kilomètres aller-retour, la navette entre mon domicile et l’auberge de la déraison. Ce nom a été donné au pavillon psy où je rends visite à ma mère depuis que je peux conduire. Déraison est un nom plus sympathique que folie. J’ai pris le relais de ma grand-mère qui fatigue, son âge avançant, et cela lui permet d’ôter une partie du poids de l’histoire familiale, dont elle m’avait plus ou moins écarté.
Il y a trente ans, un drame horrible s’est produit.
J’avais une sœur jumelle Molly. Moi, je suis Billy. Nous étions en février 1986 et avions avions ans. L’hiver était clément et avions décidé, tous les quatre, d’aller passer la soirée chez grand-mère, papy étant décédé deux ans plus tôt d’un cancer. Mes parents souhaitaient profiter du passage de la comète de Halley.
Nous buvions, grignotions, chantions sous la pergola, emmitouflés dans des couvertures, un vrai bonheur familial. Le ciel était magnifique, étoilé comme jamais, sans un nuage.
A un moment donné, j’ai fini par aller rejoindre ma sœur qui avait besoin de sa poupée et était partie depuis trop longtemps à mon goût. Ne la trouvant pas, j’ai appelé maman qui s’est mise à chercher sa fille. Au bout de dix minutes, elle a hurlé « Molly, nooooon, Molly…..» dans des sanglots qui ont glacé tout le monde. Nous avons couru vers les cris pour voir maman à genou au bord de la piscine tirant le bras de la doudoune de Molly inerte alors que sa poupée flottait.
La police est arrivée rapidement pour constater l’accident stupide et morbide. Ils ont voulu quand même remettre les choses à leur place comme dans le cluédo. J’ai eu l’impression d’être dans une pièce de théâtre et j’ai vomi.
Les funérailles à préparer, et l’enterrement ont eu raison de ma mère qui s’est effondrée pour ne jamais revenir à la surface. Elle parlait à Molly comme si elle était toujours là, ne s’occupant plus de rien, ni de moi, ni de papa, ni de la maison, si bien que le médecin a pensé que l’hôpital psy serait le meilleur endroit pour elle comme pour nous, tant qu’elle n’aurait pas retrouvé la raison.
Papa n’a pas eu la force de continuer à entretenir la ferme, et il a vendu ses vaches, ses chèvres et ses poules, puis s’est couché pour ne plus se relever.
Après avoir vécu avec mamie, mes diplômes d’architecte en poche, à 25 ans je me suis installé à la ferme. J’ai trié, jeté, nettoyé et n’ai gardé que le tracteur rouge, qui parade toujours aujourd’hui en souvenir, dans la grande cour. Il était presque neuf. J’ai fait des transformations dans la maison, à la fois pour effacer les traces douloureuses d’une vie passée et pour améliorer le confort spartiate.
Aujourd’hui c’est la visite. J’approche de l’auberge, mon coeur s’emballe comme à chaque fois, même si je suis heureux de retrouver ma mère. Dès mon entrée dans le service, je ferme les yeux, j’adore cette odeur permanente de crème brûlée qui flotte.
J’ouvre la porte de la chambre, maman me sourit « tu es seul ? Molly n’a pas voulu venir ? »


D’Elisabeth (proposition N° 149)

Parodie d’après « La queue du chat », par les Frères Jacques (Paroles R. Marcy, 1953)

Le parrain était retraité
La marraine était consternée
La boîte soudain a gonflé
Et le diablotin a bondi.

C’n’est qu’le p’tit bout d’l’allocation
Qui vous est promise
C’n’est qu’le p’tit bout d’l’allocation
Qui n’arrive pas.
Non, l’argent n’est pas encor’là
Unissons nos fluides
Et recommençons nos placets
Que le fisc perdit.

Puis un espoir bizarre a passé
Une suggestion tordue s’est annoncée
La marraine s’est mise à trembler
Mais le parrain s’est exclamé…

C’n’est qu’le p’tit bout d’l’allocation
Qui vous est promise
C’n’est qu’le p’tit bout d’l’allocation
Qui n’arrive pas.
Non, l’argent n’est pas encor’là
Unissons nos fluides
Et recommençons nos placets
Que le fisc perdit.

Alors à table on s’est remis
Et puis on attendit l’facteur
Quand marraine s’est ébaubie
En criant « je le sens, c’est lui ! ».

C’n’est qu’le p’tit bout d’l’allocation
Qui vous est promise
C’n’est qu’le p’tit bout d’l’allocation
Qui n’arrive pas.
Non, l’argent n’est pas encor’là
Unissons nos fluides
Et recommençons nos placets
Que le fisc perdit.

Une voix flûta coucou c’est moi
Surprise ! Vous n’y croyiez pas
Car le fisc était planqué là
Dans le p’tit bout…
Dans le p’tit bout…
Dans le p’tit bout d’l’alloc !



De Joëlle

Le tracteur rouge

Sous le ciel étoilé, nuit de pleine lune, en ce jour de décembre, le tracteur rouge, sillonne la nuit éclairée par tous ces points lumineux, scintillants de la voûte céleste. Le tracteur rouge fonce droit devant, s’enfonce dans chaque sillon du champ. Il exulte, retrouve une jeunesse. Trop vieux, on l’avait remisé dans le hangar jouxtant la ferme familiale. On avait oublié de fermer la porte…
Il accélère de plus belle, ses boulons rouillés vibrent, grincent ; sa grille en avant, file de toutes ses dents, presque souriante. Une comète déchire le ciel, telle une baguette magique qui exauce un vœu. Le vieux tracteur ne comprend pas son abandon, ne se souvient plus de sa folie. Il se trouve en pleine forme.
L’hiver est clément en ce mois de décembre, il pleut peut-être trop…
Le tracteur souffle, s’essouffle au milieu de la nuit, s’enlise, se bat.
-Vous pensez que je suis fini, je vais vous prouver le contraire !
Alors, il redouble d’efforts, sa fierté est mise à rude épreuve, il tient bon.
Depuis huit ans, la ferme familiale a ouvert une auberge pour survivre. Elle ouvre ses portes tous les week-ends, sert au menu des plats cuisinés avec les produits de la ferme. On parle avec délice, dans toute la région, de leur fameuse crème brûlée, lait frais, œufs frais …
Quelques décennies avant, la mère de l’agricultrice et maintenant cuisinière, Germaine, jouait avec sa poupée, perchée dans le foin odorant, à l’abri des regards, en attendant impatiemment le diner. Elle créait, avec toute l’imagination d’une enfant, une pièce de théâtre où sa poupée se battait avec de petits fagots de paille liés entre eux par une ficelle tressée de tiges céréalières.
Le tracteur rouge était flambant neuf en ce temps-là, se voyait de loin, attisait la jalousie malsaine de certains voisins. Il travaillait du matin au soir, sans rechigner, bravant tous temps, fier comme Artaban. Sa couleur, le rouge, lui donnait toute l’énergie dont il avait besoin, le stimulait.
Elle se souvient bien !
Mais ce courage, au fil du temps, s’étiola, la peinture s’écaillait, son moteur fatiguait, il s’usait. Un soir, pris de folie, il se jeta sur les nouvelles cultures sortant de terre, épeautre, blé, sarrasin… Les écrasa toutes au fur et à mesure de sa course, rageant. Sa folie n’avait plus de fin, tant d’années de labeur, l’avait détruit petit à petit. On l’attrapa et on ferma la porte derrière lui. On l’oublia
Et le voilà de nouveau dehors, libre comme le vent et filant à travers champ.


De Huguette

Et la vie continue…

Après un hiver quelque peu clément, les jours s’allongeaient, devenaient de plus en plus clairs, le printemps s’annonçait gentiment.
Isabelle envisageait de partir pour trois mois en transhumance avec ses chiens, bien sûr. Elle avait suivi une formation accélérée après le décès tragique de son cher Pierre. Un soir, il roulait sur une petite route de campagne, quand, dans un virage, le soleil couchant dans les yeux, il heurta un tracteur rouge chargé de balles de foin. Il décéda après trois jours de coma. Isa resta prostrée dans une semi-folie pendant un certain temps. Entourée de sa chère mère, elle fut chouchoutée. Celle-ci se démenait tout au long du jour pour sa « poupée », c’est ainsi qu’elle l’appelait dans le privé. Elle lui préparait de bons petits plats, confectionnait aussi des pâtisseries, mais surtout la crème brûlée – Isa en raffolait ! Il faut dire que la maman avait tenu pendant longtemps une auberge à l’entrée du village.
Un jour, à la pointe du jour et par beau temps, Isa partit avec son matériel, son troupeau et ses deux gardes du corps, deux patous aussi impressionnants que bons ; ils s’appelaient Café (et pourtant il était blanc), et Mouna. Arrivée, elle s’installa dans le refuge en bois au mobilier sommaire. Les brebis se régalaient de la bonne herbe fraîche et abondante. Le soir venu, elle s’asseyait dehors et admirait le ciel étoilé, quel spectacle magnifique ! Un silence profond régnait dans toute la montagne, mais elle n’était pas seule. Elle voyait le visage de son cher Pierre proche du sien. Des amis bergers aussi sont venus la voir. Ce furent des rires, des chants béarnais qui ravirent Isa, qui se retrouva toute seule, à moitié endormie.
Elle commença à tirer des plans sur la comète, et imagina monter une pièce de théâtre où se mêleraient réalités et chimères…


De Claudine

La grande allée bordée de platanes et de tilleuls guide mes pas vers le grand portail en bois aux lattes brossées par les ans. Quel plaisir de revenir ici et de parcourir le grand jardin aux senteurs de l’été. L’éclatante floraison des arbustes joue avec le vert des arbres.
Les innombrables rosiers au parfum subtil, nouent leur palette de couleur en camaïeu. Ils sont accompagnés par le bleu des agapanthes et par les potées de géraniums amoureusement bouturés par ma mère.
Maman, toi qui savais si bien nous gâter avec les desserts que tu nous préparais en chantonnant. Certains jours, quand nous rentrions de l’école, à l’odeur, dès le portail poussé, nous savions que tu avais préparé tes merveilleuses crèmes brûlées. Notre dessert préféré encore aujourd’hui que nous dégustons comme la plus précieuse preuve de ton amour, en pensant à toi qui nous vois de la -haut.
Mes pas me portent vers le fond du grand jardin. Des champs à perte de vue s’offrent à mes yeux. Plus de tracteur rouge qui faisait de beaux sillons dans cette belle terre à blé. Mon père était si fier de cet engin qu’il l’avait voulu d’un rouge écarlate qui ne pouvait pas passer inaperçu. Une vraie folie à l’époque, mais rien ne pouvait l’arrêter.
Oh papa, je me souviens de ta joie lorsqu’est arrivé ton merveilleux jouet. Et des jours qui ont suivi ou nous montions à tes cotés. Parfois, tu voulais continuer jusqu’à la nuit tombée et il arrivait que nous restions ensemble, une fois le beau tracteur remisé, assis sous le ciel étoilé à parler pendant de longues heures, de tout, de rien, de la vie.
Il est temps de pousser l’autre porte. Qui mène au verger. Revoir ces fruitiers plantés avec tant d’amour par mes parents, ensemble, heureux et joyeux me remplit de nostalgie. Quel plaisir de revoir tous ces végétaux qui donnent le gîte et le couvert aux multiples oiseaux qui hantent les lieux. Et qui viennent trouver ici un havre de paix lorsque l’hiver n’est pas très clément. Mes pas me conduisent sous la frondaison d’une glycine séculaire, magnifique, que nous appelions l’auberge aux oiseaux.
Il reste une autre porte à ouvrir, comme s’ouvre dans une bouffée d’émotions les souvenirs d’enfance, d’adolescence et même de ces temps heureux ou les adultes que nous étions devenus venaient cacher leurs émois. Le lieu de tous les imaginaires où nous invitions les copains et copines pour improviser des pièces de théâtre de notre cru. Où nous tirions des plans sur la comète, en refaisant notre vie, en imaginant on ne sait quel destin prestigieux. C’était aussi le refuge qui entendait nos peines d’enfant.
Mes sœurs et moi aimions venir jouer à la poupée dans cette belle cabane en bois, bâtie pour nous par papa. Décorée par maman. Aménagée comme une vraie maison avec ses petits meubles, ses dinettes, et même son petit canapé pour accueillir nos nuits de bavardages infinis. Il est un peu défraichi désormais, mais qu’importe. Assise là, je revois ces temps ou tout semblait possible.
Il est temps de repartir ! Les souvenirs sont bien là mais l’enfance s’en est allée.

De Gérard

Nuit bretonne

Ma mère avait absolument voulu que nous allions à Brénnilis voir cette pièce de théâtre :
L’auberge du cheval blanc … Il s’agissait en fait, non d’une pièce de théâtre, mais d’une opérette !J’ai horreur des opérettes ! Passe encore quand les moyens mis en place donnent au spectacle quelque splendeur, mais là … Quelle misère !
Quand Flores déclame « je vous emmènerai sur mon joli bateau « risibleeeee !!!! pourquoi pas « viens faire un tour sur ma comète ! ». Et quand Léopold entonne « pour être un jour aimé de toi « au pied de Josepha qui se dandine comme une poupée alors que l’actrice a largement dépassé la soixantaine, quelle bouffonnerie !!!
Enfin, le final … le plus dur était fait ! Tout au moins le croyait-on, parce qu’après, il y avait le chemin du retour.
Les routes ici, dans les monts d’Arrée sont étroites et sinueuses. En été, il n’y a pas de problème, mais en hiver, les travaux agricoles apportent de la boue sur la chaussée y laissant des traînées couleur crème brulée, quand ce n’est pas le vent qui y dépose des branches , voire des arbres entiers .
Pure folie que de rouler à cette heure dans ces conditions ! Le ciel étoilé n’augure rien de bon, la nuit sa clarté est signe de froid. Un hiver clément reste un hiver et les plaques de verglas ne sont pas rares sur les versants est des collines.
Et soudain, c’est la catastrophe … La roue avant droite mord sur le bas-côté, la voiture chasse et nous voilà dans le fossé. La ferme du père Matthieu est à au moins cinq kilomètres ! Et c’est la plus proche ! La seule aussi à avoir un tracteur. Tout le monde le sait dans le canton ! Pas une soirée au bistrot sans qu’il n’en parle de son beau tracteur rouge. Habituellement , on se fout de lui en disant que la couleur de son tracteur est assortie à celle de sa boisson préférée , mais je crois qu’aujourd’hui s’il m’ouvre sa porte et consent à nous tirer de là, nous éviterons les moqueries, des fois qu’il ne serait pas d’humeur à plaisanter .

De Marie-Josée

Derrière la fenêtre

Debout derrière la fenêtre de la cuisine, Lise regardait ses frères jouer aux billes. Elle mourait d’envie d’aller les rejoindre, mais elle était de corvée de cuisine et de toute façon même si cela n’avait pas été le cas, ils l’auraient envoyée jouer avec sa poupée. Ils tenaient trop à leurs billes et se faire battre par une fille en présence de leurs copains était un risque qu’ils ne prendraient pas. Elle savait bien que tôt ou tard, ils lui proposeraient une partie pour tenter de regagner celles qu’ils avaient perdues et qu’elle gardait précieusement dans une petite boîte en fer. Elle était bien plus habile et maligne qu’eux et leur avait subtilisé les plus belles, celles en verre aux couleurs chatoyantes.
-Arrête de bailler aux corneilles, viens plutôt m’aider à faire la crème brulée, lui ordonna sa mère. Tu peux battre les œufs et le sucre pendant que je surveille la crème, mais évite d’en mettre partout.
Elle raffolait de ce dessert qui devenait régulièrement sujet à dispute car elle estimait qu’elle avait droit à une plus grosse part, vu qu’elle avait aidé à le préparer.
Le cliquetis des chariots dans le couloir la ramena à la réalité. Assise dans son fauteuil, elle suivait du regard le tracteur rouge qui labourait le champ en face par la grande fenêtre de sa petite chambre. L’hiver clément et l’absence de neige avait avancé la végétation et par la même occasion interrompu la trêve que s’accordait d’ordinaire les paysans en cette saison. C’était désormais par cette baie vitrée qu’elle appréhendait le monde. D’actrice, elle était devenue spectatrice de cette pièce de théâtre que les autres appellent la vie et dont elle se désintéressait de plus en plus. Elle participait que rarement aux activités, elle préférait rester là et compter les voitures qui passaient sur la petite route qui menait aux maisons, situées en haut de la colline. Hier ou était-ce avant hier ou la semaine dernière, peu importe, elle avait abandonné son poste d’observation pour assister à l’animation musicale. L’accordéoniste jouait des airs d’autrefois et elle s’était souvenue du bal où elle avait rencontré son mari. Bercée par la musique, elle soliloquait :
-Tout le monde m’avait dit que c’était de la folie d’épouser un gars comme lui. C’est vrai, il en a tiré des plans sur la comète, mais avec lui, je ne me suis jamais ennuyée. D’ailleurs où est-il passé ? Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Il a toujours tellement de projets, il n’a sûrement pas le temps de venir me rendre visite ou peut-être bien qu’il est mort. Allez savoir ! Il va falloir que je demande à ? … à qui ? A mon fils ou à ma fille ou de préférence aux deux.
Elle se mit à fredonner l’air d’une chanson qui avait refait surface quand une aide-soignante vint l’interrompre pour l’emmener dans la salle à manger :
-Bonsoir Lise, à la bonne heure, je vous trouve bien joyeuse, est-ce la perspective du dessert qui vous met de bonne humeur ?
-C’est déjà l’heure de manger ?
-Eh oui, le repas du soir va être servi. Vous avez vu ce beau ciel étoilé ? Fini la douceur, le froid est de retour, ils l’ont dit hier à la météo.
-Ah bon, c’est l’hiver ?
-Encore pour un petit moment, mais rassurez-vous, c’est bientôt le printemps. Alors, on y va en déambulateur ?
-J’ai trop mal aux jambes, peut-être demain.
-On essaie quand-même ! Rien de tel qu’une crème brulée pour vous motiver, je sais que vous en raffolez.
-Oui, mais elle n’est pas comme celle que je faisais. J’ai oublié la recette mais pas son goût ni les disputes avec mes frères. Vous savez, j’étais très gourmande à l’époque mais maintenant je n’ai plus faim.
Elle se leva péniblement mais ne parvint pas à faire, ne serait-ce que quelques pas.
_J’ai trop mal aux jambes et je suis fatiguée, je préfèrerais me coucher.
_Vous avez raison, on va remettre remet ça à demain. Ce soir, vous avez droit au fauteuil roulant.
Elle bouda le repas comme d’habitude et attendit avec impatience le moment de rejoindre sa chambre. Elle n’avait aucune envie de discuter avec ces gens qu’elle ne connaissait plus et le disait haut et fort à qui voulait l’entendre.
Après une journée interminable, une nuit interminable s’annonça. Allongée sur son lit, elle se demanda ce qu’elle faisait là, une chose était sûre, elle n’était pas encore sortie de l’auberge.

De Lisa

Inspiré de la chanson « Je te mentirai » de Patrick Bruel

Elle te mentirait si elle te disait qu’elle n’a pas osé
Si elle te disait qu’elle n’a pas voulu revenir à L’auberge de la Folie

Si tu lui dirais
« Ma poupée ! Je suis le patron !
Rien entendu de ces ragots
Mais les silences deviennent un fardeau
Il te mentirait, te mentirait

Vite, il tombe comme dans une pièce de théâtre
Comme par hasard ! Est-ce que tu le regarderas
Est-ce que tu repartiras

Alors, vite, il tombe Comme une conète
Trop libre et trop légère
Il cherche sa main dans les nuages
Pour scintiller la flamme

Elle te mentirait si elle te disait au fond de ses yeux
Que les pleurs ont tort de ruisseler
Que le patron lui propose une crème brulée

Ils se sont mentis et pourtant leurs cœurs sont en vie
Rêvant d’être enfin réunis
A l’auberge de la Folie
Mais ces choses-là, seul le destin tranchera

Vite, il tombe comme dans les bras d’une mère
Comme par hasard ! Est-ce que tu le regarderas
Est-ce que tu repartiras


Alors, vite, il tombe Comme une comète
Leur histoire qui défile
Il cherche sa main dans les nuages
Pour créer une belle histoire

Il mentirait pour ne pas la blesser
Mais à qui d’autre va-t-il le dire ?
Sans cette fois vraiment le trahir car l’absence est encore pire

Vite, il tombe comme dans les bras d’une mère
Comme par hasard ! Est-ce que tu le reprendras ?
Pour le ramener à toi

Alors, vite, il tombe Comme un oiseau voleur
Touché là, en plein coeur
Et qu’il demande une nouvelle chance
A l’auberge de la folie où est né leur amour


De Pascale C

La nuit a été belle. En témoigne le ciel étoilé s’estompant nonchalamment sous les premières lueurs du jour. Les rayons d’un soleil encore timide réveillent la terre toujours engourdie par les dernières gelées nocturnes. Cette terre avec laquelle il a noué des liens indéfinissables, dont il déchiffre chaque senteur, dont il entend toute la douleur infligée par un climat meurtri. Ce matin, encore engourdie, elle libère sa chaleur, ébauchant un nuage douillet comme dernière parure avant l’éveil. L’hiver clément a précipité le labour cette année. Il est temps de marquer les lourds sillons qui sauront accueillir la vie à resurgir.
Seul aux commandes de son John Deere, il accueille avec bienveillance la fierté qui l’envahit. Il aime cette solitude apprivoisée au fil du temps. Le bruit du moteur dérange quelques aigrettes qui prennent un court envol avant d’aller se reposer un peu plus loin. Alors que son esprit s’accorde à rêver, la tête dans les étoiles se tamisant, il retrace le parcours qui lui a permis d’accomplir sa folie…
Elevé au cœur d’un chic quartier parisien, son enfance a été douce, choyée par une mère aimante et un père passionné d’astronomie. Les années ont coulé, déroulant une scolarité facile dans les meilleurs établissements scolaires jusqu’à l’obtention de son baccalauréat.
Dans l’appartement luxueux, le sol de la chambre de sa sœur cadette était jonché de poupées trop bien coiffées, la bibliothèque familiale débordait de livres sur les astres, le système scolaire et l’aventure des comètes, pendant que sur les canapés, les plaids couleur crème brûlée ne marquaient aucun pli. Les mercredis étaient rituellement voués aux cours de musique prolongés par l’invariable visite à la médiathèque. Dès qu’une nouvelle pièce de théâtre était à l’affiche, les dimanches après-midi y étaient consacrés. Au printemps, lorsque le temps s’y prêtait, ils partaient déjeuner dans une auberge tout près de la forêt de Fontainebleau, avant de se livrer à une petite balade digestive en forêt. Un quotidien bien rangé, trop ordonné !
Mais il y avait ces apartés, ces évasions qu’il attendait avec tant d’impatience…
Ces mois de juillet passés dans le Cher auprès de leurs grands- parents maternels, des vacances à la campagne, dans l’exploitation familiale ! Là, loin de père et mère, le temps était différent. Dès le matin, après avoir englouti son bol de chocolat, il chaussait ses bottes et enfilait les pas de son grand-père qu’il suivait comme un chien fidèle. Son aïeul se prêtait au jeu avec une joie non dissimulée. Il régnait entre eux une complicité peu commune. Lui, respirait chacune de ses paroles, chacun de ses gestes. Il n’était pas question d’en manquer une miette, tout était bon à prendre et à apprendre.
C’est ici qu’il s’est imprégné du rythme de la terre, des fantaisies de la météo, des caprices du vieux tracteur rouge. Plus les années passaient, plus il se sentait à sa juste place, retrouvant ses racines, sa vraie nature. Il s’ancrait à la terre, et comprenait que c’est ainsi qu’il voulait vivre plus tard. Les retours à la vie parisienne devenaient de plus en plus douloureux. Il entendait les espoirs de ses parents de le voir envisager de longues études, le désir sous-jascent de son père de le voir devenir astronome ingénieur. Aucun avenir dans le monde rural n’était envisageable. Mais rien n’y faisait, l’appel de terre était le plus fort, alors il a pris sa décision.
Il se souvient de cette soirée où il a trouvé le courage d’affronter leurs regards, de contrer leurs arguments, de les mettre face à l’évidence. Il avait fait son choix, et au lycée s’était prononcé pour une orientation en BTSA analyse conduite et stratégie de l’entreprise agricole. Ce soir-là, les murs de l’appartement trop calme ont chancelé sous la colère de son père, les lamentations de sa mère, les pleurs de sa sœur effrayée par ce soudain tsunami. Pourtant, ce soir-là, il a ressenti une détermination, une assurance, une rage, qu’il n’avait jamais soupçonnées.
Les jours, les semaines qui suivirent furent tendus. Sa mère boudait, son père l’évitait.
L’obtention de son baccalauréat avec mention n’a servi qu’à exacerber le sentiment de gâchis ressenti par ses parents. De son côté, il était serein, convaincu d’avoir rempli sa part du contrat et ne lâchait rien.
A l’évocation de ces souvenirs, il tressaille, rejoint par la réalité de l’instant. Le jour s’est levé. Les sillons réguliers marquent la terre, libérant ses effluves enivrants. Qu’importent-s ’ils n’ont toujours pas compris, si leurs rapports sont rares et tourmentés. Son regard embrasse le ciel. Difficile de capturer ce moment de symbiose parfaite avec la nature. A son insu, un léger sourire se dessine sur ses lèvres, son cœur est empli de joie. Il a osé, il y est parvenu, il est heureux !


De Catherine G

En scène

C’était couru d’avance. Vu la manière dont elle s’y prenait, elle ne pouvait qu’énerver le metteur en scène de cette pièce de théâtre un peu déjantée.
— Stop ! Stop ! Stop ! M’enfin, Liliane, tu l’as lue jusqu’au bout, la pièce ? Non mais ce n’est pas possible, il va falloir que je reprenne tout depuis le début !
— Mais, Marcel, j’ai fait comme il fallait ! Je ne comprends pas pourquoi tu t’énerves !
— Arrête ! Écoute bien ! Je te résume la situation ! Toi, tu es la mère. Tu tiens cette petite auberge dans un petit village des Cévennes. C’est l’hiver, mais plutôt un hiver clément. C’est important dans la suite du scénario, ça !
— M’enfin, Marcel, je le sais déjà, tout ça !
— Non, tu ne le sais pas, puisque tu n’en tiens pas compte dans ton jeu ! Donc, je disais hiver clément. C’est la tombée de la nuit, le ciel est étoilé. Tu attends quelques clients qui se font de plus en plus rares. Arrête de taper du pied, ça m’agace ! Tu finis de préparer ta crème brûlée quand tu entends un bruit de moteur. Tu te précipites et tu vois un tracteur rouge s’arrêter dans la cour. On doit voir que tu es contente d’accueillir un nouveau client. Ça, OK, tu l’as fait. On y a presque cru ! Mais quand tu t’aperçois que c’est une poupée gonflable aux yeux exorbités qui conduit le tracteur, tu as peur, bon dieu ! Tu entends ? PEUR ! Au point de te demander si tu n’es pas gagné par la folie ! C’est ce que je veux voir dans ton jeu ! Tu ne me l’as pas donné !!! Et c’est pour ça que je gueule !
— Ben si, j’l’ai fait !
— Ben non ! On a perçu un éclair de peur qui s’est envolé à la vitesse d’une comète ! Moi, je veux une vraie peur, une de celle qu’on ressent dans un film d’horreur ! T’as compris ? Allez, on y retourne !

De Claude

Je pense donc je suis

Ils viennent d’assister à une pièce de théâtre. Moi aussi. La même d’ailleurs, Othello. Une pièce de Shakespeare qui, à cette occasion, aurait inventé la bonde de baignoire. Pour ôter l’eau. Je ne les quitte pas des yeux.
Elle, une vraie poupée, je vous assure : des yeux verts en amande à damner un saint, des lèvres pulpeuses carminées, un beau teint lumineux, presque transparent. Des cheveux blonds, non, je dirais platine. Une silhouette gracile à rendre jalouse Sharon Stone. Vous pouvez me croire, je n’exagère rien. Lui a un physique plutôt quelconque. Il fait davantage penser à un représentant de commerce, habillé avec élégance, certes, mais avec un nœud de cravate de travers.
Pardon, je suis méchant, mais je suis sûr que vous ne l’auriez jamais remarqué dans la rue s’il n’était pas accompagné par cette belle femme qui attire les regards de toute la gent masculine. Que peut-elle bien lui trouver ? Poussé par la curiosité, mais pas seulement vous vous en doutez, j’essaie d’en savoir plus. Je les suis. De loin.
Ils profitent sans doute de la douceur de cette soirée inhabituellement douce (Il est vrai qu’on n’a pas connu d’hiver aussi clément depuis des décennies) pour se promener dans la ville. Il la tient amoureusement par la taille et ils échangent de temps à autre quelques baisers brûlants. Je dois vous avouer que cela me gêne, me déplaît au plus haut point, je dirais même me contrarie.
A-t-on jamais vu couple aussi dissemblable ? J’ai l’impression de rêver.
Ils s’arrêtent et je le vois lui montrer avec force gestes le ciel étoilé. Il semble décidé à lui détailler toute la carte céleste. Serait-il astronome ou… astrologue en bref, un spécialiste désastre, pardon, des astres ? Il veut sans doute l’épater. Peut-être est-il déjà en train de tirer des plans sur la comète et s’imaginer la séduire. Sa devise avec les femmes doit être : « bien faire et les séduire ».
Les voilà qui pénètrent dans l’auberge du Cheval blanc, réputée pour ses fondues et ses crèmes brûlées. Un vrai délice ! Je vous recommande l’endroit. Vais-je continuer à les suivre ? Je n’en ai plus le cœur. Ce serait d’ailleurs une folie. Elle finira bien par me reconnaître et j’aurai l’air de quoi alors, je vous le demande ?
Il est préférable que j’abandonne ma filature. Mais quelle idée a bien pu traverser l’esprit de ma mère pour qu’elle me demande de surveiller les fréquentations de ma sœur ? Elle est majeure et vaccinée et n’a nul besoin de chaperon.
Mais il faut bien reconnaître que ma sœur est une personne secrète qui garde tout pour elle…Ma mère aurait aimé qu’elle se confie davantage, notamment sur ses relations amoureuses. Mais de là à la surveiller comme le lait sur le feu ! Je comprends quand même qu’étant si jolie, cela puisse lui attirer des ennuis. Je repense à l’aventure qu’elle a eue avec un paysan du voisinage, que j’appelais par dérision : « l’homme au tracteur rouge ». Il cultivait les beaux ares mais hésitait toujours à mettre la main à la pioche.
Le bonheur de ma sœur n’était pas dans le pré car ce bouseux était loin d’être au petit foin pour elle. En outre, il était d’un machisme incroyable. Ne racontait-il pas avec désinvolture des histoires drôles mais qui ne faisaient rire que lui. Comme celle-ci : « Ce matin ma copine était si malade que j’ai dû la porter jusqu’à la cuisine pour qu’elle me prépare mon petit-déjeuner ». Ou encore celle-là :« Je viens de parler avec un connard qui disait qu’une femme n’est bonne que pour le sexe et la cuisine. Ça m’a choqué !!!! Il a oublié le ménage ! ». Vous voyez le genre !
De plus, il était d’une jalousie maladive et considérait ma sœur comme sa chose, décidant de tout à sa place et allant même jusqu’à la frapper. Nous avons dû consulter un homme de l’oie et faire intervenir la police pour le menacer et lui interdire de l’approcher. Mon « représentant de commerce », m’a l’air moins dangereux, mais sait-on jamais ?

D’Elie

Les délices d’un hiver.

Que la providence offre un hiver clément aux populations de la France, c’est un délice. C’est aussi une circonstance heureuse pour mener à bien les activités du quotidien et se livrer aux loisirs de son goût.
Ma famille a choisi de passer un moment d’évasion à Cagnes-sur-Mer, un des plus beaux villages autour de Nice. C’est dans ce magnifique village que mon père a loué une auberge dans laquelle nous avons passé ces moments de découvertes touristiques très enrichissants. La concession de l’auberge qui nous avait hébergés était un véritable parterre de fleurs d’hibiscus, de jacinthes, et de primevères, sans compter les plantes qui faisaient la beauté et l’ombrage de l’auberge. Ma mère admirait ses pelouses et ses gazons taillés et qui se distinguaient par l’harmonie de ses figures géométriques. Elle était vêtue d’une chemise à bonnet et de gants confectionnés pour résister au froid glaçant de la neige. La curiosité qui l’animait était celle qui était propre aux chercheurs scientifiques de tous les temps. Par cette imagination très fertile, ma mère s’improvisait en chercheuse, en citant savamment de mémoire les noms scientifiques de quelques plantes.
Au loin sur les arbres, les maisons et les rues s’étaient amoncelées d’épaisses lames de glaces. A ce sujet, la municipalité avait pris des tracteurs rouges pour déblayer les rues et les boulevards déjà jonchés de barres de glaces qui rendaient la circulation impossible. D’autre part, un regard vers le ciel donnait lieu à un spectacle merveilleux. Il est donc question ici des comètes face aux rayons solaires qui produisaient une luminescence qui n’était que le reflet d’une gloire apocalyptique annoncée dans les Saintes Écritures.
Quatre jours s’étaient écoulés depuis notre arrivée à Cagnes-sur-Mer et mon père proposa que nous allions à la plage pour nourrir nos âmes et s’instruire à travers des livres naturels que nous offre la nature. La plage était belle et bien animée par les riverains et les personnes qui arrivaient avec la pensée de prendre un bain. Nous nous installâmes dans un hangar où tout était disposé pour festoyer puis s’adonner à des histoires et des jeux.
Mon père me fit le signe pour l’aider à transporter les mets qui étaient apprêtés pour la circonstance. Après l’installation, des paquets de crème brûlée étaient servis par mon père. Pendant que nous étions assis en cercle autour de la table à rallonge, une lueur de souvenir me traversa l’esprit. Mon cœur était rempli d’angoisse et je fondis en larmes.
-Qu’as-tu Roger ? me demanda papa.
-J’ai oublié ma poupée au lit à l’auberge.
Pour calmer mon esprit, papa alla en payer une autre. Je me réjouis d’avoir un père gentil et compatissant.
Maman et moi avions témoigné toute notre reconnaissance à papa. Mais ma mère ne manqua pas de me faire une remarque sérieuse.
-Écoute-moi bien Roger ! Sache que tu es un homme et que ta folie de pleurer pour une moindre chose n’est plus digne à ton âge.
Nous étions, à présent, invités pour suivre une pièce de théâtre montée par quelques jeunes qui avaient choisi d’égayer la foule nombreuse et comblée de joie. Le théâtre prit fin dans les environs de 22 heures sous un ciel étoilé. Nous avions oublié les peines et gagné un nouveau cercle d’amis. Les bons moments d’évasion sont ceux de partage d’expériences et de réjouissances.

D’Eric

NINON

A la tombée du jour, le Foehn, ce vent chaud qui dévale joyeusement les pentes, s’est levé sur la montagne. Il donne une douceur anormale à la nuit de cet hiver clément, trop clément peut être, puisque la nature elle-même y perd ses repères : les fleurs repoussent et les oiseaux chantent. Sous le ciel étoilé, Ninon marche d’un pas rythmé, guidée par les astres qui la surveillent depuis son enfance.
Levant les yeux au ciel, elle aperçoit non pas une comète, mais une étoile filante. Vite un vœu ! C’est sa manière à elle de la remercier d’être venue de si loin pour achever sa vie sous ses yeux. Face à cette toile d’étoiles, elle est gagnée par cette immensité qui la ramène à sa propre petitesse, poussière de poussière de poussière, physique et temporelle, dans un cosmos sans fin.
Une odeur de feu de bois la fait revenir à la réalité ; l’auberge est toute proche. Elle ralentit son allure et au détour du chemin, s’arrête. La grande bâtisse de bois, accrochée à flanc de montagne, au centre de sa petite clairière, lui apparaît comme un havre de paix face aux trépidations de la vie actuelle. Elle s’arrête, fait une pause pour contempler ce spectacle qui ressemble à une pièce de théâtre : le bâtiment éclairé semble hors du temps. Les arbres alentour, branches et troncs malmenés par le vent, bruissent, sifflent, grincent. Eclairés de manière intermittente par les lampes extérieures, agitées par les bourrasques, ils donnent l’impression de se mouvoir autour de la bâtisse comme des géants à forme humaine. Elle a l’impression d’assister à un ballet que la nature lui offre. Pour son cinquantième anniversaire.
La porte s’ouvre laissant filtrer un rayon lumineux qui la tire de sa rêverie. Elle rejoint le seuil pour pénétrer dans une atmosphère joyeuse emplie des voix de ses amis qui, assis autour du feu de cheminée, lui souhaitent la bienvenue. Les bûches, apportées par le paysan voisin sur son petit tracteur rouge, crépitent dans l’âtre.
Ils se sont réunis pour une nuit blanche, une nuit de rires, d’alcool, et de danse pour fêter cet événement et chasser la mélancolie de cet anniversaire qu’elle appréhende, comme un tournant de sa vie. En provenance de la cuisine lui parvient une délicieuse odeur de crèmes brulées, dessert que lui préparait sa mère chérie qui hélas n’est plus là.
Ses propres filles, qui depuis longtemps ont arrêté de jouer à la poupée, sont maintenant casées. Son mari est parti. Elle se retrouve seule pour affronter ses dernières décennies. Mais il lui reste ses amis. Alors elle a dit oui pour cette nuit de folie. Bien lui en a pris. Elle verra se lever le jour, accoudée à la balustrade du balcon. Dans le lit derrière elle, se trouve un homme encore endormi qui lui a donné du plaisir comme elle pensait ne plus pouvoir en éprouver… Debout mais pas complètement réveillée, encore imprégnée de ces gestes de tendresse qui lui ont ouvert le cœur, elle se laisse aller à rêver. Et si sa vie à elle, pour elle, ne faisait que commencer…

De Marie-Laure

Tonton Cristobal

A l ‘ instant où je m’ apprête à parodier cette fameuse chanson, je me demande s ‘il y a un oncle d’ Amérique dans toutes les familles ? Car , oui, tonton Cristobal s’est forgé une sacrée légende dans ma famille. Je vais ici vous le décrire, il vous appartiendra de juger.

Né de parents italiens, venus travailler dans les mines de Lorraine au début du 20ème siècle, Cristiano de son vrai prénom, a toujours su défrayer la chronique !

Dernier enfant d’une fratrie de six, il a été chouchouté, bichonné par ses sœurs aînées. Seul garçon de la famille, enfant béni qui enfin assurait la perpétuation du nom de famille, sa mère l’ appelait Jésus »,  c’est dire son statut singulier dès le berceau ! Sa bonne bouille ronde auréolée de boucles blondes lui donnait des airs d’ ange et avec ses yeux bleus, certes on lui donnait le Bon Dieu sans confession. A dire vrai,  il avait apparemment bien besoin d’ un intercesseur, repéré dès la primaire, non pour ses bulletins, mais plutôt pour ses bêtises !

Adolescent il écumait les bals populaires et la légende dit que les filles auraient pu se battre pour valser avec lui ! Pourtant il ne s’est jamais marié, enchaînant les petits boulots, à gauche à droite, passant la frontière proche puis changeant carrément de continent ! Cuisinier à Tokyo, chercheur d’or au Canada, travaillant dans le bâtiment aux USA, pizzaïolo en Argentine et j’en passe ,car à ce jour personne dans la famille ne peut vraiment retracer son parcours.

Toujours est- il que lorsqu’il revenait tous les trois ou quatre ans en vacances au pays, il était accueilli comme le messie, dispensant cadeaux et largesses à tout le monde. Sur sa vie, sur son quotidien, personne n’osait s’interroger ouvertement, il y avait une omerta verrouillée par sa mère. Si quelqu’un s’ avisait de poser la moindre question, de suite elle dégainait son regard de « mama » sicilienne, qui coupait court à toute velléité de savoir d’où lui venait cet argent. Le mystère était entier.

Ses neveux avaient coutume de chantonner « Tonton Cristobal est revenu, des lingots, des pesos, il en a le cul cousu » pour narguer la grand mère. Ils en rient encore aujourd’hui, se remémorant la grand-mère qui leur envoyait ses savates à la tête, oh que oui, les gênes siciliens ont la peau dure ! De cette chanson lui est venu son surnom «  Cristobal », lui il adorait, car cela rajoutait de l’exotisme à son personnage.

Outre les cadeaux et le voyage à Buenos Aires, qui venait pour chacun ponctuer la réussite au bac, tonton aimait bien fumer un petit joint avec ses neveux et les soirées bien arrosées étaient légion, de quoi renforcer l’ aura de secret qui accompagnait sa tête toujours aussi blonde et ses cheveux longs hirsutes et indomptés !

A l’ âge de la retraite, autour des 75 ans pour Tonton, un crabe en poche, il a décidé de revenir couler des jours tranquilles au côté de ses sœurs. Il aura fallu qu’il tombe malade pour arrêter de bourlinguer, sacré Cristobal ! Derrière son dos, il se disait que ses valises étaient bien lourdes à l’ aéroport ! Il paraît qu’il avait creusé dans le jardin de la maison de la grand-mère, habitée maintenant par sa sœur cadette, oui juste sous le mirabellier !

Il n’est pas resté longtemps au pays, le crabe s’est vite répandu, lui laissant tout de même le temps de dévoiler quelques-uns de ses secrets. La légende de la boîte métallique planquée au fond de la cave et qui recèle un trésor s’est jouée sous nos yeux. Et oui, des pièces d’or il en avait le cul cousu, tonton Cristobal ! A son enterrement, sa sœur a certifié que sur les cinq continents une petite étoile brillait en ce jour de commémoration de son cher Cristiano, pour sûr la légende, elle, reste bien vivante !

J’ai adoré toutes vos histoires. Beaucoup sont émouvantes, empreintes de tendresse. Que ça fait du bien de lire tous ces textes par une froide soirée hivernale par chez moi.

Cela faisait plus de 10 ans, par chez moi, que les vignes qui produisent le célèbre cognac n’avaient pas vu de neige! 

C’était bien beau, mais diantre, qu’il faisait froid hier!

J’ai eu moins froid à la montagne à Noël à Courchevel! 

Je vous souhaite une belle semaine créative. Protégez-vous bien du froid pour celles et ceux qui vivent dans un pays où l’hiver sévit! Portez-vous bien et prenez soin de vous! 

Créativement vôtre,

Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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