Vous êtes impatients de lire la suite de mon roman. Sans plus attendre, voici un épisode dans l’enfance d’Amanda autour des livres.
Un numéro de duettistes
Ma mère et moi, nous formions un duo inséparable, à l’image de ces perruches calopsittes qui ne peuvent vivre sans leur partenaire de vie. Ma mère ne vivait que pour moi. Je ne vivais qu’avec elle. Elle n’avait plus aucune famille proche. Je n’avais ni frère ni sœur.
Notre vie se déroulait dans un grand calme, qui, durant ces années d’insouciance, ne me posait aucun problème. Je n’étais pas une enfant colérique ni exigeante. De part mon caractère, je ressemblais à ma mère. J’étais une petite fille tranquille, sage, obéissante. La vie quotidienne se déroulait sans heurt.
Ma mère travaillait toujours comme caissière au supermarché de la ville, qui s’était bien agrandi depuis sa jeunesse. J’allais à l’école du quartier, à quelques pas de chez moi. J’étais fière de m’y rendre seule. Je me sentais une grande fille. Je me débrouillais seule. Jusqu’à l’âge de mes sept ans, maman me plaçait le matin et le soir chez une nounou après l’école, juste dans la rue derrière chez nous. C’était une femme adorable dont je garde de bons souvenirs. Me faire garder coûtait cher et je dus me prendre en charge à l’âge de sept ans. Ne dit-on pas que c’est l’âge de raison ?
Maman me préparait les repas du midi dans une thermos. Je n’avais plus qu’à me servir. Elle pensait que j’étais trop jeune pour réchauffer mes plats dans une poêle sur la gazinière. Pour me divertir, j’allumais la télévision et je regardais l’émission de Danièle Gilbert, Midi Trente où j’écoutais les chanteurs et les chanteuses du moment. Et je retournais à l’école tranquillement en début d’après-midi.
De retour à la maison, je m’appliquais à faire mes devoirs, sans l’aide de personne. J’aimais l’école et j’aimais bien faire le travail demandé par la maîtresse. Quand maman rentrait du travail, elle me trouvait souvent un livre de la fameuse Caroline, ou de Martine avec leurs petits amis coquins, puis vers huit ans avec des livres de la bibliothèque rose ou verte à la main. J’adorais lire. Je tenais cette passion de ma mère, qui elle-même la tenait de sa grand-mère.
Jusqu’à ce que je sache bien lire, maman me lisait une histoire le soir dans mon lit. Je lui réclamais souvent la même, soit les aventures des contes de fées de Perrault, soit celles de Caroline et de ses amis. J’adorais l’écouter. Elle avait une voix douce ma mère. Je sombrais souvent dans le sommeil avant la fin de l’histoire. C’était un plaisir sans fin, un moment de partage, de communion. Je sus lire avec aisance vers sept ans. Ce fut à mon tour de lire des histoires. Mais là, je ne m’endormais plus.
Quand je lisais, le temps disparaissait. J’adorais me plonger dans les univers des personnages. Je vivais leurs exploits, me prenant moi-même pour une des héroïnes à qui il arrivait toutes sortes d’aventures. J’étais fascinée par tout cet univers imaginaire. Ces personnages devenaient réels à mes yeux. Ils comblaient la solitude qui m’entourait. Je les considérais comme des amis, comme des frères et sœurs. Je vivais dans mon propre univers fantastique, fermé du monde extérieur par quelques pages.
Autour de moi, le canapé du salon, une lumière tamisée les soirs d’hiver, ma robe de chambre pour me tenir chaud, un carré de chocolat suffisaient à mon bonheur. Je pouvais lire à n’importe quelle heure, avant de me lever et avant de me coucher. Pas dans la baignoire tout de même ! J’empruntais sans cesse des livres dans la bibliothèque de la classe. Chaque mois je demandais à ma mère de m’acheter un ou deux livres pour compléter mes collections. Je ne demandais rien d‘autre. La coquetterie vestimentaire de mes petites copines d’école ne m’intéressaient pas. Faute de moyens suffisants, je ne pouvais pas jouer d’un instrument de musique ni apprendre le solfège. J’aurais bien voulu pourtant. Je ne me plaignais pas car j’avais mes amis de papier. Avec eux, je créais des dialogues dans ma tête et je les faisais me répondre. La vérité, c’est que je vivais dans un monde parallèle. La réalité m’échappait et en dehors de l’école, rien ne m’intéressait vraiment.
Je me calais dans mon fauteuil préféré, je retirais mes chaussons, je pliais mes jambes sous moi et j’attendais que l’histoire prenne possession de moi. Caroline, ou Martine, ou Sophie de la Comtesse de Ségur ou Gribouille se muaient devant mes yeux de petite fille. Leurs aventures se déroulaient devant moi. Ils parlaient, ils chantonnaient, ils criaient, ils faisaient des bêtises. Ils m’aidèrent à grandir, à rêver, à vivre une vie passionnante et virevoltante. Mon cœur palpitait au rythme de mes lectures. Mon cœur débordait d’une joie infinie en leur compagnie.
J’étais seule dans la maison, mais je n’avais plus peur.
Sans doute avez-vous vécu ce genre d’expériences en étant petit? Je vous souhaite une belle semaine de lectures.
Portez-vous bien et surtout prenez soin de vous!
Créativement vôtre,
Laurence Smits, LA PLUME DE LAURENCE