Crédit photo: elle.fr

Voilà une bien étrange question, me direz-vous? Pourquoi pas, après tout? Stephen King arrive bien à nous épouvanter avec ses histoires. Il a réussi l’exploit de me provoquer des cauchemars, alors que je n’y suis pas sujette. Nous sommes d’accord qu’un personnage ne peut pas avoir une vie rose, emplie de bonheur tout au long du roman. Cela existe-t-il dans la réalité? Dans la vraie vie, comme le disent si bien les enfants?

Pour que l’auteur entre en connexion avec son lecteur, il lui faut créer des émotions, exprimer des sentiments. Ainsi, le lecteur peut entrer en empathie avec le personnage. Le lecteur a besoin d’émotion pour poursuivre sa lecture et s’identifier au personnage principal.

Écrire et donner des émotions au lecteur est certainement la mission la plus compliquée de l’auteur car elle dépend de l’ensemble de son travail : de son intrigue, de ses personnages, de son style. Transmettre des sentiments à l’écrit n’est pas toujours évident. Les personnages sont à notre image, n’ est-ce pas?

Pourquoi provoquer des émotions chez le lecteur?

Ernest Hemingway parlait d’une histoire comme d’une “séquence de mouvements et de faits”. Selon lui, dans une histoire, une séquence d’événements correctement mis en scène permet de créer un stimulus qui oblige le lecteur à ressentir l’émotion que l’auteur essaie de créer. Parler des émotions ne va pas permettre au lecteur de les ressentir. Par exemple, si vous écrivez en parlant de votre personnage : “il était triste”, vous pouvez être certain que votre lecteur ne ressentira aucune empathie. Pour cela, il faut que le lecteur puisse réellement ressentir les situations de l’histoire et expérimenter lui-même ce que les personnages expérimentent. Ainsi, une séquence d’événements créera de l’émotion chez les personnages et provoquera la même chose chez le lecteur.

Les gens adorent les histoires. C’est pour ça qu’on passe des heures à regarder des films et des séries ou à lire des romans. La narration peut transformer n’importe quel texte banal en chef-d’œuvre – ou presque, grâce aux émotions que les personnages ressentent et vivent.

Il n’y a pas de recette toute faite qui pourrait s’appliquer à chaque fois. Les émotions et leur description ne sont jamais fixes. Elles changent en fonction du personnage, du point de vue, de la situation, etc.

Crédit photo: aproposdecriture.com

En faisant pleurer ses lecteurs, l’auteur met en place le phénomène de la catharsis, cher aux auteurs de l’Antiquité grecque. Cela revient à vivre des émotions à travers des personnages, comme pour “purger” les émotions, vider le trop-plein de ce qu’on accumule en soi. Une personne peut avoir du mal à accéder à ses propres émotions. D’où l’intérêt des histoires, que ce soit un roman, un film ou une série. Lire des livres qui font pleurer, en un mot, ça nettoie, ça libère et ça détend. On se sent forcément mieux après. Je vous rassure: on fait du bien à son lecteur en le faisant pleurer!

Rappelez-vous l’histoire du jeune Simba dans Le Roi Lion, qui voit son père, Mufasa, mourir sous les coups diaboliques de son oncle, Scar. Vous savez aussi bien que moi que ce dessin d’animation a connu un succès sans précédent dans le monde entier. Nous avons tous pleuré, enfants et adultes, avec le lionceau, qui a dû gagner son titre de roi grâce à son adversité et qui a réussi à faire régner la paix en son royaume.

Crédit photo: buzzfeed.com

Je pourrai donner l’exemple aussi de Bambi de Disney qui perd sa maman, tout jeune. Qui n’a pas pleurer en voyant cette scène? Vous voyez, sans mots inutiles, juste la situation suffit à nous arracher des larmes: c’est l’hiver, il fait froid, la neige est là et on distingue la mare de sang, le sang de sa mère morte à cause d’un chasseur.

Les émotions dépendent aussi du public pour lequel vous écrivez. Des enfants seront plus sensibles à certaines situations par rapport aux personnes de 40 ans. Des gens lisant de la romance attendent qu’on leur parle d’amour. Ils acceptent qu’on aborde d’autres sujets, mais il leur faut une histoire d’amour à un certain point. Ceux qui optent pour un thriller souhaiteront être surpris et ressentir de la peur, du suspense.

Solliciter les sens

Pour provoquer des émotions chez le lecteur, il convient de solliciter tous les sens à notre disposition. Vous oublierez le sens de la vue, car les personnages, par définition, voient avec leurs propres yeux. Prendre en compte uniquement le sens de la vue crée presque toujours un effet plat. Sauf si vous créez un personnage mal voyant ou aveugle de naissance, qui, grâce aux progrès de la médecine, recouvre la vue après une opération.

Chacune de vos scènes doit au moins présenter un détail provenant d’un autre sens que la vue. De cette façon, le lecteur se trouvera plongé dans l’histoire et la ressentira réellement. Bien évidemment, vous devez être en mesure d’adapter l’évolution de votre personnage en fonction de sa situation, afin de provoquer des émotions chez le lecteur. L’auteur doit aussi comprendre les émotions des personnages qu’il crée.

Pour toucher émotionnellement les gens, n’ayez pas peur de prendre un paragraphe pour décrire une sensation. Par exemple, si j’écris un article qui parle du burn-out… Alors, ce peut être judicieux de décrire précisément ce sentiment en disant : « Je n’arrivais plus à trouver la force de bouger. C’est comme si mon corps était aimanté à mon lit et que pour m’en détacher, je devais fournir un effort inhumain. J’étais fatigué tout en passant mes journées à dormir et j’avais l’impression de vivre ma vie en tant que spectateur. » (exemple emprunté sur le blog, Wonderwildqueen).

Le simple fait de rajouter ces quelques phrases prouvent à votre lecteur que vous le comprenez, que vous faites preuve d’empathie envers lui. Et forcément, un lien affectif se crée. J’ai déjà écrit un article sur comment utiliser les sens en écriture.

Donner des émotions

Plus que de donner des émotions à ses personnages, l’auteur doit les transmettre à son lecteur. C’est un gros défi, mais c’est ce qui fera que le livre fonctionnera et marquera le lecteur. Si le lecteur a peur et est triste avec votre personnage, vous aurez alors gagné. Pour aborder la tristesse, par exemple, -et cette émotion est fréquemment utilisée au cinéma, cela va sans dire- vous pouvez évoquer la douce torpeur du spleen, ou la météo. Comment un personnage peut-il se sentir bien s’il subit le froid de l’hiver, par exemple?

Écrire « il était triste » ne suffira pas à faire ressentir la tristesse de votre personnage. Montrer comment ses pensées se perdent, comment ses larmes ne peuvent s’arrêter de couler, par contre, aura plus d’effet. À vous de jouer avec les mots, les figures de style, les descriptions pour parvenir à toucher le lecteur. Un événement seul et isolé ne suffira pas à faire ressentir des émotions à votre lecteur. L’intrigue est un moteur d’émotion.

Rajouter trop de détails est aussi une erreur. Si vous en étalez trop, le lecteur va se noyer, ou s’endormir par ennui. Choisissez donc avec justesse et habileté les bonnes anecdotes à partager pour donner envie aux gens de lire la suite de l’histoire. Le but n’est pas d’alourdir le message et de pousser vos lecteurs à n’éprouver que du dégoût envers votre histoire. Le lecteur doit et peut pleurer, mais à doses homéopathiques.

Photo extraite du film d’animation de Pixar , Vice et Versa

Je vous conseille aussi de visionner le film d’animation de Pixar et des studios Disney, Vice et Versa, sorti en 2015. Il a remporté l’Oscar du meilleur film d’animation en 2016. J’ai adoré regarder ce film. Croyez-moi, il est très instructif pour un auteur et décrit justement les émotions de base, à savoir:

  • la joie (couleur jaune)
  • la tristesse (couleur bleue)
  • la peur (couleur violette)
  • le dégoût (couleur verte)
  • la colère (couleur rouge)

Les émotions se parent de couleurs diverses selon l’état du personnage principal, Riley et de son évolution, au fil de l’histoire. Je vous laisse visionner la bande-annonce.

Le risque, avec les émotions, c’est de ne pas parvenir à trouver le bon équilibre. Le but n’est pas de faire de l’émotion pour faire de l’émotion. L’émotion sert à passer votre message et à le rendre plus fort. Attention à ne pas surcharger vos histoires en émotions. Il faut aussi laisser le lecteur souffler et lui laisser le temps d’absorber les émotions avant de lui en donner de nouvelles. Tout est une question de dosage et de timing. Le lecteur est comme une éponge. On se doit de l’essorer de temps à autre!

La relation personnage-lecteur

Il est évident que votre personnage aura des qualités et des défauts. A vous de doser pour que le personnage soit sympathique ou antipathique. Le lecteur peut s’identifier à un personnage principal, qui a une vie plus difficile et un sort moins enviable. Alors, dans ce cas, l’auteur peut lui attribuer des qualités admirables, des valeurs nobles, un grand courage et une certaine forme de générosité.

Si le personnage est un prince, un super héros, il faut lui donner les qualités pour qu’il puisse se mettre au niveau des autres. Certes, il a un grand pouvoir et de grandes responsabilités. Mais, il se doit d’être aussi altruiste, empathique et sympathique pour accrocher le lecteur.

En fait, la clé réside dans ce conseil: quel que soit le personnage, choisissez-lui un défaut sympathique. Choisissez un défaut qui empêche le personnage d’être heureux à un moment donné. Le lecteur doit alors comprendre pourquoi le personnage agit ainsi. Il convient de montrer les qualités et les défauts, non par des mots, mais par actions et réactions.

Crédit photo: pinterest.fr

Vous pouvez rendre un de vos personnages principaux vulnérable, en évoquant son passé, son enfance douloureuse, sa vieillesse, etc. Le lecteur doit avoir ainsi l’envie de le protéger. Vous pouvez aussi mettre votre personnage dans une situation injuste. Il va alors subir de l’injustice, en lien avec sa qualité principale.

Si vous insérez une mort dans votre histoire, faites-là intervenir au moment où le lecteur s’y attendra le moins. Si c’est votre personnage principal, faites-le mourir dans un moment d’espoir. Car cela devient un obstacle supplémentaire dans le déroulement de ses aventures.

Comment se manifestent les émotions?

Cela pourra vous paraître être des clichés, mais si vous êtes amateur de films ou de séries, vous aurez remarqué que cela fonctionne toujours. Ces clichés ont été utilisés des millions de fois. Je vous livre les caractéristiques tirées du blog, Mécanismes d’histoires.

Crédit photo: mathilde-depaulis.fr

La joie

Manifestations physiques : la joie rayonne dans le corps entier, la tête qui tourne, le sourire irrépressible…

Dans la tête du personnage : la joie peut se manifester par une impossibilité de se concentrer sur quelque chose. On ne cesse de penser à ce qui nous fait plaisir. Les pensées peuvent s’enchaîner à toute vitesse.

Dans le style de l’auteur : la joie peut être matérialisée avec la ponctuation -les points d’exclamation, de suspension…, avec des envolées lyriques, l’amplification, l’hyperbole… On exagère toujours quand on est heureux !

crédit photo: joyatwork.be

L’amour

Manifestations physiques : le cœur qui s’arrête et repart de plus belle, le ventre qui papillonne, les joues qui rosissent ou au contraire semblent se vider de leur sang, la gorge sèche, l’électricité, le bien-être…

Dans la tête : tout le monde ne réagit pas de la même façon face à l’amour. Il y a le coup de foudre : on a l’impression de connaître l’autre par cœur, on l’aime directement. Il y a l’amoureux de l’amour. Il y a celui qui anticipe, celui qui freine, celui qui ne veut pas s’engager, celui qui ne veut pas souffrir…

Dans le style de l’auteur : l’auteur peut utiliser le flashback car l’amoureux ressasse encore et encore les moments passés avec l’élu de son cœur. Il peut utiliser l’accumulation, l’amplification, l’hyperbole, l’exagération ou encore la ponctuation pour marquer l’enthousiasme. Les réactions de l’amour sont semblables à celles de la joie.

Crédit photo: filsantejeunes.com

La tristesse

Manifestations physiques : si la joie emplit le corps de bonheur, la tristesse vide celui qui la ressent. Les jambes sont lourdes, la tête tourne au ralenti, le corps est faible. Les larmes, la gorge nouée par les sanglots peuvent aussi être une manifestation physique de la tristesse.

Dans la tête du personnage : le personnage réfléchit au ralenti. Il peut être amené à repenser à ses actions, à se focaliser sur un point précis qui l’a marqué.

Dans le style de l’auteur : l’auteur peut faire usage du flashback, de la répétition, des points de suspension pour marquer l’hésitation et le vide.

Crédit photo: e-marketing.fr

La surprise

Manifestations physiques : le cri, le cœur qui bat très fort, l’excitation, la paralysie, l’immobilisme sont des manifestations de la surprise.

Dans la tête du personnage : très surpris, un personnage peut être incapable de penser, de comprendre ce qui se passe. Selon la capacité du personnage à être surpris, cela peut durer plus ou moins longtemps. Certains personnages, notamment les policiers, les espions, les médecins urgentistes…, sont formés à garder leur sang froid et à gérer leurs émotions.

Dans le style de l’auteur : Les points de suspension, ou l’arrêt sur image peuvent être utilisés : parfois, on est tellement surpris que l’on voit ce qui se passe, mais on ne sait pas quelle réponse y apporter.

La colère

Manifestations physiques : Les jours deviennent rouges. Vous connaissez l’expression « être rouge colère », les sourcils se froncent, les traits se tirent, les yeux lancent des éclairs, les mouvements deviennent irraisonnés, secs, violents.

Dans la tête du personnage : la colère peut monter petit à petit ou être déclenchée par un événement. Elle peut être explosive ou au contraire progressive. Le personnage tourne en boucle.

Dans le style de l’auteur : la répétition, les points d’exclamation, les points de suspension, l’accumulation, l’argumentation, l’antiphrase. Dire « Bravo ! Magnifique ! Toi, tu es un champion » en réponse à la grosse bévue de quelqu’un par exemple, l’amplification…

Crédit photo: mmindfulness.fr

La peur

Manifestations physiques : les cris, le cœur qui bat très vite ou de façon désordonnée, la paralysie, l’incapacité de dire quoi que ce soit, la sensation de froid… Il y a aussi les tremblements et la chair de poule qui sont des manifestations très souvent utilisées dans les livres.

Dans la tête du personnage : la peur peut figer ou au contraire faire réagir. Là encore, certaines personnes peuvent être formés à mieux réagir que d’autres face à une situation dangereuse ou suspecte. Je pense encore aux policiers, soldats, espions, pompiers.

Dans le style de l’auteur : Les points d’exclamation, les points de suspension, l’arrêt sur image, la répétition, le bégaiement…

“Le Cri” de Munch

En guise de conclusion

Vous le savez aussi bien que moi: le français est une langue très riche sur le plan lexicale, mais aussi extrêmement compliquée. En tous les cas, il faut faire vivre les émotions à vos personnages, plutôt que de les dire. Le lecteur doit aussi voir l’effet des émotions du personnage à travers son langage corporel, ses expressions faciales et ses actions.

Je ne peux que vous conseiller d’être précis et subtil dans le choix des mots et du langage corporel de vos personnages. Vous devez aussi vous assurer que le lecteur s’identifie bien au protagoniste, qui doit rester accessible et sympathique.

Pensez aussi à développer des émotions intenses pour avoir un plus grand impact sur votre lectorat. Ecrire de la fiction, c’est comme dans la vie réelle: les émotions profondes sont plus mémorables que les émotions superficielles. Les lecteurs sont capables de partager l’état émotionnel de votre protagoniste si ces sentiments sont forts et passionnés.


Passionnée de lecture et d’écriture, de voyages et d’art, je partage mes conseils sur l’écriture. L'écriture est devenue ma passion: j'écris des livres pratiques et des romans.

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  • C’est un magnifique article qui va m’aider dans l’écriture de mon roman. Il y a de ces choses qui paraissent évidentes quand on les lit mais qu’il était nécessaire de rappeler, car tellement évidentes qu’on n’y fait pas forcément attention en écrivant. Merci beaucoup, vraiment!

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